Gracieuseté de Gord Hill

Le présent document est le fruit de plus de 20 ans d’étude et de participation à la lutte des peuples autochtones contre le capitalisme canadien. Au fil des ans, nous avons tiré des enseignements de ces luttes et avons détaillé ces expériences sur les sites marxiste.qc.ca et marxist.ca. La lutte des Autochtones et la lutte pour le socialisme rassemble les conclusions cumulées des partisans de la Tendance marxiste internationale, autochtones ou non, qui appliquent la théorie marxiste au mouvement sur le terrain. Ce processus a abouti au congrès de 2019 de Fightback/La Riposte socialiste, où une version préliminaire du document a été discutée, amendée et adoptée, en tant que position officielle de la TMI. 

Ce document présente une analyse marxiste révolutionnaire de l’origine de l’oppression des Autochtones, en opposition à l’hypocrisie libérale et réformiste de la « réconciliation » et au piège des politiques identitaires et de la théorie postcoloniale, avancées par des universitaires confortables. Les conclusions de ce travail n’ont jamais été aussi opportunes, étant donné les explosions récurrentes de la lutte des Autochtones en 2020. Ce n’est que par une lutte révolutionnaire de masse contre le capitalisme que tous les opprimés pourront être véritablement libérés. Nous invitons tous les travailleurs et les jeunes, autochtones ou non, à étudier ces leçons et discuter des conclusions et à nous rejoindre dans la lutte.


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Comme il s’agit d’une caractéristique fondamentale du capitalisme canadien, l’oppression des peuples autochtones est un sujet de haute importance pour les marxistes. La plupart des gens sortent du système d’éducation public en ayant été très peu exposés à l’histoire honteuse qui sous-tend le système capitaliste canadien : une histoire de violence, de vol et de génocide contre les Autochtones, c’est à dire les Premières Nations, les Inuits et les Métis. L’histoire bourgeoise dépeint souvent la relation du Canada avec les peuples autochtones qui habitaient le territoire avant la colonisation européenne comme une relation de collaboration et de coopération, par opposition aux Américains et leur traitement conflictuel et violent des Autochtones. Cette comparaison a servi à promouvoir un récit historique de « coopération pacifique » entre l’État canadien et les peuples autochtones.

Mais lorsqu’on se penche sur les conditions sociales de nombreuses collectivités autochtones aujourd’hui, on obtient un portrait complètement différent. Malgré des décennies de promesses par les gouvernements libéraux et conservateurs, bien peu a été fait pour améliorer la qualité de vie des peuples autochtones tant sur les réserves qu’en dehors, et pour réparer les torts infligés par l’État pendant des générations et les traumatismes qui en ont découlé. Les Autochtones sont parmi les groupes les plus opprimés dans la société canadienne et continuent de souffrir des maux sociaux dans des proportions beaucoup plus élevées que le reste de la population.

Les conditions de vie sur de nombreuses réserves sont épouvantables. Dans son ensemble, le Canada se range parmi le top 10 des pays sur le plan de l’indice du développement humain de l’ONU. Cependant, si cet indice était appliqué aux Autochtones seulement, le Canada tomberait beaucoup plus bas, à un niveau semblable à beaucoup de pays du soi-disant tiers monde.

Par exemple, malgré le fait que le Canada possède la troisième plus grande réserve d’eau douce au monde, de nombreuses réserves des Premières Nations n’ont pas d’eau potable ou doivent faire bouillir leur eau. Selon Services aux Autochtones Canada, il y a actuellement 60 collectivités faisant l’objet d’avis d’ébullition d’eau à long terme. Il s’agit d’une baisse par rapport à 105 en 2015, mais cela ne compte pas les nombreux systèmes d’aqueduc à risque de briser.

À Neskantaga, une réserve éloignée du nord de l’Ontario uniquement accessible par avion, cela fait plus de 20 ans que les résidents sont obligés de bouillir leur eau, depuis que l’usine de traitement de l’eau construite en 1993 a cessé de fonctionner. Il y a aussi Grassy Narrows, une collectivité du nord de l’Ontario près de la frontière manitobaine, qui est prise avec les effets d’une contamination au mercure des lacs et rivières. Cette contamination a été causée par un déversement commercial dans les années 60, qui n’a jamais été nettoyé. Conséquemment, plus de 90% des résidents présentent des signes d’empoisonnement au mercure.

Les conditions de logement dans de nombreuses réserves sont dans un état déplorable, puisque les logements sont surpeuplés et délabrés. L’Assemblée des Premières Nations estime qu’il manque 85 000 logements à travers le pays. Les réserves connaissent un taux de surpeuplement six fois plus élevé que le reste du pays. Quant aux logements existants sur les réserves, c’est plus de 41% d’entre eux qui nécessitent des réparations majeures, contre 7% pour les logements hors réserves, ce qui met des milliers d’Autochtones dans des conditions dangereuses qui nuisent sérieusement à leur santé et leur éducation, entre autres. Par exemple, les mauvaises conditions de logement et le surpeuplement seraient un facteur contribuant de façon importante à la transmission de la tuberculose; le Nunavut a un taux de tuberculose équivalent à 38 fois la moyenne nationale.

La pauvreté et le chômage sont aussi plus élevés pour les Autochtones, tant sur les réserves qu’en dehors. Selon Statistiques Canada, plus de 80% des réserves ont un revenu médian inférieur au seuil de pauvreté et le revenu médian des Autochtones, sur et hors réserve, est 30% plus bas que celui du reste de la population.

Le revenu annuel médian pour les Autochtones est un peu plus de 22 000 dollars, alors que la médiane nationale est d’environ 35 000 dollars. Chez les Autochtones vivant hors réserve, le revenu médian est de 22 500 dollars, comparé à un peu plus de 14 000 dollars pour les gens des Premières Nations vivant sur les réserves. Au moment d’écrire ces lignes, le taux de chômage chez les Autochtones est de 13%, ce qui est plus que le double du taux de chômage parmi la population non autochtone.

Les femmes autochtones forment la couche la plus pauvre de la société canadienne.  Quarante-quatre pour cent des femmes autochtones hors réserves et 47% de celles vivant sur les réserves ont un revenu sous le seuil de la pauvreté. Le revenu annuel moyen d’une femme autochtone est de seulement 13 300 dollars. La pauvreté pousse les femmes autochtones vers des situations ou des stratégies d’adaptation qui augmentent leur vulnérabilité à la violence, comme l’auto-stop, les dépendances, l’itinérance, la prostitution, la participation à des gangs, ou des relations de violence. Le sexisme et le racisme dans la société capitaliste aggravent cette vulnérabilité. Il y a une crise des femmes autochtones disparues et assassinées au Canada, qui a fait entre 1200 et 4000 victimes au cours des trois dernières décennies.

Le taux d’incarcération des Autochtones est très élevé en comparaison avec le reste de la population. Des données de Statistiques Canada montrent que les jeunes autochtones comptaient pour 46% des admissions aux « services correctionnels » en 2016 et 2017, alors qu’ils ne représentent que 8% des jeunes du pays. En Saskatchewan, 92% des jeunes hommes incarcérés et 98% des jeunes femmes incarcérées sont autochtones.

Alors que les Autochtones ne forment qu’environ 4% de la population canadienne, plus de 23% de la population carcérale dans les établissements fédéraux est autochtone. Cela équivaut à un taux d’incarcération 10 fois plus élevé que celui de la population non autochtone. Les adultes autochtones forment la plus grande proportion des incarcérations au Manitoba et en Saskatchewan avec des taux de 74% et 76%, alors qu’ils ne composent que 15% et 14% de la population des deux provinces, respectivement.

Environ la moitié des enfants des Premières Nations vivent dans la pauvreté, avec des taux qui atteignent jusqu’à 62% au Manitoba et 64% en Saskatchewan. Le taux de pauvreté parmi les non-Autochtones de ces provinces est respectivement de 15% et 16%.

Une enquête de l’Assemblée des Premières Nations a montré qu’environ 47% des Premières Nations ont actuellement besoin d’une nouvelle école. Approximativement 74% des écoles des Premières Nations nécessitent présentement des réparations majeures en raison d’un manque d’espace ou de problèmes de plomberie, d’égout, d’électricité, de toiture, de structure ou de fondations, ou reliées au code du bâtiment. Seulement 46% des écoles des Premières Nations ont un gymnase pleinement équipé et seulement 37% ont une cour de récréation entièrement équipée ou un terrain de jeu extérieur. Ce n’est que 52% des écoles qui ont une cuisine pleinement équipée et 18% qui ont un laboratoire scientifique fonctionnel. Seulement 39% des écoles des Premières Nations possèdent une bibliothèque bien garnie, seules 48% ont du matériel informatique complet et seules 67% ont une bonne connexion internet.

Les sombres conditions auxquelles font face les communautés autochtones et l’héritage du colonialisme ont aussi des conséquences terribles sur leur santé mentale. Le suicide et les blessures auto-infligées constituent les premières causes de décès chez les jeunes des Premières Nations de même que chez les adultes jusqu’à 44 ans, selon l’Agence de la santé publique du Canada. Le taux de suicide général dans la population autochtone correspond au double de celui de la population canadienne dans son ensemble. Le taux de suicide chez les jeunes autochtones est de cinq à six fois plus élevé que celui chez les jeunes non-autochtones.

L’épidémie de suicide qui afflige les collectivités des Premières Nations au Canada est une crise nationale depuis des décennies, mais a aussi attiré l’attention à l’échelle internationale après que trois collectivités autochtones ont été forcées de déclarer l’état d’urgence en réaction à une série de suicides. Au printemps 2016, la réserve d’Attawapiskat en Ontario a déclaré un état d’urgence après que 12 jeunes ont fait une tentative de suicide dans la même nuit. Cela s’ajoutait aux 100 tentatives de suicide estimées au cours des 10 mois précédents dans cette communauté de 2000 habitants. Peu de temps après, on a appris que six personnes, y compris une fille de 14 ans, se sont tuées sur une période de trois mois dans la collectivité de Pimicikamak de la nation crie, au nord du Manitoba. Par la suite, plus de 150 jeunes de cette collectivité éloignée de 6000 habitants ont été placés sous surveillance pour risque de suicide.

Les chefs des collectivités autochtones et les jeunes militants expliquent depuis longtemps que ce sentiment de désespoir épidémique chez les jeunes résulte d’un manque de ressources et de possibilités sur les réserves, aggravé par la discrimination et le traumatisme intergénérationnel provenant de l’oppression coloniale. Les revendications des collectivités qui vivent cette épidémie se concentrent sur l’accès à des services sociaux et à des programmes culturels et récréatifs, une meilleure éducation et l’accès à de la formation et à l’emploi. Mais le financement du fédéral demeure insuffisant et les collectivités autochtones à travers le pays n’ont pas les ressources dont elles ont besoin pour résoudre cette épidémie.

Comment peut-on expliquer cet état des choses et quelles sont les solutions? Nous devons comprendre la racine de ces problèmes afin de les combattre. Lorsque nous cherchons à analyser une situation, un événement ou un enjeu actuel, nous devons prendre du recul et nous demander quelles sont les conditions sociales et historiques qui ont mené à la situation actuelle. Cela requiert d’étudier le développement du capitalisme canadien, qui a été fondé et construit sur l’exploitation brutale et la colonisation des peuples autochtones. Une étude de cette histoire nous montre aussi, de manière claire, que l’oppression continue et la souffrance des peuples autochtones aujourd’hui sont intrinsèquement liées au système capitaliste. Elle nous montre aussi le chemin vers l’émancipation : la lutte pour la transformation socialiste de la société.

Des cultures riches et variées prospéraient avant la colonisation

Avant la colonisation européenne, sur le territoire qu’on appelle aujourd’hui le Canada, des humains habitaient déjà depuis plusieurs milliers d’années, y vivant au gré de leurs propres luttes et réalisations. À l’arrivée des premiers envahisseurs européens, plus de 53 langues, regroupées en 11 familles linguistiques, avec différentes variantes et dialectes, étaient parlées sur le territoire. Il nous est impossible de rendre justice ici à la riche diversité de cultures, de langues et de traditions des différents peuples autochtones.

Toutefois, les peuples autochtones possédaient des traits communs et récurrents qui trouvent leur origine dans une organisation similaire de la production et de l’échange. La structure de la société qui prévalait avant la colonisation correspond ce à qu’Engels appelait le communisme primitif.

Si de nombreux universitaires ont critiqué le terme « communisme primitif », sous prétexte que cela dénigrerait prétendument les Autochtones, il s’agit d’une complète incompréhension du concept, et ce n’était aucunement l’intention de Marx et Engels. Le mot allemand d’origine pour ce concept est « Urkommunismus » qu’on pourrait mieux traduire par « communisme premier, originel ou primordial ». Il s’agit d’un stade de société dans lequel les forces productives et la productivité du travail ne sont pas suffisamment développées pour produire un surplus constant, ce qui constitue la condition préalable pour l’apparition de la société de classe et de l’appareil d’État nécessaire à sa défense. Cette analyse ne cherche absolument pas à dénigrer les peuples autochtones, étant donné que toute société humaine a inévitablement traversé une phase similaire. Une lecture honnête d’Engels montre qu’il présentait positivement les traditions des communautés autochtones,  qui étaient généralement beaucoup plus égalitaires que la « civilisation » capitaliste sous laquelle nous vivons aujourd’hui.

Cette organisation de la société était égalitaire et fondée sur la propriété communale des zones de chasse et de pêche. La propriété privée se limitait aux effets personnels. En l’absence d’une division de la société en classes, il n’existait pas encore d’État, c’est-à-dire une machine spéciale de contrainte servant à maintenir la domination d’une classe.

Comme l’explique le marxiste métis Howard Adams, « avant l’arrivée des Européens, la société indienne était gouvernée sans police, sans rois et sans gouverneurs, sans juges et sans classe dominante. Les différends étaient réglés par le conseil, entre les personnes concernées. Le gouvernement indien n’était ni vaste ni compliqué, et les postes n’étaient créés que pour assurer une administration efficace pendant une période donnée. Il n’y avait pas de pauvre et de défavorisé par rapport aux autres membres, ni de riche et de privilégié; par conséquent, dans les prairies, il n’y avait pas de classes et pas d’antagonisme de classes parmi les gens. Les membres de la communauté étaient tenus de s’entraider, de se protéger et de se soutenir mutuellement, non seulement sur le plan économique, mais aussi sur le plan religieux. Le partage était une caractéristique naturelle de leur mode de vie. Chaque membre reconnaissait qu’il lui incombait de contribuer au bien-être de la tribu lorsque cela était nécessaire, et le profit individuel était inconnu. Tout le monde était égal en droits et en avantages ».

Ces sociétés avaient tendance à être matrilinéaires, c’est-à-dire que la famille était organisée selon la lignée de la mère, et les femmes étaient à la tête de la maisonnée et avaient le pouvoir d’élire et démettre les chefs de guerre.

Toutefois, il est important de ne pas voir les peuples autochtones du Canada comme un bloc monolithique. Comme Engels l’expliquait dans Origine de la famille, de la propriété privée et de l’État, les sociétés communistes primitives ne sont pas statiques et passent à travers diverses étapes de développement. Parmi les peuples autochtones des Amériques, il y a des écarts importants sur le plan du développement socio-économique et des modes de vie. Par exemple, les Haudenosaunee (« le peuple des maisons longues », les « Iroquois » ou les « Six Nations ») de la région des Grands Lacs vivaient de l’agriculture, cultivant les haricots, la courge, la citrouille, le maïs et le tournesol. Plutôt que les campements temporaires caractéristiques des sociétés de chasseurs et cueilleurs, ils construisaient de grands villages avec des maisons longues permanentes.

La culture de plantes a permis pour une première fois la production (et l’entreposage) d’un surplus de denrées alimentaires. En retour, cela a mené à l’échange par le troc, et  un vaste réseau d’échange s’était développé avant l’invasion européenne. Divers peuples autochtones ont commencé à se spécialiser dans la production et l’échange de certaines ressources ou de certains produits, y compris l’agriculture, la chasse et le commerce des fourrures, la pêche, la chasse à la baleine et au phoque, la production de canots, la production d’arcs, la culture du tabac, le commerce de chevaux, l’extraction du fer et des métaux, etc.

Il existe de nombreuses preuves de l’existence d’un commerce généralisé dans les Amériques avant l’arrivée des Européens. Le maïs s’est répandu dans toute l’Amérique par le biais du réseau commercial complexe des Mayas. La catlinite faisait l’objet d’un commerce important, et des artefacts pour le tabagisme en catlinite ont été trouvés partout aux États-Unis et au Canada. La seule carrière de catlinite d’avant l’arrivée des Européens était située dans le Minnesota. Il existe de nombreuses preuves de l’existence d’un commerce très étendu entre les peuples autochtones de la côte ouest de l’Amérique du Nord – commerce de couvertures, de ceintures, de peaux, de raquettes, de poisson, de paniers, de peinture, de couteaux, de fer et de métaux, et de chevaux.

