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Le gouvernement Legault a récemment annoncé l’entrée en vigueur du passeport vaccinal à partir du 1er septembre, dans l’ensemble du Québec et pour tous les citoyens âgés de 12 ans et plus. Ce passeport sera nécessaire pour accéder à des lieux considérés non essentiels ou à haute fréquentation, comme les restaurants, les bars, ou encore les salles de spectacle. Une semaine plus tard, Legault annonçait vouloir imposer la vaccination obligatoire aux travailleurs de la santé en contact avec des patients.

En date du 20 août, au Québec, 85,9% des 12 ans et plus avaient reçu au moins une dose, et 77% étaient adéquatement vaccinés. 90% des employés du réseau de la santé ont reçu leur première dose. Une majorité de la population est vaccinée, et a hâte de laisser la pandémie derrière elle. Certains verront probablement dans les mesures de la CAQ de bons moyens simples de retrouver une « vie quasi normale » (pour reprendre les mots de Legault). Mais est-ce réellement le cas? Quelle attitude le mouvement ouvrier devrait-il adopter face aux récentes annonces du gouvernement?

De quelles actions avons-nous besoin?

Au cours des derniers jours, on a vu une augmentation des cas de COVID-19 au Québec. L’arrivée du variant Delta, qui représente environ un tiers des nouvelles contaminations, inquiète particulièrement les professionnels de la santé. La quatrième vague est déjà là, et dans une très large majorité, les personnes infectées sont des personnes non-vaccinées. Avec des infirmières épuisées qui tiennent à bout de bras un système de santé au bord du gouffre depuis un an et demi, on peut comprendre qu’il règne une certaine colère face à une minorité de personnes non vaccinées.

Pour beaucoup, la question est plutôt simple : « pourquoi devrait-on prendre le risque d’un nouveau confinement à cause de quelques égoïstes? » Si les mesures de la CAQ permettent de pousser les hésitants à se faire vacciner, sans présenter d’inconvénient particulier pour ceux qui sont déjà vaccinés, alors il ne semble y avoir aucune raison de s’y opposer.

Mais une chose est frappante : le passeport vaccinal et la vaccination obligatoire en santé sont introduits en l’absence de presque toute autre nouvelle mesure préventive contre le virus et la quatrième vague qui commence. Pourtant, comme l’a souligné Dr André Veillette, immunologue à l’Institut de recherches cliniques de Montréal : « Il ne faut pas miser uniquement sur le vaccin ou le passeport vaccinal, il y a aussi les masques, la ventilation et les tests rapides qu’on ne fait toujours pas. » 

Là où le passeport vaccinal est obligatoire, cela ne concerne que les clients, et pas les employés. Outre le port du masque, quelles mesures vont être mises en place pour garantir leur sécurité? La même question se pose en fait dans tous les milieux de travail, là où ont lieu la plupart des éclosions. Aucune nouvelle mesure n’a été annoncée par le gouvernement caquiste à ce propos. Aussi incroyable que cela puisse paraître, le dépistage massif, accessible et gratuit n’est pas encore une réalité. Sauf en cas de contact avec un malade de la COVID-19 ou en présence de symptômes, il faut payer des centaines de dollars pour se faire dépister! Rien pour inciter les travailleurs, en particulier les plus pauvres, à le faire.

À l’approche de la rentrée scolaire, le doute plane également dans le milieu de l’éducation. Avec raison, de nombreux parents s’inquiètent pour la santé de leurs enfants. À quelques jours de la rentrée, n’y a pas de lignes directrices nationales pour les écoles, notamment sur les mesures à adopter en cas d’éclosion. Ce n’est pas l’annonce de l’obligation du passeport vaccinal pour les activités parascolaires à haut risque au secondaire qui va venir apaiser les craintes, puisque le masque ne sera pas obligatoire en classe au primaire et au secondaire.

Alors que la CAQ a traîné des pieds (et menti) concernant la qualité de l’air dans les écoles, le ministre de l’Éducation Jean-François Roberge a récemment annoncé que le projet d’installer un lecteur de surveillance de la qualité de l’air dans toutes les classes ne serait pas complété avant la fin de l’année. Un an et demi de pandémie, ce n’est pas suffisant pour que la CAQ prenne des mesures aussi évidentes.

Rappelons également que les enfants ne sont toujours pas vaccinés. Cela les expose à des séquelles graves du virus comme la « COVID longue ». Nous fonçons donc vers une rentrée où les écoles seront encore une fois un terreau fertile de transmission du virus. La première fois comme une tragédie, la deuxième fois comme une farce.

Encore et toujours la « responsabilité individuelle »

En réalité, l’annonce du passeport vaccinal est un moyen pour la CAQ d’échapper à ses responsabilités. On laisse aux établissements concernés le soin de vérifier les passeports sanitaires de leurs clients. C’est une autre façon de rejeter la faute sur les individus : les récalcitrants à la vaccination et les propriétaires de restaurants négligents seront désormais à blâmer pour les nouveaux cas d’infection – tout comme les fêtards et les jeunes en étaient responsables quand le couvre-feu était en vigueur. 

Il faut aussi souligner le fait que le passeport vaccinal ne prend pas en considération certains cas particuliers. Par exemple, l’accès va être restreint à certains lieux qui sont pourtant essentiels pour les personnes sans-abri, comme les restaurants. Peu de personnes en situation d’itinérance ont un téléphone cellulaire (qui est nécessaire pour avoir l’application mobile du passeport) ou peuvent conserver un document officiel sur papier.

