Fin mars, après six semaines de combats, l’armée russe a évacué l’ensemble des positions qu’elle avait conquises autour de Kiev. Ce retrait marque l’échec du plan originel du Kremlin, qui espérait mettre l’armée ukrainienne « KO debout » et faire chuter le gouvernement de Zelensky grâce à une offensive terrestre sur trois côtés de la frontière ukrainienne, des frappes aériennes visant les infrastructures militaires du pays et un raid aéroporté contre la banlieue de Kiev.

Moscou a manifestement sous-estimé le renforcement de l’armée ukrainienne, depuis 2014, et la motivation de ses troupes. Cependant, le retrait du nord de l’Ukraine ne marque pas la fin de la guerre, ni même un ralentissement des combats. Poutine a simplement révisé ses objectifs. Il concentre les efforts de l’armée russe sur la défense des positions conquises sur le Dniepr (autour des villes de Kherson et d’Enerhodar), sur une offensive sur le front de l’Est ukrainien (le Donbass) et sur la conquête de Marioupol.

Guerre et propagande

Le repli russe a été suivi de la découverte de cadavres de civils et d’accusations de crimes de guerre, notamment dans les villes de Boutcha et de Hostomel (au nord-ouest de Kiev). En réponse, plusieurs gouvernements occidentaux ont expulsé des diplomates russes, et des sanctions économiques – contre les exportations russes de charbon – ont été annoncées par l’UE.

Il est tout à fait probable que des soldats russes aient tué des civils durant l’occupation de ces territoires. Pour autant, les déclarations de Zelensky, qui parle d’actes de « génocide », « pires que l’occupation nazie », relèvent de la pure et simple propagande. D’un autre côté, les allégations du Kremlin, qui dénonce des « mises en scène » à base de « faux cadavres », ne sont pas du tout convaincantes. En temps de guerre, le mensonge est une arme. Depuis le début du conflit, Moscou, l’OTAN et le gouvernement ukrainien ne cessent de mentir. Parfois, le mensonge se retourne contre son auteur, comme dans l’affaire de la garnison ukrainienne de l’Ile aux Serpents. Selon le gouvernement de Kiev, tous ses membres avaient été tués après avoir refusé de se rendre à la marine russe. Ils ont été décorés à titre posthume comme « héros de l’Ukraine ». Leurs « derniers mots » de défi – « Navire de guerre russe, va te faire foutre » – ont été élevés au rang de symbole de la résistance ukrainienne. Mais finalement, il s’est avéré que les membres de cette garnison s’étaient rendus aux troupes russes. Certains ont été renvoyés vivants en Ukraine, dans le cadre d’un échange de prisonniers. Zelensky n’en a pas moins organisé une cérémonie pour leur remettre des médailles récompensant leur résistance jusqu’à la mort !

Par ailleurs, il faut souligner que la réaction aux crimes de guerre est très variable. En Afghanistan, l’OTAN a tué de très nombreux civils, souvent de façon délibérée. En 2015, par exemple, l’hôpital de Médecins sans frontières, à Kunduz, a été bombardé par l’aviation américaine, qui savait pertinemment qu’il s’agissait d’un hôpital. Il y a eu 42 morts parmi les patients et le personnel médical. Mais aucun diplomate américain n’a été expulsé en conséquence.

A Gaza, en 2014, l’aviation israélienne a visé des habitations civiles, des écoles et des hôpitaux avec des bombes incendiaires. Plus de 1500 civils palestiniens sont morts. Loin de prendre des sanctions contre l’économie israélienne, le gouvernement français a interdit les appels au boycott d’Israël.

