Cet article a été publié le 26 août 2020 sur le site de nos camarades américains de Socialist Revolution.

Un autre homme noir non armé s’est fait tirer dessus par la police, cette fois à Kenosha, dans le Wisconsin. Dans la vidéo de la fusillade, qui est devenue virale, on voit Jacob Blake faire le tour de sa voiture pour ouvrir la porte du côté conducteur afin d’y entrer. Il est suivi immédiatement par deux policiers. L’un d’eux saisit le dos de la chemise de Blake, le tire vers l’arrière pour l’empêcher de monter dans son véhicule, et commence presque immédiatement à tirer à bout portant, lui tirant sept coups de feu dans le dos. La vidéo ne montre pas les jeunes enfants de Blake qui étaient assis sur le siège arrière du véhicule. Blake a été admis à l’hôpital, et son père affirme qu’il est maintenant paralysé à partir de la taille.

Cette nuit-là, des manifestations ont éclaté à Kenosha, une petite ville d’un peu plus de 100 000 habitants située sur le bord du lac Michigan entre Chicago et Milwaukee. La colère s’est intensifiée et des véhicules, des petits commerces et des bâtiments gouvernementaux ont été incendiés au cours des deux nuits de manifestations. En réponse, la police a érigé des barricades et lancé des gaz lacrymogènes et a réprimé violemment les manifestants.

Jusqu’à récemment, il aurait été difficile d’imaginer une telle explosion sociale dans cette banlieue-dortoir tranquille. Mais les manifestations massives de Black Lives Matter cet été ont révélé la colère intense ressentie par des millions de personnes face à l’inégalité flagrante du monde dans lequel nous vivons.

La division entre la campagne et la ville aux États-Unis, qui semblait autrefois insurmontable, est en train de s’effondrer alors que la violence du capitalisme et de son État se fait sentir dans tous les coins du pays. Les scènes de répression brutale, qui étaient auparavant largement ignorées par les médias, sont maintenant de plus en plus souvent vues en direct – ou filmées pour que tout le monde puisse en être témoin. Après des mois d’une pandémie mal gérée, doublée d’une crise économique dévastatrice, Washington reste paralysé, et l’on trouve peu de sentiments bienveillants à l’égard du gouvernement américain dans tout le pays.

En moins de 48 heures, les manifestants de Kenosha ont été rejoints par ceux de Madison, New York et Minneapolis, où cinq manifestants ont été arrêtés. À Minneapolis, de petites manifestations se sont poursuivies pendant des semaines après la mort de George Floyd, et ce, sans arrestation, ni violence, ni dommage matériel. La réapparition de la police lors de ces manifestations et la répression instantanée à Kenosha indiquent que les autorités souhaitent désespérément étouffer le mouvement avant qu’il ne reprenne.

La troisième nuit des manifestations, la tension est montée d’un cran lorsqu’un petit groupe d’hommes armés « protégeant » une station-service a tiré sur les manifestants, alors que la foule s’était en grande partie dispersée pour la nuit. Deux personnes ont été tuées et une autre blessée.

Ces « justiciers » isolés n’ont rien à voir avec les comités de défense de quartier et les patrouilles qui ont vu le jour à Minneapolis à la suite des manifestations entourant la mort de George Floyd. Ces comités sont apparus de manière organique afin de protéger les entreprises dont dépendent les travailleurs dans leurs quartiers, en particulier dans les quartiers pauvres et noirs. Bien que ces patrouilles soient souvent armées, les seules fusillades survenues pendant les manifestations de Minneapolis ont eu lieu avant la mise en place de ces patrouilles. En revanche, les « gardes » de Kenosha étaient des individus de droite qui, se croyant au Far West, voulaient aider Trump à imposer « la loi et l’ordre » en « rendant justice » soi-même.

En réaction, le gouverneur du Wisconsin, Tony Evers, veut doubler le nombre de troupes de la Garde nationale dans les rues. Cependant, si l’on se fie à l’expérience passée, la Garde nationale, mobilisée, serait utilisée pour réprimer davantage les manifestants – et non l’extrême droite. Nous devons nous rappeler que l’émergence du mouvement d’extrême droite « alt-right » n’est pas seulement due à l’arrivée de Donald Trump, mais représente aussi une réaction aux Clinton, Obama et Biden. Trump est un produit de la polarisation politique générale et de la décadence du système capitaliste.

Il est important de remarquer que cette attaque a eu lieu bien après que la foule a diminué. Ces lâches de réactionnaires armés savent qu’ils n’auraient aucune chance – armés ou non – contre une manifestation à son apogée.

Comme à Minneapolis et ailleurs, la question de la défense des manifestations contre les organes répressifs officiels et non officiels de l’État capitaliste par l’action collective des travailleurs se pose de plus en plus. Le potentiel est énorme pour la mise en place de comités de défense de quartier afin de protéger et de forger l’unité de la classe ouvrière à Kenosha. Mais nous ne pouvons pas compter sur la création spontanée de ces structures par le mouvement, comme cela a été le cas à Minneapolis. Même là-bas, leur émergence n’a pas été entièrement spontanée. Des groupes petits mais bien établis, comme la National Association for the Advancement of Colored People et l’American Indian Movement, en qui les manifestants faisaient confiance, étaient déjà en place et ont pris l’initiative de former ou d’élargir les comités existants.  C’est pourquoi il est si important d’avoir une direction révolutionnaire préparée à l’avance, avec un engagement ferme envers l’indépendance de classe.

