Donald Trump a finalement décidé de transformer le G7 de La Malbaie en fiasco. Moins de 24 heures après avoir affirmé que la relation entre les États-Unis et le Canada n’avait « jamais été aussi bonne » et après que les sept puissances aient signé un communiqué commun pour clôturer le G7, le président américain a fait volte-face. Suite à la conférence de presse de clôture donnée par le premier ministre Justin Trudeau, Trump s’est lancé dans une autre série d’attaques Twitter sur celui-ci, l’accusant d’avoir « poignardé les États-Unis dans le dos ». Trump a également annoncé se désolidariser du communiqué commun émis par les sept grandes puissances seulement quelques heures après sa publication. Alors qu’il semblait que les tensions entre Trump et les six autres puissances étaient atténuées au moins temporairement, le « consensus » est maintenant en ruine.

Le 9 juin au soir, quelques heures après la fin du sommet du G7, Donald Trump a posté sur Twitter : « En raison des fausses déclarations de Justin à sa conférence de presse, et du fait que le Canada impose des taxes massives sur nos entreprises, agriculteurs et travailleurs américains, j’ai demandé à nos représentants de retirer le soutien au communiqué [du G7], pendant que nous envisageons des droits douaniers sur les automobiles qui inondent le marché américain! »

Ainsi prend fin la première visite de Trump au Canada.

Si près, et pourtant si loin

Ayant attendu un an et demi avant de mettre le pied chez ses voisins du Nord, Donald Trump promettait de faire sentir sa présence. À une semaine de la rencontre du G7, il a imposé des tarifs douaniers sur l’aluminium et l’acier canadiens, menaçant de déclencher une guerre commerciale impliquant le Canada, le Mexique et l’Europe. Trump s’est ainsi mis à dos l’entièreté des membres du G7, si bien que celui-ci a été renommé par un membre du gouvernement français le « G6+1 ». Selon certaines sources, il aurait même songé, à la dernière minute, à ne pas se présenter au G7. Il s’est finalement contenté d’arriver en retard et de repartir plus tôt, question d’accentuer le malaise autour de sa présence.

Trump était arrivé au Québec avec la claire intention de régler ses comptes avec ses « alliés ». « Nous allons parler des pratiques commerciales injustes envers les États-Unis », avait-il déclaré le vendredi, à son arrivée.

Or, il semblait que le pire avait été évité. Le vendredi 8 juin, Trump pouvait même se permettre quelques blagues, et affirmait que « notre relation [avec le Canada] est très bonne. On essaie d’abolir les tarifs [douaniers] pour faire que ce soit plus équitable pour nos deux pays. On a fait beaucoup de progrès. »

Puis, le communiqué commun des membres du G7 parlait de reconnaître « le commerce et l’investissement libres, équitables et mutuellement avantageux » et de lutter contre le protectionnisme. Tout semblait pour le mieux dans le meilleur des mondes!

Cependant, dans un revirement typique de Trump, tous ces efforts diplomatiques ont été réduits à néant. Lors de la conférence clôturant le G7, Trudeau a réitéré que les tarifs imposés par les États-Unis sous prétexte de sécurité nationale étaient « insultants ». Cela a engendré une réaction immédiate de Trump sur Twitter, qui a renié le communiqué final du G7 et s’est adressé ainsi à Trudeau :

« Justin Trudeau s’est comporté de manière si humble et douce durant nos rencontres du G7, pour ensuite [dire] que “les droits de douane américains étaient assez insultants” et qu’il “ne se laisserait pas malmener”. Très malhonnête et faible. »

Suite aux Tweets de Trump, le dollar canadien a chuté de 0,43 cent par rapport au dollar américain le 11 juin, principalement à cause de la peur que Trump impose des tarifs sur le secteur automobile, ce qui aurait un impact énorme sur le Canada. Également, l’avenir de l’ALÉNA, qui était déjà en péril, semble de plus en plus incertain.

Peter Navarro, conseiller de Trump en matière de commerce, en a rajouté en affirmant que « Il y a une place spéciale en enfer pour tout dirigeant étranger qui se livre à une diplomatie de mauvaise foi avec le président Donald J. Trump, puis tente de le poignarder dans le dos. » Même si Navarro s’est excusé depuis, un langage si belliqueux entre les États-Unis et le Canada n’est clairement pas un signe que la relation entre les deux pays est « meilleure que jamais ». Bien au contraire.

