Agression des États-Unis contre le Venezuela

Que veut Trump?
  • Jorge Martín
  • ven. 19 déc. 2025
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Nous entrons maintenant dans le cinquième mois d’une escalade militaire américaine sans précédent dans les Caraïbes, visant à intimider le Venezuela ainsi que la Colombie. Plus de 80 personnes ont déjà été tuées lors d’attaques criminelles contre des hors-bords, que Washington qualifie de bateaux de narcotrafiquants. Mais jusqu’à présent, l’objectif de Trump – un changement de régime au Venezuela – n’a pas été atteint. Où s’en va cette histoire?

La première chose qu’il faut dire, c’est que cette campagne d’agression n’a rien à voir avec la drogue, comme nous l’avons expliqué à plusieurs reprises. Cela a été démontré à nouveau la semaine dernière lorsque Trump a décidé de gracier l’ancien président hondurien Juan Orlando Hernandez, qui purgeait une peine de 45 ans de prison aux États-Unis pour… trafic de drogue et d’armes!

Certains soutiennent que la véritable raison de l’escalade militaire américaine contre le Venezuela est le pétrole. Il s’agit clairement d’un facteur important. Le Venezuela possède les plus grandes réserves prouvées au monde, principalement du pétrole brut extra-lourd, parfaitement adapté aux raffineries de la côte du Golfe et beaucoup plus proche des États-Unis que le Moyen-Orient.

En essayant de vendre l’agression militaire contre le Venezuela à un public américain réticent (où les deux tiers de la population s’y opposent), la congressiste Maria Elvira Salazar, l’une des trois « crazy Cubans » (« Cubains fous »), a insisté sur le fait que les compagnies pétrolières américaines feraient leurs choux gras au Venezuela, soulignant qu’il s’agit du pays possédant les plus grandes réserves prouvées de pétrole au monde.

Dans une diatribe délirante à l’America Business Forum, la lauréate vénézuélienne du prix Nobel, Maria Corina Machado, a parlé d’opportunités massives pour les entreprises américaines de mettre la main sur « 1700 MILLIARDS de dollars de pétrole, de gaz, d’or et d’infrastructures du Venezuela », qui, selon elle, seraient soumis à « un programme de privatisation massif », « en amont, en aval, en intermédiaire ».

Aucun de ces facteurs n’explique pleinement l’escalade militaire actuelle. Le New York Times a déjà rapporté que Maduro était tout à fait prêt à donner aux entreprises américaines accès au pétrole vénézuélien et à d’autres ressources minérales. Cela faisait partie des négociations avec l’envoyé américain Grenell au début de cette année. Même sans faire pleinement confiance à ces informations, le fait demeure que ce sont les sanctions américaines contre le Venezuela qui ont empêché les multinationales américaines d’exploiter les ressources de ce pays des Caraïbes, et non les restrictions du gouvernement vénézuélien.

D’autres membres de la communauté cubano-américaine réactionnaire de Miami, y compris Marco Rubio lui-même ainsi que de vieux impérialistes pour qui la guerre froide n’a jamais pris fin, comme Elliott Abrams, sont motivés par une haine aveugle envers tout gouvernement qu’ils identifient comme « communiste » (qu’ils le soient ou non). Des créatures comme Stephen Miller pensent que renverser Maduro arrêtera le flux de migrants en provenance du Venezuela, un flux créé par une crise économique qui a été sévèrement aggravée par les sanctions américaines!

Bien sûr, littéralement personne ne pense que cette campagne d’intimidation militaire a quoi que ce soit à voir avec la démocratie. L’impérialisme américain ne se soucie aucunement des normes de la démocratie bourgeoise. Trump a d’ailleurs explicitement dit qu’il n’allait pas parcourir le monde pour imposer la « démocratie ». Non pas que l’impérialisme américain ait déjà agi pour la démocratie, soyons clairs. Mais, par le passé, la « démocratie » et les « droits de la personne » étaient utilisés comme feuilles de vigne pour des agressions impérialistes flagrantes. Maintenant, Trump est plus transparent et annonce ses véritables objectifs : défendre les intérêts nationaux des États-Unis, c’est-à-dire ceux de la classe capitaliste américaine.

Bien que la drogue, les migrants, l’anticommunisme et le pétrole fassent partie des raisons pour lesquelles les États-Unis veulent un contrôle total sur le Venezuela, il y a un motif plus profond derrière l’escalade militaire actuelle, un motif qui va au-delà du Venezuela lui-même.