La ressemblance entre le passeport vaccinal et le couvre-feu imposé par la CAQ de janvier à mai est frappante. Pendant que le virus courait dans les écoles et les usines, la CAQ blâmait les fêtards et les petits rassemblements, et sortait les amendes contre les contrevenants au couvre-feu, oubliant au passage les itinérants. La même histoire se répète.

Et s’il y a une partie de la population qui accueille à bras ouverts le passeport vaccinal, c’est bien le milieu des affaires. « [… O]n s’accorde tous pour dire que nous ne pouvons plus nous permettre d’imposer des mesures plus générales de confinement », a déclaré Perrin Beatty, président de la Chambre du commerce du Canada. L’objectif du passeport vaccinal est clairement exprimé ici : il est utilisé pour remplacer d’autres mesures, comme un confinement, qui nécessiteraient des fermetures d’usines, de magasins, des indemnités pour les travailleurs renvoyés chez eux… Bref, couper encore une fois dans les profits des patrons.

Aucune confiance dans la CAQ et l’État

Depuis le début de la pandémie, la CAQ et les gouvernements capitalistes en général ont répondu par des mesures et demi-mesures incohérentes qui ont préparé le terrain pour les vagues successives d’infection. L’improvisation actuelle au sujet du passeport vaccinal et de la vaccination obligatoire en est un autre exemple. Cela explique le manque de confiance dans le gouvernement.

En ce qui concerne la vaccination obligatoire, nous ne savons toujours pas si elle sera étendue à d’autres secteurs que celui de la santé. Mais la CAQ a d’ores et déjà déclaré son intention de proposer la suspension sans solde des employés qui refuseront la vaccination. Nous ne pouvons pas faire confiance à la CAQ avec de telles mesures. N’oublions pas qu’il s’agit du gouvernement qui croyait que le couvre-feu devait s’appliquer aussi aux sans-abri. Donner au gouvernement le pouvoir de réprimer les travailleurs ouvre la porte à des dérives de ce même gouvernement.

Il existe des témoignages qui montrent qu’une barrière importante à la vaccination ne vient pas des travailleurs eux-mêmes, mais des patrons. Ainsi, le Journal de Montréal rapportait que « les exemples d’employeurs refusant les absences pour vaccination se multiplient, y compris au sein des réseaux de la santé et de l’éducation. Certains travailleurs, pourtant parmi les plus exposés, doivent reporter, voire annuler leur rendez-vous. »

Tous les travailleurs ne sont pas capables de prendre un jour de congé pour se faire vacciner, puisque rien n’oblige un employeur à libérer ses employés pour le faire. De plus, en cas d’effets secondaires importants, il faut prévoir encore d’utiliser plusieurs autres jours de congés de maladie, ce que certains travailleurs ne peuvent pas se permettre. Mais on peut être certain que les patrons ne voudront pas sortir leur chéquier pour favoriser la vaccination de leurs employés. Et la CAQ, un parti des patrons, ne semble pas pressée non plus d’introduire des congés maladie payés pour la vaccination, ou d’imposer à ses amis patrons de le faire.

Pour le contrôle ouvrier des mesures sanitaires!

Que pouvons-nous faire? La vaccination reste essentielle pour se protéger du virus, et nous croyons que toute la population doit être vaccinée. La majorité de la classe ouvrière est vaccinée, et voit avec raison les vaccins comme une des clés pour combattre la pandémie. Beaucoup de ces travailleurs ne veulent pas travailler avec la minorité de leurs collègues qui ne l’est pas, car ils pensent avec raison que ce n’est pas sécuritaire. La tâche de s’assurer que tout le monde est vacciné est une tâche que la classe ouvrière et ses organisations doivent remplir.

Les mesures de la CAQ ne seront pas suffisantes. Le mouvement ouvrier québécois doit réclamer une journée de congé payée pour aller se faire vacciner, ainsi que des congés de maladie payés en cas d’effets secondaires du vaccin. Il faut également que toutes les mesures nécessaires soient mises en place dans les milieux de travail et les écoles, incluant l’utilisation de tests rapides gratuits pour le dépistage de masse, et la fermeture de tout lieu où se déclare une éclosion, avec garantie de salaire pour tous les employés.

Ce qu’il faut par-dessus tout, c’est le contrôle ouvrier. Tant que l’économie et le pouvoir sont entre les mains d’une minorité qui ne se soucie que du profit, nous ne pouvons garantir que les mesures adéquates seront prises à temps pour lutter contre la pandémie. Nous devons revendiquer la nationalisation de l’industrie pharmaceutique et la mise sous contrôle démocratique des travailleurs de cette industrie et de tout le secteur de la santé. Le privé doit être entièrement sorti de la santé. Avec un plan cohérent de vaccination, de dépistage et une campagne massive d’éducation sur la science derrière les vaccins, sans que rien de cela ne soit soumis à la recherche de profits, nous pourrons surmonter le scepticisme de certaines couches de la population. Tout ce qui concerne la vaccination obligatoire et les conséquences face au refus de se faire vacciner doit être décidé démocratiquement par les travailleurs eux-mêmes, de manière entièrement indépendante des patrons et de l’État. Les travailleurs seront plus à même de vouloir se faire vacciner si la campagne de vaccination est menée par la classe ouvrière et les syndicats plutôt que par l’État et le gouvernement des capitalistes. Seules des mesures socialistes cohérentes permettront d’éradiquer rapidement cette pandémie.