Les policiers qui ont tiré sur Jacob Blake ont 30 jours pour déposer leur rapport. Ils vont attendre que les feux s’éteignent dans le confort de leur suspension. Mais les braises sont encore bien chaudes depuis les manifestations de cet été. La nuit précédant l’arrestation brutale de Blake, des manifestations ont éclaté à Lafayette, en Louisiane, à la suite d’un autre meurtre d’un Noir, Trayford Pellerin, par la police. Pendant ce temps, les manifestations à Louisville, Portland et Minneapolis continuent d’attirer de petites foules.

Les autorités demandent sans cesse aux gens d’attendre que le processus juridique suive son cours. Cela supposerait de faire confiance au même appareil d’État qui a commis le crime au départ. La date du procès de Derek Chauvin, l’agent qui a tué George Floyd, a été fixée au 8 mars 2021 – ce qui laisse beaucoup de temps, espèrent-elles, pour que les gens passent à autre chose. Mais lorsque la terreur policière fait de nouvelles victimes chaque semaine, on ne peut pas se contenter d’attendre éternellement. L’invitation du syndicat de la police à « attendre d’avoir tous les faits » pourrait aussi bien être dite à une femme enceinte qui est entrée en travail. Des changements sociaux profonds se font attendre depuis longtemps, et les appels à la patience ne peuvent mettre fin aux contractions.

De nombreux démocrates ont publié des gazouillis pour condamner le geste de la police. Joe Biden a demandé qu’une enquête soit menée. Avant même que Blake ne se fasse tirer dessus, le maire démocrate de Kenosha avait déclaré que le racisme est une crise de santé publique. Mais les gens de tout le pays ont vu exactement comment le gouvernement traite les crises de santé publique comme la COVID-19 – en unissant leurs voix pour faire de grandes déclarations entièrement vides.

La myriade de crises qui frappent les travailleurs et les pauvres a conduit à des explosions sociales dans une ville après l’autre au cours des derniers mois. La petite ville de Kenosha est maintenant l’épicentre de la crise, avec des voitures et des bâtiments en feu, et une tempête de gaz lacrymogènes et de balles en caoutchouc.

Le président Trump a réprimandé le gouverneur de l’Oregon pour ne pas avoir fait appel à la Garde nationale plus tôt pour réprimer le « Wall of Moms » à Portland (un groupe de mères qui se réunissent pour participer aux manifestations Black Lives Matter, N.d.T.). Mais le gouverneur démocrate du Wisconsin n’a pas perdu de temps pour la mobiliser afin de « maintenir l’ordre ». Les deux partis conviennent, en pratique, de maintenir des forces armées bien financées et prêtes à l’action pour s’en servir contre la classe ouvrière en cas de soulèvement.

Martin Luther King Jr. a un jour dit que « les émeutes sont le langage de ceux qui ne sont pas entendus ». Les explosions massives de colère demeureront la norme tant que le Parti démocrate, qui n’offre rien d’autre que des changements symboliques, continuera d’ignorer les opprimés et leurs cris de « I can’t breathe! » (« Je ne peux pas respirer! »).

Mais tant que le mouvement restera sans dirigeants, il sera désemparé. Quand la colère refoulée ne trouve pas de débouché constructif, la désorganisation permet à des individus, des cliques non redevables et des provocateurs de semer encore plus la confusion par du vandalisme futile. En tant que marxistes, nous ne défendons pas la propriété privée contre le vandalisme comme le font les capitalistes. Une voiture ou une banque en feu ne peut en aucun cas équivaloir aux horreurs infligées à des milliards de personnes par le système de la propriété privée des moyens de production. Mais de telles méthodes ne peuvent pas offrir d’issue à l’impasse sociétale dans laquelle nous nous trouvons, qui menace d’entraîner l’humanité entière vers l’abîme.

Les syndicats du Wisconsin et de l’Illinois doivent prendre les devants. Rien que dans ces deux États, il y a plus d’un million de travailleurs syndiqués. Les dirigeants syndicaux doivent mobiliser leurs nombreux membres et leurs ressources pour coordonner la formation de comités ouvriers d’autodéfense locaux, qui pourront être reliés à l’échelle régionale puis nationale. Ils devraient immédiatement commencer à préparer des grèves générales à travers ces États. Seul ce genre de mesures peut permettre de réellement prévenir la violence de l’État. Les travailleurs du Minnesota, de l’Oregon et d’autres régions du pays seraient ravis d’entendre un tel appel à l’action. Cela préparerait le terrain pour une grève générale à l’échelle nationale qui remettrait en question tout le statu quo.

Au lieu de cela, la direction syndicale essaie désespérément de canaliser l’énergie du mouvement vers le vote pour des démocrates comme Joe Biden, un « réformateur » de l’aide sociale qui avait soutenu la ségrégation et qui s’est prononcé contre la modeste revendication de diminuer, même partiellement, le financement de la police. C’est sans parler de sa colistière Kamala Harris, l’ancienne « super policière » de la Californie. Les travailleurs de tout le pays se sont précipités dans les rues par millions, poussés par le sentiment qu’une atteinte à l’un d’entre eux est une atteinte à tous – il est temps que les dirigeants syndicaux rattrapent le mouvement!

Combattons le racisme par la solidarité ouvrière – Préparons-nous pour une grève générale!

Aucun appui aux deux partis capitalistes racistes – Pour un parti socialiste ouvrier de masse!