La soumission de l’Amérique latine : une question de sécurité nationale américaine

L’impérialisme américain se bat pour reprendre le contrôle de l’hémisphère occidental et veut en chasser ses rivaux – la Chine et la Russie. Et le Venezuela est le pays de toute l’Amérique latine ayant les liens politiques les plus étroits avec la Russie et la Chine. Quel meilleur endroit pour envoyer un signal clair que l’impérialisme américain ne tolèrera pas d’autres puissances dans sa cour arrière?

Cette idée fait maintenant partie de la stratégie de sécurité nationale de l’impérialisme américain et a été inscrite dans un document de l’administration Trump publié le 4 décembre. Il décrit ainsi le premier objectif d’une telle stratégie :

« Nous voulons nous assurer que l’hémisphère occidental reste raisonnablement stable et suffisamment bien gouverné pour prévenir et décourager les migrations massives vers les États-Unis; nous voulons un hémisphère dont les gouvernements coopèrent avec nous contre les narco-terroristes, les cartels et autres organisations criminelles transnationales; nous voulons un hémisphère qui reste exempt d’incursion étrangère hostile ou de contrôle étranger d’actifs clés, et qui soutient les chaînes d’approvisionnement critiques; et nous voulons assurer notre accès continu à des emplacements stratégiques clés. » [nous soulignons]

Cela est décrit comme l’affirmation et l’application d’un « corollaire Trump » à la doctrine Monroe. Autrement dit, nous voyons un retour à la politique de la diplomatie de la canonnière basée sur le principe que l’Amérique appartient à l’impérialisme américain et personne d’autre.

« Après des années de négligence, les États-Unis réaffirmeront et appliqueront la doctrine Monroe pour restaurer la prééminence américaine dans l’hémisphère occidental […]. Nous refuserons aux concurrents non hémisphériques la capacité de positionner des forces ou d’autres capacités menaçantes, ou de posséder ou contrôler des actifs d’importance stratégique vitale, dans notre hémisphère. »

S’adressant aux chefs militaires au Centre Reagan le 5 décembre, le secrétaire à la Guerre Pete Hegseth a réitéré ces objectifs, leur donnant une tournure encore plus menaçante et en mettant beaucoup l’accent sur le mot « notre » dans l’expression « notre hémisphère ». Qui exactement a décidé que l’ensemble du continent américain est la propriété des États-Unis, nous ne le savons pas, mais ce qui est clair, c’est que l’impérialisme américain a décidé que tel était son « intérêt de sécurité nationale ». Et il est prêt à mobiliser des moyens militaires pour assurer sa domination. Comme l’explique ensuite le document sur la stratégie de sécurité nationale de Trump :

« Les États-Unis doivent repenser leur présence militaire dans l’hémisphère occidental […]. Un réajustement de notre présence militaire mondiale pour faire face aux menaces urgentes dans notre hémisphère, en particulier les missions identifiées dans cette stratégie […]. Des déploiements ciblés pour sécuriser la frontière et vaincre les cartels, y compris, si nécessaire, l’utilisation de la force létale pour remplacer la stratégie exclusivement axée sur l’application de la loi qui a échoué au cours des dernières décennies. »

Nous devons comprendre le renforcement militaire agressif des États-Unis dans les Caraïbes non pas comme un caprice passager de l’administration Trump, mais plutôt comme faisant partie d’une nouvelle stratégie de l’impérialisme américain pour réaffirmer sa domination sur tout le continent. C’est là, noir sur blanc, dans le document de stratégie de sécurité nationale de Trump :

« Des concurrents non hémisphériques ont réalisé des percées majeures dans notre hémisphère, à la fois pour nous désavantager économiquement aujourd’hui, et de manières qui pourraient nous nuire d’un point de vue stratégique demain. Permettre ces incursions sans opposition sérieuse est une autre grande erreur stratégique américaine des dernières décennies. Les États-Unis doivent être prééminents dans l’hémisphère occidental comme condition de notre sécurité et de notre prospérité – une condition qui nous permet de nous affirmer avec confiance où et quand nous en avons besoin dans la région. » [nous soulignons]

L’objectif politique de l’impérialisme américain est donc de ramener le Venezuela sous contrôle, dans le cadre d’un effort plus large visant l’ensemble du continent et impliquant des mesures prises contre le Panama, la Colombie et le Brésil, l’ingérence au Honduras, le renflouement de l’Argentine, etc.