Tandis que Trump et compagnie adoptent une attitude belliqueuse envers Trudeau, les libéraux tentent de se présenter comme les défenseurs des travailleurs canadiens. Malheureusement, le NPD fédéral a donné son appui à Trudeau dans cette lutte inter-impérialiste. Tous les partis à la Chambre des Communes ont voté en faveur d’une motion condamnant Trump et les États-Unis pour leur attaque envers une « relation commerciale de longue date et mutuellement bénéfique ». Cette motion a en fait été présentée par un député du NPD. Il s’agit d’une erreur importante. Les libéraux ne sont pas les amis des travailleurs, et le fait d’entrer dans un front avec eux contre Trump ne peut que contribuer à masquer ce fait aux yeux de la classe ouvrière. De plus, cette position contribue à diviser les travailleurs sur des lignes nationales. Trudeau n’a pas hésité à sauver la compagnie pétrolière texane Kinder Morgan dans le conflit autour de l’oléoduc Trans Mountain, et est demeuré les bras croisés lorsque U.S. Steel a renié ses engagements à payer les fonds de retraite des travailleurs de Hamilton. Les intérêts des travailleurs canadiens et québécois ne sont aucunement différents des intérêts des travailleurs américains. Nous devons nous unir dans une lutte commune contre les patrons canadiens et américains. Nous devons lutter tant contre les partisans du protectionnisme comme Trump que contre les libéraux partisans du libre-échange comme Trudeau.

Guerre commerciale

Il est maintenant clair que le G7 n’a aucunement résolu les conflits entre Trump et ses « alliés », et que la menace de guerre commerciale est plus présente que jamais. Le président américain s’est à nouveau attaqué à la gestion de l’offre dans le secteur des produits laitiers au Canada et aux droits de douane de 270 % imposés par celui-ci. Trump invoque notamment ces droits de douane pour justifier les tarifs imposés sur l’aluminium et l’acier. Trump se garde bien de mentionner que le gouvernement américain dépense quant à lui 25 milliards de dollars en subventions aux fermiers du pays. En fait, les États-Unis ont même enregistré un léger surplus commercial de 8,4 milliards de dollars US avec le Canada en 2017. Mais cela ne change rien pour Trump, déterminé à « Rendre l’Amérique à nouveau grande » au détriment de tous les autres.

La volte-face de Donald Trump a également eu un impact sur ses alliés européens. La chancelière allemande Angela Merkel a affirmé que le G7 avait été une expérience « dégrisante et un peu déprimante ».

L’Allemagne est le pays d’Europe qui exporte le plus vers les États-Unis ; ses exportations ont atteint 132,04 milliards de dollars US en 2017. Avec la menace protectionniste américaine, l’Allemagne est particulièrement inquiète face à la possibilité que Trump impose des tarifs sur l’importation de voitures, elle qui en est une grande productrice.

L’Allemagne veut ainsi éviter une guerre commerciale avec les États-Unis, mais les perspectives sont plutôt sombres. Le ministre des Finances allemand a commencé par affirmer que « je crois qu’une situation gagnant-gagnant est toujours possible ». Mais il a ajouté : « Présentement, cependant, il semble qu’il n’y ait pas de solution en vue, du moins à court terme… Nous n’avons fait aucun progrès dans les derniers jours, et au lieu de cela, comme nous l’avons vu avec le rejet de la déclaration du sommet, nous avons reculé. »

Également, suite au G7, Merkel a affirmé que l’Union européenne allait infliger des contre-tarifs aux États-Unis suite à leurs tarifs sur l’aluminium et l’acier. Elle a utilisé un langage très similaire à celui de Trump : « Nous n’allons pas nous laisser avoir encore et encore. Nous allons agir, nous aussi ». Malgré le désir de l’Allemagne d’éviter la guerre commerciale, le protectionnisme a sa propre logique et fait que chaque pays doit répliquer avec ses propres mesures protectionnistes. Les bourgeois intelligents voient le danger dans la montée des tensions entre Trump et les principales puissances occidentales. Certains économistes et analystes parlent même de la possibilité de l’effondrement de l’alliance des pays occidentaux.

Il est important de comprendre qu’une guerre commerciale n’est pas un jeu à somme nulle où le gain des uns cause automatiquement la perte des autres. Les mesures protectionnistes de Trump engendreront des pertes pour tous. Selon une récente étude portant sur les tarifs sur l’acier et l’aluminium imposés par Trump, ceux-ci feront qu’environ 6000 emplois seront perdus dans l’économie canadienne et que le PIB du pays diminuera de 0,11 %. Pour ce qui est des États-Unis, les tarifs mèneront à la perte de 22 700 emplois et une réduction du PIB de 0,06 %.

Cette étude a été produite avant que le Canada annonce ses mesures de représailles! Il est important de rappeler que c’est le protectionnisme qui a transformé la crise des années 30 en profonde dépression. Dans le contexte de l’instabilité économique mondiale actuelle, une guerre commerciale pourrait précipiter l’économie dans une nouvelle récession.

