Un monument centenaire du racisme et du colonialisme canadien est tombé. Dans le cadre de la manifestation pour le définancement de la police le 29 août à Montréal, les manifestants ont fait ce qui devait être fait : déboulonner l’imposante statue de John A. Macdonald, père fondateur du Canada raciste. Ce geste s’inscrit dans un mouvement plus large à l’échelle mondiale pour faire tomber les statues de racistes notoires.

Sans surprise, c’est l’indignation chez la droite. Selon notre cher conservateur et nationaliste Mathieu Bock-Côté, on doit voir là une « américanisation idéologique et linguistique du Québec. » Visiblement MBC n’a pas vu l’ironie – connait-il son histoire? – de se porter à la défense d’une figure connue pour sa haine des francophones et des catholiques! Pour sa part, le premier ministre François Legault a affirmé que « saccager des pans de notre histoire n’est pas la solution », et affirme que la statue sera réinstallée. 

Les propos du premier ministre rappellent ceux de son homologue britannique Boris Johnson qui a récemment affirmé, dans la foulée des attaques contre les statues de Winston Churchill et autres racistes britanniques, que de déboulonner les statues de figures historiques est « un mensonge sur notre histoire. » Ici comme ailleurs, les politiciens bourgeois nous mettent en garde. « Ne cherchons pas à déboulonner des statues », nous dit le président français Macron, car il n’y a pas « d’histoire à revoir. » Donald Trump, fervent défenseur du maintien des monuments confédérés, a même récemment émis un ordre exécutif pour protéger les monuments historiques avec des peines de prison pour ceux qui oseraient le défier.

Alors que nous sommes en pleine pandémie qui affecte directement la vie de millions de travailleurs, et que nous entrons dans la pire crise économique mondiale de l’histoire, nos dirigeants et autres sycophantes de droite semblent se préoccuper davantage du sort des statues que de celui de la population. Même la mairesse de Montréal, la soi-disant gauchiste Valérie Plante, a rapidement dénoncé les faits : « de tels gestes ne peuvent être acceptés ni tolérés. » Heureusement pour la mairesse, elle pourra trouver du soutien auprès du premier ministre albertain Jason Kenney qui s’est même montré prêt à accueillir la statue comme réfugiée! Après tout, ce n’est pas parce qu’on est en train de passer la hache dans les services publics et les conditions de vie de la classe ouvrière albertaine qu’on ne peut trouver un fond d’empathie! 

Comme s’il s’agissait de poupées vaudoues géantes, l’atteinte aux statues historiques semble faire grandement souffrir la classe dirigeante. Mais c’est que nos dirigeants comprennent très bien ce qui se trame : la lutte actuelle contre les monuments historiques ne concerne pas simplement le passé, mais s’inscrit plutôt dans un réel combat pour changer le présent. La classe dirigeante d’aujourd’hui tire son pouvoir du fait que la classe dirigeante d’hier a créé un État capitaliste puissant, construit sur l’oppression et l’exploitation. S’attaquer à Churchill, Macdonald et les généraux confédérés, c’est s’attaquer aux éléments fondateurs de la domination actuelle de la classe bourgeoise; c’est s’attaquer aux symboles du pouvoir capitaliste. 

Dans le contexte actuel de crise sanitaire et économique, et dans la foulée des révoltes fantastiques contre le racisme aux États-Unis et ailleurs, un mouvement pour faire tomber des monuments racistes peut participer activement à donner confiance à la jeunesse et aux travailleurs qui cherchent à renverser le statu quo. Ainsi, c’est un enjeu de pouvoir, comme l’évoquent les propos du nouveau chef du Parti conservateur, Erin O’Toole : « Il est temps que les politiciens se tiennent debout et défendent notre pays. » La classe dirigeante a bel et bien peur des répercussions du déboulonnement des statues. Dans le cas présent, la statue de Macdonald est particulièrement symbolique : « Le Canada n’existerait pas sans Sir John A. Macdonald », rappelle O’Toole. Si la figure fondatrice du Canada tombe dans les poubelles de l’histoire, c’est tout l’État canadien oppressif qui est remis en question. 