Comment combattre l’impérialisme américain

Pour cette raison, nous devons dire que la position prise par le président colombien Petro ces derniers temps est une erreur. Bien qu’il ait résisté à l’intimidation impérialiste américaine pendant des mois, dans un message du 6 décembre où il rejetait à juste titre une invasion américaine du Venezuela, il a proposé ceci comme solution de rechange à l’effusion de sang : « il doit y avoir un gouvernement de transition au Venezuela, avec l’accord du peuple vénézuélien. » Il semblait sous-entendre que pour empêcher une invasion militaire américaine… le Venezuela devait céder aux exigences américaines.

Ce serait une erreur fatale. Toute concession à l’impérialisme américain serait à juste titre perçue comme un signe de faiblesse et ne ferait qu’encourager Washington à en exiger davantage. Si un « gouvernement de transition » est mis en place au Venezuela, alors les États-Unis exigeront la destitution de Petro en Colombie, le renversement de la révolution cubaine, etc.

La seule manière efficace de faire face à l’impérialisme américain est par la mobilisation massive des travailleurs et des paysans dans toute la région : les travailleurs de la région doivent prendre les choses en main, exproprier les intérêts des multinationales étrangères, saisir leurs actifs, répudier la dette extérieure et se préparer à repousser toute intervention militaire américaine, les armes à la main si nécessaire.

Les options de Trump

L’« outil » politique choisi par Trump semble être de menacer Maduro pour le forcer à se soumettre – le contraindre à démissionner par la menace d’une puissance militaire écrasante. Des reportages ont fait état de pourparlers soulevant la possibilité d’offrir au président vénézuélien de quitter le pays sous protection en lui accordant l’immunité. Le Qatar, la Russie et la Turquie ont été mentionnés comme destinations possibles. Ces rapports dans les médias capitalistes doivent être pris avec un grain de sel et pourraient n’être qu’un élément de la guerre psychologique que mènent les États-Unis.

Certains médias capitalistes ont suggéré que Maduro propose une transition de deux ans, après laquelle la vice-présidente Delcy Rodríguez prendrait le relai et organiserait de nouvelles élections. Apparemment, Trump a rejeté cette idée. Là encore, cela peut être vrai ou non. Cependant, il est significatif qu’un article de fond du New York Times du 5 décembre, intitulé « Trump veut que le leader du Venezuela parte. Voici qui pourrait le remplacer » (« Trump Wants Venezuela’s Leader to Go. Here’s Who Could Replace Him »), en discutant des successeurs possibles à Maduro, décrit Delcy Rodríguez en termes élogieux.

« La modérée : Delcy Rodríguez, vice-présidente » était le sous-titre. Et voici comment le Times la présente : 

« Relativement modérée, Mme Rodríguez est l’architecte d’une réforme favorable au marché qui a stabilisé l’économie vénézuélienne après un effondrement prolongé. Sa privatisation des actifs de l’État et sa politique budgétaire conservatrice […]. Partiellement éduquée en France, Mme Rodríguez a cultivé des liens avec les élites économiques du Venezuela et avec les investisseurs et diplomates étrangers, se présentant comme une technocrate cosmopolite dans un gouvernement militariste dominé par des hommes. » [nous soulignons]

Voilà. La candidate parfaite pour l’impérialisme américain et les intérêts des multinationales américaines! Soit dit en passant, cela confirme ce que nous disons depuis un certain temps : le gouvernement Maduro est le pôle opposé de la révolution bolivarienne de Chávez. Et malgré ça, les États-Unis veulent le renverser. Pourquoi? Pour en faire un exemple. Pour envoyer un message clair aux autres pays d’Amérique latine que les États-Unis sont sérieux et ne permettront pas un régime qui ne se soumet pas.

Mais, jusqu’à présent, la tactique de Trump n’a pas fonctionné. Il a augmenté la pression militaire, jusqu’à imposer un blocus aérien et naval : des avions ont été avertis de ne pas entrer dans l’espace aérien vénézuélien, tandis que des pétroliers russes ont été empêchés d’atteindre ses côtes. Environ 20% de toute la marine américaine a été déployée dans les Caraïbes. Il y a des survols provocateurs réguliers de chasseurs et de bombardiers, des menaces et des ultimatums constants…

Mais tout cela est ensuite combiné avec un appel téléphonique, décrit par des sources comme « cordial » et « dépourvu d’ultimatum ». Trump déclare l’espace aérien vénézuélien fermé un jour, et les États-Unis demandent au Venezuela de recevoir davantage de vols de déportation de migrants le lendemain.