Avec le développement de relations de production plus complexes se développe aussi une organisation sociale plus complexe. Autour de l’année 1570, les cinq tribus Haudenosaunee (Seneca, Cayuga, Onondaga, Oneida and Mohawk) se sont unifiées dans une confédération qui s’est maintenue pendant des centaines d’années : la « Confédération Haudenosaunee » (aussi connue sous le nom de « Confédération iroquoise », et plus tard comme les « Six Nations »). En 1720, la tribu Tuscarora s’est jointe aux cinq autres. Cette confédération avait pour but de renoncer aux guerres mutuelles et de présenter un front uni face aux menaces extérieures.

L’organisation tribale militaire des Haudenosaunee annonçait l’apparition éventuelle, avec la venue de la société de classe, de l’État. Mais l’État n’existait pas encore : il n’y avait pas de corps spécial et permanent d’hommes armés et de prisons, caractéristique de la société de classe. Les chefs de guerre étaient plutôt aux commandes seulement pendant la guerre. Les forces armées étaient constituées de la communauté en armes plutôt que d’une armée permanente séparée. La propriété communale prévalait toujours.

Dans une région seulement cette société communiste avait commencé à s’effriter avant l’arrivée des Européens et à laisser place à une structure sociale divisée en classes, basée sur l’esclavage : sur la côte du Pacifique. Cela était dû au degré extraordinaire de productivité de leur activité économique principale, la pêche. La production d’un surplus régulier signifiait qu’il était possible pour une partie de la communauté de vivre dans l’oisiveté aux dépens du travail d’autrui. Les prisonniers de guerre, plutôt que d’être intégrés à la tribu comme des égaux qui travaillaient comme tout le monde (comme c’était le cas chez les Haudenosaunee), devenaient maintenant des esclaves, des objets de propriété, et les chefs de tribu, les hommes de propriété, devenaient des propriétaires d’esclaves. Avec cette transition vers la propriété privée et la stratification en classes vint aussi le passage à la patrilinéarité et à l’organisation patriarcale de la société.

Ainsi, bien que la société communiste de chasseurs-cueilleurs prédominait comme forme d’organisation sociale et économique avant la colonisation, il est clair que ce n’était pas le cas partout. Au contraire, différents peuples autochtones d’un bout à l’autre du territoire innovaient, évoluaient et se développaient, et leurs structures économiques et sociales connaissaient de profonds changements. Cette évolution naturelle et dynamique a été interrompue par la conquête européenne qui a perturbé le développement de la société communale tribale et cherché à la remplacer violemment par les relations sociales capitalistes.

La montée du capitalisme européen comme moteur de la colonisation

Dans le Manifeste du Parti communiste, Marx et Engels expliquent que la colonisation des Amériques était essentielle au développement du capitalisme par la consolidation du marché mondial. C’était nécessaire pour que le système capitaliste remplace le système féodal en tant que mode de production et d’échange dominant en Europe. Nous pouvons retracer les débuts de la colonisation de ce qui est aujourd’hui le Canada à partir de 1497, alors que l’Angleterre, le Portugal et la France organisaient de petites expéditions sur la côte est. Ces nations combattaient la domination de l’Espagne qui avait déjà commencé à coloniser les Caraïbes en 1492 avant d’aller récolter de l’or et de l’argent par le pillage et l’asservissement des Autochtones au début du XVIe siècle dans ce qui est aujourd’hui le Pérou et le Mexique. Ces expéditions étaient principalement financées par de riches marchands faisant partie de la classe capitaliste ascendante et qui recherchaient des marchandises à vendre sur les marchés européens. C’est là que se trouvait la véritable force motrice derrière la colonisation.

Le bilan de cette colonisation est vraiment horrible. On estime qu’entre 1492 et 1900, il y a eu environ une surmortalité de 175 millions chez les Autochtones dans les Amériques, avec une baisse de 95% de la population pendant cette période. David Stannard, de l’université d’Hawaï, a qualifié cette situation de « pire holocauste humain dont le monde ait jamais été témoin », et il est difficile de le contredire. Voilà un autre exemple de ce dont parlait Marx quand il disait que « Le capital arrive au monde suant le sang et la boue par tous les pores ».

Des théories sur l’infériorité raciale ont été élaborées pendant la période de formation du capitalisme afin de justifier la colonisation. L’Église y a joué un rôle fondamental en raison de l’autorité divine qu’elle était censée avoir. Des armées de prêcheurs ont été enrôlés par les sociétés par actions pour justifier l’exploitation impitoyable qu’elles faisaient subir aux peuples autochtones. Cela allait même jusqu’au pape qui a fourni un cadre juridique et idéologique à la colonisation par le biais de la doctrine de la découverte au XVe siècle. Cette doctrine affirmait que toute terre non habitée par des chrétiens était terra nullius, ou « la terre de personne », et pouvait donc être découverte et revendiquée.

Les Français ont été les premiers à pénétrer à l’intérieur du territoire et établir des avant-postes et des colonies dans la vallée du Saint-Laurent à partir des années 1600, ce qui a jeté les bases de l’empire français de la traite des fourrures. La Compagnie de la Nouvelle-France a été créée en 1627 et s’est vue offrir par la Couronne de France le monopole du commerce des fourrures en Nouvelle-France en échange de la promesse d’établir des colonies françaises catholiques sur le territoire.

Alors que les Espagnols et les Portugais ont construit leurs empires au Sud par la conquête et l’asservissement et que les colons britanniques ont massacré les populations autochtones, les Français n’ont jamais été assez puissants pour avoir une telle approche en Amérique du Nord. Par conséquent, la politique coloniale des Français consistait plutôt à conclure des alliances avec les tribus autochtones avec lesquelles ils entraient en contact.

Leurs pratiques coloniales n’étaient toutefois pas plus vertueuses que celles des autres colonisateurs européens. Les Français avaient une vision très paternaliste et méprisante des Premières Nations avec lesquelles ils forgeaient des alliances, les considérant comme des « sauvages » qu’il fallait « civiliser ». Leur relation avec les Premières Nations se basait aussi sur l’exploitation puisque ce sont les Autochtones qui devaient parcourir des kilomètres de distance afin de traquer les animaux pour leur fourrure alors que les marchands récoltaient les profits.  

Les Français ont aussi eu recours à la tactique de « diviser pour mieux régner » et ont attisé les flammes des guerres fratricides afin de rendre les tribus avec lesquelles ils faisaient du commerce encore plus dépendantes envers eux. Alors que certains de ces conflits existaient de longue date, l’intervention européenne a transformé des combats sporadiques, locaux et menés à l’aide d’arcs et de flèches en de véritables guerres d’extermination mutuelle sanglantes et étendues sur de vastes territoires.

L’ampleur de ces guerres était directement liée à la manipulation et à l’intégration forcée des peuples autochtones dans le marché mondial capitaliste en développement. Les tribus autochtones devenant de plus en plus dépendantes du commerce des fourrures avec les puissances coloniales, les conflits concernant les terrains de chasse et de trappage se sont transformés en guerres meurtrières, des tribus entières étant anéanties. Les guerres franco-iroquoises, la série de conflits militaires qui s’est étendue sur des décennies au cours du XVIIe siècle, est connue par les historiens anglophones sous le nom de « Beaver Wars » (« guerres du castor »), soulignant qu’il s’agissait essentiellement d’une bataille pour des marchés capitalistes très rentables.  

La Confédération Haudenosaunee a refusé d’être transformée en « alliée » dépendante des Français et était en guerre avec eux et leurs alliés des Premières Nations, les Hurons et les Algonquins, entre 1640 et les années 1660. À un certain moment, les Haudenosaunee ont même pris Montréal et certains avant-postes clés. Bien que cette résistance ait finalement été écrasée par l’intervention militaire directe de la France, elle a eu pour conséquence d’affaiblir considérablement la colonie. Incapable de gérer les conflits continus avec les Premières Nations locales en plus du mécontentement des colons français, la Compagnie de la Nouvelle-France a renoncé à sa charte en 1663, laissant la Compagnie de la Baie d’Hudson, qui appartenait aux Anglais, devenir la force dominante du commerce des fourrures.

Un autre facteur qui a affaibli la colonie était la guerre continuelle entre l’Angleterre et la France entre les années 1680 et 1750, qui a mené à des conflits constants entre les colonies. Au milieu du XVIIIe siècle, la Grande-Bretagne avait commencé sa révolution industrielle et émergeait comme puissance capitaliste mondiale, tandis que la France était entravée par les relations féodales. Cela se reflétait dans les colonies avec le niveau de développement économique relativement bas de la Nouvelle-France comparé aux colonies britanniques.

Après la guerre de Sept Ans, de 1756 à 1763, les Britanniques ont repris les régions précédemment administrées par les Français. Alors que les Français avaient stratégiquement conclu des accords avec les peuples autochtones afin de former des alliances, l’approche britannique consistait à les traiter comme un peuple conquis. Cette attitude a été illustrée de la façon la plus flagrante par le général britannique Jeffrey Amherst, qui pensait que si les Français étaient écartés, les peuples autochtones seraient contraints d’accepter la domination britannique. Amherst a adopté une position hostile aux peuples autochtones et, surtout après la rébellion des Cherokees contre les Britanniques en 1758, il a commencé à restreindre l’accès des peuples autochtones aux armes à feu et à la poudre à canon. En février 1761, dans ce qui fut connu sous le nom de décret d’Amherst, il mit fin à la tradition de donner de la poudre à canon et des balles aux chefs en tant que geste diplomatique de bonne volonté. Cela a contribué à la détérioration des relations entre les peuples autochtones et les Britanniques. 

Les Britanniques ont également refusé de se retirer des régions situées à l’ouest des monts Allegheny, occupant essentiellement des terres autochtones dans les vallées de l’Ohio et d’Allegheny. Les généraux britanniques étaient connus pour traiter les Autochtones comme des animaux sauvages, suivant en cela l’exemple donné par Amherst. Cela a provoqué la colère des peuples autochtones qui se sont regroupés, menant une guerre héroïque contre les forces coloniales britanniques en 1763. Plus d’une douzaine de tribus autochtones, comprenant des milliers de guerriers, se sont unies pour chasser les colonisateurs britanniques de leurs terres. Cette guerre est connue comme la « guerre de Pontiac », du nom de l’influent guerrier Odawa qui était l’un des principaux chefs des forces autochtones. Cette alliance souple de tribus a détruit huit forts, tuant des milliers de soldats et de colons britanniques et chassant des milliers d’autres de leurs terres. 

Alors que les récits officiels parlent invariablement de la brutalité des peuples autochtones, l’hypocrisie morale des colonisateurs britanniques est claire. Les peuples autochtones luttaient contre une force coloniale étrangère qui cherchait à les exterminer et à les remplacer en utilisant les méthodes les plus sournoises. Le point de vue brutal de cette dernière a été illustré de la manière la plus éloquente par Jeffrey Amherst lui-même, qui a plaidé en faveur de la guerre biologique en déclarant : « Ne pourrait-on pas trouver un moyen de répandre la variole parmi ces tribus d’Indiens mécontentes? À cette occasion, nous devons utiliser tous les stratagèmes en notre pouvoir pour les vaincre. » 

Si les tribus autochtones n’ont pas réussi à expulser les Britanniques, l’un des résultats de cette guerre a été la Proclamation royale de 1763, qui stipule que la Couronne doit négocier et signer des traités avec les peuples autochtones avant que des terres puissent être cédées aux colonies. La proclamation reconnaissait explicitement l’existence d’un droit de propriété autochtone sur les terres et que toutes les terres seraient considérées comme des terres autochtones jusqu’à ce qu’elles soient cédées par traité.

Toutefois, l’objectif de la proclamation n’était pas de protéger les titres ou les droits des Autochtones. Il s’agissait plutôt d’une manœuvre cynique visant à restreindre le pouvoir et l’indépendance croissants des colonies américaines, et elle était destinée à garantir la domination de la Couronne britannique en maintenant le monopole d’État sur la propriété des terres. 

Selon la Proclamation, seule la Couronne pouvait acquérir des terres auprès des peuples autochtones. Il était explicitement interdit pour les colons de prendre directement des terres autochtones; les terres devaient d’abord être acquises par la Couronne, puis vendues aux colons. L’idée était que la Couronne fasse valoir son droit au profit et soit la force dominante dans la colonisation et la destruction des peuples autochtones.

La France ayant été écartée, la Couronne britannique a concentré ses efforts sur la restriction du pouvoir de la bourgeoisie naissante des colonies. Cela a intensifié les conflits, qui ont finalement conduit à la Révolution américaine en 1765. Une fois de plus, les grandes puissances n’ont pas accordé grande importance au sort des peuples autochtones, chaque partie faisant des promesses vides de sens pour gagner des alliés autochtones de son côté. 

La Couronne britannique a par la suite brisé une série de promesses faites aux Premières Nations en vendant des territoires non cédés ou en les colonisant. Par exemple, en échange de se battre contre les Américains dans la guerre révolutionnaire, les Britanniques avaient promis à la Confédération Haudenosaunee la terre se trouvant à six miles de chaque côté de la Rivière Grand et qui se jette dans le Lac Érié. Cependant, ces promesses n’ont pas été respectées par la nouvelle Assemblée du Haut-Canada, et les peuples autochtones de la Confédération se sont retrouvés avec seulement le 1/15 de la terre qui leur avait été promise. Le peuplement du Haut-Canada a ensuite été réalisé par l’éviction massive des Premières Nations qui habitaient le territoire.

Avec la victoire décisive des Américains sur les Britanniques au début des années 1780, la bourgeoisie américaine a adopté une politique encore plus agressive que celle des Britanniques, en s’étendant vers l’ouest et en faisant fi de tout accord antérieur que les Britanniques avaient conclu avec les peuples autochtones. Une fois de plus, des tribus autochtones se sont unies lors de ce qui s’est appelé la guerre amérindienne du Nord-Ouest, se battant courageusement et infligeant de nombreuses défaites aux envahisseurs. En particulier, lors de la bataille de Wabash, une armée autochtone de guerriers des tribus Miami, Shawnee, Potawatomi et Lenape s’est réunie et a infligé la défaite la plus décisive jamais subie par l’armée américaine. Ils ont presque anéanti la totalité de la force américaine de 1000 soldats tout en ne subissant que des pertes minimes. 

Les peuples autochtones se sont battus courageusement contre les colonisateurs à de nombreuses reprises. Malgré cet héroïsme, ils étaient condamnés à la défaite à long terme. En effet, en fin de compte, toutes choses étant égales par ailleurs, le système socio-économique à plus forte productivité du travail sera victorieux dans tout conflit armé. La Révolution américaine, qui a jeté les bases politiques d’un capitalisme sans entraves et fondé sur la production industrielle, a déclenché un développement des forces productives presque sans précédent dans l’histoire. Face à cela, l’économie relativement sous-développée des peuples autochtones, déjà fortement déformée et affaiblie par le commerce des fourrures, n’avait aucune chance – malgré l’héroïsme et la volonté de riposter. Les chefs autochtones connaissaient évidemment cette vérité fondamentale lorsqu’ils ont forgé des alliances avec les Britanniques contre les Américains, malgré l’horrible bilan de l’Empire britannique. 

Pendant la guerre de 1812, les Britanniques ont de nouveau récompensé les Premières Nations pour leur soutien contre les Américains par une trahison. Plus de 10 000 guerriers des Premières Nations de la région des Grands Lacs et de la vallée du Saint-Laurent ont participé dans presque toutes les batailles majeures. En échange, l’Angleterre avait promis à Tecumseh, le chef des Shawnee, un territoire autochtone neutre entre les États-Unis et l’Amérique du Nord britannique. Mais après la guerre, les Anglais ont « oublié » cette promesse. Après avoir combattu durant la guerre, les Premières Nations ne se sont vues accorder aucune reconnaissance comme parties prenantes des discussions de paix ni comme peuples indépendants et souverains. 

Toujours plus de vols et de trahisons

La naissance du Canada en 1867 a coïncidé avec un vol historique de terres autochtones. La Compagnie de la Baie d’Hudson (CBH), qui avait obtenu la souveraineté légale sur les grands territoires du nord et de l’ouest, représentant plus de huit millions de kilomètres carrés, a plus tard vendu ces territoires au nouvel État canadien confédéré pour 300 000 livres et la permission de garder 50 000 acres de terre autour de différents postes de traite. Sans surprise, les peuples autochtones n’ont jamais vu un sou de cette richesse et n’ont jamais été consultés. John A. Macdonald, le premier des premiers ministres du Canada, faisait remarquer à propos des habitants de ces terres : « On nous les refile comme un troupeau de moutons. » La Compagnie a simplement vendu à la Couronne le territoire volé non cédé.

La CBH avait empoché 20 millions de livres dans la traite des fourrures (ce qui correspond approximativement à 1,5 milliard de livres aujourd’hui). Beaucoup de cet argent est retourné en Angleterre pour être investi dans l’industrie, fournissant une grande partie de ce qui donnera l’élan à la révolution industrielle, laquelle a fait de la Grande-Bretagne une importante puissance capitaliste à l’échelle mondiale. Toutefois, une somme significative de cette richesse a été réinvestie dans d’autres colonies de même qu’au Canada.

