La lutte contre l’oppression des personnes trans

Au cours des dernières années, les enjeux et les droits des personnes trans ont gagné une grande attention du public suite aux avancées obtenues grâce au travail assidu de militants trans et d’organisations communautaires. La plupart des provinces canadiennes permettent désormais aux personnes de modifier leur genre sur leurs documents d’identité, sans qu’une chirurgie de […]

  • Jessica Cassell et Shea O'Connor
  • mar. 8 janv. 2019
Partager

Au cours des dernières années, les enjeux et les droits des personnes trans ont gagné une grande attention du public suite aux avancées obtenues grâce au travail assidu de militants trans et d’organisations communautaires. La plupart des provinces canadiennes permettent désormais aux personnes de modifier leur genre sur leurs documents d’identité, sans qu’une chirurgie de changement de sexe soit demandée. Les provinces ont également interdit dans leur charte des droits la discrimination sur la base de l’identité et de l’expression de genre. Le projet de loi C-16 a été entériné au niveau fédéral en juin 2017, ajoutant une protection concernant l’identité et l’expression de genre à la Loi canadienne sur les droits de la personne et au Code criminel. Cependant, malgré ces avancées, les personnes trans continuent de subir un taux alarmant de discrimination, de violence et de harcèlement.

Des études menées par Trans Pulse ont montré que 20% des personnes trans en Ontario vivent des agressions physiques ou sexuelles parce qu’elles sont trans, 34% sont sujettes à des menaces verbales ou du harcèlement, et 67% ont peur de mourir jeunes. Parmi les personnes trans ontariennes, 13% ont été renvoyées parce qu’elles sont trans et 15% ont été renvoyées et soupçonnent qu’elles l’ont été parce qu’elles sont trans. Aussi parce qu’elles sont trans, 18% se sont vues refuser un emploi, alors que  32% soupçonnent qu’on leur a refusé un emploi pour cette raison. De plus, 17% ont refusé un emploi qui leur avait été proposé, car elles craignaient ne pas y être à l’abri du harcèlement. 50% des personnes trans en Ontario vivent avec moins de 15000 dollars par année et les personnes trans ont un taux de chômage de trois fois supérieur à la moyenne nationale. La discrimination, le harcèlement et la violence omniprésents contribuent à augmenter de manière disproportionnée les troubles mentaux, la consommation de drogues et le suicide parmi la population trans.

Les jeunes personnes trans sont particulièrement vulnérables. Dans une étude pancanadienne de 2011 menée par Egale Human Rights Trust, 74% des jeunes personnes trans ont rapporté avoir vécu du harcèlement verbal à l’école, et 37% ont rapporté avoir vécu de la violence physique. Le Canadian Trans Youth Health Survey a montré que 70% des répondants ont été harcelés sexuellement. Plus du tiers des participants adolescents âgés de 14 à 18 ans rapportent avoir été menacés physiquement ou blessés pendant la dernière année. Un sondage du Trans Pulse a montré que 45% des jeunes personnes trans ont fait une tentative de suicide en Ontario et que 77% l’ont sérieusement considéré.

Au niveau international, les personnes trans sont plus à risques d’être victimes de violence et de pauvreté. Selon Mic, le taux d’homicide pour la population générale américaine est de 1 sur 19 000, alors qu’une femme noire trans sur 2600 est tuée. Par ailleurs, les meurtres commis sur les personnes trans tendent à être particulièrement brutaux et horribles, étant motivés par la haine et la discrimination. Selon le Trans Murder Monitoring Project, les personnes trans issues de minorités ethniques, migrantes, travailleuses du sexe et autochtones vivent une violence disproportionnée et forment la majorité des personnes trans victimes d’homicide à l’échelle mondiale.

L’élection de Donald Trump a généré une situation encore plus dangereuse pour les personnes trans aux États-Unis et partout dans le monde. En mars 2018, Trump a interdit aux personnes trans de servir dans l’armée américaine, renforçant ainsi les sentiments transphobes présents dans la société. Bien que nous comprenions que l’armée est le bras armé de la classe dirigeante capitaliste et sert en dernière analyse des objectifs réactionnaires, tout acte discriminatoire de l’État envers n’importe quel groupe opprimé de la classe ouvrière ne fait qu’accroître la persécution, et doit être combattu.