Les bourgeoisies occidentales sont totalement indifférentes aux souffrances du peuple ukrainien, de même qu’elles sont indifférentes aux souffrances des Palestiniens et des Afghans. Le sort des peuples ne les « intéresse » qu’à des fins de propagande, c’est-à-dire lorsque des crimes sont perpétrés par une puissance rivale. Et si elles n’ont pas de véritables crimes à leur disposition, elles n’hésitent pas à en inventer. Ce fut le cas en 1989 avec le faux charnier de Timisoara (Roumanie) – ou encore avec le soi-disant « génocide planifié » des Albanais du Kosovo, en 1999.

Les nazis ukrainiens

Les grands médias occidentaux se sont unanimement rangés derrière l’OTAN. Par exemple, les journaux français s’acharnent à minimiser – voire à nier – la présence de néo-nazis dans l’armée ukrainienne, et notamment le rôle du célèbre régiment Azov. Dans un article publié le 23 mars, Le Monde affirme que « seule une minorité des soldats du régiment [Azov] sont aujourd’hui portés par des idées d’extrême droite ou néonazies ». Par ailleurs, Le Monde nous informe qu’Azov ne représente que 2 % de l’armée ukrainienne – et que l’extrême-droite est « quasi inexistante aux élections » en Ukraine. Conclusion : « circulez, il n’y a rien à voir ! »

Rien de tout cela ne tient debout. Le régiment Azov et ses milliers de combattants ne sont qu’une des multiples facettes de l’extrême-droite dans l’armée ukrainienne. Il y a d’autres unités de volontaires d’extrême-droite, telles que Aïdar ou Dnipro. Quant à Azov lui-même, son caractère nazi est explicite, ne serait-ce que par ses emblèmes, repris directement de la Waffen-SS. Son fondateur et principal dirigeant politique, Andriy Biletsky, fut aussi l’un des créateurs de l’« Assemblée Social-Nationaliste d’Ukraine ». En 2010, il déclarait que l’Ukraine avait pour mission de mener « les races blanches […] dans la croisade finale contre les sous-hommes dirigés par les Sémites ».

A partir de 2014, Azov est devenu un centre de formation pour les néo-nazis d’Europe et d’Amérique, qui venaient y recevoir une formation politique et militaire. Par ailleurs, ce régiment est directement lié à une attaque meurtrière commise, en 2018, contre la communauté rom dans l’Ouest de l’Ukraine. En mars dernier, à Lviv, des miliciens ukrainiens ont attaché des réfugiés roms à des lampadaires, avant de leur peindre le visage au détergent. Naturellement, ceci n’a soulevé aucune protestation dans les rédactions parisiennes.

S’il est vrai que les néo-nazis déclarés ont peu de succès aux élections, ce n’est pas la seule mesure de leur influence politique. Les gouvernements de Poroshenko et de Zelensky ont intégré une partie de leurs dirigeants à l’appareil d’Etat. En 2016, un membre d’Azov a pris la direction de la police ukrainienne, tandis que Biletsky était promu lieutenant-colonel. Le gouvernement a aussi mené une campagne de réhabilitation des nazis ukrainiens. Des monuments ont été inaugurés pour rendre hommage à Roman Choukhevytch (l’un des organisateurs de la Shoah dans l’Ouest de l’Ukraine) et à la Division Waffen-SS Galicie, composée d’Ukrainiens ralliés à l’occupant hitlérien (entre 1943 et 1945). Dans le même temps, le gouvernement a interdit la diffusion de livres soulignant le rôle des nationalistes ukrainiens dans l’extermination des Juifs.

Précisons que ces informations ne viennent pas du Kremlin. Elles sont très bien documentées. Avant la guerre, la BBC, le Guardian et La Croix ont publié de nombreuses enquêtes à ce sujet. En 2018, le FBI a même rédigé un rapport inquiet sur les liens entre le régiment Azov et l’extrême-droite américaine. Il n’empêche : les hommes de ce régiment figurent parmi les premiers à bénéficier des livraisons d’armes de l’OTAN, depuis le début de la guerre.

