La Fédération du travail de l’Alberta doit préparer une grève générale

Quand l’AFL dit qu’elle a besoin de temps pour convaincre les gens, a-t-elle considéré que les seuls qui semblent avoir besoin d’être convaincus sont ses propres dirigeants?
  • Laine Sheldon-Houle
  • sam. 20 déc. 2025
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Les partisans d’une grève générale à la conférence de presse du 29 oct. où Gil McGowan a parlé de préparer une grève générale « si nécessaire ». Photo : JSJAMATO/X

Lorsque le Parti conservateur uni (PCU) de Danielle Smith a utilisé la clause dérogatoire pour forcer les enseignants à retourner au travail le 27 octobre, les gens ont été choqués. Des groupes de défense des droits humains comme Amnistie internationale ont pris le temps de condamner le gouvernement albertain. Un sondage Léger a montré que 51% des Albertains soutenaient une grève générale. Mais l’appel à une grève générale n’est jamais venu.

En 2022, une alliance de syndicats ontariens a menacé d’une grève générale et a empêché le gouvernement de Doug Ford d’utiliser la clause dérogatoire dans des circonstances très similaires. Tous ces événements ont déclenché un vaste débat public sur les grèves générales en Alberta. Pourquoi aucune n’a-t-elle pas eu lieu? Est-ce possible d’en avoir une, et comment y parvenir?

Quid de la grève générale ?

Une grève générale est une action qui appelle l’ensemble de la classe ouvrière à cesser le travail. Les travailleurs de toutes les professions retiennent leur force de travail pour faire aboutir leurs revendications. Dans le contexte de la grève des enseignants, une grève générale aurait paralysé la province, la majorité cherchant à empêcher le gouvernement de priver les enseignants de leur droit de grève.

Lors d’une conférence de presse le 29 octobre, le président de la Fédération du travail de l’Alberta (AFL), Gil McGowan, a avancé plusieurs arguments expliquant pourquoi une grève générale n’avait pas été déclenchée immédiatement, et pourquoi des préparatifs étaient en cours pour en déclencher une à l’avenir (si nécessaire).

« L’organisation [d’une grève générale] prend du temps », a-t-il déclaré, « du temps pour des discussions démocratiques au sein de nos organisations […] du temps pour rejoindre les travailleurs qui ne sont pas syndiqués. »

En temps normal, Gil aurait raison. Une grève générale ne peut pas être simplement annoncée. La classe ouvrière ne comprendra la nécessité de tout paralyser que si cela découle du développement des événements. La capacité du mouvement syndical à appeler à une grève générale dépend de plusieurs facteurs, comme la force du mouvement syndical, l’éducation politique et l’expérience de la classe ouvrière.

Mais le facteur décisif est l’humeur de la classe ouvrière. Si cette humeur est présente, quels que soient les autres facteurs, un appel à la grève générale suscitera la réponse nécessaire. Dans des pays où la densité syndicale est très faible, nous avons vu des grèves générales paralyser tout un pays parce que les travailleurs y voyaient la seule manière de riposter contre un gouvernement répressif.

Lorsque Danielle Smith a utilisé la clause dérogatoire à la fin octobre, la classe ouvrière en Alberta était prête pour une grève générale, comme le confirme le sondage Léger. À ce moment-là, le pouvoir décisif était entre les mains des dirigeants syndicaux, qui ont laissé tomber la balle.

Par conséquent, l’argument de McGowan selon lequel cela « prendrait du temps » était en réalité une façon détournée de dire que les dirigeants syndicaux ne voulaient pas d’une grève générale. Le fait est qu’une fois la colère suscitée par la grève des enseignants retombée, la capacité du mouvement syndical à appeler à une grève générale s’est aussi estompée.

Suite au refus de l’AFL de lancer une grève générale pour défendre les droits syndicaux, une vague de colère et de frustration s’est levée. Cela a poussé Gil à admettre, lors d’une conférence de presse le 14 novembre, que « nous avons manqué l’occasion ».

Pour donner l’impression qu’ils faisaient encore quelque chose, Gil a affirmé que des discussions sur une grève générale étaient « en cours ». S’il est vrai que des discussions ont lieu pour organiser une grève générale dans le futur, c’est bien sûr une chose positive. Bien que l’occasion d’une grève générale ait été perdue, d’autres occasions se présenteront.

Danielle Smith est loin d’avoir terminé sa croisade pour affamer et détruire les services publics; et maintenant que le précédent est établi, elle utilisera la clause dérogatoire pour écraser toute opposition. En fait, des membres de son propre parti sont impatients d’écraser complètement les syndicats.

Et la faiblesse invite à l’agression. Quelques semaines seulement après avoir défait les enseignants, Smith a de nouveau utilisé la clause dérogatoire pour mettre en œuvre trois lois anti-trans le 18 novembre, un exemple clair de comment une attaque contre un est une attaque contre tous.

Qu’est-ce qui est fait pour organiser une grève générale?

Alors que le débat sur les grèves générales a lieu ouvertement, « l’organisation » d’une grève générale par l’AFL n’est visible nulle part.

Le 17 novembre, l’AFL a tenu une réunion à Red Deer centrée sur le « Programme des travailleurs » (“Worker Agenda”) de l’AFL. L’ordre du jour comprenait des campagnes de révocation des députés du PCU, des initiatives citoyennes pour des référendums, et le « Programme des travailleurs » : une longue liste de politiques de gauche incluant une assurance publique, un salaire minimum plus élevé et un plan pour protéger les services publics.