Trump a aussi retiré la protection fédérale pour les étudiants trans qui leur permettait d’utiliser les toilettes correspondant à leur identité de genre. Une étude menée en 2008 par Jody L. Herman pour l’Université de Californie à Los Angeles montrait qu’environ 70% des personnes trans aux États-Unis se sont fait refuser l’accès aux toilettes et ont subi du harcèlement et des agressions physiques pendant qu’elles utilisaient les toilettes. Par ailleurs, le sondage National School Climate Survey de 2011 a montré que 80% des étudiants trans se sentent en danger à l’école dû au fait d’être trans, et cela à plus forte raison dans les espaces genrés comme les vestiaires et les toilettes. Un rapport de 2015 du National Center for Transgender Equality a montré qu’au moins le tiers des personnes trans résidant dans l’État de Washington réduisent leur consommation de liquides et de nourriture dans l’optique de diminuer leur utilisation des toilettes, par peur du harcèlement.

Davantage de personnes trans sont sorties du placard dans la dernière période, ce qui augmente la possibilité que les gens rencontrent des personnes trans dans les toilettes. Les réactionnaires de droite essayent de capitaliser sur le manque de familiarité de la population générale avec les personnes trans pour répandre des histoires d’horreur sur des hommes qui se déguisent en femmes pour entrer dans les toilettes des femmes. Pour certains, particulièrement la plus vieille génération, la présence de personnes trans peut apparaître comme nouvelle et déconcertante. Cela est similaire à l’ancien préjugé contre les couples homosexuels se tenant la main ou montrant de l’affection en public, ce qui est beaucoup plus commun et accepté aujourd’hui. La familiarité amène la peur à s’estomper.

En réalité, il n’y a presque aucune occurrence d’agression par des personnes trans dans les toilettes, tandis qu’à l’inverse, les agressions envers les personnes trans sont communes. Nous devons aider les gens à voir cette réalité. Par le passé, au Canada et aux États-Unis, l’homophobie était beaucoup plus répandue qu’à l’heure actuelle. Après des décennies de lutte contre l’homophobie et de familiarisation de la population avec l’homosexualité, le préjugé a diminué. De la même manière, il nous faut éduquer la population à propos de la population trans afin de combattre ces préjugés, tout en promouvant la rénovation et le design de toilettes permettant de donner à tous leur intimité.

On constate ironiquement, c’est le moins qu’on puisse dire, que les arguments transphobes prétendant défendre les femmes viennent des mêmes forces conservatrices de droite dans notre société qui étaient les premières à nier les droits des femmes pendant des décennies. En refusant aux personnes trans l’accès à des toilettes sécuritaires, les actions de Trump ont accru leur vulnérabilité et enhardi les fanatiques transphobes aux États-Unis et ailleurs.

Malgré toute la rhétorique réactionnaire sur cette question, plusieurs commissions scolaires et institutions postsecondaires au Canada ont des politiques affirmant explicitement que les personnes trans peuvent utiliser les toilettes qui correspondent à leur identité de genre et/ou ont mis en place des toilettes non-genrées. Il s’agit d’un pas en avant pour les étudiants trans. Cependant, le Canada est loin d’être immunisé contre la transphobie et les autres formes d’oppression et de discrimination. En 2016, le professeur Jordan Peterson de l’Université de Toronto est devenu populaire en s’insurgeant contre le projet de loi C-16 et en refusant d’utiliser les pronoms demandés par les étudiants, sous prétexte que cela enfreignait sa « liberté d’expression ». Peterson s’est développé une large audience qui inclut la droite alternative (« l’alt-right ») et des éléments ouvertement fascistes. Ses idées réactionnaires et son refus de reconnaître l’existence et la validité des personnes trans ajoutent à la stigmatisation et à la discrimination vécues par ces personnes sur les campus et en dehors, ce qui, en plus de les réduire au silence, les rend plus vulnérables au harcèlement et aux abus. Il est clair que Peterson et ses fidèles ne sont pas du tout préoccupés par la liberté d’expression, mais cherchent plutôt à étouffer la voix des groupes sociaux historiquement opprimés.

