Italie : la victoire de Meloni et la tempête à venir

La récente victoire électorale de la coalition des droites menée par le parti Fratelli d’Italia (FdI), de Giorgia Meloni, suscite à gauche toutes sortes de réactions pessimistes et affolées. Sans minimiser le caractère réactionnaire du nouveau gouvernement italien, disons-le d’emblée : non, le fascisme n’est pas aux portes du pouvoir – et non, la société italienne n’a pas massivement « viré à droite ».

  • Gabriel V.
  • mar. 18 oct. 2022
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La récente victoire électorale de la coalition des droites menée par le parti Fratelli d’Italia (FdI), de Giorgia Meloni, suscite à gauche toutes sortes de réactions pessimistes et affolées. Sans minimiser le caractère réactionnaire du nouveau gouvernement italien, disons-le d’emblée : non, le fascisme n’est pas aux portes du pouvoir – et non, la société italienne n’a pas massivement « viré à droite ».

Les résultats de l’élection

Depuis les élections de 2018, le bloc des partis de droite a à peine progressé : il est passé de 12,16 à 12,30 millions de voix. La percée de FdI s’est faite au détriment de la Lega de Matteo Salvini. La Lega était sortie victorieuse du scrutin, il y a quatre ans, mais son passage au pouvoir – sur fond de crise – l’a rapidement discréditée. De son côté, Meloni a bénéficié de son statut de seule opposante au gouvernement d’« union nationale » de Mario Draghi.

Les populistes du Mouvement cinq étoiles (M5S) – autres vainqueurs de 2018 – ont perdu six de leurs dix millions d’électeurs, après avoir renié les promesses démagogiques de leur programme « anti-système ». Si le M5S demeure le premier parti dans les couches les plus pauvres de la population, le vote contestataire a largement cédé la place à l’abstention. Celle-ci a atteint le niveau record de 36 % au plan national, et approche les 50 % dans les régions les plus pauvres du Sud (Calabre, Campanie). Jusqu’aux années 1980, en Italie, plus de 90 % des électeurs se rendaient aux urnes, habituellement.

Le Parti Démocrate – qui a participé, lui aussi, au gouvernement Draghi – a perdu près de 800 000 voix. L’absence d’une alternative sérieuse et crédible, à gauche, a laissé le champ libre à la droite la plus dure, sur le plan électoral. Pourtant, selon une enquête menée par l’agence Edelman, 61 % des Italiens estimaient, fin 2019, que le capitalisme causait plus de mal que de bien, dans le monde.

Meloni au pouvoir

L’Italie n’est pas sur le point de sombrer dans le fascisme. Certes, des membres de FdI cultivent la nostalgie de l’ère mussolinienne. Mais Meloni ne dispose pas des cohortes de petits-bourgeois enragés – et armés – qui formaient la base du fascisme, au début des années 1920. En fait, le poids de cette couche sociale n’a cessé de fondre depuis un siècle. Par ailleurs, Meloni n’arrive pas au pouvoir dans le contexte d’une classe ouvrière démoralisée après deux années de révolution manquée (le Biennio Rosso de 1919-1920).

Ce qui attend l’Italie n’est pas l’établissement d’un pouvoir totalitaire (avec interdiction des partis de gauche et des syndicats), ni une politique de déportations de masse, mais une série de contre-réformes et d’attaques contre les couches les plus vulnérables de la société. Meloni a déjà annoncé la couleur : elle s’en prendra au droit du travail, aux acquis sociaux, aux immigrés et à tout ce qui contredit à sa conception médiévale de la famille.

Mais ces provocations rencontreront une résistance massive, tôt ou tard. L’automne dernier, l’attaque d’un groupuscule d’extrême droite contre le siège de la CGIL – l’équivalent de la CGT française – avait provoqué une manifestation de plusieurs centaines de milliers de personnes dans les rues de Rome. Tel est le véritable rapport de forces entre les travailleurs et la réaction. Quant à la jeunesse italienne, elle s’est politisée à travers les luttes pour l’environnement, contre le racisme, pour les droits des femmes et des LGBT. Elle n’attend qu’un signal pour renouer avec les grandes traditions militantes du mouvement lycéen et étudiant italien.

La tempête à venir

La polarisation politique et l’instabilité croissante, en Italie, ne sont pas tombées du ciel. Elles découlent de la crise mondiale du capitalisme, qui a violemment frappé cette puissance industrielle en déclin. Alors que la dette publique dépasse les 150 % du PIB, le nouveau gouvernement, qui a prêté allégeance à la Confindustria (le syndicat patronal), devra engager de nouvelles coupes budgétaires, c’est-à-dire attaquer une classe ouvrière déjà saignée à blanc par l’inflation (9 % en septembre).

Dans les décennies qui ont suivi la Deuxième Guerre mondiale, les travailleurs de ce pays ont été trahis par les dirigeants de l’ancien Parti Communiste Italien, qui était le plus puissant PC d’Europe occidentale. La classe ouvrière a subi d’innombrables attaques contre ses conditions de vie. Elle a accumulé les frustrations. Tôt ou tard, sa colère trouvera une expression offensive. Comme le montrent la révolte populaire en Iran et les grèves massives au Royaume-Uni, même les classes ouvrières qui semblent les plus passives et les plus résignées finissent par entrer dans l’arène de la lutte.

Le front électoral étant bloqué, la lutte se développera dans les entreprises et dans la rue. Cet été, à Trieste, les travailleurs de l’entreprise Wartsila ont mené une lutte courageuse contre un projet de fermeture de leur usine. Le mouvement de solidarité des travailleurs du port de Trieste a donné un aperçu de ce qui attend l’Italie. La relative popularité de Meloni sera probablement de courte durée.