Depuis samedi le 9 janvier, dans un geste sans précédent au Canada depuis le début de la pandémie, un couvre-feu est imposé au Québec. François Legault présente cette mesure comme un « traitement-choc » pour freiner la propagation de la COVID-19. Toutefois, ce couvre-feu n’est que la plus récente d’une longue série de mesures ciblant les individus tout en laissant les entreprises libres de faire des profits et de propager le virus.

Combattre la COVID par la répression?

La première nuit du couvre-feu, quelque 300 amendes ont été distribuées à travers le Québec. Questionné à savoir si le couvre-feu s’appliquait aux sans-abri, Legault a répondu par l’affirmative, disant qu’ « il y a de la place dans les refuges ». Entasser les sans-abris dans les refuges, où ils sont cinq fois plus à risque de contracter le virus, voilà une méthode bien particulière pour combattre la pandémie! Au moins, la ministre de la Sécurité publique, Geneviève Guilbault, a lancé un appel aux policiers à faire preuve de tolérance… Mais le Service de police de la Ville de Montréal, ne manquant pas une occasion de se montrer à la basseur de sa réputation, a donné une amende de 1500 dollars à un itinérant dès la deuxième nuit du couvre-feu.

Quant à savoir si cela sera efficace, eh bien, le directeur national de la santé publique, Horacio Arruda, a admis qu’aucune « étude contrôlée » n’a démontré l’efficacité d’une telle mesure. Pour l’instant, l’attitude policière du gouvernement Legault a surtout eu pour effet que, par crainte d’amendes, le tiers des personnes contaminées dans le Grand Montréal refusent de collaborer au traçage.

Si les forces policières ont fait un « travail exceptionnel », selon Legault, on ne peut pas dire la même chose du gouvernement caquiste lui-même. La pandémie est hors de contrôle au Québec. Les hôpitaux, à Montréal en particulier, approchent du point de rupture où les médecins devront laisser mourir des patients. La détresse règne chez les employés du réseau de santé, ce qui a été tragiquement démontré par le récent suicide d’une urgentologue.

Mais il y a une logique derrière l’imposition du couvre-feu. Celui-ci représente la suite logique de l’approche de Legault au cours des derniers mois, qui vise à mettre le blâme sur les individus plutôt que de toucher aux vrais coupables, ses amis les hommes d’affaires.

Suivant cette approche, Legault avait passé tout le mois de décembre à blâmer la pandémie sur les rassemblements du temps des fêtes, et avait déjà sorti la menace de grosses amendes. Puis, au retour des fêtes, la faute reposait sur les voyageurs égoïstes partis dans le Sud. Les « covidiots » font effectivement le bouc-émissaire parfait pour la pandémie. 

Mais cette approche individualiste ne touche pas aux sources principales d’infections : les milieux de travail, les écoles, les milieux de soins. Si l’on passe à travers l’écran de fumée du couvre-feu, on voit qu’à peu près rien n’a changé avec l’annonce en grande pompe du 6 janvier dernier. En fait, outre le report du retour à l’école au secondaire d’une semaine, c’est presque le statu quo!

Pas touche aux profits!

Pendant ce temps, le virus continue de faire rage dans les milieux de travail. En date du 10 janvier, ceux-ci représentaient 47,5% des éclosions actives. Selon les dernières données disponibles datant du 2 janvier, 24% des éclosions en milieu de travail (et 37% des cas) sont dans le secteur manufacturier. Les éclosions ont diminué de moitié en deux semaines sur les chantiers de construction – mais simplement car la construction a pris une pause pendant les fêtes.

Pourtant, pratiquement rien n’a changé dans ces secteurs. Legault se contente de demander aux entreprises du secteur manufacturier et de la construction de volontairement se limiter à la production essentielle. « On se fie beaucoup à leur jugement [les employeurs] et à leur bonne foi pour qu’ils contribuent à l’effort collectif. » 

Le virus continuera donc certainement de se propager dans ces milieux de travail, car quel patron va volontairement se priver de profits?

Un récent éditorial du Toronto Star résumait assez bien le problème du couvre-feu : 

« […] Un couvre-feu de type Québec esquive certaines des plus importantes causes de la propagation rapide du COVID.

Il est relativement facile de fermer les bars et les restaurants et sermonner les gens sur leur socialisation lors des vacances. Mais une bonne partie de la propagation vient des gens qui vont travailler dans des usines manufacturières, des centres de distribution et des chantiers de construction. Une politique anti-pandémie vraiment robuste ciblerait la transmission au travail – même au prix de faire fermer nombre de ces sites. »

Ce commentaire d’un journal qui n’a rien d’anticapitaliste indique le problème. Mais les patrons des secteurs de l’industrie ont clairement fait savoir qu’ils s’opposaient à un nouveau confinement. 

