Au premier tour de l’élection présidentielle française, qui avait lieu hier, le président sortrant Emmanuel Macron est arrivé en tête, suivi de la candidate d’extrême droite Marine Le Pen. Jean-Luc Mélenchon, le candidat de la gauche à la tête de la France insoumise, se retrouve à un cheveu derrière Le Pen. Cela signifie que le deuxième tour sera une répétition de la confrontation Macron-Le Pen de 2017. Comme à l’époque, des gens à gauche appellent à voter Macron pour battre Le Pen. Dans cet éditorial, nos camarades français du journal Révolution répondent à cette idée et présentent leur analyse des élections.


Le résultat du premier tour de l’élection présidentielle est conforme à ce que la Macronie souhaitait et préparait de longue date. En 2017, Macron recueillait 66 % des voix face à Le Pen, au deuxième tour. Des millions d’électeurs ayant voté Mélenchon ou Hamon, au premier tour, s’étaient mobilisés au deuxième pour « faire barrage à l’extrême droite ». Depuis cinq ans, le chef de l’Etat vise la répétition de ce scénario.

Ce soir, il peut se dire : « jusqu’ici tout va bien ». Et pendant deux semaines, il va s’efforcer d’incarner le rôle du candidat modéré, tolérant, humaniste, etc. – face à la démagogie réactionnaire, raciste et nationaliste de Marine Le Pen. Dans cette tâche, Macron sera aidé par le vaste concert des dirigeants « de gauche » qui, après avoir savonné la planche de Mélenchon, volent au secours de la République en appelant solennellement à « battre Le Pen ».

Il est possible que cela fonctionne, mais ce n’est pas du tout certain. Les sondages annoncent un résultat beaucoup plus serré qu’en 2017. Et pour cause : depuis 2017, le candidat du « barrage contre l’extrême droite » a mené une politique extrêmement réactionnaire, anti-sociale, pro-capitaliste – extrêmement de droite, pour ainsi dire, y compris en matière de démagogie raciste. Sa réputation de « barrage contre l’extrême droite » en a pris un sacré coup. En conséquence, le nombre d’électeurs de gauche qui s’abstiendront, au deuxième tour, sera plus élevé qu’en 2017. Par ailleurs, Le Pen captera les voix d’une large fraction des électeurs de Pécresse et Zemmour. Enfin, pour tenter de mobiliser les abstentionnistes du premier tour (et même des électeurs de gauche), la dirigeante du RN fustigera le catastrophique bilan social du mandat de Macron. Compte tenu de la détestation dont Macron est l’objet dans les couches les plus exploitées et opprimées de la population, il n’est pas impossible que Le Pen parvienne à ses fins.

Contre le « front républicain » !

Révolution n’avait pas appelé à voter pour Chirac en 2002 (face à Le Pen père), pour Macron en 2017 (face à Le Pen fille) – et n’appelle pas à voter pour le Président sortant, dans deux semaines. Le soi-disant « front républicain », auquel nous convoquent nombre de dirigeants « de gauche », est une lamentable politique de collaboration de classes. Au lieu de mobiliser la jeunesse et les travailleurs dans une lutte sérieuse contre l’ensemble des forces réactionnaires (LREM comprise), les appels à voter Macron jettent la confusion, brouillent les lignes de classe, démobilisent notre camp – bref, renforcent nos adversaires.

Bien sûr, Marine Le Pen est une ennemie de notre classe. Son parti et sa base de soutien grouillent d’éléments ultra-réactionnaires qui rêvent de « régler leurs comptes » aux immigrés et aux militants de gauche. Derrière le masque rieur de la politicienne « apaisée », la cervelle de Marine Le Pen est truffée de préjugés racistes, sexistes, et autres déchets semi-féodaux. Mais ce qu’il y a dans sa cervelle – et dans celle de ses partisans les plus radicaux – est une chose ; autre chose est le rapport de force réel entre les classes.

Ce rapport de forces exclut totalement la possibilité d’une dictature bonapartiste, à court terme, sans parler d’un régime fasciste. A ceux qui proclament l’imminence du fascisme, rappelons qu’un tel régime signifie la destruction pure et simple de toutes les organisations du mouvement ouvrier. Pour prétendre qu’un tel danger existe, en France, il faut en observer la situation politique et sociale à partir d’une planète très éloignée de la nôtre.