De plus, la CBH s’est servi de l’alcool pour opprimer et exploiter les peuples autochtones au Canada. L’alcool était un produit très lucratif souvent consommé dans les postes de traite. Il a eu en fin de compte pour effet de réduire le pouvoir d’achat des Autochtones et de miner les relations communautaires traditionnelles. Les chefs et les aînés autochtones ont résisté à ce commerce préjudiciable, tandis que la CBH a protégé son monopole sur la vente d’alcool et en a tiré un profit massif. L’alcool était utilisé pour maintenir les autochtones dans un état de dépendance. Les commerçants de la CBH se présentaient souvent avec de grandes quantités d’alcool aux périodes de pointe de la chasse afin de voler littéralement les fourrures des commerçants autochtones en état d’ébriété. L’utilisation de l’alcool dans le commerce des fourrures a grandement profité à la CBH, avec des conséquences sociales qui se font encore sentir aujourd’hui.

Avec les profits immenses du commerce des fourrures et des monopoles sur l’alcool en plus de la vente de terres volées, la Compagnie de la Baie d’Hudson a été essentielle à la formation de la bourgeoisie canadienne et du capitalisme canadien. En fait, la CBH a été le point de départ du développement d’une grande bourgeoisie au Canada dans les domaines bancaire, du rail, de la navigation et de l’exploitation du territoire. Il est donc clair que l’exploitation des peuples autochtones a joué un rôle essentiel dans le développement du capitalisme canadien, et a jeté les bases de la nouvelle bourgeoisie canadienne.

Le capitalisme canadien est bâti sur l’asservissement des peuples autochtones

Au moment de la formation de la Confédération en 1867, la disparition des animaux à fourrure et le développement de l’industrie et du commerce avaient entraîné la fin du commerce des fourrures (à l’exception de certains endroits dans le Nord). Cela a poussé la nouvelle classe capitaliste à accorder plus d’attention à d’autres ressources et à établir un marché local. Le capitalisme canadien avait besoin d’aménager le territoire afin de soutenir la production agricole capitaliste et ainsi que le développement de l’industrie et du commerce, organisés autour de l’extraction des matières premières. Un bassin de main-d’œuvre bon marché était nécessaire pour répondre à ces besoins économiques, quelque chose qui manquait généralement à la bourgeoisie canadienne.

Alors que la Compagnie de la Baie d’Hudson avait précédemment profité du mode de vie nomade fondé sur la chasse et le trappage des peuples autochtones, sa politique envers eux a bientôt changé. Des traités ont été établis entre les Premières Nations et la Couronne pour évacuer les terres pour laisser place au développement et  à l’exploitation capitaliste. Des mesures visant à « civiliser l’Indien » ont été adoptées pour briser les formes traditionnelles de gouvernance et de propriété communale. La base économique de la société autochtone avait déjà pratiquement été éradiquée à travers l’exploitation capitaliste. Par exemple, rendu aux années 1880, les hordes de bisons avaient effectivement disparu puisque les cuirs et les peaux étaient parfaits pour fabriquer des courroies et d’autres pièces pour les machines utilisées par l’industrie du centre du Canada et de la côte Est des États-Unis. Maintenant, les éléments culturels de la société autochtone devaient être détruits à leur tour. Cela s’explique par le fait que le mode de production communiste primitif et les formes de famille qui y correspondaient étaient incompatibles avec le développement du capitalisme et, du point de vue de la classe capitaliste, devaient donc être détruits.

Alors que les peuples autochtones voyaient la terre et les ressources naturelles comme une propriété collective, leur seule présence sur ces terres représentait un obstacle au développement capitaliste. De plus, la classe capitaliste avait besoin d’un bassin de travailleurs dociles, déconnectés de leur territoire traditionnel et de leurs moyens de survie collectifs comme la chasse, et prêts à être exploités au nom du profit. Elle avait également besoin de détruire la culture et les modes de vie autochtones afin d’assimiler les peuples autochtones à la société capitaliste tout en minimisant la résistance. L’acquisition et le vol de terres autochtones ont joué un rôle essentiel dans l’accumulation primitive du capital en Amérique du Nord.

À partir de 1828, une série de rapports gouvernementaux, dont le rapport Darling, ont ciblé l’agriculture comme moyen de forcer les peuples autochtones à emprunter la voie de la « civilisation ». L’idée était de confiner les Autochtones dans des réserves, où ils apprendraient à cultiver la terre, à devenir de « bons chrétiens » avec l’aide désintéressée de l’Église, à découvrir les vertus de l’individualisme et à devenir finalement une main-d’œuvre malléable. Ainsi, ils établiraient des peuplements permanents, abandonneraient la chasse et développeraient une agriculture de subsistance, cessant ainsi d’être un obstacle à l’exploitation du territoire.

Dans le cadre de cette politique, les peuples autochtones, en particulier dans l’Ouest, ont été confinés dans des réserves où ils ont été contraints de cultiver la terre. Cependant, les terres à cultiver qui leur étaient réservées restaient la propriété de la Couronne, et étaient souvent de mauvaise qualité. Néanmoins, de nombreux agriculteurs autochtones ont connu un certain succès dans les années 1880, grâce aux nouvelles techniques agricoles et à l’organisation collective du travail. Par exemple, en 1890, deux fermes situées dans des réserves à Prince Albert et Regina ont remporté le premier prix d’un concours de blé.

Face à cette prospérité, et sous la pression de fermiers blancs qui se plaignaient de la concurrence des fermiers autochtones, le gouvernement fédéral a adopté une série de mesures pour limiter le développement de l’agriculture autochtone. Officiellement, ces mesures ont été prises sous le prétexte que les agriculteurs autochtones devraient commencer par apprendre l’agriculture de subsistance avant de passer à l’agriculture commerciale.

En 1881, la vente de produits agricoles par les Autochtones a été strictement limitée. Hayter Reed, le surintendant général adjoint des affaires indiennes, a été le responsable de la mise en œuvre de la Peasant Farm Policy (politique sur l’exploitation paysanne) en 1889, qui entravait le développement de l’agriculture autochtone. Reed était d’avis qu’il était préférable pour les Autochtones d’apprendre à cultiver de petites parcelles de terre plutôt que de s’engager dans une agriculture commerciale à plus grande échelle. Une telle approche aurait pour effet de réduire la superficie des terres agricoles des Autochtones et éliminer le besoin de recourir à de la machinerie agricole. Reed soutenait que les paysans d’autres pays avaient cultivé avec succès pendant des siècles avec des outils à main archaïques et il pensait que les Autochtones devaient d’abord apprendre à utiliser ces outils et ainsi progresser à travers les étapes historiques de la technique agricole avant d’être autorisés à concurrencer les agriculteurs blancs. Il a interdit aux Autochtones d’acheter des machines agricoles et a forcé les agriculteurs autochtones à utiliser des outils à main archaïques.

Avec la mise en œuvre de la politique sur l’exploitation paysanne, les terres agricoles des Autochtones ont été divisées et attribuées individuellement en parcelles de 40 acres afin d’encourager l’individualisme et la propriété privée et de saper l’esprit collectif et le sens de la communauté. Une fois les parcelles distribuées, les terres « inutilisées » étaient ensuite vendues, réduisant encore plus la taille des réserves.

Les traités injustes et la Loi sur les Indiens

Les traités ont joué un rôle important dans la préparation des terres et des peuples autochtones au développement capitaliste. Les traités se fondaient sur deux sources juridiques : l’Acte de l’Amérique du Nord britannique, qui donnait à la Couronne le pouvoir de gérer les peuples autochtones, et la Proclamation royale de 1763 qui affirmait que tout titre de propriété légal appartenait aux Autochtones à moins d’être éteint par un traité. Cette proclamation constitue la base juridique utilisée aujourd’hui par les Autochtones pour leurs revendications territoriales. Cependant, comme nous l’avons déjà expliqué, la Proclamation royale n’a jamais eu pour objectif de défendre les droits territoriaux des Autochtones, mais visait plutôt à empêcher les colonies d’acquérir des terres directement, protégeant ainsi le monopole de la Couronne britannique sur les terres. Les Britanniques n’ont pas hésité à manipuler et à tromper les peuples autochtones lors de la négociation des traités pour les dépouiller de vastes étendues de leur terre et les pousser vers des terres non arables et de qualité inférieure.

L’objectif des traités pour l’État canadien a été exprimé par le Commissaire aux Affaires indiennes Joseph Provencher en 1873 : « Il y a deux façons possibles pour le gouvernement de traiter les nations indiennes qui habitent son territoire. Des traités peuvent être signés simplement dans le but de mettre fin à leurs droits en acceptant de leur offrir une somme d’argent pour ensuite les laisser à eux-mêmes. D’un autre côté, ils pourraient être éduqués, civilisés et menés vers un mode de vie plus conforme à la nouvelle position de ce pays. »

Les Premières Nations ont accepté des accords aussi inégaux parce qu’elles subissaient une pression énorme : la mortalité due aux épidémies de variole ou d’autres maladies était très élevée, plusieurs animaux traditionnellement chassés avaient disparu, et les peuples autochtones avaient été brutalement massacrés aux États-Unis. Dans les Prairies, les arpenteurs étaient au travail pour déterminer le lieu de passage du chemin de fer Canadien Pacifique et l’État se préparait à déplacer de force les Premières Nations et les Métis qui se trouvaient sur son chemin.

En 1871, après que le Canada a pris le contrôle de la rivière Rouge, la Couronne a ouvert des négociations avec les Premières Nations pour obtenir des droits sur les terres, conformément à la Proclamation royale de 1763, qui était incluse dans la nouvelle constitution de la Confédération. Cette époque de négociation de traités a duré jusqu’en 1921. Connus sous le nom de « Traités numérotés », ces traités commencent dans les Prairies, et comprennent des parties du Nord et certaines régions de l’ouest de l’Ontario. Bien que les Premières Nations de certaines régions de la Colombie-Britannique aient conclu de ces traités, la majorité des Premières Nations de la province n’ont pas participé à ce processus.

Lors de la première période de négociations entre 1871 et 1877, certaines Premières Nations ont obtenu des concessions importantes, grâce à l’expérience acquise amèrement par les autres peuples ayant déjà signé des traités. Par exemple, le Traité no 6 comportait des éléments qui n’avaient pas été obtenus dans les Traités no 1 à 5, comme l’exigence que l’agent des Indiens garde une caisse de médicaments à son domicile sur la réserve, des mesures de protection contre la famine et les maladies, davantage de fournitures agricoles et la prestation de services d’éducation sur les réserves.

Mais les chefs ne signaient pas ces traités de gaieté de coeur. Certains chefs ont élevé leur voix contre la signature des traités, comme le chef Poundmaker lors de la signature du Traité no 6. Au contraire, les Premières Nations qui acceptaient ces traités le faisaient par nécessité, en raison de la disparition des fondements économiques de leur mode de vie.

Au moment de la formation de la Confédération, tous les éléments principaux de la politique canadienne à l’égard des Autochtones étaient en place, mais ils étaient éparpillés dans une série de lois sans aucune structure administrative unifiée. Avec la Confédération, les « Affaires indiennes » sont tombées sous la coupe du gouvernement fédéral. Les différentes lois ont été réunies dans la Loi sur les Indiens en 1876.

Le plan de la bourgeoisie canadienne de convertir les Autochtones sur les réserves en source de main-d’œuvre bon marché et en source de surplus agraire avait essentiellement échoué. La Loi sur les Indiens représentait une tentative de résoudre ce problème. Elle a imposé aux Autochtones sur les réserves un régime foncier qui assurait à la Couronne le contrôle de la production agricole sur les réserves.

L’État avait le contrôle total de la terre, et donc de la vie des gens se trouvant sur les réserves. L’État décidait de tout, par exemple quelles cultures seraient plantées et quand elles seraient récoltées. Il fournissait tout l’équipement et décidait de ce qui serait vendu et à quel prix. Les revenus des ventes allaient au ministère des Affaires indiennes, et étaient censés servir à payer pour des améliorations dans les réserves. Dans la pratique, les Affaires indiennes étaient un ministère de second plan, peu surveillé par Ottawa. Selon Heather Robertson, des millions de dollars ont ainsi été détournés ou utilisés abusivement. Donc, dans un certain sens, les Autochtones sur les réserves sont devenus des travailleurs agricoles au service du ministère des Affaires indiennes. De ce point de vue, les réserves sont effectivement devenues une source de main-d’œuvre bon marché, les Autochtones étant devenus des employés de l’État.

La Loi sur les Indiens donnait au nouvel État canadien des pouvoirs énormes sur tous les aspects de la vie des Premières Nations, y compris l’autorité légale pour remplacer les formes traditionnelles de gouvernance autochtone, relocaliser de force des réserves, dicter les critères du statut d’indien et interdire des pratiques spirituelles et culturelles. Au lieu des formes traditionnelles de gouvernance, le système des conseils de bande a été imposé. Les systèmes des réserves et des pensionnats ont également été créés par la Loi, qui a donné au gouvernement fédéral le pouvoir d’exproprier des zones de réserve, supposément pour le développement d’infrastructures et pour d’autres travaux publics.

La Loi sur les Indiens interdisait aux Premières Nations de parler leur langue et de pratiquer leurs religions traditionnelles. Elle interdisait aux Premières Nations de porter leurs habits traditionnels en public et interdisait la cérémonie du potlatch en Colombie-Britannique et la Danse du soleil en Alberta. Le but était de briser les modes de vie traditionnels et de transformer les Autochtones en main-d’œuvre au service des capitalistes en plus de libérer les terres pour le développement capitaliste, par exemple pour la construction du chemin de fer Canadien Pacifique.

Le but de cette loi (qui est toujours en place aujourd’hui malgré certaines modifications, et qui maintient son objectif initial) était d’asservir les Autochtones et de les assimiler de force à la société bourgeoise afin d’éliminer l’obstacle qu’ils constituaient au développement des terres, des ressources et du capitalisme en général. L’idée derrière la loi était de forcer les peuples autochtones à renoncer à leur statut d’indien et à se fondre dans la société bourgeoise. Conformément à la vieille tradition de double discours bureaucratique, ce processus d’assimilation forcée était appelé en langage juridique « émancipation ».

En vertu de la loi, toute une série de mesures a été adoptée pour y arriver, y compris des dispositions pour détruire la matrilinéarité chez de nombreuses Premières Nations. D’autres mesures ont été mises en œuvre afin de forcer l’émancipation. Par exemple, toute Première Nation admise à l’université devait renoncer au statut d’indien.

La loi contenait également une série de mesures politiques conçues pour contrôler politiquement les peuples autochtones. La loi interdisait la formation d’organisations politiques des Premières Nations et les privait du droit de vote. Jusqu’en 1960, les Premières Nations ne pouvaient voter lors des élections fédérales que si elles renonçaient à leur statut. La loi interdisait à quiconque (tant des membres des Premières Nations que des non-membres) de recueillir des fonds pour les actions en justice des Premières Nations sans un permis spécial accordé par le surintendant général des Affaires indiennes. Cette mesure avait pour but d’empêcher les Premières Nations de présenter leurs revendications territoriales.

De 1885 à 1940, un système de passes était en place afin de contrôler les mouvements des Premières Nations et de les garder sur les réserves. Les membres des Premières Nations habitant sur une réserve étaient forcés d’obtenir la permission écrite d’un agent des Affaires indiennes s’ils voulaient quitter leur réserve. S’ils se faisaient prendre hors réserve sans une passe, ils étaient soit incarcérés, soit ramenés sur leur réserve. Cette politique a été adoptée après la Rébellion du Nord-Ouest, et avait pour but d’éviter l’expansion de l’insurrection.

Les Rébellions de Louis Riel et leur suite

La Rébellion de la rivière Rouge de 1869-1870 et la Rébellion du Nord-Ouest de 1885 font partie des épisodes les plus importants de résistance des Premières Nations et des Métis à la saisie de leurs terres. Les deux rébellions sont associées au nom du grand martyr Louis Riel.

La Nation métisse forme un groupe autochtone culturellement distinct dont les origines remontent aux enfants de divers peuples européens et autochtones. La Nation métisse est géographiquement diversifiée, mais conserve une culture, des traditions, des langues (comme le métchif et le bungi), un mode de vie, une conscience collective et une identité nationale uniques1.

La colonie de la rivière Rouge, située dans ce qui est aujourd’hui le Manitoba, était habitée par un peu plus de 10 000 personnes en 1871, la plupart étant des Métis avec un nombre à peu près égal de francophones et d’anglophones. La colonie avait été fondée par des colons écossais en 1812, mais était dominée par la Compagnie de la Baie-d’Hudson (CBH) qui possédait les droits de pêche et de chasse à travers toute la Terre de Rupert depuis 1670, bien que la terre appartenait aux Premières Nations et aux Métis. En 1836, le contrôle de la colonie a officiellement été cédé à la CBH, qui l’a gouvernée de 1836 à 1869. 

