Le mouvement du Front commun intersyndical est jusqu’à maintenant un grand succès. Les manifestations de masse à Montréal et à Québec en témoignent, autant que les nombreuses manifestations en région. Les travailleur-euses ont participé avec enthousiasme aux lignes de piquetage pendant les grèves tournantes, et la grève nationale de trois jours en décembre promettait d’être une énorme démonstration de force. Francine Lévesque, vice-présidente de la CSN, parle elle-même d’une mobilisation «sans précédent dans l’histoire du secteur public au Québec.» La population semble réellement être du côté des travailleur-euses; Louise Chabot, présidente de la CSQ, affirme que «le rapport de force, nous le savons, est de notre côté».

La Riposte prévenait dans son plus récent article que le Front commun intersyndical doit être préparé face à l’inévitable loi spéciale qui s’abattrait sur le mouvement advenant une grève concertée de l’entièreté de ses travailleur-euses. L’histoire du Québec regorge d’exemples de ces lois destinées à mater la classe ouvrière en lutte. Mais maintenant, malgré la mobilisation qu’ils qualifient eux-mêmes d’historique, il semble que ce soient les dirigeants syndicaux qui s’apprêtent à effectuer la sale besogne eux-mêmes.

Au lendemain de deux jours de grève à Montréal et à Laval, où 115 000 travailleur-euses ont débrayé, faisant la démonstration de leur force commune, les dirigeants syndicaux ont profité de ce momentum pour… diminuer de moitié les demandes salariales du Front commun, dans leur nouvelle offre au gouvernement. En effet, plutôt que l’augmentation de 13.5% sur trois ans, les dirigeants proposent maintenant 6.9%. Pour couronner le tout, la grève nationale prévue pour les 1er, 2 et 3 décembre prochains sera suspendue, question de «laisser toute la place aux négociations.»

«L’offre» gouvernementale

Il n’en tient qu’aux dirigeants de nous expliquer où ils trouvent des traces de «négociations.» Le gouvernement de Couillard et Coiteux, depuis son entrée en poste en avril 2014, impose l’austérité sans concessions et ses membres ont affirmé à plusieurs reprises qu’ils ne reculeraient pas. Depuis que la convention collective des employé-es de la fonction publique est échue, le gouvernement a répété à qui veut bien l’entendre que les demandes du Front commun étaient irréalistes et inacceptables.  «L’offre» déposée par le gouvernement a été correctement décrite comme étant «quatre trente sous pour une piastre.»  Effectivement, les augmentations salariales restaient à 3% sur cinq ans avec deux années de gel, comme dans leur «offre» précédente. Pourquoi est-ce que la balle serait dans le camp des syndicats, si le gouvernement n’a pas réellement fait une proposition différente? D’ailleurs, cette proposition ne peut être qu’une insulte à l’endroit des syndicats quand au même moment, les libéraux veulent augmenter le salaire des députés de 90 000 à 140 000$! Bref, ce que nous avons ici n’est pas de la négociation, mais un gouvernement qui attend patiemment que les travailleurs-euses se plient à ses demandes. L’argument selon lequel la grève doit être suspendue pour permettre les négociations est complètement faux.

Les explications des dirigeants du Front commun justifiant leur action sont certainement d’une logique douteuse. Louise Chabot, Francine Lévesque et Daniel Boyer nous expliquent que la mobilisation actuelle a été extraordinaire et historique, que la population est sympathique à l’égard du mouvement, et que le rapport de force est clairement du côté des travailleur-euses. On ne peut qu’être d’accord. Ensuite, cependant, ils nous expliquent qu’ils voient une «ouverture» de la part du gouvernement – ils sont probablement les seuls à voir une telle chose. Cela justifie à leurs la prochaine étape du mouvement, qui est de déposer une contre-offre.

La faiblesse invite l’agression

Mais la contre-offre du Front commun est tout sauf une démonstration de force. Que tout le capital de sympathie et la pression exercée par les derniers mois de mobilisation aboutissent à un arrêt de la grève et à une diminution de moitié des revendications salariales est un dangereux pas en arrière pour le mouvement. Le mouvement actuel n’est pas une lutte corporatiste bornée, mais une lutte contre l’austérité dans son ensemble. Le slogan est «Refusons l’austérité», non pas «S’il-vous-plaît, nous voulons un peu moins d’austérité». Et dans la lutte des classes comme à la guerre, la faiblesse invite l’agression. Il n’est d’ailleurs pas surprenant que Martin Coiteux ait, sans attendre, catégoriquement rejeté l’offre du Front commun. Les bureaucrates syndicaux croient que c’est en faisant des concessions qu’ils peuvent gagner une entente négociée «satisfaisante.» Le contraire est vrai; chaque pas en arrière renforce le gouvernement dans sa volonté d’enfoncer l’austérité dans la gorge des travailleur-euses. Le leadership syndical se met ainsi non sur la voie de la victoire, mais sur la voie de la démoralisation de sa propre base.

Cependant, il n’en demeure pas moins que la nouvelle offre syndicale n’a pas fait sourciller Martin Coiteux. Un règlement négocié du conflit, à moins que la direction syndicale soit préparée à capituler entièrement face au gouvernement, semble encore peu probable étant donné l’inflexibilité manifeste des libéraux. Cette inflexibilité s’explique par le fait que l’austérité n’est pas une idéologie inventée par les libéraux, mais une nécessité d’un capitalisme en crise. Voilà pourquoi il est vain de tenter de «convaincre» Coiteux et Couillard du caractère légitime des revendications syndicales. Il faut également comprendre que les libéraux souhaitent faire de cette lutte un exemple; ils veulent ni plus ni moins humilier les syndicats et désorienter le mouvement, ce qui leur permettrait d’aller de l’avant avec encore plus de coupures.

La lutte continue!

Cette grave concession va évidemment choquer beaucoup de militant-es et de travailleur-euses, mais tout n’est pas perdu. Les travailleur-euses ont déjà montré qu’ils sont prêts à lutter et à défier la volonté de leurs dirigeants, comme nous l’avons vu avec les grèves illégales du 1er mai dernier et avec les nombreux votes en faveur d’une grève générale au cours de la dernière année. Le mouvement a maintenant besoin de la mobilisation de la base contre cette capitulation de la direction. La diminution des demandes du Front  commun ne peut que démoraliser la base et paralyser sa volonté de lutter; les syndicats locaux doivent reprendre le contrôle des négociations et réinstaurer la demande de 13.5% d’augmentation salariale. Les travailleur-euses de la base doivent forcer leurs dirigeants à remettre à l’ordre du jour la grève des 1er, 2 et 3 décembre, afin de produire une pression effective sur le gouvernement. Trotsky expliquait que «la bureaucratie n’est pas plus forte que les lois de l’histoire.» Tôt ou tard, la base des travailleur-euses va forcer sa bureaucratie à s’engager dans la voie de la lutte, ou va le faire contre sa bureaucratie. C’est la seule avenue permettant d’arriver à la victoire!