Ces cinq dernières années, le mouvement des Gilets jaunes et d’autres mobilisations massives ont donné une indication de la puissance collective de notre classe, dès lors qu’elle se met en mouvement. Cette puissance collective, d’ailleurs, se serait manifestée d’une façon beaucoup plus nette si elle n’avait pas été systématiquement entravée par la passivité, la modération et les trahisons des dirigeants officiels du mouvement ouvrier, à commencer par les dirigeants syndicaux. N’oublions pas l’attitude scandaleuse de Laurent Berger (CFDT) – cet agent conscient du patronat au sein du mouvement syndical – face à l’éruption volcanique des Gilets jaunes, en 2018. Mais n’oublions, pas non plus, l’attitude à peine meilleure de Philippe Martinez (CGT) à la même époque. Le mouvement des Gilets jaunes était une mobilisation explosive et spontanée des couches les plus profondes de notre classe. Il ouvrait la possibilité de renverser le gouvernement Macron, à une condition : que les dirigeants de la gauche et du mouvement syndical saisissent cette occasion. Le moins qu’on puisse dire est qu’ils ne l’ont pas saisie. En fait, ils l’ont repoussée de toutes leurs forces.

Si Marine Le Pen remporte l’élection, elle devra tenter de faire des alliances avec une partie de la droite pour trouver une majorité à l’Assemblée nationale. En supposant qu’elle y parvienne, elle mettra à l’ordre du jour le type de politique réactionnaire dont la bourgeoisie française a besoin, une politique anti-sociale, anti-ouvrière, pro-capitaliste, une politique de contre-réformes drastiques – en un mot : une politique macroniste. Pour animer la démagogie raciste du gouvernement, elle n’aurait même pas besoin de changer l’actuel ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin : il fait parfaitement l’affaire.

L’élection de Marine Le Pen ne sonnerait pas le début d’une dictature bonapartiste. Par contre, elle parachèverait la « normalisation » de Marine Le Pen, sa transformation officielle en une banale politicienne bourgeoise qui, dans la défense des intérêts du grand patronat, est obligée de tenir compte du rapport de forces entre les classes. Elle ne jetterait pas en prison les dirigeants syndicaux ; elle les inviterait à l’Elysée pour une « Conférence sociale », comme l’a fait Macron, et leur servirait même des petits fours, comme c’est l’usage au moment de « négocier » la régression sociale avec les directions syndicales.

La défaite de Mélenchon

Nous reviendrons plus tard, dans le détail, sur les causes et les conséquences de la défaite de Jean-Luc Mélenchon, auquel Révolution a apporté un soutien critique. Ici, soulignons simplement que les causes de cette défaite sont à chercher non seulement du côté de la direction de la France insoumise, de sa politique au cours des cinq dernières années, mais aussi du côté des directions des autres partis de gauche. Chacune à leur manière, les candidatures du PS, des Verts, du PCF, du NPA et de Lutte Ouvrière ont contribué à cette défaite. Enfin, n’oublions pas la responsabilité des directions syndicales. Au nom de « l’indépendance syndicale » (cette hypocrisie notoire), elles n’ont pas levé le petit doigt pour tenter de mobiliser les travailleurs autour de la seule candidature susceptible de battre Macron et Le Pen, à savoir celle de Mélenchon.

Si la droite et l’extrême droite sont très largement majoritaires dans les urnes, aujourd’hui, ce n’est pas parce que la classe ouvrière a soif de contre-réformes et de régression sociale. C’est parce que les dirigeants officiels de notre classe – tous, sans exception – ont été incapables d’orienter la colère et la frustration des masses, qui ne cessent de croitre, vers une victoire électorale de la gauche. Le problème fondamental est là, et nulle part ailleurs. C’est donc à ce problème qu’il faut s’attaquer, car il va se poser de nouveau dans les années à venir – non seulement sur le plan électoral, mais aussi et d’abord sur le plan des luttes sociales.

Quelle que soit la composition du prochain gouvernement, qu’il soit présidé par Le Pen ou Macron, de grandes luttes seront à l’ordre du jour. Les jeunes et les travailleurs ne se laisseront pas dépouiller sans mot dire. Aux sceptiques et cyniques professionnels qui, ce soir, se lamentent sur le soi-disant « faible niveau de conscience » des travailleurs, ceux-ci répondront, tôt ou tard, par de puissantes mobilisations sociales. Nous n’avons pas le moindre doute là-dessus. Mais dans le même temps, nous savons que la classe ouvrière ne peut pas prendre le pouvoir et en finir avec la source de tous ses maux, le système capitaliste, sans disposer d’un parti révolutionnaire, d’un parti déterminé à engager la transformation socialiste de la société. C’est à la construction de tels partis qu’est engagée – en France et ailleurs – la Tendance Marxiste Internationale. Pour nous aider dans cette tâche urgente et indispensable, rejoignez-nous !