Les statistiques atroces mentionnées plus haut, et le fait que de puissantes personnalités publiques font des personnes trans des boucs-émissaires, nous montrent les limites de l’égalité formelle. Des avancées légales ont certes été gagnées de haute lutte et doivent être célébrées, car elles montrent le potentiel de la lutte collective. Cependant, la réalité socio-économique des personnes trans demeure en grande partie la même, c’est-à-dire que l’organisation capitaliste de la société demeure inchangée, peu importe ce qui est écrit sur le papier. Le capitalisme s’appuie sur la division des gens sur la base du sexe et du genre, ainsi que sur une foule d’autres formes d’oppression, comme le racisme, afin de garder les exploités divisés et les empêcher de reconnaître l’ennemi véritable. Les réformes en faveur des personnes trans gagnées jusqu’ici ne sont pas assurées, et la classe capitaliste et ses politiciens n’hésiteront pas à les éliminer en temps de crise afin d’attiser les flammes de la discrimination. Nous voyons présentement ce phénomène avec le gouvernement conservateur ontarien de Doug Ford qui a fait marche arrière sur l’éducation sexuelle dans les écoles, revenant au vieux cursus de 1998 qui ne contient aucune référence aux relations homosexuelles ou à l’identité des personnes trans. Ce n’est pas par hasard que cela survient dans une période d’intense polarisation de la société.

La classe capitaliste possède et contrôle également la richesse et les ressources de la société, incluant les moyens de propager des idées à propos de différents groupes sociaux, notamment à travers les médias et le système d’éducation. Les politiciens, patrons, propriétaires de logements, autorités scolaires et policiers ne sont pas redevables devant la population lorsqu’ils perpétuent des actions discriminatoires ou violentes envers des personnes trans ou d’autres couches opprimées de la classe ouvrière, puisqu’il n’y a pas de véritable contrôle démocratique sur la production et l’administration sous le capitalisme.

Cela ne signifie pas du tout qu’il est futile de lutter pour les droits des personnes trans au sein du système capitaliste actuel ou qu’il faille mettre cette lutte en suspens jusqu’à la révolution socialiste. Les marxistes luttent pour l’égalité des droits et l’amélioration des conditions de vie des personnes trans et de toutes les couches opprimées de la classe ouvrière ici et maintenant. Lorsque de la discrimination et de la violence transphobes ont lieu dans nos milieux de travail, à l’école ou dans nos communautés, les syndicats ouvriers et étudiants, de pair avec les organisations communautaires, doivent organiser des actions collectives de masse venant de la base jusqu’à ce que justice soit rendue : manifestations, marches, sit-ins et grèves. Ces méthodes de lutte de classe devraient être utilisées également dans la lutte pour le financement des services de santé mentale et d’autres initiatives sociales qui permettraient d’améliorer le niveau de vie des personnes trans. Des réformes comme la gratuité scolaire, le plein emploi et un logement pour tous – c’est-à-dire la réelle égalité sociale et économique – doivent accompagner les droits légaux, afin que les barrières réelles opprimant les personnes trans soient mises à terre.

Bien que nous luttions pour ces revendications aujourd’hui, il faut reconnaître que cette lutte se déroule dans le contexte de la plus profonde crise de l’histoire du capitalisme. Les gains et l’amélioration des conditions de vie pour la classe ouvrière ne sont pas la norme; c’est plutôt le déclin des conditions de vie, les coupes et l’accroissement des inégalités qui le sont. De telles périodes tendent à accroître les attitudes discriminatoires alors que les populistes de droite et une grande partie des médias cherchent à attiser les flammes de la discrimination afin de monter les gens les uns contre les autres et créer une diversion. Pour ces raisons, et parce que les réformes pouvant véritablement améliorer la vie des personnes trans entrent en contradiction avec l’impératif du profit de la classe capitaliste, il faut que la lutte pour la libération des personnes trans et l’émancipation de tous les opprimés et les exploités soit liée à la question de qui possède et contrôle les richesses et les ressources de la société.

