Grève historique des enseignants en Alberta

Toute cette saga démontre ce que les marxistes ont toujours expliqué : la faiblesse invite à l’agression.
  • Laine Sheldon-Houle
  • jeu. 13 nov. 2025
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Rassemblement en soutien à la grève des enseignants, le 5 octobre dernier. Photo : @apaulagetics, X

Le 27 octobre, le Parti conservateur uni (PCU) de l’Alberta a mené l’une des attaques les plus sévères contre le mouvement syndical que nous ayons jamais vues. Danielle Smith a fait adopter précipitamment sa Loi sur le retour à l’école (projet de loi 2), qui retire le droit de grève à 51 000 enseignants et met fin à une grève qui durait depuis trois semaines. Elle a également utilisé la clause dérogatoire pour contourner le droit à la négociation collective protégé par la constitution, leur imposant un contrat pour les quatre prochaines années.

La direction de l’Association des enseignants de l’Alberta (ATA) a réagi le lendemain matin en déclarant : « Cette loi est une violation flagrante des principes fondamentaux de la négociation collective. » Cependant, elle n’a pas appelé à défier cette attaque éhontée et a déclaré : « [le syndicat] prévoit que les classes reprendront le mercredi 29 octobre. »

Le résultat de cette saga sera un avenir où l’éducation publique en Alberta se dégradera à des niveaux inimaginables. Des enseignants vont quitter la profession, les enfants vont souffrir, et la vie des gens ordinaires va empirer.

Dans son communiqué de presse, l’ATA explique qu’elle « utilisera toutes les solutions légales pour contester l’assaut éhonté de la Loi 2 sur le droit à la négociation collective des enseignants et, par extension, de tous les travailleurs ». Elle ajoute : « Dans cet effort, nous anticipons que nous serons soutenus par le mouvement syndical, la société civile et les citoyens ordinaires. Ce combat ne fait que commencer. »

Pour les enseignants, cela doit ressembler à une cruelle plaisanterie. Il n’y a aucun moyen de contester cette loi. La fonction de la clause dérogatoire est précisément de brimer les droits garantis par la Charte, protégeant ainsi la loi contre tout recours juridique. Le résultat est donc que Smith a pu violer les droits syndicaux, créant un dangereux précédent. En d’autres termes, il s’agit d’une défaite.

Il ne fallait pas reculer

Cette défaite n’était pas inévitable. Les enseignants, appuyés par l’ensemble du mouvement syndical, auraient pu riposter et gagner.

Le 23 octobre, plus de 30 000 personnes s’étaient rassemblées à Edmonton pour soutenir les enseignants, soit la plus grande manifestation de l’histoire de la province. La population était clairement derrière les enseignants. L’humeur des enseignants lors du rassemblement était à la colère et ils étaient prêts à défier toute tentative de leur retirer le droit de grève.

Le Front commun, une alliance de la plupart des syndicats de l’Alberta représentant plus de 300 000 travailleurs, s’était positionné en défense des enseignants et du droit de grève. Même la députée néodémocrate Heather MacPherson a dit à l’auteur de cet article : « S’ils invoquent la clause dérogatoire, il devrait y avoir une grève générale ».

De plus, des précédents récents montrent comment vaincre ces attaques. D’abord, les travailleurs de l’éducation de l’Ontario syndiqués avec le SCFP ont défié une loi de retour au travail imposée par Doug Ford en utilisant la clause dérogatoire en 2022. Le mouvement syndical au complet a menacé de lancer une grève générale et Ford a été forcé de reculer.

Plus récemment, en août de cette année, les agents de bord d’Air Canada ont défié un ordre de retour au travail du ministre fédéral, démontrant en pratique que ces lois ne valent rien lorsque la classe ouvrière passe à l’action.

La faiblesse invite à l’agression

Durant toute cette grève, la direction de l’ATA a évité la confrontation. Le fait est que les enseignants de la base ont entraîné les dirigeants syndicaux dans la grève, rejetant deux ententes de principe à près de 90%. Une fois la grève commencée, les dirigeants de l’ATA se sont même abstenus d’organiser des piquets de grève, réduisant l’efficacité de la grève et sapant la participation et l’énergie de la base.

De son côté, le président de la Fédération du travail de l’Alberta et président du Front commun, Gil McGowan, a menacé le gouvernement Smith. « N’osez surtout pas appuyer sur le bouton de la clause dérogatoire, a-t-il dit. Une action sans précédent va provoquer une réponse sans précédent de notre mouvement syndical. »

Dans une entrevue le 27 octobre, McGowan a mentionné la lutte du SCFP en Ontario, où la clause dérogatoire avait été retirée parce que le mouvement syndical avait menacé de lancer une grève générale. Face à une situation identique, McGowan avait une formule toute prête et un rôle à jouer. Le Front commun devait lancer une grève générale au moment même où la loi était adoptée et la clause dérogatoire invoquée.

Mais Danielle Smith a exposé au grand jour le bluff de McGowan et des dirigeants syndicaux, et la grève générale ne s’est pas matérialisée.

Au lieu de cela, McGowan et le Front commun se sont contentés de vagues insinuations, ils ont discuté, discuté à nouveau, et sont probablement encore en train de discuter.