La nouvelle norme

Les États-Unis ont été pendant plus de 70 ans en première ligne de défense de l’ordre économique mondial basé sur le libre-échange. Maintenant, sous Donald Trump, ils se trouvent en première ligne de ceux qui menacent ce statu quo, et sont de plus en plus isolés face aux autres puissances occidentales. C’est un signe de faiblesse. Alors que les États-Unis pouvaient imposer leur volonté au reste du monde il n’y a pas si longtemps et dominer les différents partenariats économiques, le rapport de force a changé en défaveur des États-Unis. La Chine, notamment, est maintenant en mesure de signer différents accords commerciaux sans les États-Unis, et prend une place grandissante sur le marché mondial au détriment de ceux-ci. Les décisions de Donald Trump ne font cependant rien pour renforcer les États-Unis devant la Chine. Selon l’étude citée plus haut, « les tarifs américains minent la compétitivité de la région de l’ALÉNA, et paradoxalement profitent à la plupart des autres régions. »

Le comportement de Donald Trump menace de tirer vers le bas l’économie mondiale et de mettre fin à l’alliance des pays occidentaux qui domine le monde depuis la Deuxième Guerre mondiale. Le Financial Times a commenté le comportement de Trump ainsi : « En s’isolant si complètement, M. Trump a fermement décidé de faire du G7 un G6 plus un. Un forum qui servait de comité directeur pour l’économie mondiale est maintenant simplement un autre théâtre de combat pour la guerre commerciale malavisée du président. »

Cependant, il ne s’agit pas que de Trump. Celui-ci n’est que l’expression la plus extrême d’un processus généralisé : le recul de libre-échange et de la mondialisation. Le commerce mondial avait atteint, en pourcentage du PIB mondial, un sommet de 61 % en 2008 et 2011, mais a depuis chuté à 58 %. Le communiqué commun des membres du G7 maintenant renié par Trump parlait de la nécessité de « le commerce et l’investissement libres, équitables et mutuellement avantageux » et de lutter contre le protectionnisme. Cependant, ce ne sont que des mots vides. Tandis que la crise du capitalisme s’accentue et que les marchés sont saturés par la surproduction à l’échelle mondiale, les grandes puissances tentent de protéger leurs marchés avant tout et ont de plus en plus recours à des mesures protectionnistes. Pour Trump, c’est aussi une façon de gagner des appuis à la maison, ce que nous avons clairement pu voir lorsqu’il a affirmé dans un Tweet tard le dimanche 10 juin : « Désolé, nous ne pouvons plus laisser nos amis, ou ennemis, prendre l’avantage sur nous dans le commerce. Nous devons nous occuper d’abord des travailleurs américains! »

Le Chicago Tribune commentait ainsi le G7 de La Malbaie : « la désintégration de l’ordre mondial libéral en place depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale et le potentiel d’une sérieuse crise internationale ne semblent plus difficiles à imaginer. »

Ce processus de « désintégration de l’ordre mondial libéral » s’était entamé avant l’arrivée de Trump. Cependant, l’arrivée de cet imprévisible personnage est en train d’accélérer le processus. Les tarifs imposés par Trump il y a une dizaine de jours ont déjà engendré une réplique de la part du Canada et du Mexique, tandis que l’Union européenne promet de faire de même. Le spectre d’une guerre commerciale est maintenant très réel, et le G7 n’a rien pu faire pour atténuer cette menace. Des fiascos entre les puissances mondiales comme celui du G7 sont maintenant la norme.

En tant que marxistes, nous ne prenons pas de partie dans cette guerre entre les grandes puissances impérialistes. Ni Trump ni Trudeau ne servent les intérêts des travailleurs. Ni le protectionnisme ni le libre-échange n’offrent de solution aux travailleurs nord-américains, européens, asiatiques ou autre. De tous les côtés, les différents capitalistes et leurs gouvernements tentent de tirer la couverte de leur bord, au détriment des besoins des travailleurs. Cette farce du G7, ayant coûté 600 millions de dollars pour que les sept leaders puissent se rencontrer en toute sécurité, a permis de constater les tensions entre les grandes puissances. Le fait qu’ils s’entredéchirent ainsi en public est cependant révélateur de la profondeur de la crise. Les divisions chez la classe dirigeante sont souvent les premiers signes de la tension qui grossit dans la société en général. Tôt ou tard, ces divisions laisseront place à des divisions sur des lignes de classe et à des mouvements de masse contre tous ces parasites. Nous devons nous y préparer ici et maintenant.