Puisque Maduro n’a pas cédé à l’intimidation – et pourquoi le ferait-il? – Trump se retrouve avec de moins en moins d’options. Soit augmenter la pression au prochain niveau, ce qui signifie une action militaire quelconque (des frappes à l’intérieur du Venezuela, une opération des forces spéciales pour capturer Maduro), soit reculer. La première option pourrait très rapidement causer un désastre et ne garantit pas de résultats rapides. La seconde porterait un coup dur à la réputation de Trump et de l’impérialisme américain à un moment où ce dernier tente de projeter sa domination et de dissuader ses rivaux par la force.

Meurtre de survivants en mer, hypocrisie des démocrates

Sur le plan intérieur, la campagne fait l’objet d’un examen de plus en plus minutieux, avec des allégations selon lesquelles le secrétaire à la Guerre Pete Hegseth a donné l’ordre « de tous les tuer » qui a conduit à ce que deux survivants de la première attaque contre un hors-bord en septembre soient tués lors d’une deuxième frappe. Trump et Hegseth se sont tous deux empressés de rejeter toute responsabilité pour cette décision, jetant le blâme sur l’amiral Bradley. Tuer des survivants échoués en mer est contraire au code militaire américain et pourrait entraîner des conséquences légales qu’ils veulent éviter.

Les détails de l’opération émergeant de la vidéo montrée aux représentants américains sont vraiment troublants :

« Nous avons vu une vidéo de 48 minutes de deux gars accrochés au côté d’un bateau. Il y avait amplement de temps pour faire une analyse claire et sobre », a déclaré le représentant américain Adam Smith à CNN jeudi. « Il y avait deux personnes naufragées sur le tout petit morceau du bateau qui restait et qui était retourné. Ils n’envoyaient aucun signal à personne. Et l’idée que ces deux-là allaient pouvoir retourner au combat – même si vous acceptez toutes les prémisses légales discutables autour de cette mission, autour de ces frappes – il est encore très difficile d’imaginer comment ces deux-là seraient retournés au combat dans cet état. »

Aussi répugnante que soit cette histoire, il est dégoûtant de voir des politiciens démocrates se concentrer sur la question de la légalité et l’utiliser comme un bâton pour frapper Hegseth et Trump, alors qu’au fond, ils sont d’accord avec l’objectif d’un changement de régime au Venezuela, qui est tout aussi illégal.

L’hypocrisie des démocrates ne connaît aucune limite. Ils n’ont pas bronché lorsque Biden défendait les actions génocidaires de Netanyahou à Gaza. C’est un décret exécutif signé par Obama déclarant le Venezuela « une menace sérieuse et extraordinaire pour la sécurité nationale des États-Unis » qui a conduit aux sanctions et qui sous-tend toute la campagne bipartisane d’agression contre un pays souverain.

Nous ne devrions pas oublier que c’est Clinton qui a autorisé des frappes aériennes sur le bâtiment de la télévision serbe à Belgrade en 1999, tuant 16 journalistes et techniciens. C’est Clinton qui a mené une frappe de missile sur l’usine pharmaceutique al-Shifa au Soudan. C’est Obama qui a ordonné une frappe de drone sur un mariage au Yémen en 2013. Les crimes de l’impérialisme américain sont bipartisans.

Contrairement à ce que disent parfois les médias, ce n’est pas « un conflit entre les États-Unis et le Venezuela », ou un « affrontement entre Maduro et Trump ». Non. Il s’agit de l’intensification d’une campagne d’agression impérialiste américaine contre un pays souverain. La puissance impérialiste la plus puissante et la plus réactionnaire de la planète tente de briser et assujettir une nation latino-américaine. Quelles que soient nos opinions sur le gouvernement Maduro, et nous n’en sommes pas des partisans, il n’y a qu’une seule position que nous pouvons adopter en tant que communistes révolutionnaires : pas touche au Venezuela, pas touche à la Colombie, les Yankees hors de l’Amérique latine, à bas l’impérialisme américain!

Une victoire de l’impérialisme américain serait un recul pour les masses de toute la région et au-delà. Une défaite de l’impérialisme américain dans ce conflit serait une victoire pour les travailleurs et les paysans de tout le continent.