Désobéissance historique des agents de bord – la direction gaspille une occasion en or

Comment en sommes-nous arrivés là?

  • Joel Bergman
  • ven. 22 août 2025
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10 000 agents de bord ont fait ce qu’aucun autre syndicat n’a osé faire. Ils ont défié un ordre de retour au travail et l’ont vaincu. Il s’agit d’une défaite majeure pour les libéraux de Carney, qui ne pourront plus violer aussi facilement les droits syndicaux à l’avenir. Mais, à la surprise générale, l’entente de principe conclue par la direction maintient le travail non rémunéré et les salaires inférieurs au minimum légal.

Comment en sommes-nous arrivés là?

Défense historique du droit de grève

Les violations du droit de grève sont maintenant monnaie courante au Canada. De plus en plus, les gouvernements provinciaux et fédéral légifèrent simplement pour mettre fin aux grèves qu’ils considèrent comme trop dérangeantes.

Normalement, cela prend la forme de lois proposées au parlement (fédéral ou provincial), où le gouvernement doit justifier la violation du droit de grève et obtenir suffisamment de votes pour faire adopter la loi. Ce fut le cas en 2011 avec les postiers et les employés d’Air Canada, en 2015 avec les cheminots du CN, puis en 2018 avec les postiers à nouveau.

Mais l’an dernier, les libéraux de Trudeau se sont retrouvés dans de beaux draps. Ils formaient un gouvernement minoritaire, soutenu par le NPD, un parti auquel la plupart des grands syndicats sont affiliés. C’est pourquoi ils ont ressorti un passage obscur rarement utilisé du Code du travail : l’article 107.

En utilisant cet outil, le gouvernement a pu mettre fin à une grève sans débat ni vote au parlement! Cela a également permis au NPD de sauver la face car il a pu continuer à soutenir le gouvernement sans avoir à voter techniquement en faveur de la violation du droit de grève.

En tout et pour tout, les libéraux de Trudeau ont invoqué l’article 107 contre sept syndicats différents pour mettre fin aux grèves des cheminots, des postiers et des débardeurs.

Mais cette violation flagrante du droit de grève a eu pour conséquence que les employeurs n’ont plus aucune raison de négocier de bonne foi. Comme l’a confirmé Michael Rousseau, PDG d’Air Canada, dans une entrevue accordée à Bloomberg : « Nous pensions, bien évidemment, que l’article 107 serait appliqué. »

Et il avait raison. Mark Carney a poursuivi la tradition et, après seulement 12 heures de grève, il a invoqué l’article 107 pour ordonner le retour au travail des agents de bord.

Chaque fois que cette mesure a été utilisée par le passé, les dirigeants syndicaux ont cédé et ordonné aux travailleurs de reprendre le travail. Cette fois-ci, ils ont défié l’ordre et ont dit aux travailleurs de rester en grève.

Comme l’a affirmé à juste titre le syndicat dans une publication sur Facebook : « Lorsque les lois protègent les profits colossaux au détriment des travailleurs, la désobéissance est nécessaire. » 

Comme nous l’avons expliqué 1000 fois, ultimement la loi n’est qu’un bout de papier. Le véritable pouvoir se décide dans la rue. Et lorsque les travailleurs se mobilisent, aucune loi oppressive ne peut leur résister.

L’importance de ce fait ne saurait être surestimée. Un pas énorme dans la bonne direction a été franchi. En prenant cette décision, les agents de bord ont fait référence à la courageuse résistance des travailleurs de l’éducation de l’Ontario, qui avaient également défait une loi de retour au travail en 2022. Désormais, chaque fois que le droit de grève sera violé, cette prise de position courageuse des agents de bord d’Air Canada montrera clairement la voie à suivre.

Une fois que le syndicat a défié la loi, il était clair pour tout le monde que si le gouvernement tentait d’imposer son ordre absurde par des amendes et des arrestations, cela reviendrait à jeter de l’huile sur le feu.

Il a donc choisi une autre méthode pour mettre fin à la grève.

Mettre fin à la grève

Lundi, la direction syndicale a annoncé qu’Air Canada l’avait contactée et qu’elle retournait à la table des négociations.

Aux petites heures du matin mardi, la direction syndicale a annoncé que la grève était terminée et qu’un accord de principe avait été conclu à la table des négociations. La réaction initiale quasi-unanime a été jubilatoire. Plusieurs dirigeants du SCFP, comme Candace Rennick (secrétaire-trésorière nationale), ont déclaré que « LE TRAVAIL NON RÉMUNÉRÉ EST TERMINÉ ».

Toutefois, depuis, les détails de l’offre réelle ont été révélés.

La première chose à remarquer est que le travail non rémunéré n’est pas terminé, loin de là.

Les agents de bord ne toucheront que 50% de leur taux horaire, pour la première heure précédant le décollage. La majeure partie du temps non rémunéré consacré à d’autres tâches et aux escales restera non rémunéré. Nous devons souligner qu’il s’agit exactement de ce qui figurait dans l’offre initiale avant la grève. Le seul changement est que ce pourcentage passera à 70% après quatre ans.