Cependant, les impérialistes britanniques et l’État colonial canadien craignaient que si rien n’était fait, devant la pression des États-Unis, le territoire de la Terre de Rupert finisse par être annexé par les Américains. De plus, les intérêts du développement du capitalisme canadien (ainsi que les intérêts de la Couronne) exigeaient que le pays soit lié d’un bout à l’autre. L’Assemblée législative de la province du Canada avait résolu : « Devant l’ouverture rapide des territoires présentement occupés par la Compagnie de la Baie d’Hudson, et devant le développement et la colonisation de vastes régions entre le Canada et l’océan Pacifique, il est essentiel pour les intérêts de l’Empire dans son ensemble qu’une grande route allant de l’Océan atlantique vers l’ouest existe, ce qui devrait lier toutes les possessions britanniques en Amérique ensemble et faciliter leur accès et leur protection par la Grande-Bretagne… »

À la base, le moteur de ce conflit était un changement dans les relations matérielles de production. Comme l’explique Howard Adams : « À la source des troubles se trouvait le conflit entre deux systèmes économiques différents – l’ancien système économique représenté par la Compagnie de la Baie d’Hudson et le nouveau système industriel. […] Le choc de ces deux systèmes économiques a alimenté les hostilités de 1869-1870 dans le Nord-Ouest, qui ont abouti à ce que la Terre de Rupert soit placée sous l’autorité constitutionnelle du gouvernement à Ottawa, le siège de l’empire industriel. »

Au sommet, les dirigeants de la CBH ont simplement changé de siège, l’actionnaire principal Donald A. Smith transférant son capital aux chemins de fer, aux banques et à d’autres industries. Le gouvernement de John A. Macdonald a été rempli d’anciens directeurs de la CBH comme Smith, qui ont recommandé d’annexer le Territoire du Nord-Ouest afin de pouvoir étendre leur propre empire industriel et construire un État-nation capitaliste. Les choses étaient cependant quelque peu différentes pour les habitants de ce vaste territoire dont les terres et tout le mode de vie étaient désormais menacés.  

La Loi de 1868 sur la terre de Rupert a autorisé le transfert de la terre, et l’accord a été signé et est entré en vigueur le 15 juillet 1870, avec la mention que des traités seraient signés avec les nations autochtones. À l’époque, les Métis n’étaient pas légalement reconnus comme un peuple autochtone par le gouvernement canadien, ni inclus dans la Loi sur les Indiens, ni présumés être couverts par les dispositions de la Proclamation royale de 1763. Ce n’est qu’en 2003 que les Métis ont reçu une telle reconnaissance, avec la décision historique Powley. Naturellement, en 1870, la CBH et le gouvernement ont négocié sans demander l’opinion des Métis. Cela allait alimenter la colère des Métis de la rivière Rouge.

Comme mentionné précédemment, la CBH a cédé la Terre de Rupert (qui compte pour le tiers du territoire actuel du Canada) pour 300 000 livres (1,5 million de dollars), ce qui était très abordable pour l’époque. L’historien W. L. Morton affirme : « Un des plus grands transferts de territoire et de souveraineté de l’histoire fut exécuté comme une simple transaction immobilière. » 

Le transfert de territoire devait être appliqué le 1er décembre 1869. Les Métis de la rivière Rouge ont alors commencé à s’organiser contre cette « annexion sans consultation » en octobre de la même année en formant le Comité national des Métis avec John Bruce comme président et Louis Riel comme secrétaire. En novembre, Riel a mené un groupe de 400 hommes armés pour saisir le Fort Garry, un point stratégique de la colonie. La Rébellion de la rivière Rouge avait commencé.

En décembre, un gouvernement provisoire a été formé par les Métis : l’Assemblée législative d’Assiniboia, qui a rédigé une liste de conditions pour son entrée dans la Confédération. Devant ce mouvement démocratique révolutionnaire, le gouvernement canadien a dû temporairement renoncer à prendre le contrôle du territoire. Les Métis, par leur action révolutionnaire, avaient établi un gouvernement démocratique-bourgeois et infligé un revers humiliant à la classe dirigeante canadienne et les impérialistes britanniques. De manière intéressante, il s’agissait d’une lutte unie des Métis anglophones et francophones, où les droits linguistiques de deux groupes allaient être protégés par le nouveau gouvernement.

Les Métis ont adopté une Liste des droits afin de la présenter à Ottawa. L’État canadien, tout en se préparant à recevoir les délégués du gouvernement provisoire, s’est aussi préparé à réprimer le mouvement.

En mai 1870, après des négociations entre le gouvernement provisoire et Ottawa, la Loi sur le Manitoba a créé la province du Manitoba. Toutefois, dans les mois suivants, des troupes ont été envoyées pour rétablir l’autorité du gouvernement fédéral, réprimer le gouvernement provisoire et écraser la rébellion. Le premier ministre canadien John A. MacDonald affirmait dans une lettre : « Si ces misérables Métis ne se dispersent pas, il faudra les écraser. » En août 1870, les troupes britanniques et canadiennes sont arrivées à Fort Garry pour reprendre le contrôle. Riel, craignant avec raison d’être lynché, s’est enfui aux États-Unis.

Nous avons ici un exemple typique de l’attitude de la classe dirigeante canadienne envers les Premières Nations et les Métis, et ce depuis le début : un mélange de conciliation feinte et de répression. De façon semblable, Justin Trudeau aujourd’hui peut parler de « réconciliation » tout en envoyant en même temps la GRC réprimer les Autochtones de la nation Wet’suwet’en en Colombie-Britannique. Ce faisant, Trudeau ne fait que poursuivre la politique que la classe dirigeante canadienne a adoptée depuis des centaines d’années. 

La classe dirigeante canadienne a réussi à écraser la Rébellion de la rivière Rouge et a procédé à la construction du Canadien Pacifique. Si le train transcontinental était nécessaire pour l’entrée de la Colombie-Britannique dans la Confédération, il s’agissait aussi d’un projet lucratif pour lequel la concurrence était féroce au sein de la classe dirigeante. Autrement dit, c’était une question de profit. En 1872, le magnat des transports Sir Hugh Allan a obtenu le contrat. Il a été rapidement découvert qu’il avait fait un don de 350 000 dollars au Parti conservateur avant de recevoir le contrat, ce qui a forcé le gouvernement de John A. MacDonald à démissionner en 1873 (il a repris le pouvoir en 1878).

Pour protéger les profits, John A. MacDonald a délibérément affamé des milliers d’Autochtones pour dégager le chemin du Canadien Pacifique et pour ouvrir les Prairies à la colonisation par les Blancs. Il a ordonné aux fonctionnaires du ministère des Affaires indiennes à Prince Albert, en Saskatchewan, de retenir les rations de nourriture des Premières Nations jusqu’à ce qu’elles se déplacent vers les réserves désignées par le fédéral situées loin de la voie ferrée. Les Premières Nations faisaient face à la famine et étaient coincées sur des réserves desquelles elles ne pouvaient pas partir sans la permission d’un agent fédéral des Indiens. Les conditions de vie sur les réserves étaient épouvantables. Mais si les Autochtones forcés d’y rester se plaignaient de leurs rations alimentaires, déjà médiocres, ils voyaient ces rations être coupées davantage.

Les données historiques montrent que cette pratique provenait d’une directive explicite de John A. MacDonald à ses fonctionnaires fédéraux. Des archives montrent également que MacDonald s’est vanté de maintenir les populations autochtones « au bord de la famine » afin d’économiser des fonds publics. Un historien canadien, Jack Daschuk, a réalisé une étude dans laquelle il retrace le chemin d’une cargaison de produits alimentaires contaminée à la tuberculose et ayant provoqué une épidémie. Il a découvert qu’elle provenait d’une entreprise américaine dans laquelle un haut fonctionnaire de l’État canadien avait un intérêt financier important. Daschuk en tire une conclusion brutale : « La vérité gênante est que le Canada moderne est fondé sur le nettoyage ethnique et le génocide. »

Cependant, les peuples autochtones ne se sont pas laissés écraser sans combat. Tant les Métis que les autres Autochtones de l’ouest se sont battus courageusement contre l’État canadien et sa quête insatiable de profits, notamment lors de la Rébellion du Nord-Ouest de 1885.

Les origines de la Rébellion du Nord-Ouest remontent à la défaite de la Rébellion de la rivière Rouge de 1869-1870. Avec la Loi sur le Manitoba, le gouvernement canadien avait promis de donner 1,4 million d’acres de terre aux familles métisses. Cependant, des retards bureaucratiques ont ralenti le processus et cette mesure n’a jamais été pleinement mise en œuvre. De plus, les colons venus de l’est ont reçu des terres avant les Métis, en raison du parti pris anti-Métis évident du gouvernement. Les deux tiers des Métis, frustrés par les promesses brisées de l’État canadien, ont fui la province. La plupart d’entre eux sont allés vers l’ouest pour établir des colonies dans ce qui est aujourd’hui la Saskatchewan.

Avec le développement de l’agriculture et l’avancée du Canadien Pacifique, on observait un déclin constant de la population de bisons. Les Métis sentaient que leur culture traditionnelle semi-nomade basée sur la chasse au bison était menacée, et ils ont envoyé une pétition à leur gouvernement en 1874 pour qu’il intervienne, mais en vain. Les différents groupes autochtones avaient des doléances similaires. Quoi qu’il en soit, le gouvernement canadien voulait forcer la population autochtone à abandonner son mode de vie nomade et à s’établir dans des villages vivant de l’agriculture. Les peuples autochtones vivant sur les réserves ont vu leur ration alimentaire être coupée en 1883, ce qui n’a fait que rajouter de l’huile sur le feu.

Les colons blancs de l’ouest avaient eux aussi leurs doléances. Ils s’étaient fait promettre une vie de prospérité en allant vers l’ouest, une prospérité qui n’est jamais venue. Les représentants des Métis, des Premières Nations et des colons blancs se sont rencontrés en mai 1884 pour discuter de comment affronter le gouvernement fédéral. Ils ont décidé de demander à Louis Riel de revenir de son exil aux États-Unis pour les aider dans leur lutte. Avec une unité de toutes les classes exploitées et peuples opprimés de l’ouest, il aurait été possible pour un mouvement révolutionnaire de l’emporter contre l’État canadien.

En décembre 1884, une pétition contenant toutes les revendications des Métis, des Premières Nations et des colons blancs a été envoyée au gouvernement. Sa réponse a été de mettre sur pied une enquête publique, une mesure qui a été perçue comme un autre geste vide de contenu. Sous la direction de Riel, une nouvelle rébellion a alors éclaté. Les 18 et 19 mars, un groupe de Métis armés a formé le Gouvernement provisoire de la Saskatchewan, avec Riel comme président. Les Métis et Premières Nations en révolte ont remporté une victoire les 25 et 26 mars contre la Police montée du Nord-Ouest, l’ancêtre de la GRC qui avait été établie en 1873 pour maintenir l’ordre dans l’ouest et écraser la résistance autochtone.

Cette victoire a encouragé d’autres Premières Nations à rejoindre le mouvement. Cependant, l’État canadien n’a pas perdu de temps et a agi rapidement pour reprendre le contrôle. Ce sont pas moins de 5000 hommes qui ont été envoyés par Ottawa pour écraser la rébellion. La classe dirigeante a fomenté une réaction raciste hystérique dans la presse à propos des « atrocités indiennes » qui devaient être arrêtées. Cela a permis jusqu’à un certain point de diviser la population et de retourner une partie des colons blancs contre la lutte armée. Le 15 mai, Riel a capitulé et en juin, la rébellion a pris fin.

Il est assez révélateur que la première guerre de l’histoire menée par des troupes canadiennes sans assistance britannique ait eu lieu ici même, au Canada, contre des Métis et des Premières Nations résistant aux mauvais traitements de l’État canadien. Une fois encore, nous voyons que l’État canadien et son appareil policier répressif sont fondés sur l’asservissement des peuples autochtones et l’écrasement violent de leur souveraineté.

Le procès de Riel a créé des divisions importantes dans la population canadienne. Par une manœuvre politique cynique, Louis Riel a été condamné à mort, alors que d’autres rebelles emprisonnés ont été épargnés. John A. MacDonald, le premier ministre conservateur, cherchait ainsi à s’appuyer sur la population anglophone aux dépens des francophones et du Québec, afin de « diviser pour mieux régner ». De la propagande présentant Riel comme un traître a été répandue. Mais au Québec, la population voyait ce procès pour ce qu’il était, c’est-à-dire un exemple de l’oppression des francophones par l’État canadien. Le jury était entièrement composé d’anglophones. MacDonald a affirmé que Riel « sera pendu, même si tous les chiens du Québec aboient en sa faveur ».

Et c’est ce qui est arrivé. Louis Riel a été pendu le 16 novembre 1885 à Regina. Sa pendaison a déclenché un déluge de colère au Québec. Une manifestation de masse de 50 000 personnes eu lieu à Montréal le 22 novembre, la plus grande manifestation de l’histoire du Québec à l’époque. Le 27 novembre, six guerriers cris et deux guerriers d’Assiniboine ont été pendus également.

D’une perspective bourgeoise, Louis Riel est aujourd’hui considéré comme l’une des figures les plus controversées de l’histoire du Canada. De notre côté, nous sommes fiers de compter Riel dans notre héritage révolutionnaire. Sa lutte en résistance à l’État canadien et en faveur des droits du peuple métis opprimé est une inspiration pour nous aujourd’hui.

Les pensionnats autochtones, outils de génocide culturel

Si l’État canadien se servait de tactiques violentes et génocidaires pour réprimer la résistance, sa politique préférée demeurait quand même l’assimilation. Cela s’explique par le fait qu’il manquait au Canada un bassin suffisant de travailleurs. Le Canada n’a jamais développé de commerce d’esclaves à grande échelle et insuffisamment de gens venaient s’y établir pour satisfaire aux besoins du développement capitaliste. Donc, le raisonnement de la classe capitaliste canadienne était que les Autochtones pourraient être brisés et assimilés pour servir leurs besoins. L’un des outils principaux pour y arriver a été l’horrible système des pensionnats. 

Des écoles de missionnaires sous la gouverne de l’Église étaient en fonction depuis le XVIIe siècle, avec pour mission de « civiliser » les enfants autochtones en leur imposant la foi chrétienne. Le nouveau gouvernement fédéral a commencé à offrir de petites subventions par élève aux pensionnats gérés par l’Église, et dans les années 1880 a drastiquement augmenté sa participation dans les pensionnats.

Le but des pensionnats n’était pas d’éduquer, mais de briser les liens des enfants autochtones avec leur culture et leur identité. C’est pourquoi la conclusion du rapport de la Commission de vérité et réconciliation de 2015 était que ce système des pensionnats autochtone représentait un génocide culturel. Le gouvernement canadien a mis en œuvre cette politique de génocide culturel parce qu’il souhaitait se débarrasser de ses obligations envers les Autochtones et prendre le contrôle de leurs terres et leurs ressources. Si tous les Autochtones étaient assimilés, il n’y aurait plus de réserve, plus de traité, et plus de droits autochtones. De plus, en rompant le lien entre les enfants et leur culture et traditions, on espérait les transformer en salariés malléables une fois leur éducation complétée, plutôt que de les voir compter sur leurs formes traditionnelles de survie. Même si le dernier pensionnat a fermé ses portes dans les années 90, briser le lien entre les Autochtones et leur culture, leurs langues et leurs traditions est un impératif persistant pour l’impérialisme canadien. On le voit avec le sous-financement chronique de services comme l’éducation et la santé pour les Premières Nations, ainsi que dans les conditions intolérables sur les réserves et chez les Autochtones pauvres des villes.

Des années 1870 jusqu’à la fermeture du dernier pensionnat en 1996, au moins 150 000 enfants métis, inuits et des Premières Nations ont fréquenté les pensionnats au Canada. La Loi sur les Indiens donnait aux Affaires indiennes le pouvoir d’enlever des enfants de leurs foyers; ces enfants étaient essentiellement kidnappés. Les  Métis et Inuits ne sont pas gouvernés par cette loi, mais à différents moments, leurs enfants ont été enrôlés dans les écoles provinciales ou fédérales dans des buts et par des moyens similaires, souvent avec l’aide de l’Église.

Plus de 130 écoles financées par le gouvernement et administrées par l’Église existaient à travers le pays, avec le but exprès de « civiliser » les enfants autochtones. Celles-ci ont détruit des familles et laissé des cicatrices qui se transmettent de génération en génération. Les conditions dans les pensionnats et les traitements subis par les élèves étaient horribles.

