Alors même que plus de 65 000 étudiant-es québécois entrent en grève pour marquer le début du « printemps chaud » qui s’annonce, un coup dur vient d’être porté au mouvement étudiant. Vendredi dernier, après un vote serré, une majorité de 52% d’étudiant-es sur un taux de participation de 58% ont décidé que l’Association facultaire étudiante de science politique et droit (AFESPED) de l’UQÀM ne les représentait plus, ce qui menera à sa dissolution effective. Le vote a eu lieu après une campagne référendaire lancée le 13 février dernier notamment par une frange d’étudiant-es en droit bien décidés à ne plus revivre une grève prolongée comme celle de 2012. Le département de droit, traditionnellement plus à droite que les autres, était en minorité dans le syndicat étudiant, et cherchait depuis des années à se dissocier de ce qu’il percevait comme les « gauchistes » de science politique.

L’AFESPED constituait une des figures de proue du mouvement étudiant, regroupant un grand nombre d’étudiant-es radicalisés. Elle avait joué un rôle clef pendant le « Printemps érable » de 2012, ayant notamment initié la tradition des manifestations de nuit. De plus, beaucoup de militant-es vigoureux et influents y avaient leur base d’organisation. Les étudiant-es qui y étaient jusqu’ici regroupés se verront donc organisés sur une base départementale, ce qui réduit sensiblement la force de leur nombre.

Parallèlement à cette campagne référendaire, les grands médias s’étaient lancés dans une campagne de salissage absolument délirante contre les étudiant-es radicalisés de l’UQÀM – surnommée « Union québécoise des anarchos-manipulateurs » par Denise Bombardier dans le Journal de Montréal. Toutes les accusations y sont passées : violence, intimidation, méthodes antidémocratiques, allant même jusqu’à  l’antisémitisme. Il était évident que ces attaques visaient plus spécifiquement l’AFESPED et l’AFESH (Association facultaire étudiante de sciences humaines), autre association très militante qui a elle survécu à un même référendum – 1000 étudiant-es ayant tout de même voté pour sa dissolution. Malgré le caractère purement diffamatoire de cette campagne, elle recelait un très mince fond de vérité, qui est à l’origine du mécontentement envers les deux syndicats étudiants.

En effet, ces votes référendaires exprimaient surtout un sentiment de frustration à l’égard du leadership étudiant. La fameuse « intimidation » tant décriée fait surtout référence à la tendance méprisante des militant-es uqamiens à tout de suite dénoncer comme « scabs » et « réacs » leurs collègues non-politisés ou au développement politique moins avancé. Il est facile pour les militant-es de se conforter dans leurs positions de « radicaux », et de simplement rejeter la majorité d’étudiant-es réfractaires à la grève et à la politisation de leur association comme étant purement et simplement « de droite ». Toutefois, une attitude impatiente et agressive envers ceux et celles qui ne sont pas d’accord avec nos idées ne peut que les rendre hostiles à ces idées dont il faudrait plutôt les convaincre. Les révolutionnaires ne peuvent tomber dans la pensée magique : le gouvernement et les riches patrons et banquiers qu’il représente ont beaucoup plus de moyens que nous; nous n’avons d’avantage sur eux que notre nombre. Une petite clique d’étudiant-es, si radicaux soient-ils, n’a pas le pouvoir de leur poser une menace réelle. Les révolutionnaires n’ont pas d’autre choix que de convaincre une majorité de travailleur-euses et d’étudiant-es à entrer en lutte. Ils doivent donc faire preuve de patience envers ceux et celles qui partagent leurs intérêts, mais dont le développement politique tarde. Autrement, ils se les aliènent et se retrouvent isolés et sans influence. Rappelons à cet effet que les bolchéviques avaient bien compris cela, et c’est pour cela qu’ils militaient dans tous les syndicats, même les plus conservateurs, afin d’y expliquer patiemment les idées révolutionnaires aux travailleur-euses, allant même, en 1905, jusqu’à infiltrer un syndicat jaune. La dissolution n’est donc pas une victoire de la droite, mais un échec de la gauche du syndicat à convaincre la majorité des membres de la pertinence de s’engager dans la lutte contre l’austérité.