Une grève générale n’était pas à l’ordre du jour, et n’a été mentionnée qu’en passant, comme une option potentielle « si nécessaire », sans qu’on en dise davantage.

Justifiant l’accent mis sur le « Programme des travailleurs », Gil a déclaré lors de la réunion de Red Deer : « Alors pourquoi maintenant ? En un mot, parce qu’une élection approche. » La prochaine élection est prévue pour l’automne 2027, soit dans deux ans.

Le Programme des travailleurs ne consiste pas à organiser une grève générale, mais à rallier du soutien pour une assurance automobile publique et d’autres réformes progressistes. Mais cela évite complètement la lutte qui se déroule dans le monde réel, en ce moment même. Smith s’apprête à écraser le mouvement syndical et la classe ouvrière doit se préparer à se mobiliser pour paralyser la province comme seule façon de l’arrêter.

Il n’est pas surprenant que seulement 60 personnes se soient présentées à la consultation publique sur le « Programme des travailleurs », quelques semaines seulement après que Gil se soit adressé à la plus grande manifestation de l’histoire de la province.

Voilà à quoi ressemble la temporisation. Discuter de toutes les façons dont la vie a empiré, des campagnes référendaires et d’élections qui sont à des années – tout cela a pour effet de détourner l’attention de la campagne pour une grève générale et de désamorcer la lutte.

Gil a justifié son inaction en affirmant qu’une grève générale nécessitait « du temps pour des discussions démocratiques au sein de nos organisations ». Cette déclaration est manifestement malhonnête. Il est clair qu’il n’a aucun plan dans ce sens et ne fait que gagner du temps, en attendant que la colère retombe.

Si l’AFL prenait au sérieux l’organisation d’une grève générale, elle organiserait des assemblées publiques à travers la province pour en discuter ouvertement.

Mettre la grève générale à l’ordre du jour

Le débat public sur les grèves générales a placé la bureaucratie syndicale sous une pression énorme. Ces gens sont généralement timorés et habitués à la collaboration de classe, une approche qui a fonctionné (pour eux) par le passé. Mais aujourd’hui, ils se retrouvent pris au milieu d’une guerre de classe, luttant pour calmer tout le monde.

En des dirigeants comme Gil McGowan, il y a deux loups. L’un exprime les intérêts de la classe ouvrière et plaide pour une grève générale pour faire tomber le gouvernement. L’autre exprime les intérêts de la bureaucratie syndicale, qui croit fermement à un « grand compromis » et ne veut jamais faire de vagues, de peur de risquer sa position et son prestige. Ces loups représentent deux grandes forces de la société qui sont en lutte constante.

Cela explique la rhétorique confuse et les revirements de Gil McGowan. Il exprime les intérêts des travailleurs et explique comment ils peuvent gagner dans une phrase. Puis, dans la phrase suivante, il exprime la lâcheté de la bureaucratie syndicale, fournissant toutes sortes d’excuses sur pourquoi ils ne peuvent pas faire ce qui est nécessaire pour riposter.

En fait, le 14 novembre, Gil s’est rétracté – contredisant ses propres arguments en faveur d’une grève générale – en ajoutant : « Il est important que les gens comprennent qu’une grève générale est illégale et que si nos membres, ou les travailleurs non syndiqués, s’engageaient dans une grève générale, ils feraient face à des amendes similaires à celles prévues dans la Loi 2. »

Mais cet argument avait déjà été réfuté par Gil lui-même, le 29 octobre : « Ils ne peuvent pas arrêter 450 000 travailleurs. Nos prisons n’en ont pas la capacité. » Il a ajouté : « Notre système juridique n’a pas les ressources pour traiter les arrestations et les amendes. » Cela pointe dans la bonne direction : la classe ouvrière, lorsqu’elle est correctement dirigée, a un pouvoir immense, peut défier la loi et peut gagner.

Dans la période de crise capitaliste que nous vivons, les directions syndicales ne peuvent pas éviter la lutte indéfiniment. La classe dirigeante attaque constamment les services sociaux et le niveau de vie, forçant les travailleurs à se défendre. Si les directions syndicales continuent de capituler, elles perdent leur raison d’être. Si elles s’avèrent complètement inutiles à la classe ouvrière, elles seront écartées et de meilleurs dirigeants, prêts à aller jusqu’au bout, prendront leur place.

Lors de la conférence de presse du 14 novembre, Gil a exposé avec hésitation exactement pourquoi une grève générale était nécessaire :

« Les outils qui nous ont été donnés, y compris le droit de grève, ont été dégradés. Ils ont été affaiblis au point d’être presque inutiles. » Il a poursuivi : « Une époque est révolue […] Nous sommes forcés de penser à sortir des sentiers battus. » En d’autres termes, il n’y a plus de base pour la collaboration de classe.

Mais quand allons-nous sortir des sentiers battus? Quand tous les hôpitaux seront fermés, l’éducation publique décimée, le droit de grève disparu et la législation du travail abolie? Quand les travailleurs seront défaits et démoralisés?

Quand l’AFL dit qu’elle a besoin de temps pour convaincre les gens, a-t-elle considéré que les seuls qui semblent avoir besoin d’être convaincus sont ses propres dirigeants?