Les pratiques spirituelles et culturelles étaient bannies et les enfants n’avaient pas le droit de parler leur langue. Question de les déshumaniser davantage, les élèves étaient désignés par un numéro. Les élèves étaient souvent brutalisés et maltraités pour les punir de leurs écarts de conduite. On rapporte que les enfants faisaient fouetter et battre, raser les cheveux, enfermer dans de petites cellules d’isolement pour des semaines, nourrir d’eau et de pain seulement ou encore on baissait leur pantalon en public pour les humilier. La violence physique et sexuelle était généralisée.

Au moins 3 200 enfants ayant fréquenté les pensionnats ne sont jamais retournés chez eux. Les dossiers étaient régulièrement détruits, ce qui indique qu’il se pourrait que le nombre réel d’élèves décédés soit beaucoup plus élevé (entre 1936 et 1944 seulement, 200 000 dossiers des Affaires indiennes ont été détruits). Parmi les causes de décès, on retrouve la maladie (50% de tuberculose), les incendies et le suicide, avec beaucoup d’enfants mourant de froid alors qu’ils tentaient de fuir. Le manque de soins de santé et la mauvaise alimentation étaient la norme. Le gouvernement et les autorités ecclésiastiques ont été mis au courant des problèmes à de nombreuses reprises, mais rien n’a été fait pour mettre fin aux mauvais traitements. La violence faisait implicitement et explicitement partie de la conception même du système des pensionnats autochtones.

Retournant à la maison après des années, séparés de leurs familles et incapables de parler la langue de leurs aînés, les élèves se retrouvaient mis à l’écart de leurs communautés traditionnelles. N’ayant pas reçu l’attention et les soins qui sont nécessaires pour qu’un enfant développe des relations saines lors de sa vie adulte, un cycle de violence et de problèmes de santé mentale transmis de génération en génération a été déclenché.

La Commission de vérité et réconciliation trace un lien direct entre le traumatisme intergénérationnel subi par les familles autochtones pendant plus d’un siècle et les problèmes sociaux auxquels sont confrontées aujourd’hui les communautés autochtones, tels que la pauvreté, l’itinérance, la violence, les hauts taux de problèmes de santé, l’incarcération, les troubles de santé mentale ainsi que l’alcoolisme et la toxicomanie.

Le livre blanc

Si le dernier pensionnat autochtone a fermé en 1996, à partir des années 1950 la politique de l’État envers les Autochtones a évolué vers ce qui s’est appelé « l’intégration ». Les modifications de 1951 à la Loi sur les Indiens se sont concentrées sur l’intégration des services aux Premières Nations aux services offerts à tous les Canadiens, notamment en les introduisant progressivement au système d’éducation principal.

L’étape finale de cette politique « d’intégration » a été mise en œuvre en 1969 par le gouvernement fédéral de Pierre-Elliot Trudeau. Son gouvernement a présenté un document connu sous le nom de Livre blanc et annoncé son intention de se dégager de ses responsabilités pour les questions autochtones en abolissant la Loi sur les Indiens.

Conformément à la vision de Trudeau d’une « société juste », le gouvernement fédéral proposait d’abroger cette loi qu’il jugeait discriminatoire. Le gouvernement Trudeau considérait la Loi sur les Indiens comme discriminatoire non pas parce qu’il s’agissait du cadre législatif ayant régi la destruction et le génocide des communautés autochtones, mais parce qu’elle s’appliquait seulement aux peuples autochtones et non aux Canadiens en général. Le gouvernement Trudeau a donc proposé de mettre fin au statut légal spécial des peuples des Premières Nations et de démanteler le ministère des Affaires indiennes au nom de « l’égalité ».

Le Livre blanc affirmait que de retirer le statut légal unique établi par la Loi sur les Indiens « permettrait aux Indiens d’être libres – libres de développer des cultures indiennes dans un environnement d’égalité légale, sociale et économique avec les autres Canadiens ». En plus d’éliminer le statut d’indien pour les Premières Nations et de dissoudre le ministère des Affaires indiennes, le Livre blanc proposait aussi de transférer la responsabilité pour les affaires autochtones aux provinces et d’intégrer ces services à ceux qui étaient offerts à la population en général. Le Livre blanc proposait aussi la privatisation des terres des réserves afin qu’elles puissent être vendues par les bandes ou leurs membres.

Les Premières Nations se sont vivement opposées au Livre blanc. Bien que beaucoup de membres des Premières Nations voyaient la Loi sur les Indiens comme une loi raciste et coloniale, ils ne voulaient pas perdre les quelques droits qu’elle leur conférait. Le Livre blanc ignorait complètement les problèmes et les préoccupations soulevés par les leaders autochtones lors du processus de consultation. Beaucoup d’Autochtones voyaient dans le Livre blanc la dernière étape du projet de longue date de la classe dirigeante canadienne d’assimiler et de fondre les autochtones dans la société bourgeoise. Beaucoup d’entre eux avaient bien compris que cela mènerait directement à un génocide culturel et le voyaient comme une tentative grossière du gouvernement fédéral d’envoyer la balle dans le camp des provinces. Il apparaissait que le gouvernement canadien tentait de se défaire de ses responsabilités pour les injustices historiques.

Pour de nombreux Autochtones, le Livre blanc était un affront. Si nombre d’entre eux auraient été heureux que soit abolie la Loi sur les Indiens et le ministère des Affaires indiennes, et de clore ainsi le chapitre de siècles d’oppression, ils voyaient aussi le Livre blanc comme une tentative de la part du gouvernement fédéral de se déresponsabiliser de ses obligations issues des nombreux accords et traités. Ces accords régissaient et dominaient complètement la vie des peuples autochtones, et en tant que peuples opprimés, il n’a jamais été possible pour eux de s’en laver les mains. Ils ne pouvaient pas simplement ignorer le gouvernement fédéral ou les modalités de la Loi sur les Indiens, étant donné que ceux-ci définissaient leur existence même. Le gouvernement fédéral, qui prêchait « l’égalité », retournait maintenant le fer dans la plaie en tentant d’abandonner tout bêtement ses obligations historiques et en privatisant les terres des réserves. 

L’élimination du statut des Premières Nations et le transfert de la responsabilité pour les affaires autochtones aux provinces revenaient à placer les réserves sur un pied d’égalité avec les municipalités aux yeux de la loi canadienne. De nombreuses réserves, voire la plupart, ne sont pas économiquement viables et ne peuvent rivaliser avec les autres municipalités pour les emplois et l’investissement. Une telle décision aurait eu pour effet de vider les réserves, puisque leurs habitants les auraient quittées pour aller trouver du travail dans les villes. Ainsi, après des siècles de strangulation économique des réserves par le gouvernement fédéral, le Livre blanc était perçu par de nombreux Autochtones comme une tentative de détruire les réserves et de forcer les Autochtones à intégrer les villes. En effet, alors que le Livre cherchait à accorder le même statut aux réserves et aux municipalités, il n’offrait aucune protection juridique ou économique aux résidents des réserves. Il s’agissait en réalité d’une répétition moderne du mouvement des enclosures et cela ne peut être interprété que comme une assimilation forcée et un génocide.

Le Livre blanc a aussi marqué le début d’une nouvelle ère d’organisation politique dans les communautés autochtones. Harold Cardinal, un jeune cri qui présidait l’Indian Association of Alberta a répliqué au Livre blanc avec un livre intitulé The Unjust Society (« La société injuste ») dans lequel il exposait l’hypocrisie de la « société juste » proposée par Trudeau. Cardinal expliquait ouvertement que le Livre blanc était « un programme d’extermination par assimilation à peine déguisé » et qu’il le voyait comme une forme de génocide culturel. En 1970, l’Indian Association of Alberta a rejeté le Livre blanc dans un document intitulé Citizens Plus, qui est également connu sous le nom de « Livre rouge ». Le Livre rouge est devenu un document central autour duquel l’opposition des Autochtones au Livre blanc s’est galvanisée.

En Colombie-Britannique, la controverse entourant le Livre blanc déclenché une nouvelle époque d’organisation politique. En novembre 1969, trois dirigeants autochtones, Rose Charlie, Philip Paul et Don Moses ont réuni 140 dirigeants tribaux – une rencontre d’une ampleur sans précédent. Cette réunion avait pour objet d’élaborer une réponse collective au Livre blanc, et a mené à la fondation de l’Union of British Columbia Indian Chiefs (UCICB). L’UCICB a publié son propre document articulant son opposition au Livre blanc. Ce « Livre brun » forme toujours la pierre angulaire de sa politique actuelle.     

En raison de l’opposition des Premières Nations, le Livre blanc a été formellement retiré en 1973. Cela a eu pour résultat de renforcer les organisations des Premières Nations à travers le pays, notamment la Fraternité nationale des Indiens, qui est ensuite devenue l’Assemblée des Premières Nations.

Une des premières mesures d’un gouvernement socialiste au Canada serait d’abroger la Loi sur les Indiens. Se débarrasser de cette loi coloniale oppressive serait un des premiers pas qui serait pris pour mettre fin aux siècles d’oppression des peuples autochtones. Toutefois, les Autochtones eux-mêmes doivent avoir un rôle décisif dans leur libération de l’oppression coloniale. Un gouvernement socialiste ne pourrait pas agir unilatéralement sur cette question et devra agir de concert avec les peuples autochtones. Dans le cadre de l’abrogation de la Loi sur les Indiens, nous garantirions les pleins droits aux Autochtones sur les réserves comme hors de celles-ci et travaillerions de concert avec les peuples autochtones à l’élaboration d’un plan pour mettre fin à l’oppression coloniale. Sous le socialisme, la marche à suivre sera déterminée par les peuples autochtones eux-mêmes, particulièrement en ce qui concerne la Loi sur les Indiens et l’avenir du système des réserves. Il est certain qu’il serait tout aussi criminel et oppressif de forcer les Autochtones à sortir des réserves qu’il l’était au départ de les forcer à y rester.

Du Red Power à aujourd’hui

Dans le contexte de radicalisation générale qui traversait la société dans les années 60 et 70, il y a également eu une remontée du mouvement autochtone. Le Livre blanc n’a fait que jeter de l’huile sur le feu. La période de la fin des années 60 et du début des années 70 était une époque révolutionnaire traversée de mouvements de masse et de révolutions tout autour du globe, et les Autochtones se sont inspirés directement de nombre de ces mouvements. Leur mouvement en Amérique du Nord s’est généralement appelé le Red Power. Il tirait ses influences du mouvement des droits civiques, du mouvement anti-guerre et du American Indian Movement (AIM) aux États-Unis.

Mais le mouvement dans son ensemble était loin d’être homogène. Comme toute lutte d’un groupe opprimé, différentes approches s’y exprimaient,     qui ultimement, provenaient de points de vue de classe différents. Au début, le mouvement était basé sur l’identité, centré autour de l’unité autochtone dans une cause commune contre « l’homme blanc ». Mais beaucoup de dirigeants autochtones, radicalisés par les événements, ont été poussés à gauche, dont une couche s’est tournée vers le marxisme révolutionnaire. La nécessité d’élargir la lutte aux non-Autochtones et de la lier à une lutte plus large contre le capitalisme était ouvertement explorée et débattue au sein du mouvement.

Une division claire au sein du mouvement autochtone a également été mise en évidence. Le marxiste autochtone le plus connu, Howard Adams, luttait activement contre une couche de bureaucrates petits-bourgeois autochtones. Il les décrit ainsi dans son livre à succès Prison of Grass : « Les gouvernements impériaux ont souvent recours à des élites autochtones de la classe moyenne pour soutenir leur administration. Les classes moyennes, qui partagent le même système de valeurs et la même idéologie que la classe dominante, assurent la stabilité politique du système capitaliste. Par conséquent, dès que les Autochtones commencent à militer pour leur libération, les gouvernements font de sérieux efforts pour intégrer les dirigeants autochtones dans la classe moyenne. Une fois que ces dirigeants sont cooptés, ils deviennent des partisans du gouvernement et du régime colonial qui réprime leur peuple. » Adams décrit comment ces « oncles tomahawks » ont été entretenus grâce à l’augmentation des subventions gouvernementales et à la dépendance à l’égard des conseillers blancs qui leur apprennent à être serviles.  

Cette couche de bureaucrates autochtones petit-bourgeois a agi comme un frein sur le mouvement. En réaction, une jeune couche de marxistes autochtones s’est formée tout au long des années 1960 et a contribué à la création d’organisations rivales pour pousser à l’adoption de tactiques plus combatives. Malcolm Norris était un marxiste et un membre fondateur de la Metis Association of Alberta. Son ami et collaborateur James P. Brady était membre du Parti communiste. Il est soupçonné que Brady a été assassiné en raison de ses activités politiques quand il a disparu alors qu’il faisait de la prospection.

De nombreux militants métis et autochtones ont tiré des conclusions ouvertement révolutionnaires et ont cherché à relier la lutte des Autochtones avec le reste de la classe ouvrière dans une lutte pour le socialisme. Vern Harper, qui était un des leaders du mouvement en Ontario, a déclaré : « Il y a un thème plus combatif et révolutionnaire qui émerge et qui commence à trouver des appuis dans tous les éléments du mouvement autochtone. […] Les Autochtones et non-Autochtones voient que le capitalisme ne sert pas les masses. Il ne fait que protéger les intérêts capitalistes. » Harper a organisé la caravane des peuples autochtones qui a voyagé de Vancouver à Ottawa pour « accueillir » la réélection de Trudeau en 1974. Cette marche pacifique a été violemment réprimée par la police anti-émeute. Juste avant cela, Harper s’était porté candidat pour le Parti marxiste-léniniste à Toronto.  

Il y a eu à l’époque une série d’occupations de bureaux du gouvernement et des Affaires indiennes, accompagnées de nombreux barrages routiers. L’un des événements clés de la période a été l’occupation d’Anicinabe Park à Kenora, en Ontario, en juillet 1974 où, pour la première fois à l’époque, des membres des Premières Nations ont utilisé des armes pour faire valoir leurs droits et protéger l’occupation. Celle-ci, organisée par la Ojibway Warrior Society, a duré 39 jours et a été l’occasion d’un face-à-face entre une centaine de membres des Premières Nations et la police, ce qui a mené à des dizaines d’arrestations. Au cours de ces événements, une vague de racisme a été orchestrée, accompagnée de rumeurs selon lesquelles les militants autochtones étaient tous communistes. Ce n’était probablement pas si éloigné de la vérité.

Les « oncles tomahawk », dirigeants des principaux organes politiques des Premières Nations, tels que la Fraternité des Indiens du Canada et les associations indiennes provinciales, se sont élevés contre cette action, la dénonçant comme un encouragement à la violence. Même des dirigeants comme Howard Cardinal ont reculé devant le militantisme des rangs du mouvement. Au fur et à mesure que le mouvement s’est effondré, ces couches, libérées de la pression du mouvement de masse, se sont encore modérées, se transformant en un groupe stable de petits bourgeois et de bourgeois autochtones. Beaucoup de ces gens sont ironiquement entrés dans l’orbite du parti libéral, comme l’a fait Howard Cardinal lui-même en 2000 – se présentant sans succès sous la bannière du Parti libéral.  

Aux États-Unis, une scission a eu lieu au sein de l’American Indian Movement (AIM) et l’un des dirigeants célèbres de l’organisation, Russell Means, a quitté le groupe, se dirigeant vers la droite. Le Grand Conseil de l’AIM a alors publié une déclaration où il se dissociait de Means en le critiquant, car il s’était rendu au Nicaragua appuyer les « Indiens Mosquitos qui étaient alliés avec les Contras anti-révolutionnaires » en plus de son « entrée récente dans la politique conservatrice ». Means avait rejoint le Parti libertarien et avait avancé sa célèbre critique du marxisme, affirmant que « le marxisme est tout aussi étranger à ma culture que le capitalisme ».

Un autre débat a émergé entre des hommes et des femmes des Premières Nations. Les femmes des Premières Nations subissaient de la discrimination en vertu du paragraphe 12(1) de la Loi sur les Indiens, qui prévoyait que les femmes des Premières Nations qui se mariaient avec un non-Autochtone perdaient leur statut d’Indienne (tandis que les hommes des Premières Nations mariés à une femme qui ne l’est pas ne perdaient pas leur statut). Jeanette Corbiere Lavell, une travailleuse communautaire anishinaabe, a d’abord tenté de s’attaquer à cette discrimination par la voie légale. En 1974, elle s’est rendue en Cour suprême du Canada et a perdu le procès, ce qui l’a menée à fonder l’organisation Indian Rights for Indian Women. Cette lutte particulière a finalement été remportée, du moins formellement selon le droit bourgeois, lorsque la loi C-31 a été adoptée en 1985.