Cette défaite montre aussi qu’il est une erreur de tenter de s’esquiver devant les questions politiques qui nous sont posées. Alors que tout le monde savait que le désaccord portait sur le caractère politique de l’AFESPED, la campagne du « Oui » a été quasiment dépourvue de contenu politique. Plutôt que d’argumenter en faveur d’un syndicat militant, la campagne a simplement présenté les services fournis par l’association à ses membres. Or, au sein d’organes politiques, les débats politiques qu’on cherche à éviter reviennent toujours par la porte d’en-arrière. Les désaccords à la base du référendum étaient politiques, et en évitant de les aborder de front et de tenter de convaincre l’ensemble des membres de la nécessité d’un syndicat combatif, les militant-es de l’AFESPED devaient s’attendre à ce résultat. La stratégie inverse aurait dû être adoptée. Le référendum constituait une plateforme parfaite pour mobiliser les étudiant-es apolitiques dans la lutte contre l’austérité, en expliquant l’urgence de se battre contre les attaques du gouvernement et donc la nécessité d’un syndicat étudiant au travers duquel organiser cette lutte. L’association aurait ainsi à la fois légitimé son existence aux yeux de ses membres et amené un contingent frais d’étudiant-es dans la lutte.

C’est aussi la conception erronée d’un caractère naturellement radical de certains groupes d’étudiant-es qui en prend un coup. Certain-es voudraient que l’UQÀM soit à gauche et l’UDEM à droite, que les étudiant-es francophones soient à gauche et les anglophones à droite, et ainsi de suite. En fait, la composition de classe d’un groupe joue effectivement un rôle dans ses positions politiques : l’UQÀM réunissant des gens de milieux en général un peu plus modestes que l’UDEM, il est normal que la première soit un peu plus progressiste. Toutefois, cela n’explique pas tout. Comme la fin de l’AFESPED nous permet de le constater, les positions politiques d’un groupe ou d’une organisation n’ont rien d’inhérentes et d’immuables, au contraire. Elles sont sujettes à des changements, parfois brusques comme c’est le cas ici, sous l’influence des luttes internes et des évènements externes. Il n’y avait pas de recette secrète derrière la radicalisation des étudiant-es de l’AFESPED pendant la grève de 2012 : beaucoup de travail de mobilisation, et encore du travail de mobilisation. Or, le support majoritaire conféré au noyau militant d’une association étudiante, aussi radicale soit-elle, ne peut être pris pour acquis, et doit être constamment renouvellé. Toutefois, l’inverse est vrai aussi : si la gauche peut perdre sa prédominance même au sein du fer de lance du mouvement étudiant, les campus traditionnellement moins progressistes peuvent aussi être gagnés aux idées radicales. Il suffit d’y mettre les efforts, d’aborder sérieusement la tâche de les convaincre.

Au moment où ce texte est publié, les étudiant-es de l’association s’apprètent à tenir une assemblée générale pour décider de son avenir. Le mandat de grève de deux semaines voté par l’AFESPED a été repris par les associations départementales, y compris celle de droit, de façon non-reconductible toutefois. Les services, par exemple les assurances collectives, risquent d’être fournis jusqu’à la fin du semestre, puis repris en charge par les associations départementales. Les conséquences de la disparition de l’AFESPED restent donc encore incertaines. Ce qui est certain, c’est qu’un véritable icône du mouvement étudiant québécois vient de s’éteindre. Il reste maintenant à tirer les leçons nécessaires de cette défaite et à ne plus répéter ces erreurs. Il n’existe pas de raccourci en politique : il faut expliquer et convaincre.