Le Canada raciste de Macdonald

Trop souvent oubliée ou cachée, rappelons quelques pans de l’histoire du personnage. Dans la deuxième moitié du 19e siècle, alors que Macdonald entre en scène, le développement du capitalisme au Canada stimulait l’expansion territoriale vers l’ouest, et le développement du réseau ferroviaire transcontinental. Les Autochtones, en particulier ceux établis dans les Prairies, étaient une «menace » pour la poursuite des affaires. Pour la classe dirigeante canadienne, les choses étaient simples : soit les Autochtones « acceptent » de se soumettre, soit il faudra les réprimer. C’est ce sort qui sera réservé aux Métis du Manitoba, eux qui refusaient la soumission et l’annexion de leur territoire. Mais le jeune État colonial devra affronter le courage et la détermination des Autochtones pour protéger leurs territoires et se défendre face à l’envahisseur. 

Devenu le premier premier ministre du Canada en 1867, John A. Macdonald a affirmé dans une lettre de 1870 que « si ces misérables Métis ne se dispersent pas, il faudra les écraser. » Il a joué la carte de la division en mobilisant les anglophones contre Louis Riel, le « traître » qui, affirmait-t-il : « sera pendu même si tous les chiens du Québec aboient en sa faveur ». Riel pendu et la rébellion écrasée dans le sang, la classe dirigeante pouvait aller de l’avant avec la construction du chemin de fer Canadien Pacifique. 

À l’époque, c’était le chemin de fer, aujourd’hui c’est un oléoduc. Les choses n’ont pas vraiment changé. Pour protéger les profits du secteur pétrolier, le gouvernement Trudeau envoie la GRC pour réprimer les Wet’suwet’en. C’est la même politique qui est adoptée par la classe dirigeante depuis des décennies, parce que c’est le même système capitaliste pourri qui est le moteur du développement. 

La corruption des politiciens bourgeois ne date pas d’hier non plus. Macdonald a été forcé de démissionner en 1873 (il a été réélu en 1878) après qu’on ait découvert que le contrat pour la construction du Canadien Pacifique avait été octroyé en échange d’un don très généreux aux coffres du Parti conservateur. 

Et l’horreur s’est poursuivie. Pour laisser le chemin libre pour le Canadien Pacifique et la colonisation des Prairies, Macdonald a volontairement affamé des milliers d’Autochtones. Il a ordonné explicitement aux fonctionnaires de retenir les rations de nourriture destinées aux Premières Nations des Prairies confrontées à la famine. Les Autochtones étaient coincés dans les réserves imposées par le gouvernement, et dont ils ne pouvaient sortir sans la permission d’un agent fédéral. L’objectif était simple : forcer les Autochtones à signer des traités et « consentir » à la relocalisation dans des réserves loin du chemin de fer. Conséquemment, entre 1880 et 1885, la population des Premières Nations des Prairies a chuté de 32 000 à 20 000.

À la Chambre des communes, Macdonald n’a pas hésité à saluer le travail des fonctionnaires pour maintenir les populations autochtones dans des conditions de famine. En 1880, il a déclaré :

« Nous étions obligés de leur trouver de la nourriture. Dans certains cas, peut-être, les Indiens ont été nourris alors qu’ils n’étaient peut-être pas dans une situation extrême de faim ou de famine, et j’ose dire qu’il y a eu des cas de contrainte; mais pour autant que je sache, les officiers ont exercé une surveillance adéquate sur l’approvisionnement en nourriture. Je dois dire, cependant, que c’était une chose dangereuse de commencer le système d’alimentation des Indiens. Tant qu’ils savent qu’ils peuvent compter, ou croient pouvoir compter, sur n’importe quelle source de nourriture, ils ne font aucun effort pour subvenir à leurs besoins. Nous devons nous prémunir contre cela, et la seule façon de s’en prémunir est d’être rigide, et même avare, dans la distribution de la nourriture et d’exiger une preuve absolue de famine avant de la distribuer. »

Il se vantait aussi de faire des économies. En 1882, il a dit : « J’ai des raisons de croire que l’ensemble des agents, et je suis sûr que c’est le cas du commissaire, font tout ce qu’ils peuvent, en refusant la nourriture jusqu’à ce que les Indiens soient au bord de la famine pour réduire les dépenses. »

Le nettoyage ethnique s’est poursuivi durant plus d’un siècle avec le « génocide culturel » des pensionnats autochtones que Macdonald a mis en place, et qui visaient à couper les enfants de leur communauté, de leur langue et de leur culture. Il fallait « tuer l’Autochtone dans l’enfant. » En plus des violences directement infligées à des milliers d’enfants, le système aura pour effet de créer un traumatisme intergénérationnel dont les effets sont encore perceptibles à ce jour. 