Par exemple, Véronique Proulx, PDG de Manufacturiers et Exportateurs du Québec, affirme que l’industrie a perdu quatre milliards de dollars au printemps à cause du confinement. Elle dit que le pire scénario pour l’industrie serait un retour aux mesures du printemps… précisément les mesures qui avaient permis d’aplatir la courbe jusqu’à un certain point! Elle craint que les manufactures québécoises ne puissent pas demeurer concurrentielles, si un autre vrai confinement était imposé :

« Si on ferme et que les consommateurs continuent d’acheter, comme ils l’ont fait pendant le dernier confinement, ils vont acheter sur Amazon et ils vont acheter auprès des autres manufacturiers qui eux peuvent continuer à produire. »

« Les parts de marché que ces entreprises étrangères gagnent sont là pour rester; c’est très difficile pour les manufacturiers du Québec de les reprendre. »

Proulx expose ici la logique froide du système capitaliste. Il ne faudrait quand même pas que les entreprises québécoises soient les seules en confinement! Pas bon pour la business. 

Sarah Houde, PDG de Propulsion Québec, une entreprise de transports électriques et intelligents, abonde dans ce sens :

« Il faudra mettre la main à la pâte pour livrer les commandes et poursuivre la recherche et développement. Il y a tellement de croissance dans notre secteur, on ne peut se permettre de prendre du retard. »

Voilà de quoi il s’agit. Les profits passent avant la santé. De véritables mesures pour aplatir la courbe devraient nécessairement inclure la fermeture des milieux de travail non essentiels. Mais cela signifierait s’attaquer aux profits des capitalistes. 

Que reste-t-il au gouvernement Legault s’il ne veut pas empêcher les entreprises de faire de l’argent? Il ne reste qu’à blâmer les covidiots et imposer des mesures policières. Il ne reste que le mantra de la « responsabilité individuelle ».

En réalité, l’approche policière et individualiste de la CAQ vise à détourner l’attention de sa mauvaise gestion criminelle de la pandémie, et surtout, à s’assurer que les patrons continuent de s’en mettre plein les poches en toute tranquillité. Le couvre-feu ne fera presque rien pour stopper les infections, il s’agit d’une supercherie répressive pour aider Legault à rester au pouvoir.

Où est l’opposition?

Malheureusement, les dirigeants du mouvement syndical semblent avoir complètement accepté le couvre-feu. Certains sont même allés jusqu’à se faire l’écho des arguments des patrons sur la nécessité d’éviter un confinement. Par exemple, en réponse à l’annonce du gouvernement Legault, le président de la CSN-Construction, Pierre Brassard, a déclaré : « Les travailleurs et les travailleuses de la construction vont être contents d’être capables de continuer à travailler quand même malgré la pandémie. »

Roxane Larouche, porte-parole des TUAC-Québec (Travailleurs unis de l’alimentation et du commerce) a qualifié le couvre-feu de « mal nécessaire ». Louis Bégin, le président de la FIM-CSN (Fédération des travailleurs de l’industrie manufacturière) s’est prononcé contre un confinement en affirmant qu’ « un 2e confinement risque de provoquer de nouvelles fermetures définitives ». Jusqu’à présent, tous ces dirigeants syndicaux se sont simplement fait l’écho des fédérations patronales.

À son honneur, le porte-parole de QS, Gabriel Nadeau-Dubois, a remis en question la logique du gouvernement : « Pendant qu’on restreint les déplacements des individus au quotidien, on laisse ouverts les secteurs manufacturiers et de la construction, pourquoi? Pourtant c’est documenté que le secteur manufacturier est un secteur important d’éclosions? »

À part ces questionnements de Nadeau-Dubois, rien ou presque n’a été fait de la part de la gauche ou des dirigeants syndicaux pour exposer l’hypocrisie totale des actions du gouvernement, qui ont échoué lamentablement.

Cela a permis à M. Legault de maintenir un taux d’approbation élevé en dépit de son échec total face à la pandémie de COVID-19. Il a pu utiliser des mesures répressives pour dresser les travailleurs les uns contre les autres, laissant intacte la principale force contribuant à la transmission du virus, à savoir les capitalistes québécois. Il faut que cela change.

Quelle est la solution?

Legault reproche aux covidiots de ne pas croire en la science, mais c’est de l’hypocrisie pure et simple. Une véritable approche scientifique de la lutte contre la pandémie viserait les secteurs qui sont les principaux vecteurs de transmission et prendrait toute mesure nécessaire pour arrêter la propagation du virus. Un couvre-feu est presque entièrement inutile car il ne fait rien pour arrêter la transmission sur les lieux de travail, dans les écoles et les établissements de santé.

Si nous voulons vraiment lutter contre la COVID-19, le mouvement syndical doit lancer une campagne massive de débrayage pour fermer les entreprises non essentielles. Il faut procéder à un dépistage de masse et fermer immédiatement tout lieu de travail présentant une éclosion et renvoyer les travailleurs chez eux en congé de maladie payé. Les travailleurs doivent être autorisés à décider si les lieux de travail sont sûrs ou non et un financement approprié doit être immédiatement débloqué à cette fin.

La classe ouvrière du Québec a de fortes traditions révolutionnaires. Les travailleurs québécois n’ont jamais eu peur de faire la grève et d’utiliser des tactiques combatives pour obliger les patrons à faire des concessions. Tout ce qu’il lui manque, c’est d’une once de leadership.