Perspectives

Zelensky n’est pas le « héros de la démocratie » que nous dépeint la presse occidentale, depuis deux mois. Il est le représentant d’une des cliques rivales d’oligarques qui se sont partagé l’économie et le pouvoir, en Ukraine, après la chute de l’URSS. Zelensky a profité de la guerre pour interdire plusieurs partis d’opposition et placer toutes les chaînes de télévision sous l’autorité de l’Etat. Si son gouvernement n’a pas abandonné le pouvoir aux néo-nazis, il les utilise pour mener une campagne d’intimidation contre le mouvement ouvrier. Des militants de gauche et des syndicalistes ont été arrêtés. Certains ont même été torturés.

Cependant, le régime de Zelensky reste fragile. Des factions rivales de la bourgeoisie sont en embuscade et pourraient utiliser une défaite militaire – ou une « paix » signée sous la contrainte de l’armée russe – pour l’accuser de trahison et provoquer sa chute. Par ailleurs, lorsque la guerre finira, le gouvernement de Kiev devra aussi gérer le problème des néo-nazis. Malgré leurs pertes au combat, ils sont aujourd’hui plus nombreux, mieux armés et plus influents qu’avant la guerre. Et ils seront très hostiles à tout accord de paix entérinant la partition de l’Ukraine.

Enfin, il faudra payer la facture de la guerre, qui s’ajoutera à la crise économique. Alors, pour Washington, Paris ou Londres, il ne sera plus question d’aider l’Ukraine. Les dirigeants occidentaux sont prêts à « soutenir » les Ukrainiens – de loin – quand il s’agit de tirer sur des chars russes, mais pas quand il s’agit d’empêcher que les masses ukrainiennes ne sombrent dans la misère. Entre 2014 et 2022, alors que l’Ukraine se débattait dans une crise économique catastrophique, la principale « aide » apportée par les occidentaux fut de conseiller au gouvernement de Kiev d’intensifier les politiques d’austérité.

En Russie, le régime de Poutine est assis sur un tonneau de poudre, lui aussi. N’oublions pas que les guerres peuvent très mal se terminer pour les régimes en place. En 1904, le ministre de l’Intérieur du Tsar Nicolas II, Viatcheslav Plehve, disait que, pour éviter une révolution, il fallait « une petite guerre victorieuse contre le Japon ». Loin de raffermir le trône du Tsar, la guerre avait accéléré l’éclatement de la révolution de 1905. Pour renforcer son régime fragilisé par la crise économique et une contestation croissante, Poutine a fait le même pari que Plehve en son temps. Sa « petite guerre victorieuse » contre l’Ukraine est devenue la guerre la plus importante que l’Europe ait connue depuis 1945. Elle a coûté des milliers de vies russes et pourrait se terminer par une défaite, du moins au regard des objectifs que Poutine s’était fixés.

Plus la guerre se prolongera, plus les privations qu’elle cause grandiront, plus les soldats rapporteront des informations sur les traitements infligés aux civils ukrainiens – et plus l’opposition, en Russie, se développera. C’est d’autant plus vrai qu’une colère existe déjà contre le régime de Poutine, suite aux contre-réformes qu’il a imposées depuis 2018.

Du fait du caractère dictatorial du régime russe, il n’est pas facile d’évaluer l’ampleur de l’opposition à la guerre. Mais des voix dissidentes se sont déjà élevées – non seulement dans la presse et chez les intellectuels libéraux, mais aussi dans les organisations de la classe ouvrière.

En Ukraine comme en Russie, les fumées de la guerre et de la propagande nationaliste finiront par se dissiper. Pour les travailleurs de Russie et d’Ukraine, la seule solution sera de passer par-dessus les rivières de sang que Poutine, Zelensky et l’OTAN ont fait couler pour les diviser, et de lutter ensemble pour mener une révolution socialiste. Ce ne sera pas facile, mais c’est la seule voie réaliste pour tirer l’Ukraine et la Russie du bourbier sanglant où les ont plongés le capitalisme et l’impérialisme.