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samedi 25 juillet 2009
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Léon Trotsky
Vous m'avez aimablement proposé de donner mon opinion sur l'état actuel de l'art. Je ne le fais pas sans hésitation. Depuis mon livre Littérature et Révolution (1923), je ne suis jamais revenu sur les questions de la création artistique et n'ai pu suivre que par à‑coups les manifes tations récentes dans ce domaine. Loin de moi la prétention de donner une réponse exhaustive. L'objet de cette lettre est de poser correctement le problème.
De façon générale, l'homme exprime dans l'art son exigence de l'harmonie et de ta plénitude de l'existence ‑ c'est‑à‑dire du bien suprême dont le prive justement la société de classe. C'est pourquoi la création artistique est toujours un acte de protestation contre la réalité, conscient ou inconscient, actif ou passif, optimiste ou pessimiste. Tout nouveau courant en art a commencé par la révolte. La force de la société bourgeoise a été, pendant de longues périodes historiques, de se montrer capable de discipliner et d'assimiler tout mouvement « subversif » en art et de l'amener jusqu'à la « reconnaissance » officielle, en combinant pressions et exhortations, boycottages et flatteries. Mais une telle reconnaissance signifiait au bout du compte l'approche de l'agonie. Alors, de l'aile gauche de l'école légalisée ou de la base, des rangs de la nouvelle génération de la bohème artistique, s'élevaient de nouveaux courants subversifs qui, après quelque temps, gravissaient à leur tour les degrés de l'académie.