La classe dirigeante au grand complet s’unit contre les employés de la STM

Les travailleurs de la STM affrontent une offensive coordonnée de la classe dirigeante et du gouvernement Legault, qui cherchent à briser leur grève et à restreindre le droit de grève à travers la loi 14. Leur lutte dépasse la STM : c’est celle de tous les travailleurs contre des décennies d’austérité et de sous-financement du transport public.
  • Simon Berger
  • jeu. 13 nov. 2025
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Piquet de grève devant une station de métro. Photo : CSN

La grève des employés de la STM a donné lieu à un véritable barrage d’attaques antisyndicales, comme on n’en a rarement vu dans la dernière période. Toute la classe dirigeante, ses partis et ses voix dans les médias se sont rangés derrière le patronat. 

À l’heure d’écrire ces lignes, les employés d’entretien viennent de déclarer que leur grève est suspendue, sous les menaces du ministre Boulet. La grève des chauffeurs, elle, est maintenue pour les 15-16 novembre.

Ces grèves sont historiques. Les chauffeurs n’ont pas fait grève depuis 38 ans, tandis que la dernière grève des employés de l’entretien date de 2007. Les employés de bureau qui entrent en grève le 19 novembre le feront pour la première fois de leur histoire. Ce que tout ce battage médiatique et politique cache, c’est la détérioration du service et des conditions de travail contre laquelle les travailleurs luttent. Et toute la classe ouvrière a intérêt à les soutenir.

Prise d’otage!

Les conseils patronaux, le ministre du Travail Jean Boulet, la nouvelle mairesse Soraya Martinez Ferrada, PSPP et Éric Duhaime se sont tous exprimés d’une seule voix : ils ont accusé les syndicats de « prendre en otage » la population. Tels des parangons de vertu, ils ont affirmé défendre les usagers et en particulier les plus vulnérables.

« Les plus vulnérables sont pris en otage par cette situation critique. », affirmait le président du Conseil du Patronat.

L’hypocrisie d’une telle position est incroyable. 365 jours par année, ces riches et ces politiciens à cravate se foutent des pauvres et des mal pris, et c’est maintenant en leur nom qu’ils appellent à la fin de la grève? Le seul moment où ils s’en préoccupent, c’est pour les retourner contre d’autres travailleurs.

La PDG de la Chambre de commerce du Montréal métropolitain a, quant à elle, demandé au gouvernement d’agir « à une époque où, d’un point de vue géopolitique, nous sommes nombreux à ne pas savoir si nous aurons encore un emploi le lendemain ». Elle ne parle certainement pas d’elle-même.

Ce concert d’accusations hypocrites visait en fait à produire le consentement nécessaire pour que le gouvernement brise la grève. Le 5 novembre, la Chambre de commerce du Montréal métropolitain, le Conseil du patronat et d’autres associations patronales ont demandé ouvertement à ce que le ministre Jean Boulet accélère la mise en place de sa loi 14, qui permettrait au gouvernement de mettre fin à des grèves par décret. 

Le ministre du Travail s’est pressé d’acquiescer : il a promis de faire tout ce qu’il pouvait pour accélérer l’entrée en vigueur de la loi. 

Le PQ s’est alors joint au délire. Auparavant, alors que les paroles ne l’engageaient à rien, ce parti se disait opposé à la loi 14, puisqu’elle permet aux employeurs de refuser de négocier en attendant un décret gouvernemental. Mais le masque est maintenant tombé : « la prise d’otage a assez duré », écrivait PSPP sur X. Il a affirmé que le PQ ferait « tout ce qui est en [son] pouvoir pour collaborer avec les autres partis pour mettre fin à ce conflit de travail » (sous-entendu : il soutiendrait l’adoption accélérée de la loi). Il a également demandé à ce que les transports en commun soient désignés comme services essentiels, ce qui est la novlangue voulant dire « abolir le droit de grève ». 

Voilà ce qui nous attend si le Parti québécois prend le pouvoir : un premier ministre qui parle des deux côtés de la bouche en même temps, qui s’affirme du côté des travailleurs en mots, mais qui prend le côté du patronat quand ça compte vraiment.

Seul Québec solidaire s’est opposé à l’entrée en vigueur accélérée de cette loi, et se fait maintenant accuser sur toutes les tribunes d’être le principal coupable des effets de la grève. Quelle révoltante hypocrisie! Ce sont tous les autres partis qui ont été au pouvoir pendant des décennies d’austérité, et qui sont responsables de la détérioration des services. Ils n’ont aucune leçon à donner à QS. En réalité, QS devrait aller encore plus à l’offensive contre ces hypocrites cravatés. C’est une occasion en or de dénoncer fortement la classe dirigeante capitaliste et ses laquais, et notamment d’exposer le caractère de classe du PQ. 

Les vrais responsables

Dans toute cette cacophonie, il est presque impossible de connaître les demandes des employés de la STM.

Les travailleurs ne font pas la grève pour le plaisir, ou par caprice. Ils font face à une offre salariale qui signifierait une baisse réelle de leur salaire, à cause de l’inflation. L’employeur ouvre également la porte à la sous-traitance et à la privatisation, ce qui aurait pour effet de détériorer les services et, à terme, de coûter plus cher. Les patrons veulent également se débarrasser de la garantie de non mise à pied – une conquête importante des travailleurs qui protège contre les coupures de poste et la détérioration des services.

La STM dit avoir les mains liées par ses contraintes budgétaires. Mais pourquoi?