Cependant, une grande partie de la direction des mouvements ouvrier et étudiant, souvent sous l’influence d’idées non-marxistes comme le postmodernisme et l’intersectionnalité (plus de détails ici), se concentre essentiellement sur les changements symboliques et met en place des mesures de pure forme (le « tokenism ») plutôt que de mobiliser en vue d’une lutte unifiée pour de vrais changements matériels. Cela permet à une couche de carriéristes de s’élever dans la bureaucratie syndicale et étudiante tandis que presque rien n’est fait pour améliorer les conditions de vie de la majorité des personnes trans et des autres couches opprimées de la classe ouvrière. Au lieu de gestes de pure forme comme les quotas symboliques basés sur l’identité, nous avons besoin d’organisations combatives capables de mobiliser les étudiants et les travailleurs dans une lutte qui permettra de réellement entamer l’éradication des barrières socio-économiques auxquelles font face les couches opprimées de notre classe – autrement dit, une lutte qui vise les racines mêmes de l’oppression.

Lors d’un mouvement collectif de la classe ouvrière, il devient évident que les attitudes oppressives nuisent au mouvement et à ses objectifs en menaçant l’unité nécessaire pour gagner. C’est à travers la lutte commune que ces attitudes commencent à décliner sur une échelle de masse car les travailleurs de toutes les identités en arrivent à voir leurs intérêts communs plutôt que ce qui les divise. Un tel mouvement susciterait l’enthousiasme de larges couches d’opprimés et les inciterait à devenir actifs dans la lutte. Nous pourrions ainsi construire une véritable direction venant de la base, au lieu de se baser sur des mesures symboliques bureaucratiques venant d’en haut. Ce qu’il nous faut, ce sont les méthodes de lutte de classe qui peuvent unifier toutes les couches opprimées.

Si la classe ouvrière, incluant les couches les plus opprimées de la société, possédait et contrôlait démocratiquement les vastes richesses de la société, nous pourrions tous avoir des conditions de vie de qualité. Des fonds seraient dégagés pour mettre en place des toilettes non-genrées et améliorer le système de santé pour tout le monde. Les organisations de la communauté LGBTQ pourraient alors recevoir les ressources et les fonds nécessaires pour remédier aux répercussions de la discrimination et de la violence subies par leur communauté depuis des générations. Le contrôle démocratique de nos milieux de travail sera très important afin de prévenir et de résoudre les cas de transphobie et d’autres formes de discrimination. De même, sur les campus, si le personnel (incluant les professeurs réactionnaires) ou les étudiants agissent de manière discriminatoire ou offensante, ils pourront être tenus responsables grâce au contrôle démocratique. C’est seulement sur la base de la propriété et du contrôle collectifs et démocratiques – c’est-à-dire l’organisation socialiste de la société – que les personnes trans seront réellement libérées et que l’égalité pour tous sera réalisée.

Le fait de lier l’oppression des personnes LGBTQ à la nécessité de lutter contre le capitalisme n’est pas nouveau. En effet, les personnes trans possèdent une histoire radicale de manifestations et de lutte anticapitaliste, par exemple lorsqu’elles ont été à l’avant-plan des émeutes de Stonewall en 1969 dans la ville de New York. Les couches les plus opprimées de la société peuvent fournir les militants les plus passionnés, puisque ces gens ont le plus à gagner de la lutte. La lutte pour les droits des personnes trans et pour la liberté sexuelle et de genre doit revenir non seulement à ses racines radicales, mais doit également le faire à un niveau supérieur, massif et sur une base encore plus combative. De plus, la lutte pour la libération trans ne doit pas être laissée seulement aux personnes trans elles-mêmes, mais doit être reprise sans réserve par toute la classe ouvrière et ses organisations. Une attaque contre un est une attaque contre tous, et un gain pour une couche de la classe ouvrière est un gain pour toute la classe et pour tous les opprimés.

Luttons pour la libération trans et l’émancipation de tous les exploités et opprimés!

Luttons pour le socialisme!