Budget fédéral 2021 : Les déficits massifs mèneront à l’austérité

« C’est un budget de gauche. Réjouissez-vous, il y a des bonbons pour tout le monde! » Mais pas si vite, le diable est dans les détails. Le 19 avril, les libéraux fédéraux ont dévoilé un déficit budgétaire prévu de 155 milliards de dollars, après un déficit de 364 milliards de dollars l’an dernier. Le ratio dette/PIB du gouvernement fédéral devrait passer de 30 à 50%. Ce budget prépare inévitablement l’austérité pour les travailleurs.

  • Alex Grant
  • jeu. 22 avr. 2021
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« C’est un budget de gauche. Réjouissez-vous, il y a des bonbons pour tout le monde! » Mais pas si vite, le diable est dans les détails. Le 19 avril, les libéraux fédéraux ont dévoilé un déficit budgétaire prévu de 155 milliards de dollars, après un déficit de 364 milliards de dollars l’an dernier. Le ratio dette/PIB du gouvernement fédéral devrait passer de 30 à 50%. Des déficits sont prévus pour l’avenir prévisible. Bien que le budget contienne une réforme potentiellement importante, à savoir la création de garderies à 10 dollars par jour, la majorité des dépenses financées par déficit sont consacrées à l’aide sociale aux entreprises et les garderies ne verront peut-être jamais le jour. On notera l’absence de toute mesure significative visant à transférer la richesse des profiteurs de la pandémie qui ont amassé des milliards pendant que les travailleurs souffraient. Les libéraux ont remis à plus tard la question inévitable de « Qui va payer? » Ce budget prépare inévitablement l’austérité pour les travailleurs.

Qu’est-ce qui est dans le budget?

120 milliards de dollars sur trois ans pour se remettre de la COVID-19 et « donner un coup de pouce à l’économie verte ». Il s’agit en grande partie d’une aide sociale aux entreprises, présentée comme des mesures écologiques pour toute entreprise qui peut faire passer pour écologique ce qu’elle faisait déjà.

30 milliards de dollars sur cinq ans pour mettre en place un service de garderies à 10 dollars par jour d’ici 2025. Nous en discuterons plus en détail ci-dessous.

4,4 milliards de dollars pour les propriétaires pour des rénovations écologiques. Cette mesure aide principalement les riches et la classe moyenne supérieure à améliorer la valeur de leurs propriétés.

3 milliards de dollars pour les soins de longue durée. On ne sait pas si cet argent servira à éradiquer le scandale des taux de mortalité criminels dans les soins privés. Potentiellement, cet argent ne sera qu’une aide supplémentaire à ces sociétés privées.

2,5 milliards de dollars pour construire et réparer 35 000 logements à faible revenu. Cette somme est insuffisante pour résoudre la crise du logement dans tout le pays. Par exemple, la Toronto Community Housing Corporation a, à elle seule, un retard de 1,7 milliard de dollars dans la réparation de son parc existant, avant même d’envisager la construction de nouveaux logements.

18 milliards de dollars sur cinq ans pour les collectivités autochtones. Il s’agit d’une augmentation considérable du financement par rapport aux 4,5 milliards de dollars annoncés dans le budget 2019. Après des protestations massives contre l’oppression des peuples autochtones, les libéraux ont décidé d’essayer d’acheter la paix. Cependant, même ce montant n’absout pas les libéraux de leur promesse non tenue de mettre fin aux avis d’ébullition de l’eau dans les réserves. Un montant de 1,7 milliard de dollars est affecté à l’infrastructure des réserves, soit moins de la moitié du montant nécessaire pour régler le scandale. Et les libéraux refusent de fournir un échéancier pour savoir quand toutes les réserves auront de l’eau potable.

Un salaire minimum fédéral de 15 dollars de l’heure. Cela aiderait 26 000 travailleurs dans des lieux de travail privés réglementés par le gouvernement fédéral. Mais après plus d’une décennie qu’on réclame ce salaire, l’inflation l’a rendu totalement insuffisant. Cette idée est volée à la bureaucratie du NPD, qui a proposé le 15 dollars lors de son congrès de ce mois-ci. Heureusement pour les dirigeants du NPD, la base du parti a sauvé son honneur en faisant passer la revendication à 20 dollars.

Prolongation de la Prestation canadienne de la relance économique (PCRE) de 2000 dollars par mois jusqu’en juillet, qui sera réduite à 1200 dollars par mois en août et septembre avant d’être annulée.

Prolongation jusqu’en septembre des subventions aux salaires et aux loyers des entreprises, qui seront transformées en une prime à l’embauche couvrant 50% des salaires des nouveaux employés de juillet à novembre.