Mais ce ne sont pas que les Autochtones qui posaient problème pour Macdonald. Étant un membre de l’Ordre d’Orange, une organisation pour la suprématie protestante et anglophone, il défendait l’idée d’une supériorité raciale, menaçant notamment de s’en prendre aux travailleurs d’origine asiatique : « À tout moment, lorsque la législature du Canada le décide, elle peut fermer la porte et dire : plus aucun immigrant ne viendra de Chine; et alors plus aucun immigrant ne viendra, et ceux qui sont dans le pays à ce moment-là disparaîtront rapidement… et il n’y a donc aucune crainte d’une dégradation permanente du pays par une race bâtarde. »

Là encore, le racisme de Macdonald reposait sur la base matérielle de la construction du chemin de fer et le développement du capitalisme canadien. Des travailleurs chinois ont été spécialement amenés pour construire le chemin de fer. Ils étaient payés la moitié du salaire des autres ouvriers tout en constituant la majorité de la main-d’œuvre. Et ils ont dû payer un lourd prix pour ce travail, puisqu’environ un travailleur chinois est mort pour chaque kilomètre de voie ferrée construite. Comme ultime insulte de la part du gouvernement de Macdonald, les travailleurs chinois ont été rayés de l’histoire, alors qu’on les a exclus de la photo au moment où le dernier clou a été enfoncé. Cela montre qu’il y a une histoire que les capitalistes défendent et une autre qu’ils souhaitent effacer. L’héritage de Macdonald consiste à littéralement rayer des gens de l’histoire!

L’hypocrisie bourgeoise

Certains disent qu’il n’est pas juste de faire le procès de Macdonald à partir du jugement sévère du présent. Il faudrait plutôt « mettre en contexte » les monuments historiques, comme l’a dit Valérie Plante. Mais, en fait, même pour l’époque, Macdonald était très réactionnaire. Depuis la Révolution américaine, le Canada était devenu un fort bastion pour les royalistes, colonialistes et autres éléments réactionnaires. 

Il est complètement hypocrite que les dirigeants d’aujourd’hui dénoncent le « saccage historique ». L’histoire canadienne a été écrite par les vainqueurs, et la classe dirigeante est la première à vouloir cacher la vraie histoire derrière de belles statues payées des poches des travailleurs. 

Mais nous ne devons pas non plus être dupes devant les belles paroles de « réconciliation » et la dénonciation du racisme systémique par les Trudeau de ce monde. Macdonald lui-même usait de belles paroles. « Nous devons nous rappeler que [les Autochtones] sont les premiers propriétaires du sol, dont ils ont été dépossédés par la convoitise ou l’ambition de nos ancêtres. », a-t-il dit dans une lettre de 1880, reconnaissant que « les Indiens ont beaucoup souffert de la découverte de l’Amérique et du transfert vers celle-ci d’une importante population blanche. » 

Hier comme aujourd’hui, la reconnaissance hypocrite de l’horreur envers les Autochtones n’arrêtera jamais la classe dirigeante de les sacrifier sur l’autel du profit.

Une horreur sans fin

Le Canada capitaliste s’est construit sur l’annexion de territoires, l’extermination et l’assimilation des Autochtones, sans compter l’oppression des Québécois, francophones et autres couches de la classe ouvrière. Et depuis la fondation du Canada, la classe capitaliste, avec l’aide continue des gouvernements fédéral et provinciaux, a accumulé des milliards de dollars à même le dur labeur de la classe ouvrière exploitée.

Il est temps de mettre fin aux horreurs du système capitaliste. Lutter contre le blanchiment de l’histoire en faisant tomber les statues comme celle de Macdonald est un bon début. Mais pour mettre vraiment fin au racisme, c’est tout l’édifice du capitalisme que nous devons faire tomber.