Cette soi-disant victoire présente cependant encore de nombreux problèmes. La modification de 1985 à la Loi sur les Indiens a introduit une clause « d’exclusion après la deuxième génération », entièrement basée sur le concept raciste de « degré de sang », historiquement utilisé par la classe dirigeante nord-américaine pour diviser les communautés autochtones, restreindre et réduire le nombre d’Autochtones et, essentiellement, commettre un génocide culturel. La modification de 1985 divise essentiellement les personnes ayant un statut d’Indien en deux groupes : celles ayant un statut complet (appelées 6(1)) et celles ayant un statut partiel (appelées 6(2)). Un enfant issu d’un mariage entre une personne ayant un plein statut (6(1)) et une personne sans statut a droit à un statut partiel (6(2)). Si cet enfant grandit et se marie à son tour avec une personne sans statut, l’enfant issu de cette union sera sans statut. Si une personne ayant le demi statut (6(2)) épouse une personne ayant le plein statut (6(1)) ou une autre personne ayant le demi statut (6(2)), les enfants reviennent au plein statut (6(1)). Cela signifie que de nombreuses personnes sont exclues du statut d’Indien, c’est-à-dire qu’elles ne peuvent pas être membres d’une bande, ce qui détermine à son tour qui peut vivre sur une réserve, qui peut se présenter à des postes politiques et qui a accès à l’éducation et à des fonds. Alors que les questions de statut et de financement sont aujourd’hui la question fondamentale, cette « exclusion après la deuxième génération » conduira à une crise future. Comme l’explique Pam Palmater, avocate mi’kmaq de la Première Nation d’Eel River Bar, « ce type de loi a un effet à long terme : chaque Première Nation au Canada a effectivement une date d’extinction, un jour où le dernier Indien inscrit de cette nation est né. C’est une réalité imminente pour certaines Premières Nations, qui risquent une extinction légale dans 50 ans ou moins ».

L’Association des femmes autochtones au Canada rapporte que cinq ans après l’introduction de la loi C-31, seulement 2% des femmes ayant récupéré leur statut étaient retournées sur leur réserve. De plus, certaines parties de la loi C-31 continuent d’être discriminatoires envers les femmes autochtones. Les femmes au statut d’Indienne ne reçoivent pas une division égale de la propriété matrimoniale sur les réserves et l’attribution des propriétés est encore déterminée par la descendance patrilinéaire, ce qui signifie que les femmes qui se séparent de leur époux perdent souvent leur toit. Cela force les femmes à quitter les réserves, les exclut de l’accès aux ressources et au pouvoir décisionnel sur les réserves et perpétue leur désavantage social et économique.

Un fossé s’était ouvert entre la Fraternité des Indiens et les militantes autochtones et leurs organisations. La Fraternité des Indiens résistait aux tentatives des femmes d’amender la Loi sur les Indiens, affirmant que cela pourrait ouvrir la porte à des modifications non désirées. Au fond, ils demandaient que les femmes autochtones remettent la lutte pour satisfaire leurs besoins à plus tard, ce qui a fomenté des divisions et affaibli le mouvement. Cela montre l’une des façons par lesquelles les opprimés et les exploités sont maintenus divisés sur des lignes de genre, d’orientation sexuelle, d’ethnicité, etc., et comment ces divisions ne servent que les intérêts de l’oppresseur. Le mouvement dans son ensemble aurait été renforcé par une lutte commune des hommes et des femmes autochtones.

Bien que cette vague de résistance se soit finalement épuisée, ce n’était pas la fin des luttes autochtones. Il y a eu de multiples luttes à travers les années 90 et 2000, comme les confrontations à Oka (1990), Ipperwash (1995), Gustafsen Lake (1995), et Burnt Church (1999). En 2006, nous avons vu les occupations par la Réserve des Six Nations suivies des journées d’action nationale de 2007 et 2008 qui ont mené à des blocages de l’autoroute 401 et de la voie ferrée du CN entre Toronto et Montréal par des militants autochtones. Ces actions ont souvent été la cible de raids par la police, suivis d’arrestations. Nous ne pouvons pas fournir ici une analyse détaillée de chacune de ces luttes. Mais dans chaque cas, les Autochtones ont fait preuve d’un esprit très combatif qui témoigne du potentiel révolutionnaire de cette couche de la société.

Le maintien des conditions d’oppression des Autochtones a mené à un nouveau mouvement en 2012, Idle No More. Cette nouvelle vague de manifestations a été déclenchée par la loi omnibus C-45 du Parti conservateur qui s’attaquait à la protection environnementale et aux droits autochtones issus de traités. Des manifestations de masse ont eu lieu à travers le pays. Theresa Spence, la cheffe d’Attawapiskat qui a fait une grève de la faim pour protester contre les conditions de vie épouvantables et la crise du logement sur sa réserve, est devenue le symbole de cette lutte. Le mouvement s’est éventuellement éteint, mais a sans aucun doute eu pour résultat de faire connaître les enjeux autochtones, ce qui a politisé de nombreux jeunes, Autochtones comme non-Autochtones.

Les divisions de classe au sein des communautés autochtones

Au fil du temps, l’assimilation des peuples autochtones dans le système de relations capitalistes a créé des divisions de classe au sein des communautés autochtones tant sur les réserves qu’en dehors. Certains segments ont utilisé les programmes et les avantages obtenus du gouvernement pour promouvoir leurs propres intérêts et s’intégrer dans la société canadienne. À l’instar de la population noire aux États-Unis, une mince couche d’Autochtones petits-bourgeois et bourgeois s’est constituée. Ces personnes contrôlent souvent les conseils de bande et l’Assemblée des Premières Nations, et leurs intérêts sont de plus en plus divorcés du reste de la communauté. Cela s’est avéré un outil précieux pour les politiciens libéraux et conservateurs qui comptent sur les couches les plus aisées pour freiner les mouvements lorsque ceux-ci vont trop loin.

Cela a même mené à une lutte de classe au sein de la communauté autochtone. Par exemple, un conflit a eu lieu au casino très profitable situé près de Port Perry, en Ontario, qui est géré par le conseil de bande des Mississaugas de Scugog Island. En 2003, les 1000 travailleurs du Casino Great Blue Heron ont déposé une demande de syndicalisation, avec les Travailleurs canadiens de l’automobile (TCA), et ont demandé de meilleurs salaires et avantages sociaux. La réponse du conseil de bande a été d’affirmer que le Code du travail de la province ne s’applique pas sur son territoire. Le conseil de bande a plutôt mis en place son propre Code du travail qui interdisait les grèves et exigeait un paiement de 12 000 dollars pour déposer une plainte reliée au travail. L’avocat du conseil de bande a cité l’Acte constitutionnel de 1982 et la Loi sur la gestion des terres des premières nations qui accordent au conseil de bande le droit de contrôler l’accès aux réserves. Une situation similaire a eu lieu au Casino Northern Lights près de Prince Albert où les TCA ont été impliqués dans une bataille judiciaire de deux ans avec la Saskatchewan Indian Gaming Authority.

Les libéraux de Justin Trudeau, qui ont hypocritement parlé de bâtir une relation de « nation à nation » avec les peuples autochtones, se reposent sur cette couche de bourgeois autochtones. Cette division de classe dans les communautés autochtones est devenue très visible lors des récents événements entourant la question des pipelines. Dans le cas du gazoduc Coastal GasLink, les chefs héréditaires Wet’suwet’en s’opposent au gazoduc pour des raisons liées aux titres territoriaux historiques et pour des raisons environnementales. De nombreux groupes autochtones ont envoyé des messages de soutien et se sont montrés solidaires des Wet’suwet’en en bloquant l’accès aux zones de construction du gazoduc. Cependant, de l’autre côté de la ligne de partage des classes, certains conseils de bande situés le long du tracé du gazoduc, représentant cette couche de la bourgeoisie autochtone, ont signé des accords lucratifs avec le propriétaire TransCanada Corporation (aujourd’hui TC Energy). Ils ont donc tout intérêt à ce que ce projet aille de l’avant. 

Dans le cas de l’oléoduc Trans Mountain, divers groupes autochtones le long du tracé s’opposent à sa construction. Certains s’y opposent pour des raisons environnementales, d’autres parce qu’ils estiment que la consultation avec le gouvernement a été futile et que leurs préoccupations ont été ignorées. D’autre part, comme dans le cas du gazoduc Coastal GasLink, quelque 51 bandes des Premières Nations en Colombie-Britannique et en Alberta ont signé des accords avec Trans Mountain d’une valeur de plus de 400 millions de dollars.

Nous ne pouvons pas tomber dans l’illusion romantique que tous les Autochtones seront opposés aux pipelines et autres projets de développement par amour de l’environnement, et ainsi de suite. Plutôt que de s’opposer aux projets comme ceux de pipelines, une couche d’Autochtones bourgeois accepte la propagande des barons du pétrole et accueille en fait les pipelines comme des occasions rentables de faire avancer leurs intérêts de classe. D’autres signent des accords par désespoir et par crainte de ne rien obtenir pour remédier aux problèmes de leurs réserves sous-financées. La pression des relations capitalistes a poussé une couche de bourgeois autochtones à chercher à devenir propriétaires de pipelines pour obtenir leur part du gâteau. Trois groupes commerciaux autochtones distincts sont récemment apparus et ont lancé des appels d’offres pour acquérir la propriété du pipeline Trans Mountain. Cela les placerait en conflit avec les nombreux autres groupes autochtones opposés à l’oléoduc – ce qui montre une fois de plus qu’au bout du compte, les intérêts de classe primeront toujours les intérêts historiques ou communautaires. 

Nous voyons ici l’importance d’avoir une approche fondée sur la classe ouvrière. Si nous devons soutenir les luttes des Autochtones pour le droit à la terre et aux ressources sous le capitalisme, cela signifie des choses différentes pour les différentes couches de la population autochtone. Les couches supérieures utilisent tout ce qu’elles obtiennent du gouvernement fédéral pour s’enrichir, et utilisent même les clauses constitutionnelles liées à l’autonomie pour essayer d’empêcher les travailleurs autochtones de se syndiquer! Cependant, comme dans toute chose, en fin de compte, la question de classe fait surface.

Vérité et réconciliation

Au fil des ans, un certain nombre d’enquêtes et de commissions financées par le gouvernement se sont penchées sur les problèmes et les enjeux auxquels sont confrontées les communautés autochtones. La Commission royale sur les peuples autochtones de 1996 a demandé que les communautés autochtones aient un plus grand contrôle sur le développement et l’extraction des ressources sur leur propre territoire. La commission a également demandé au gouvernement fédéral d’investir 30 milliards de dollars dans l’éducation, la garde d’enfants, le logement et l’emploi pour les communautés autochtones. Aucune de ces recommandations n’a jamais été mise en œuvre, ni par le gouvernement libéral fédéral de l’époque, ni par le gouvernement conservateur de Stephen Harper qui a suivi.

Ensuite, il y a eu la Commission de vérité et réconciliation qui a conclu que le système des pensionnats autochtones était indéniablement un acte de génocide culturel et a émis des recommandations en matière de politiques afin de remédier aux conséquences néfastes des pensionnats.

Les problèmes ont été signalés à maintes reprises, mais aucun gouvernement ne prend de véritables mesures. Le Canada est l’un des pays les plus riches du monde, et il n’y a aucune raison pour que toute cette richesse ne soit pas mise à profit pour résoudre les problèmes auxquels sont confrontées les collectivités autochtones : l’élimination de la pauvreté et du chômage dans les réserves et hors des réserves; la fin des avis d’ébullition d’eau; l’amélioration et la construction à grande échelle de logements dans les réserves et un plan national de logement dans tout le Canada; des services de santé universels, y compris le financement de services de santé culturellement adaptés aux populations autochtones; un développement du Nord qui fait participer et emploie les populations autochtones à tous les stades de la production; et un réseau de services sociaux universels pour lever la myriade d’obstacles sociaux auxquels les populations autochtones sont confrontées.

Voilà le genre de politiques qui peuvent commencer à remédier de manière substantielle aux dommages causés par des centaines d’années de colonisation et d’oppression. Mais ces politiques sont en contradiction avec la recherche du profit du capitalisme, qui continue à traiter les Autochtones comme un obstacle au pillage des ressources naturelles. Tant que l’État canadien restera sous le contrôle des capitalistes, leur quête acharnée de profit tiré de l’exploitation des terres et des ressources du Canada se poursuivra. Le mépris qui en résulte pour les droits territoriaux et les droits issus de traités des Autochtones découle de la contradiction irréconciliable entre l’État canadien et les peuples autochtones.

La DNUDPA et l’imposture de la réconciliation

La Commission de vérité et réconciliation a également appelé tous les ordres de gouvernement au Canada à adopter et appliquer la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones (DNUDPA) en tant que « cadre pour la réconciliation ».   

La DNUDPA reconnaît les droits des peuples autochtones à l’autodétermination, à l’autonomie et à l’autonomie gouvernementale, et met l’accent sur le concept de « consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause » pour les activités en territoire autochtone. C’est pourquoi elle trouve des appuis considérables chez les peuples autochtones au Canada et autour du monde.

Par exemple, l’article 3 de la DNUDPA stipule : « Les peuples autochtones ont le droit à l’autodétermination », ce qui comprend le droit qu’ils « déterminent librement leur statut politique et assurent librement leur développement économique, social et culturel ».

L’article 4 de la DNUDPA affirme : « Les peuples autochtones, dans l’exercice de leur droit à l’autodétermination, ont le droit d’être autonomes et de s’administrer eux-mêmes pour tout ce qui touche à leurs affaires intérieures et locales, ainsi que de disposer des moyens de financer leurs activités autonomes. »

L’article 26 stipule que « 1) Les peuples autochtones ont le droit aux terres, territoires et ressources qu’ils possèdent et occupent traditionnellement ou qu’ils ont utilisés ou acquis. 2) Les peuples autochtones ont le droit de posséder, d’utiliser, de mettre en valeur et de contrôler les terres, territoires et ressources qu’ils possèdent parce qu’ils leur appartiennent ou qu’ils les occupent ou les utilisent traditionnellement, ainsi que ceux qu’ils ont acquis. 3) Les États accordent reconnaissance et protection juridiques à ces terres, territoires et ressources. Cette reconnaissance se fait en respectant dûment les coutumes, traditions et régimes fonciers des peuples autochtones concernés. »

L’article 32 stipule que « 1) Les peuples autochtones ont le droit de définir et d’établir des priorités et des stratégies pour la mise en valeur et l’utilisation de leurs terres ou territoires et autres ressources. 2) Les États consultent les peuples autochtones concernés et coopèrent avec eux de bonne foi par l’intermédiaire de leurs propres institutions représentatives, en vue d’obtenir leur consentement, donné librement et en connaissance de cause, avant l’approbation de tout projet ayant des incidences sur leurs terres ou territoires et autres ressources, notamment en ce qui concerne la mise en valeur, l’utilisation ou l’exploitation des ressources minérales, hydriques ou autres. 3) Les États mettent en place des mécanismes efficaces visant à assurer une réparation juste et équitable pour toute activité de cette nature, et des mesures adéquates sont prises pour en atténuer les effets néfastes sur les plans environnemental, économique, social, culturel ou spirituel. »

La Déclaration a ses problèmes, bien sûr, le plus criant étant qu’elle ne pourra jamais être appliquée sous le capitalisme, mais il est intéressant de noter que plus de 140 États ont voté en faveur du document contre seulement quatre oppositions : celles de l’Australie, de la Nouvelle-Zélande, des États-Unis et du Canada. Considérant l’histoire de ces pays, leur opposition à la Déclaration ne devrait surprendre personne. Ces quatre pays ont finalement « accepté » ou « appuyé » la DNUDPA, chaque pays trouvant ses propres moyens de l’ignorer complètement dans la réalité.

Le gouvernement Harper, à l’époque, reflétant les intérêts de la classe dirigeante, a affirmé ouvertement que son opposition à la déclaration s’appuyait sur des préoccupations liées à la nécessité du consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause. Le gouvernement Harper affirmait que cela pourrait mener à la réouverture de revendications territoriales déjà réglées et que cela pourrait aussi être vu comme un droit de véto sur les projets d’extraction de ressources octroyé aux peuples autochtones, une idée que ne peut pas avaler la classe capitaliste puisque cela menace sa domination de classe sur la nation.

Les libéraux de Justin Trudeau ont adopté une approche différente de celle des conservateurs de Harper, du moins superficiellement en paroles. Trudeau a beaucoup parlé de « réconciliation » et de « relations de nation à nation », mais il a en fait poursuivi la même approche et les mêmes politiques colonialistes que l’État canadien a toujours adoptées.

En mai 2016, les libéraux de Trudeau ont formellement abandonné l’opposition du Canada à la DNUDPA. La ministre des Affaires autochtones Carolyn Bennett a annoncé à ce moment : « Nous appuyons maintenant sans réserve la Déclaration. Nous ne visons rien de moins que l’adoption et l’application de la Déclaration, conformément à la Constitution canadienne. »

Cependant, moins de deux mois plus tard, la ministre de la Justice de l’époque, Jody Wilson-Raybould, a déclaré dans un discours à l’assemblée générale de l’Assemblée des Premières Nations que la DNUDPA ne pouvait pas être adoptée comme loi parce qu’elle était en contradiction avec la Loi sur les Indiens. Elle a déclaré ce qui suit : « Autant j’aimerais demain pouvoir jeter au feu de l’histoire la Loi sur les Indiens afin de voir les Premières Nations renaître de leurs cendres, cette option n’est pas pratique. C’est pourquoi les approches très simplistes, comme l’adoption de la DNUDPA comme loi canadienne, ne sont pas applicables et, je le dis respectueusement, sont une distraction politique qui retarde le lancement des travaux difficiles que requiert sa mise en œuvre réelle. »

L’État bourgeois et l’extraction de ressources

Avant d’arriver au pouvoir, Trudeau semblait indiquer que son gouvernement accepterait les exigences de la DNUDPA concernant le consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause des peuples autochtones avant que certains projets ne soient approuvés. À un moment donné, il a même déclaré qu’un « non » d’une collectivité autochtone concernant un projet de pipeline entraînerait l’annulation du projet.