Remarquons de l’autre côté l’approche à l’égard de la subvention salariale, qui a été le principal canal de l’aide sociale aux entreprises. De nombreuses entreprises ont englouti des millions de dollars en subventions salariales pour ensuite les distribuer sous forme de dividendes aux actionnaires et de primes aux dirigeants. Alors que la droite vilipende les travailleurs sur la PCRE, il est prévu que son coût soit inférieur de moitié à celui des subventions salariales et aux loyers des entreprises. Encore une fois, les travailleurs reçoivent le bâton et les patrons la carotte. Les libéraux espèrent contre toute attente que leur prime à l’embauche permettra aux 1,7 million de bénéficiaires de la PCRE de trouver un emploi. Cela semble très optimiste, et il est certain qu’un grand nombre d’entre eux passeront entre les mailles du filet. Même s’il y a une croissance économique, beaucoup de ces entreprises se contenteront de moins de travailleurs en augmentant leur taux d’exploitation. Si les gens se retrouvent sans emploi et sans soutien, on peut s’attendre à une explosion de colère à l’approche de l’hiver 2021.

Du côté des recettes, il y a une taxe de 1% sur les propriétés vacantes appartenant à des non-Canadiens, une taxe sur le luxe pour les jets privés, les voitures de sport de plus de 100 000 dollars et les yachts de luxe de plus de 250 000 dollars, et une « taxe sur les services numériques » de 3% sur les géants du Web. Ces mesures insignifiantes de taxation des riches, tout comme les yachts et les Ferrari que possèdent les milliardaires, ne sont que de la poudre aux yeux. Alors que Stephen Harper proposait des baisses d’impôt à la pièce, Justin Trudeau propose maintenant des hausses de taxe à la pièce qui ne rapporteront qu’environ un milliard de dollars par année. La taxe immobilière ne fera rien pour refroidir la bulle immobilière surgonflée, et la taxe Netflix sera simplement refilée aux consommateurs, au dollar près.

L’austérité est assez mineure dans le budget 2021 et est principalement liée à des réductions des budgets de voyage pour les ministères fédéraux qui devront de plus en plus utiliser Zoom et travailler à domicile.

Qu’est-ce qui n’est pas dans le budget?

L’assurance-médicaments. Bien qu’il ait été promis dans tous les programmes électoraux des libéraux au cours des deux dernières décennies, et même dans le discours du Trône de septembre 2020, l’assurance-médicaments était absente du budget de 2021 ! Le Canada est l’une des seules grandes économies dotées d’un régime d’assurance-maladie socialisé qui n’a pas également une assurance-médicaments socialisée. Des milliers de personnes sont mises en faillite chaque année en raison du prix exorbitant des produits pharmaceutiques dont elles ont besoin pour vivre. Des études successives ont montré qu’un système d’assurance-médicaments socialisé réduit massivement le coût global des médicaments, le gouvernement fédéral profitant d’économies d’échelle et de remises en gros non disponibles pour les consommateurs individuels. Ces coûts peuvent être réduits encore davantage lorsqu’ils sont combinés à la nationalisation de la production pharmaceutique. Cela montre bien que les libéraux sont des menteurs invétérés et qu’il ne faut pas croire un seul mot de ce qu’ils disent.

Faire payer les patrons. À part les hausses symboliques de taxes sur les jets et les yachts, il n’y a rien dans le budget qui permettra de générer les revenus nécessaires pour maîtriser le déficit. Le NPD a déclaré à juste titre que « Justin Trudeau continue de donner un traitement de faveur aux ultra-riches et laisse les gens ordinaires de côté […] Le budget d’aujourd’hui montre qui Trudeau choisit de faire payer pour la reprise de la pandémie, et il dit aux ultra-riches que ce ne sera pas eux. Ce sera vous. »

Les 47 milliardaires du Canada ont collectivement augmenté leur richesse de 78 milliards de dollars pendant la pandémie! Ces 47 parasites profiteurs ont amassé suffisamment d’argent pour réduire de moitié le déficit budgétaire. Et cela ne tient pas compte du fait que les sociétés canadiennes ont mis de côté plus de 587 milliards de dollars en 2020, pour un total de près de 1,6 billion de dollars d’argent mort au quatrième trimestre de 2020. Il y a plus qu’assez de richesse dans la société pour répondre aux besoins de la classe ouvrière, mais en raison des règles du capitalisme, elle est stockée de manière improductive par la classe capitaliste.

