Il y a deux ans et demi, le gouvernement libéral de Jean Charest cédait à la pression populaire en mettant sur pied la Commission d’enquête sur l’octroi et la gestion des contrats publics dans l’industrie de la construction, mieux connue sous le nom de commission Charbonneau. La commission avait pour objectif de faire la lumière sur la collusion et la corruption dans l’industrie de la construction, la possible infiltration du crime organisé, et les possibles liens avec le financement des partis politiques. Deux ans et demi plus tard, les témoignages ont permis de révéler ce que tout le monde savait déjà depuis longtemps.

Il serait long et inutile de passer en revue tout ce qui a été révélé par les témoignages entendus à la commission. Nous nous en tiendrons pour cet exposé à des révélations récentes faites par André Côté, ex-vice-président de la firme de génie-conseil Roche, au sujet du financement illégal des partis politiques par la firme.

M. Côté a affirmé lors de son témoignage que, bon an mal an, la firme donnait entre 80 000 et 100 000$ aux partis politiques, en parfaite violation de la loi électorale qui interdit le financement par les entreprises. Les trois partis – PLQ, PQ et la défunte ADQ – qui ont soit pris le pouvoir, soit passé très proche de le faire dans les dernières années, ont tous profité de ces dons illégaux. La liste des politicien-ne-s ayant profité de ce stratagème est longue, et comprend même le maire de Montréal, Denis Coderre (250$), ainsi que la Première ministre sortante, Pauline Marois (7 000$). Au total, entre 2001 et 2012, Roche a versé près de 624 000$ aux trois partis politiques, utilisant le stratagème des prête-noms.

Ce n’est certes pas le premier témoignage qui rapporte ce genre de pratiques dans l’industrie de la construction. Mais les révélations de M. Côté démontrent de manière grandiose cette accointance entre le pouvoir économique et le pouvoir politique, caractéristique essentielle du système capitaliste.

En effet, M. Côté a parlé de la « parfaite symbiose » qui existait entre la firme Roche ainsi que les responsables du financement au PQ, Ginette Boivin, et au PLQ, Violette Trépanier, au sujet des contributions illégales. L’homme a raconté que la vice-présidente de Roche se rendait régulièrement à leurs bureaux pour prendre compte de leurs besoins financiers, et revenait voir les dirigeant-e-s de Roche avec des cibles financières précises. M. Côté a même déclaré qu’il était surpris que les firmes de génie-conseil n’aient pas été interrogées plus tôt sur leur pratique. Il a affirmé que c’était tellement répandu comme façon de faire qu’on ne pouvait pas parler d’un système occulte.

Lors de son témoignage, André Côté a également mentionné « l’inconfort » que créait cette situation. En effet, les dirigeant-e-s de Roche étaient pleinement conscient-e-s de l’illégalité de ces procédures. À un certain point, les firmes se parlaient entre elles de cette situation, et en arrivaient au constat que les demandes des politicien-ne-s étaient exagérées. En somme, la situation créait un malaise et de l’exaspération, mais c’était la norme. M. Côté l’a souligné, la firme ne refusait pas, de peur de perdre ses entrées dans les cabinets ministériels.

Le problème dans une telle situation n’est pas le fait que quelques vils individus ont de mauvaises intentions. Même le premier témoin-vedette de la commission, Lino Zambito, abondait dans ce sens lorsqu’il a pris la défense de Natalie Normandeau, ex-ministre libérale éclaboussée par les révélations de la commission. Il affirmait alors croire en l’intégrité de Mme Normandeau, et disait que le problème n’était pas elle, mais bien son organisation (ce à quoi l’on pourrait rétorquer que le problème concerne l’organisation en général en système capitaliste).

De ce témoignage, comme de l’ensemble des révélations faites à la commission Charbonneau, une conclusion essentielle s’impose, soit qu’en système capitaliste, la corruption et la fraude telles que décrites plus haut sont monnaie courante, et qu’il ne peut en être autrement. Il serait donc erroné de ne revendiquer que des sanctions judiciaires contre les fautifs (très nombreux, par ailleurs), et de refuser de s’attaquer à la racine du problème.

La concurrence entre les capitalistes et la soif de profit pousseront les entreprises à user de tous les moyens à leur disposition pour arriver à leurs fins. C’est pourquoi des firmes comme Roche consentent à financer illégalement les principaux partis bourgeois, malgré le malaise, « de peur de perdre leurs entrées dans les cabinets ministériels. » À l’inverse, les politiciens au service de la sacro-sainte propriété privée sauront profiter de cette situation pour à leur tour solliciter les entreprises, sachant très bien que les chances de se faire dire non sont minces. Lino Zambito, encore une fois, explique avec justesse : « si moindrement tu es brillant et tu sais lire entre les lignes […] on te fait comprendre : « Aide-moi, puis je t’aiderai », c’est aussi simple que ça. »

Il faut insister sur le fait que cette situation est l’aboutissement logique du capitalisme. La « démocratie », au Québec et ailleurs, est en fait la dictature de la bourgeoisie. Il n’y a pas de solution réformiste à la collusion et la corruption généralisées. Zambito, encore lui, s’en est même pris à la loi du PQ limitant le financement des partis à 100$ par personne par an, affirmant que cela ne changerait rien, qu’il y aurait encore des moyens de remplir les coffres de manière illégale. La solution n’est pas non plus de remplacer de malhonnêtes bourgeois par d’honnêtes bourgeois. La solution passe par l’expropriation de ces parasites et l’édification du socialisme. Le contrôle véritablement démocratique de l’économie par et pour les travailleurs et travailleuses sera en mesure d’être le véritable frein à la corruption généralisée sous le système capitaliste.

Mais la corruption et la collusion et la perte de confiance envers les élu-e-s qui en résulte ne sont évidemment pas des maux strictement québécois. Partout dans le monde, les politicien-ne-s bourgeois-es perdent la confiance des masses. Que ce soit en Ontario, aux États-Unis, en France ou ailleurs, la colère et la perte de confiance se font ressentir. Et justement, un peu partout, on voit poindre des révoltes issues de cette colère à l’endroit du système et de ses têtes d’affiche. Car la majorité des gens savent très bien que la corruption est généralisée, et qu’ils sont exploités au profit d’une clique de plus en plus petite. Une clique qui s’efforce en plus de faire avaler l’idée que nous devons tous nous serrer la ceinture en cette période d’austérité. Suffit maintenant de canaliser cette colère et de l’orienter vers une réelle alternative, soit l’édification du socialisme.