Tout cela a changé. La classe dirigeante canadienne ne tolérerait pas une telle position de la part du gouvernement fédéral. Les sociétés pétrolières ont été mises à l’épreuve sur le plan économique et sont paniquées par la montée des États-Unis en tant que premier producteur mondial de pétrole et de gaz naturel. La domination des États-Unis a rendu plus difficile pour les sociétés pétrolières canadiennes l’acheminement des produits pétroliers et gaziers vers les marchés internationaux. Avec un accès limité aux infrastructures aux États-Unis et l’imposition de prix réduits, les barons du pétrole au Canada sont désespérés de développer leurs propres infrastructures sous forme de pipelines et d’installations de traitement.

L’adoption et la mise en œuvre véritables de la DNUDPA par le gouvernement fédéral pourraient compromettre la capacité de la classe dirigeante à dicter et à contrôler l’extraction des ressources et la construction de pipelines. C’est pourquoi la classe dirigeante est totalement opposée à la DNUDPA et le gouvernement fédéral a fait marche arrière.

Les sociétés pétrolières et la droite, en particulier en Alberta, ont lancé une campagne bruyante en faveur de la construction d’oléoducs à tout prix. Selon eux, toute opposition à la construction de pipelines, qu’elle provienne de groupes environnementaux, de peuples autochtones ou même d’autres gouvernements provinciaux (Colombie-Britannique et Québec par exemple), doit être impitoyablement écrasée.

Après avoir promis de garantir le consentement libre, préalable et éclairé des populations autochtones pour les projets qui touchent leurs terres, le gouvernement Trudeau, sous la pression de la classe dirigeante, déclare aujourd’hui, à propos de la DNUDPA, qu’il « visera » à obtenir le consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause des peuples autochtones et ne peut plus le garantir.

Trudeau a plus tard clarifié ses propos et affirmé qu’Ottawa ne reconnaît pas le droit inconditionnel des Premières Nations de bloquer unilatéralement des projets en ajoutant que « Non, ils n’ont pas de droit de véto ».

En qualifiant de « droit de véto » le consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause des peuples autochtones en matière d’extraction des ressources, la classe dirigeante et ses représentants politiques leur disent en réalité que, quels que soient les beaux discours qu’ils tiennent à l’égard de DNUDPA, les peuples autochtones n’auront toujours pas leur mot à dire sur les activités économiques qui se déroulent sur leurs terres. Les gouvernements fédéral et provinciaux et les entreprises auront le dernier mot. Au mieux, les peuples autochtones peuvent être « consultés », mais la réalité de la situation montre clairement que cette « consultation » est totalement vaine, si tant est qu’elle ait lieu.

Du point de vue de la bourgeoisie, la classe capitaliste et son État doivent avoir le contrôle sur l’extraction des ressources et doivent pouvoir protéger les profits. La maîtrise économique sur la nation et le contrôle des ressources économiques constituent après tout les principales tâches de la révolution démocratique bourgeoise et les principaux piliers de la domination de classe de la bourgeoisie. Elle ne renoncera pas à ces pouvoirs sans se battre.

Les gouvernements provinciaux et fédéral forment, en dernière analyse, le comité exécutif de la classe dirigeante, la classe capitaliste. L’État canadien représente donc les objectifs et les intérêts de la classe dirigeante et n’a aucun intérêt réel à défendre les droits des Autochtones ou leurs titres ancestraux. Le premier ministre Trudeau à Ottawa ou le premier ministre John Horgan en Colombie-Britannique peuvent bien parler des droits des Autochtones et adopter les principes de la DNUDPA, mais lorsqu’il s’agit de la question des intérêts et des profits de la classe dirigeante, par exemple sous la forme d’un pipeline, l’État canadien se range à chaque fois du côté des capitalistes et des entreprises.

Comme le Canada est maintenant signataire de la DNUDPA, certaines voix s’élèvent pour demander au gouvernement canadien de mettre enfin en œuvre la Déclaration pour résoudre la question des droits des Autochtones. Cependant, certains des problèmes liés à la DNUDPA ont déjà été révélés de manière flagrante. Le gouvernement canadien a déjà promis de la mettre en œuvre, mais il en modifie la formulation pour supprimer les garanties de consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause des peuples autochtones.

D’une manière ou d’une autre, la classe dirigeante et l’État canadien ne permettront jamais que la question des droits autochtones et des titres ancestraux menace les projets d’extraction de ressources ou tout autre projet de grande importance économique. Le droit bourgeois sera toujours utilisé pour protéger les intérêts des capitalistes et contre les droits des peuples autochtones.

Ainsi, même si la DNUDPA est adoptée sous une forme ou une autre dans la loi, la réalité est que les gouvernements canadiens ne pourront jamais s’engager à garantir un consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause et ne pourront jamais accorder aux peuples autochtones le contrôle de l’extraction des ressources sur leurs propres territoires, parce que les moyens de production restent sous la propriété privée des capitalistes.

On ne peut pas planifier ce que l’on ne contrôle pas, et on ne peut pas contrôler ce que l’on ne possède pas. Tant que la propriété des moyens de production restera privée et entre les mains de la classe capitaliste, la production et l’extraction d’énergie se poursuivront aux dépens de la société, des droits des Autochtones et de l’environnement, au profit de quelques-uns. Par conséquent, seul un gouvernement socialiste qui éradiquera la propriété privée de la terre et la recherche du profit pourra garantir un consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause. En fait, ce sera notre point de départ, et non notre point d’arrivée. L’objectif sera de travailler en partenariat complet avec les collectivités autochtones pour leur fournir des emplois et des communautés viables sur leurs terres traditionnelles.

Territoires non cédés

En juillet 2017, le gouvernement de la Colombie-Britannique a annoncé qu’il introduirait une loi pour mettre en œuvre la DNUDPA. Plus de deux ans plus tard, il l’a fait, bien que le premier ministre John Horgan ait également souligné que la loi ne donnerait pas aux Premières Nations de « droit de véto » sur les projets de ressources. On s’attend à ce que l’impact de la loi prenne encore plus de temps à se faire sentir.

Entre-temps, la GRC a envahi le territoire traditionnel de la nation Wet’suwet’en en Colombie-Britannique, appliquant une injonction au nom de l’entreprise gazière et pétrolière TransCanada, afin d’enlever les points de contrôle qui bloquaient l’accès au chantier du pipeline Coastal GasLink.

L’attaque sur les Wet’suwet’en a montré ce que la classe dirigeante et l’État considèrent être un « consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause ». Le pipeline Coastal GasLink va passer à travers le territoire traditionnel non cédé appartenant à la nation Wet’suwet’en. Il y a une opposition significative à ce plan de la part de la nation Wet’suwet’en et son leadership traditionnel. Les chefs héréditaires sont en fait opposés à la construction de pipelines sur leur territoire et l’ont interdit.

Malgré cela, les sociétés pétrolières, l’État et la droite ont fait valoir qu’ils avaient bel et bien le « consentement » des peuples autochtones pour construire l’oléoduc. Face à l’opposition des chefs héréditaires des Wet’suwet’en, les entreprises et le gouvernement ont fait valoir que des accords avaient été signés avec toutes les bandes autochtones élues le long du tracé de l’oléoduc en Colombie-Britannique. Ils considèrent que ces accords représentent le « consentement » des peuples autochtones à la construction du gazoduc.

Cependant, ces accords avec les conseils de bande n’ont vraiment rien à voir avec la situation et ne veulent pas dire grand chose, car les conseils de bande n’ont pas de compétence en dehors des territoires des réserves. Il s’agit d’institutions coloniales imposées par la Loi sur les Indiens, qui n’ont de toute façon compétence que sur les terres des réserves, qui sont de très petites zones délimitées, gérées comme des municipalités. 

Nous sommes ici confrontés à une autre source de confusion. Qui sont les véritables représentants des peuples autochtones – les chefs « héréditaires » ou les conseils de bande « élus »? On pourrait avoir l’impression qu’il s’agit d’un choix entre une monarchie apparemment héréditaire et des élections démocratiques. Mais ce n’est pas la réalité sur le terrain. L’État canadien a rompu par la force les formes traditionnelles de gouvernance, c’est-à-dire le potlatch, les longues maisons, les mères de clan, etc. et a imposé des conseils de bande « élus » en complément des agents indiens. Ces formes traditionnelles de gouvernement étaient souvent beaucoup plus proches des gens et reflétaient mieux les souhaits des gens à la base que le système étranger des conseils de bande imposé par le haut. Il existe souvent une division de classe où une minorité de membres riches d’une Première Nation a le monopole du pouvoir au sein du conseil de bande, tandis que la majorité des membres de la classe ouvrière vit dans des conditions médiocres. Ces bourgeois autochtones deviennent souvent des politiciens libéraux et conservateurs, et sont la couche sur laquelle s’appuient les sociétés pétrolières et minières. Il a même été question d’oléoducs « sous propriété autochtone », comme si cela pouvait être une solution lorsque la majorité des habitants des réserves de classe ouvrière assument tous les risques et aucun des avantages. 

Il est mieux de conceptualiser les formes de gouvernance comme une opposition entre leadership traditionnel et conseils de bande, plutôt que de le voir comme héréditaire contre élu. Cependant, nous avons utilisé la terminologie courante afin de ne pas créer de confusion. Ceci étant dit, cette observation n’est pas une règle universelle. L’essentiel est que c’est aux peuples autochtones de déterminer comment ils se gouvernent eux-mêmes. Dans certains cas, les formes traditionnelles de gouvernance ont été totalement éradiquées et n’existent plus. Dans d’autres cas, les conseils de bande élus ont reflété le désir de lutter venant de la base. Nous devons regarder chaque nation et tenir compte de ses particularités, tout en comprenant qu’il y a aussi une division de classe au sein des communautés autochtones. Cela nous permet de comprendre les conflits comme celui avec la nation Wet’suwet’en, et de voir au-delà de la propagande des entreprises et de l’État.

Les chefs héréditaires de la nation Wet’suwet’en ont expliqué que les accords signés par les conseils de bande n’ont aucune validité sur les territoires traditionnels non cédés. En effet, le pipeline Coastal GasLink ne passe pas sur des réserves sous la juridiction des conseils de bande, mais passe en réalité sur le territoire traditionnel. Les chefs héréditaires revendiquent le titre de propriété, ont traditionnellement compétence sur ce territoire, et n’ont pas donné leur consentement à la construction du pipeline. 

La question des territoires non cédés concerne principalement la Colombie-Britannique où la terre a été prise aux peuples autochtones sans qu’aucun traité ne soit signé. Mais cette question concerne également d’autres endroits au pays, notamment au Nouveau-Brunswick.

Les peuples autochtones du Nouveau-Brunswick n’ont pas cédé leurs terres par traité. Des Traités de paix et d’amitié ont été signés en 1760 et en 1761 dans les Maritimes, mais les Mi’kmaq et les Malécites, par exemple, n’ont pas cédé leurs droits, leurs titres ancestraux sur la terre ou leurs ressources dans ces traités.

Nous avons l’exemple de la Première Nation Elsipogtog au Nouveau-Brunswick qui est remarquablement similaire à la situation de la nation Wet’suwet’en. En 2013, des membres de la nation Elsipogtog ont organisé des manifestations vigoureuses contre la fracturation hydraulique sur leur territoire traditionnel non cédé. Le gouvernement de la Première Nation a déposé en 2016 une revendication territoriale au nom de tous les Mi’kmaq concernant environ un tiers de la province.

Comme nous l’avons expliqué plus haut, la Proclamation royale de 1763 reconnaissait formellement que toutes les terres seraient considérées comme autochtones jusqu’à ce qu’elles soient cédées par traité. Au cours des siècles qui se sont écoulés depuis, le gouvernement de la Colombie-Britannique n’a pas négocié beaucoup de traités et le résultat est qu’une grosse partie du territoire n’est pas couvert par des traités. Cela signifie que selon la loi canadienne, la majeure partie du territoire autochtone dans la province est en réalité non cédé puisqu’il n’a jamais été abandonné, vendu, perdu dans une guerre, etc.

De fait, la classe dirigeante est profondément préoccupée par les conséquences de l’adoption de DNUDPA pour la Colombie-Britannique. Après que le premier ministre Horgan ait annoncé que « la Colombie-Britannique sera la première province du Canada à adopter une loi pour mettre en œuvre la DNUDPA », le Vancouver Sun a expliqué que « un troisième article [de la DNUDPA] accorde aux peuples autochtones le droit à la réparation « pour les terres, territoires et ressources qu’ils possèdent ou occupent ou utilisent traditionnellement et qui ont été confisqués, pris, occupés, utilisés ou endommagés sans leur consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause ». Étant donné l’absence de traité sur la majeure partie de la Colombie-Britannique, les terres, territoires et ressources qui ont été confisqués, pris, occupés, utilisés ou endommagés sans leur consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause constitueraient à peu près toute la province ».

L’absence de traité a finalement forcé la mise en œuvre du processus des traités de la Colombie-Britannique, qui a commencé au début des années 1990, afin d’entamer la négociation de traités et de résoudre les revendications de titres autochtones.

Les chefs héréditaires des nations Gitxsan et Wet’suwet’en ont porté leur cause devant les tribunaux dans les années 1980 pour réclamer leur titre ancestral non éteint sur leur territoire traditionnel dans l’affaire Delgamuukw c. Colombie-Britannique. En 1997, la Cour suprême du Canada a jugé que les Wet’suwet’en n’avaient pas renoncé aux droits et titres sur une grande partie de leur territoire traditionnel, qui n’a jamais été cédé par traité, et a reconnu que le titre ancestral continue d’exister là où les nations autochtones n’ont jamais signé de traité avec la Couronne.

Les territoires traditionnels de nombreux peuples autochtones de Colombie-Britannique sont revendiqués par la Couronne, mais n’ont jamais été payés, conquis ou acquis par traité. Cependant, tout en reconnaissant que la nation Wet’suwet’en n’avait jamais cédé ses terres ni perdu ses droits et titres sur son territoire traditionnel, la Cour suprême, dans son arrêt Delgamuukw, n’a pas défini complètement ces droits ou titres, laissant cette définition à une affaire ultérieure.

Naturellement, cette affaire judiciaire ultérieure n’a jamais eu lieu, et c’est à dessein. L’État canadien a ignoré les questions de droits autochtones et de titres ancestraux pendant des siècles. Le droit canadien a toujours été utilisé comme outil pour coloniser et criminaliser les peuples autochtones, comme avec les pensionnats autochtones et les réserves. Même lorsqu’un précédent jurisprudentiel force la main de l’État, les gouvernements provinciaux et fédéral vont soit l’ignorer ou faire traîner les dossiers en cours interminablement.

La nation Wet’suwet’en n’a jamais eu les ressources financières pour intenter une action et déterminer légalement son droit ancestral étant donné les coûts énormes associés à une affaire judiciaire portant sur les titres ancestraux. Cependant, les entreprises pétrolières et les gouvernements provinciaux et fédéral sont terrifiés à l’idée que cela arrive, car un jugement reconnaissant le titre de la nation Wet’suwet’en sur son territoire traditionnel mettrait fin à plusieurs projets de pipeline. Cela explique l’urgence avec laquelle les entreprises pétrolières et les gouvernements se dotent d’injonction contre les points de contrôle de la nation Wet’suwet’en. Ils veulent construire les pipelines aussi vite que possible avant que le terrain juridique ne change.

Les gouvernements fédéral et provinciaux du Canada ignorent tout bonnement le cadre légal de l’affaire Delgamuukw. Cela n’a rien de nouveau. Le droit bourgeois existe pour protéger les intérêts des bourgeois et la propriété privée des moyens de production. Les gouvernements et les entreprises préfèrent consulter et signer des accords avec les conseils de bande qui n’ont pas juridiction sur ces terres, et ils affirment ensuite que ces accords sont la « preuve » du consentement des collectivités autochtones à la construction de ces pipelines.