Malheureusement, si l’attaque du NPD contre les libéraux et les « ultra-riches » est bien ciblée, ses solutions ne sont pas à la hauteur. D’une part, le NPD a constamment soutenu les libéraux et n’a donc aucune crédibilité en ce qui concerne ses critiques. Cela s’est vu dans la couverture médiatique du budget, où les reportages n’ont jamais pris la peine de détailler la critique du NPD, qui est sans conséquence; ils ont seulement rapporté le fait que le parti allait soutenir les libéraux.

Le plan du NPD « pour faire payer leur juste part aux ultra-riches et aux profiteurs de la pandémie » est lourd en verbiage mais faible en contenu. Lors de son congrès d’avril, le chef du NPD, Jagmeet Singh, s’est prononcé en faveur d’une résolution proposant un impôt de 1% sur la richesse personnelle supérieure à 20 millions de dollars, la suppression des échappatoires fiscales, la lutte contre les paradis fiscaux et le doublement de l’impôt des sociétés sur les bénéfices excédentaires en 2020. Cette résolution semble être le modèle de la plateforme du NPD pour une élection probable en 2021. Mais même selon les estimations les plus optimistes, ces mesures ne rapporteront que 20 à 30 milliards de dollars. Et ce, dans l’hypothèse très improbable qu’il n’y ait pas d’évasion fiscale et de sabotage des entreprises. Ce n’est tout simplement pas assez d’argent pour résoudre le problème d’un déficit de 150 milliards de dollars sans recourir à l’austérité.

Les seules mesures qui permettront de générer la richesse nécessaire pour vaincre la pandémie, reconstruire par la suite et fournir les choses dont les travailleurs ont besoin, comme l’assurance-médicaments, un programme massif de logements sociaux, l’éducation gratuite, le transport en commun gratuit, la fin des avis d’ébullition de l’eau et des mesures environnementales durables, sont la nationalisation de la richesse inutilisée des capitalistes sous le contrôle des travailleurs eux-mêmes. Mais cela exige une lutte ouverte contre la classe capitaliste, ce qui effraie la bureaucratie du NPD.

Garderies à 10 dollars

Vingt-huit ans après avoir promis pour la première fois des services de garderie, les libéraux les ont enfin inscrits dans un budget. De nombreux enfants qui ont été abandonnés par les libéraux sont maintenant des parents qui ont leurs propres enfants. Il va sans dire que cela ne serait jamais arrivé sans des décennies de mobilisation de la part de ceux et celles qui luttent pour l’égalité des femmes, qui sont les premières à bénéficier de cette réforme. Mais il est beaucoup trop tôt pour crier victoire. Les libéraux n’ont promis des services de garderie à 10 dollars par jour que pour 2025, et il y aura certainement une, voire deux élections avant cette date. Les promesses non tenues sur l’assurance-médicaments et les avis d’ébullition de l’eau nous apprennent à ne jamais faire confiance à un menteur de libéral.

Le plan libéral de 30 milliards de dollars comporte des problèmes importants. Bien que cela semble être beaucoup d’argent, ce n’est pas suffisant en soi pour mettre en œuvre le programme. Trudeau compte sur les provinces pour accepter de partager 50% des coûts, et les services de garderie sont un domaine de compétence provinciale. L’entente de partage des coûts à parts égales a une signification historique, car il s’agit de la même formule que celle utilisée pour la mise en œuvre de l’assurance-maladie dans les années 1950 et 1960. Mais depuis, le gouvernement fédéral a réduit ses transferts en matière de santé, de sorte qu’ils ne couvrent plus que 22% des dépenses de santé. Au lieu d’un nouveau programme qui leur coûtera des milliards, les provinces ont demandé à Ottawa d’augmenter de 13% sa part du financement des soins de santé. Étant donné les antécédents peu reluisants du gouvernement fédéral, on peut comprendre la réticence des provinces à se joindre à un autre partenariat coûteux sur un nouveau programme. Les provinces dirigées par des gouvernements de droite sont également philosophiquement opposées aux garderies à 10 dollars et feront tout ce qui est en leur pouvoir pour stopper une politique qui pourrait potentiellement libérer les femmes.