Étant donné que la ministre de l’Emploi, Patty Hajdu, a déclaré que le travail non rémunéré constituait une violation du Code du travail et qu’une enquête serait menée à ce sujet, il est ahurissant que le syndicat accepte moins que 100% du salaire pour 100% du temps travaillé.

L’autre question en suspens concerne les salaires. Selon le syndicat, l’offre initiale était de 17,2% sur quatre ans. Le syndicat a justifié son rejet en affirmant que « même avec la “meilleure offre” qu’Air Canada puisse faire, les agents de bord débutants travaillant à temps plein chez Air Canada gagneront toujours moins que le salaire minimum fédéral ».

Dans la nouvelle offre, les salaires des débutants seront augmentés de 20,26% au total sur les quatre années du contrat. Bien qu’il s’agisse d’une augmentation qui n’aurait pas été obtenue sans la grève, cela maintient tout de même les salaires des agents de bord débutants en dessous du salaire minimum.

Pour les employés plus anciens, l’augmentation salariale sera de 16,26% sur les quatre années du contrat. Ces augmentations salariales ne compensent guère l’érosion massive des salaires qui s’est produite au cours des 25 dernières années, marquées par une inflation de 69% alors que les salaires des agents de bord n’ont augmenté que de 10%.

Le bilan de cette lutte est contradictoire. Si le rejet de l’ordre de retour au travail constitue une avancée historique dans la lutte des classes au Canada, les travailleurs sont désormais confrontés à une situation dans laquelle leurs dirigeants recommandent un contrat qui n’est pas très différent de celui qui était sur la table avant la grève. Ce n’est pas pour cela que les travailleurs se sont battus.

Rien d’inévitable

Selon des témoignages d’agents de bord qui ont participé à la réunion Zoom du syndicat mardi, le moral des troupes est « au plus bas ». Certains ont déclaré se sentir trahis par leurs dirigeants.

Cela nous enseigne quelques leçons précieuses que le mouvement syndical va devoir apprendre à la dure. Les négociations ne devraient pas être menées en secret, à l’insu des membres, puis présentées comme un fait accompli après que les troupes aient été retirées du champ de bataille.

Comme cette méthode de négociation secrète est très courante, les travailleurs devraient exiger qu’un comité de la base soit élu pour participer aux réunions du comité de négociation afin de se prémunir contre les mauvaises ententes conclues en coulisses. Nous devons défendre le principe de la négociation ouverte. Les membres ont le droit de savoir ce qui se passe et le droit de donner leur avis sur toutes les décisions importantes.

Bien que les dirigeants affirment avoir « défendu notre droit de voter sur le contrat », cela ne signifie pas grand-chose. En effet, lorsque les agents de bord ont demandé lors de la réunion en ligne sur Zoom s’ils reprendraient la grève s’ils rejetaient l’entente, les dirigeants ont répondu catégoriquement « non, absolument pas ». Cela n’est pas une véritable démocratie. Cela n’est pas un véritable choix.

Malheureusement, beaucoup de travailleurs ont déjà vécu la même chose. Des débardeurs de Vancouver aux travailleurs de l’AFPC en passant par les travailleurs de l’éducation de l’Ontario, il est devenu courant que les dirigeants présentent une mauvaise entente de principe comme un fait accompli, que les travailleurs n’ont d’autre choix que d’approuver.

Il ne serait donc pas surprenant qu’une majorité vote en faveur de cette entente, non pas parce qu’elle en est satisfaite, mais parce qu’elle ne voit pas d’autre issue.

Nous sommes au début d’un long processus de renouveau du mouvement syndical au Canada. La colère grandissante qui monte de la base met à l’épreuve les anciens dirigeants qui ont grandi à une époque de paix sociale relative. Dans ce processus, les dirigeants seront poussés à agir ou écartés, et des dirigeants plus combatifs, qui lutteront véritablement pour les intérêts des travailleurs, prendront le devant de la scène.

En tant que révolutionnaires, notre tâche consiste à accélérer ce processus et à aider les couches les plus larges de travailleurs combatifs à tirer les leçons de ces événements.

Comme nous l’avons écrit dans notre Manifeste adopté lors de notre congrès fondateur l’année dernière :

« Le PCR a pour objectif d’amener toutes les couches de la classe ouvrière dans la lutte, autant les travailleurs syndiqués que les non-syndiqués. Nous serons là, bras dessus, bras dessous, avec les travailleurs dans leurs luttes quotidiennes, partout. Nous nous battrons bec et ongles pour chaque gain qui puisse rendre la vie plus supportable sous ce système pourri. Mais ce qui nous distingue, c’est qu’à chaque étape, nous expliquerons que le système capitaliste est la cause première du calvaire des travailleurs – que pour vaincre définitivement les attaques des cupides patrons, les travailleurs doivent être les maîtres de la société.

« C’est avec ces méthodes que le communisme se frayera un chemin vers la masse de la classe ouvrière et ses organisations. Seule une direction révolutionnaire peut réarmer le mouvement ouvrier et en faire une force combative. »