La baisse d’achalandage post-pandémie est beaucoup pointée du doigt comme étant la cause des problèmes financiers de la STM, mais les services de transport sont en fait sous-financés depuis des décennies au Québec. Le gouvernement Bourassa a transféré cette responsabilité sur les municipalités à partir de 1992, dans le contexte d’une période générale d’austérité. Depuis, un cercle vicieux s’est installé : les services de transport en commun ont eu besoin d’augmenter leurs tarifs et de limiter le développement, ce qui a eu pour effet de limiter l’achalandage, et donc les revenus.

Le gouvernement de CAQ a continué ce sous-financement chronique, et a même coupé une partie du financement du transport en commun en 2022. Ces décennies de sous-financement signifient que la STM a aujourd’hui un déficit de plus de 6 milliards de dollars rien que pour entretenir ses infrastructures. 

Pendant ce temps, dans les dernières années, la CAQ a réussi à dilapider presque un demi-milliard (au minimum) avec Northvolt et au moins 250 millions avec Lion électrique. Quand il est question de donner des cadeaux à des entreprises privées, la CAQ ne compte pas. À ça doit aussi s’ajouter le fiasco SAAQclic. Et ce ne sont que quelques exemples. 

Ce sont eux, les responsables de la grève : la CAQ, les gouvernements patronaux des dernières décennies, et les riches hommes d’affaires qu’ils représentent.

La grève de l’entretien suspendue

Malheureusement, face à la pression de l’ensemble de la classe dirigeante, le syndicat des employés d’entretien a suspendu sa grève. Bruno Jeannotte, président du Syndicat du transport de Montréal–CSN, explique : « En suspendant la grève, on veut s’assurer que la loi [14] n’est pas appliquée dès maintenant et on veut continuer d’agir à la table et parvenir à une entente négociée. »

La faute revient bien entendu à la répression du gouvernement. Ils cherchent à casser la grève depuis le début, et ils sont en train de réussir. Mais il faut avouer que la logique du syndicat ne tient pas tout à fait : on arrête la grève… pour ne pas avoir à l’arrêter.

L’idée derrière cette tactique est manifestement d’éviter l’arbitrage obligatoire. Le syndicat a raison de craindre qu’un arbitre ne règlerait pas en sa faveur. Mais l’espoir qu’une entente négociée serait meilleure est bien mal placé. Comme l’explique le syndicat depuis le début du conflit de travail, l’épée de Damoclès de la loi 14 permet à l’employeur de s’asseoir sur ses mains et de refuser de négocier en attendant son entrée en vigueur. 

La faiblesse invite à l’agression. Le recul du syndicat ne fait qu’augmenter la pression contre lui, et diminue les chances d’obtenir une bonne convention collective.

Et maintenant?

Au moment d’écrire ces lignes, la grève des chauffeurs est encore prévue pour le weekend du 15-16 novembre. Les employés de bureau de la STM s’apprêtent eux aussi à faire la grève le mercredi 19 novembre. Comment peuvent-ils faire plier le gouvernement?

Trois des quatre syndicats de la STM en négociations ont des mandats de grève, mais l’appliquent séparément. Le quatrième vote sur un mandat de grève a lieu aujourd’hui. Cette approche affaiblit l’ensemble des travailleurs.

Ce qu’il faut, c’est une grève coordonnée de tous les syndicats de la STM. Un blocage coordonné aurait beaucoup plus de poids et assurerait une grève plus courte aussi – car il forcerait les patrons à prendre les travailleurs au sérieux immédiatement.

Face au délire antisyndical, les grandes centrales ont les ressources nécessaires pour combattre le salissage et les mensonges. Les dirigeants syndicaux nationaux de la CSN, de la FTQ et du SCFP doivent être sur toutes les tribunes pour expliquer que le vrai responsable du conflit est le gouvernement. C’est malheureusement quelque chose qui manque cruellement dans ce conflit jusqu’à présent. En liant la lutte pour les conditions de travail à la lutte contre l’austérité en général, les centrales pourraient canaliser l’énorme colère contre la CAQ et renverser la vapeur. 

Inévitablement, une telle grève serait rapidement déclarée illégale sous une forme ou sous une autre. Mais heureusement, nous avons des précédents dans le mouvement sur quoi faire face aux ordres de retour au travail.

Pas plus tard que cet été, les agents de bord d’Air Canada ont vu leur grève illégalisée après 12 heures. Ils ont défié l’ordre de retour au travail, aucune punition n’a été appliquée, et ils ont forcé le patronat à les prendre au sérieux.

Nous ne pouvons laisser le gouvernement détesté et impopulaire de la CAQ brimer le droit de grève. Il faudra défier la loi 14 ou tout ordre de retour au travail de cette nature, et montrer l’exemple au reste du mouvement syndical!

Tous derrière les travailleurs!

Une défaite des travailleurs de la STM établirait un dangereux précédent pour l’ensemble du mouvement : le gouvernement de la CAQ et les gouvernements après elle se sentiraient en confiance d’écraser toute grève trop combative avec la loi 14. Il aurait les coudées franches pour continuer d’attaquer les travailleurs qui résistent à son agenda pro-patronal et d’austérité.

La période dans laquelle nous entrons est de plus en plus marquée par de tels conflits de travail sans conciliation possible. Il n’y a « tout simplement pas l’argent » pour protéger les emplois, assurer de bonnes conditions, et conserver nos services. En fait, l’argent existe, mais les patrons le gardent jalousement dans leurs poches. La crise du capitalisme signifie qu’ils ne sont pas intéressés à investir, et encore moins à payer des impôts. L’austérité en découle.

Dans ce contexte, la grève de la STM ne sera pas la dernière de son genre. Tout le mouvement ouvrier doit appuyer les travailleurs de la STM, quoiqu’en disent les chroniqueurs du Journal de Montréal, le patronat et les partis capitalistes.