L’atmosphère il y a seulement quelques jours était électrique. Les enseignants scandaient « Défions! Défions! » lors des manifestations. Déjà, cette atmosphère se transforme en déception et en démoralisation.

La menace d’une grève générale s’évapore rapidement. Comment le mouvement syndical va-t-il organiser une grève générale pour le droit de grève des enseignants, alors que le syndicat est déjà battu?

Toute cette saga démontre quelque chose que les marxistes ont toujours expliqué : la faiblesse invite à l’agression.

Les dirigeants syndicaux indécis ont prouvé à Smith et au PCU qu’en fin de compte, ils n’étaient pas prêts à passer de la parole aux actes. Plus ils montraient de faiblesse, plus la classe dirigeante se sentait encouragée à attaquer les syndicats, éliminant ainsi un obstacle à leurs profits.

Le résultat sera que Smith et son gouvernement seront encouragés à passer à l’offensive.

Les dirigeants des factions d’extrême droite du PCU ont déjà l’écume à la bouche, réclamant que le PCU adopte le « droit au travail » et rende les cotisations syndicales facultatives, des mesures que le PCU avait évoquées lors de son congrès.

Cette défaite place le reste du mouvement syndical sur la défensive et les travailleurs devront mener une lutte acharnée pour défendre leurs droits et leurs organisations dans la période à venir. Si le PCU peut imposer sa volonté au syndicat le plus fort de la province, il sera encouragé à essayer d’imposer la même médecine à tous les autres syndicats.

Ces événements montrent également pourquoi nous avons besoin d’un leadership communiste au sein du mouvement syndical. Gil McGowan et Jason Schilling font de beaux discours sur les agents de bord d’Air Canada, les événements de 2022 en Ontario et le mouvement de masse « Operation solidarity » de 1983 en Colombie-Britannique, mais les bottines ne suivent pas les babines.

Nous sommes dans une guerre de classe. Aujourd’hui, la classe dirigeante nous fait payer la crise du capitalisme en détruisant l’éducation publique; demain, ce sera autre chose. Nous devons raviver les traditions révolutionnaires du mouvement syndical canadien.

C’est ce pour quoi lutte le Parti communiste révolutionnaire. La grève des enseignants est terminée, mais de grandes luttes de classe se profilent à l’horizon.


Un enseignant anonyme rapporte que « la majorité d’entre nous était et est prête à défier »

La page Instagram du PCR à Edmonton a produit de nombreuses vidéos analysant la grève des enseignants de l’Alberta au cours du mois d’octobre. Elles sont devenues virales et ont ainsi attiré l’attention des enseignants eux-mêmes. L’un d’entre eux nous a écrit le message suivant. 

Je suis enseignant et lors de la réunion d’hier soir, Schilling a utilisé les mots suivants pour justifier la suppression de mes droits fondamentaux : « Je sais que c’est un peu poche, mais… ». Les enseignants ont été abandonnés, tout comme nos élèves. La majorité d’entre nous était et reste prête à défier cette décision. 

C’était déchirant. De nombreux enseignants ont demandé pourquoi on ne nous laissait pas voter sur la désobéissance, et on nous a répondu que cela coûterait trop cher et que la désobéissance était illégale. 

Schilling a également déclaré que le « côté positif » était que « nous avons fait avancer le débat sur l’éducation dans la province ». 

Beaucoup de mes collègues et moi-même avons envoyé des courriels la semaine dernière pour demander que nous votions sur la désobéissance, mais personne n’a même répondu à nos courriels. 

Le message est qu’on se moque de nous. Ils ont dit qu’ils pourraient essayer de contester la décision devant les tribunaux et que peut-être, dans cinq ans, nous gagnerions devant la Cour suprême. Ils n’ont cessé de parler de la création de groupes de travail inutiles et de « victoires énormes » pour nous.


Débrayage des élèves du secondaire de l’Alberta en appui aux enseignants

Le 30 octobre, soit le jour suivant la reprise des classes, des milliers d’élèves du secondaire en Alberta ont débrayé pour soutenir leurs enseignants.

Des milliers d’élèves ont manifesté à Edmonton et à Calgary. Mais les débrayages ont également touché l’ensemble de la province. Des élèves de plus de 70 écoles à travers l’Alberta ont quitté leurs cours. Parmi eux, il y avait 120 élèves de la petite ville montagnarde de Canmore, ainsi que des élèves de Grande Prairie, Lethbridge, Fort McMurray et Red Deer.

Lors de l’un de ces débrayages, un élève a résumé la crise dans les écoles : « On est tassés comme des sardines. » Un autre a déclaré : « Sous le gouvernement [Smith], personne ne compte. » Et un autre a résumé la situation ainsi : « S’ils utilisent la clause dérogatoire pour renverser les droits des enseignants, on ne sait pas quand ils s’en serviront encore. C’est une démonstration de pouvoir de la part du gouvernement. »

Les élèves comprennent mieux que quiconque l’importance de la grève des enseignants. Mais ces débrayages ne démontrent pas seulement le soutien qui existe pour les enseignants. Ils sont symptomatiques de la politisation et la radicalisation des jeunes à laquelle on assiste.