Un autre obstacle important n’est pas seulement le coût, mais aussi l’accès et la qualité. Une garderie à 200 dollars par mois constituerait une avancée considérable pour un parent qui travaille à Toronto, où la garde d’enfants coûte souvent 2000 dollars par enfant. Mais les barrières financières ne sont pas le seul obstacle. Souvent, les parents ne parviennent pas à trouver une place de garde de qualité avec des éducatrices de la petite enfance formées. Il y a des histoires horribles de parents qui travaillent et qui sont obligés de s’en remettre à des garderies privées surpeuplées et non réglementées où des enfants ont été blessés ou même tués. Ce problème est lié à la rémunération, aux conditions et aux droits syndicaux des travailleuses de la petite enfance, idéalement employées par un prestataire du secteur public. Tout comme dans le cas des soins de longue durée, il y aura des pressions importantes de la part des entreprises pour gaspiller les fonds destinés aux services de garde d’enfants en les confiant à des fournisseurs du secteur privé qui offrent des salaires inférieurs aux travailleurs et des soins de moindre qualité aux enfants. Les travailleurs québécois ont remporté une victoire historique en matière de garde d’enfants en 1997, et la province a considérablement augmenté la participation des femmes à la population active, avec les avantages économiques qui en découlent pour la société. Mais maintenant, malgré le fait que le programme coûte environ 8 dollars par jour, il est très difficile pour les parents de trouver une place pour leur enfant.

Il faut une mobilisation de masse pour garantir non seulement des services de garde d’enfants abordables, mais aussi une expansion massive des places dans le cadre d’un service public. Il faut que les éducatrices de la petite enfance soient hautement qualifiées et correctement rémunérées et que le ratio enfants/éducatrices soit faible. Tous les parents qui ont leur enfant en garde le comprennent. Des travailleurs heureux signifient des enfants heureux. Les libéraux vont faire miroiter les services de garderie comme une carotte à chaque élection à venir pour ensuite les laisser tomber en cas de réduction de la pression. Nous ne pouvons pas faire confiance aux libéraux et nous devons continuer à nous mobiliser contre tout retour en arrière des gouvernements fédéral et provinciaux. Ce n’est qu’ainsi que les parents de la classe ouvrière obtiendront cette réforme indispensable.

L’austérité à venir

Les libéraux tentent d’ignorer la question de savoir qui va payer et vivent dans un monde chimérique capitaliste où la croissance spontanée résout tous leurs problèmes.

Andrew Coyne, écrivant dans le Globe and Mail, a expliqué la situation : « Une série d’hypothèses plutôt optimistes est nécessaire – une croissance réelle de plus de 3% par an en moyenne, une inflation maîtrisée, des dépenses réduites à un niveau équivalent aux records historiques atteints avant la pandémie – pour ramener le ratio dette/PIB sous la barre des 50%. »

La croissance doit être élevée, l’inflation doit être faible et les coûts supplémentaires doivent être maîtrisés, sinon le déficit deviendra ingérable. Mais il est très peu probable que ces conditions soient remplies. Même selon les « hypothèses optimistes » de Trudeau, les coûts du service de la dette devraient doubler, passant de 20 à 40 milliards de dollars par an. Même une augmentation modeste des taux d’intérêt et de l’inflation, ou un échec des objectifs de croissance, rendra la gestion de la dette impossible.

Pour compliquer les choses, une réussite dans un domaine tend à entraîner un échec dans d’autres domaines. On s’attend à un rebondissement post-pandémie où les personnes plus aisées dépenseront les économies qu’elles ont réalisées en n’allant pas au restaurant ou aux Caraïbes. C’est ce que l’on appelle un « stimulus économique en réserve ». Mais cette croissance est essentiellement insoutenable et inflationniste. L’inflation entraînera une augmentation des taux d’intérêt et des coûts du service de la dette pour le gouvernement. Elle provoquera également des conflits de classe et d’autres coûts, les travailleurs cherchant à suivre l’augmentation des prix.

Hormis une période immédiate de rebond, une croissance de 3% semble totalement irréaliste. Le Canada n’a pas connu de tels taux de croissance moyenne depuis des générations. Au cours des vingt dernières années, le PIB a suivi approximativement la croissance de la population, soit entre un et deux pour cent.

Les libéraux sont donc pris dans un dilemme. Soit ils poursuivent les nouveaux programmes de « stimulus » et d’aide aux entreprises pour promouvoir artificiellement la croissance au détriment du déficit et de l’inflation. Soit ils s’efforcent de réduire l’inflation et les paiements d’intérêts par l’austérité, coupant ainsi toute perspective de croissance supplémentaire. Plus ils éviteront l’austérité en empruntant la première voie, plus la route sera difficile pour ramener l’économie à l’équilibre. L’austérité est inévitable.

Ce qui est plus important, c’est que la lutte des classes est inévitable. Trudeau ou son successeur sera éventuellement contraint d’attaquer les travailleurs; ce n’est qu’une question de temps. L’inflation se profile également comme une menace pour la richesse réelle des travailleurs. Que cela nous plaise ou non, la seule issue est la lutte.