Certains ont avancé que si la nation Wet’suwet’en retournait en cour, elle serait bien placée pour revendiquer un titre de propriété solide sur ses terres, ce qui est vrai. Cependant, l’histoire démontre clairement que les peuples autochtones ne peuvent pas s’appuyer sur les cours de justice et le droit. Le droit bourgeois est fait pour protéger les intérêts et les profits des capitalistes. Le conflit entre les intérêts et les profits de la classe dirigeante d’un côté et les droits des peuples autochtones de l’autre ne sera pas résolu avec le droit bourgeois. Comme l’a bien dit une cheffe de Première Nation récemment, « on ne peut pas démanteler la maison du maître avec les outils du maître ».

Les déclarations de reconnaissance du territoire

La Commission de vérité et réconciliation a également recommandé l’utilisation de déclarations de reconnaissance du territoire, faisant valoir qu’elles pourraient contribuer à promouvoir la réconciliation. Ayant commencé comme élément routinier de cérémonies et de réunions autochtones ainsi que d’événements progressistes et de gauche, la reconnaissance du territoire est devenue monnaie courante au début des journées scolaires, des conférences, des cérémonies et des événements sportifs et musicaux tel la Symphony Nova Scotia et les matchs des Oilers d’Edmonton et des Jets de Winnipeg dans la LNH.  

Sous le premier ministre Trudeau, les déclarations de reconnaissance du territoire sont devenues la norme au début des annonces et des événements fédéraux. C’était également le cas en Alberta sous le gouvernement néodémocrate de Rachel Notley (ce qui a cessé sous le gouvernement des conservateurs unis de Jason Kenney).

Un débat commence à émerger dans les communautés autochtones sur la valeur des déclarations de reconnaissance du territoire. Nombreux sont ceux qui croient qu’elles ont leur importance et qu’elles contribuent à la sensibilisation et donc la réconciliation. D’autres, par contre, sont d’avis qu’il s’agit d’un geste vide, voire condescendant.

Bien que les déclarations de reconnaissance du territoire telles qu’elles existent aujourd’hui ne font pas réellement avancer les luttes des peuples autochtones, pour beaucoup d’Autochtones, il est important que les gens soient conscients de l’histoire de colonisation, d’oppression et de génocide qui caractérise le Canada. D’autres, par contre, ont fait valoir qu’au lieu de nous concentrer sur des discours creux, nous devrions nous concentrer à remédier aux conditions terribles dans les réserves, par exemple.

Les déclarations de reconnaissance peuvent également avoir des conséquences réactionnaires involontaires. Dans certains cas, comme dans la région de Toronto, les terres achetées par la Couronne ont fait l’objet de conflits entre différents peuples autochtones. La question de la reconnaissance du territoire dans ces régions peut ouvrir de vieux débats entre les peuples autochtones sur la question de savoir qui était présent sur le territoire à cette époque ou à qui il appartenait. Ce type de querelles ne peut avoir que des conséquences réactionnaires, car il compromet précisément l’unité et la solidarité nécessaires pour faire avancer la lutte.

Comme avec à peu près tout, nous devons examiner la question des déclarations de reconnaissance du territoire sous l’angle de la lutte des classes. À travers cette lorgnette, il devient très clair qu’en tant qu’affirmation de la part d’opprimés contre l’État bourgeois canadien et son histoire de génocide colonial, les déclarations de reconnaissance du territoire sont progressistes.

Cependant, lorsqu’elles sont utilisées comme un geste purement symbolique par telle ou telle aile de ce même État bourgeois ou par l’un des principaux partis capitalistes, les déclarations de reconnaissance sont réactionnaires et ne servent en réalité que d’écran de fumée et ne représentent guère plus qu’une tentative d’exonérer l’État canadien et la classe dirigeante de leur responsabilité pour les crimes historiques commis contre les peuples autochtones. Un argument similaire pourrait être utilisé dans le cas des syndicats, des ONG, des groupes « de gauche » et des universitaires qui utilisent ces déclarations à la place d’une lutte militante ou de toute solution réelle aux problèmes auxquels sont confrontés les peuples autochtones.

C’est pure hypocrisie lorsque le gouvernement fédéral, l’organe même qui applique la Loi sur les Indiens, ou le premier ministre de la Colombie-Britannique, John Horgan, qui a demandé à la GRC d’envahir les terres des Wet’suwet’en pour protéger les intérêts des entreprises, ou encore l’ancienne première ministre de l’Alberta, Rachel Notley, dont l’acharnement dans la construction de pipelines l’aurait inévitablement placée en conflit avec les peuples autochtones, font des déclarations de reconnaissance du territoire.

Le socialisme et la réconciliation

Tout le concept de « réconciliation » sous le capitalisme est une mascarade. Pourquoi des peuples opprimés et subjugués devraient-ils chercher à se réconcilier avec leurs oppresseurs en premier lieu? Toute cette idée est absurde. En outre, comment peut-on sérieusement parler de réconciliation alors que les peuples autochtones luttent toujours pour leurs droits les plus fondamentaux, pour la reconnaissance de leurs titres, pour le droit à un consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause, etc.

Il ne pourra jamais y avoir de réconciliation sous le capitalisme. Les fondations mêmes du Canada reposent sur l’oppression, la soumission et l’exploitation des peuples autochtones. La classe dirigeante et l’État canadien ne peuvent pas permettre que la question des droits et des titres autochtones interfère avec l’extraction des ressources et les profits. En fait, la classe dirigeante considère que la perspective que les droits et titres autochtones interfèrent avec l’extraction des ressources constitue une menace pour la sécurité nationale.

Un gouvernement ouvrier, d’autre part, n’adopterait pas le mantra hypocrite de la « réconciliation », ni ne s’y attendrait de la part des peuples autochtones. Une révolution socialiste s’intéresserait plutôt à la véritable libération des peuples autochtones de l’oppression et de l’exploitation coloniales qui durent depuis des siècles.

Un gouvernement des travailleurs ne chercherait pas à imposer aux peuples autochtones une quelconque solution à la question de leur libération, mais se tiendrait plutôt solidaire de leur lutte de libération, en leur apportant toute l’aide nécessaire à cette fin.

La libération des peuples autochtones est une tâche qu’ils doivent mener à bien eux-mêmes. Les Autochtones doivent être en mesure de contrôler leur propre destin de manière démocratique. Plus que la simple garantie du « consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause », le socialisme signifie que les peuples autochtones ne seraient pas simplement « consultés », mais qu’ils participeraient activement à la prise de décisions démocratique et se verraient garantir des droits sur les terres et les ressources.

Un gouvernement socialiste abrogerait la Loi sur les Indiens comme première étape vers la fin de l’asservissement colonial des peuples autochtones et reconnaîtrait immédiatement leur autonomie gouvernementale là où ils la demanderaient. Un programme massif de financement social serait lancé afin de fournir une éducation, des soins de santé et des logements pour tous les peuples autochtones. On consacrerait toutes les ressources nécessaires pour mettre fin au scandale de la contamination de l’eau potable.

Un gouvernement socialiste s’engagerait à résoudre toutes les revendications territoriales immédiatement et à fournir une indemnisation pour toutes les terres occupées, volées ou confisquées par la bourgeoisie et son État. 

Le socialisme et l’extraction de ressources

Pour parvenir à une production durable et harmonieuse, nous devons planifier notre société de manière démocratique. Nous devons planifier comment et où nous produisons, ce que nous produisons et pour qui nous produisons. Une telle planification rationnelle ne peut évidemment pas être réalisée sous le capitalisme. Elle ne peut être réalisée tant que la propriété des moyens de production reste entre les mains de la classe capitaliste – tant que la production est faite pour le profit et non pour le besoin et selon un plan rationnel.

Afin de planifier les forces productives d’une manière harmonieuse, les moyens de production doivent appartenir à la classe ouvrière, par l’entremise d’un État ouvrier. 

La solution à ces problèmes est claire. Ce n’est qu’en nationalisant les moyens de production et en instaurant un plan scientifique, démocratique et rationnel que nous pourrons surmonter les misères du capitalisme : l’exploitation, l’inégalité et la pauvreté. Ce n’est que par la construction d’une société socialiste que nous pourrons mettre notre technique de production en harmonie avec les besoins de la société et de l’environnement et faire avancer l’humanité.

Trotsky expliquait qu’une économie nationalisée et planifiée a besoin de la démocratie tout comme le corps humain a besoin d’oxygène. Sous le socialisme, sous un régime de démocratie ouvrière véritable et intégrale, toutes les collectivités, autochtones et non autochtones, ne seraient pas simplement « consultées » sur l’activité économique de leurs zones et régions. Ces collectivités ne se verraient pas non plus garantir le simple droit au « consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause éclairé ». Au contraire, le socialisme et la démocratie ouvrière supposent par essence que les collectivités aient un droit de regard direct et démocratique sur la planification et la mise en œuvre de l’activité dans leurs régions.

Ce n’est qu’avec la transformation socialiste de la société que les peuples autochtones seront enfin en mesure de déterminer véritablement et démocratiquement leur propre destin et d’avoir un contrôle direct sur l’activité économique sur leur territoire, notamment l’extraction des ressources. Une fois débarrassés de la logique du profit, les collectivités autochtones locales pourront être véritablement et intimement engagées dans tout développement sur leurs territoires. Sous le contrôle démocratique de la classe ouvrière et des communautés, la richesse générée par un tel développement pourrait profiter directement à la population – qui doit également jouer un rôle direct dans la planification et la mise en œuvre de ce développement pour s’assurer que les préoccupations relatives à la sécurité de l’environnement et des communautés sont convenablement prises en compte, et pour fournir une formation et des emplois aux résidents locaux.

Le socialisme et l’autodétermination

L’autodétermination fait partie des revendications courantes chez les communautés autochtones et leurs sympathisants. Cela a créé de la confusion au sein de certains cercles marxistes, puisque ce terme peut vouloir dire différentes choses. Dans la littérature marxiste, l’autodétermination est étroitement associée à la question nationale. On peut tirer des parallèles entre l’analyse marxiste des nations opprimées et celle de la lutte pour la libération autochtone, tout comme il y a des similitudes entre cette question et celle de la lutte contre le racisme. Mais il ne s’agit pas exactement de la même chose. Il est important de clarifier tant l’utilisation marxiste traditionnelle du terme « autodétermination » que son utilisation courante si nous voulons éviter de prendre des positions contradictoires ou réactionnaires.

Lénine a beaucoup écrit sur le droit des nations opprimées à l’autodétermination, qui peut aller jusqu’à la séparation. L’empire tsariste était une prison des nations. Les Grands-Russes, qui étaient une minorité au sein de l’empire, contrôlaient et opprimaient les Polonais, les Ukrainiens, les Géorgiens, les Finlandais, les Juifs, les Lettons, les Estoniens, et d’autres. Une grande partie de la population de ces nations avaient été élevée à la conscience politique dans un contexte de haine de l’oppression nationale perpétuée par le tsarisme russe. Ces nations parlaient habituellement une même langue, vivaient au sein d’une région avec des frontières reconnues, possédaient une histoire commune et une communauté de culture ainsi qu’une cohésion économique. Les fractions politiques nationalistes au sein de ces nations avançaient souvent l’idée de former un État-nation indépendant comme solution à l’oppression nationale.

Les marxistes russes souhaitaient démontrer clairement aux nationalités opprimées que la classe ouvrière n’avait aucun intérêt à perpétuer l’oppression tsariste. Ils voulaient qu’elles sachent qu’ils se battraient pour abolir les lois et règlements oppressifs et autres injustices imposées par l’empire. Cela signifiait qu’il fallait défendre le droit des nations opprimées à avoir l’autonomie la plus complète dans la gestion de leurs propres affaires, y compris le droit démocratique de former un nouvel État-nation. Cependant, cela ne signifiait pas que les bolcheviks voulaient que les nations se séparent. En fait, ils voulaient précisément le contraire. Ils voulaient une unité combative des travailleurs russes avec tous les opprimés contre l’oppresseur commun, le régime tsariste. En garantissant le droit à l’autodétermination et à la séparation, Lénine espérait se prémunir contre toute méfiance mutuelle et gagner une union volontaire des opprimés. Dans le cas où une nation aurait souhaité quand même former un État-nation indépendant, soit, c’était son droit démocratique.

L’autodétermination des nations autochtones a une signification différente de ce qui vient d’être expliqué. Prenons par exemple le document « Déclaration et Manifeste des Dénés », qui a été adopté par la Fraternité des Indiens des Territoires du Nord-Ouest à sa deuxième assemblée générale conjointe en 1975. Le document affirme : « Nous demandons au monde entier de nous aider dans notre lutte pour trouver une place au sein de la communauté internationale où nous pourrons exercer notre droit à l’autodétermination en tant que peuple distinct et en tant que nation. » Cela peut sembler analogue aux revendications indépendantistes des nations sous l’empire tsariste ou encore de l’Écosse, du Québec et de la Catalogne aujourd’hui. Mais lorsque nous lisons le document en entier, l’intention est très différente.

Les revendications contenues dans la déclaration des Dénés comprennent notamment les suivantes : contrôler et décider du développement sur leur territoire et des bénéficiaires de ce développement; maintenir une société et une économie de partage et égalitaires; leur propre système de gouvernement; une planification environnementale permettant de protéger les droits de chasse et de pêche; des redevances provenant de l’exploitation minière et des autres développements déjà en cours et qui seront autorisés; le contrôle de l’éducation lorsqu’ils sont majoritaires, et la participation lorsqu’ils ne le sont pas. Tous ces éléments sont entièrement progressistes et soutenus de tout cœur par les marxistes.

D’autres Première Nations ont avancé des revendications similaires. Dans la terminologie marxiste, ces revendications correspondent à demander une autonomie accrue. En fait, une grande partie de ces revendications pourraient être mises en œuvre dans une société socialiste dans le cadre du contrôle local par les collectivités, que la population soit autochtone ou non. Aucune collectivité ne devrait être exposée à des risques environnementaux liés au développement sans avoir négocié pour s’assurer que le risque est acceptable, tout en veillant à ce que ceux qui supportent le risque le font en pleine connaissance de cause et obtiennent une contrepartie à la hauteur. Le système scolaire devrait couvrir toutes les langues et cultures des collectivités locales. Le fonctionnement plus précis serait déterminé par les gens, selon les principes de la démocratie ouvrière.

Tout en appelant à l’autodétermination, à la souveraineté et à la reconnaissance en tant que nation, le document n’appelle pas à la formation d’un État-nation. Il affirme : « Notre but est d’avoir le maximum d’indépendance et d’autodétermination pour la Nation dénée au sein du pays du Canada à travers un règlement territorial juste et équitable. » Il garantit également les droits des habitants non autochtones sur les terres dénées. Cette revendication d’autonomie est accompagnée d’un appel à la classe ouvrière canadienne, qui est opprimée par les mêmes entreprises et gouvernements qui oppriment les Dénés : « La grande majorité des gens au Canada sont comme nous relativement impuissants face aux grandes entreprises et aux gouvernements. Devant la revendication de nos droits, les autres doivent faire un choix entre nous, d’une part, et les promoteurs extérieurs qui de plus en plus n’ont de comptes à rendre à personne, d’autre part. En nous rejoignant dans notre lutte, les gens peuvent aussi commencer à se libérer. » Voilà un formidable plaidoyer pour la solidarité de classe, et la bonne approche pour parvenir à la libération et mettre fin à l’oppression.

À notre connaissance, aucune Première Nation au Canada n’a jamais appelé à la formation d’un nouvel État-nation. Certains étudiants d’ultra-gauche de Toronto ou de Vancouver, ayant lu un tout petit peu de Lénine sans le comprendre, défendent la revendication de l’indépendance des Premières Nations sans y avoir réfléchi. Pour commencer, imposer l’indépendance à un peuple qui ne la réclame pas lui-même n’est pas beaucoup mieux que d’imposer l’unité à un peuple qui réclame l’indépendance.

Deuxièmement, l’indépendance pour qui? Cette nation est-elle censée être une grande nation autochtone? Mais il y a plus de 600 Premières Nations reconnues au Canada, chacune ayant une culture, une histoire et une langue uniques. Il est franchement raciste de dire que tous les peuples autochtones sont les mêmes. On pourrait tout aussi bien dire qu’en tant qu’Européens, tous les Français, les Allemands et les Britanniques sont les mêmes, ou que tous les Africains sont les mêmes! Ou bien ces gens envisagent-ils un nouvel État-nation pour chaque Première Nation? Presque toutes les Premières Nations ont des revendications territoriales qui se recoupent. Comment cela pourrait-il être résolu avec plus de 600 nouveaux États-nations?

Les Premières Nations au Canada ne sont pas comme les États-nations de la vieille Europe, et ne prétendent pas l’être non plus. Seul le Nunavut et sa population inuite pourrait être comparable, mais encore là, il s’agit d’une abstraction théorique et actuellement, personne n’en appelle à l’indépendance de ce territoire. Pour la question nationale et pour la lutte pour la libération autochtone, il faut regarder chaque lutte dans sa réalité concrète et ne pas imposer de schéma artificiel sur les développements. L’Écosse n’est pas le Québec, tout comme la lutte des Autochtones est différente de celle des Noirs aux États-Unis. Chaque cas doit être évalué en prenant compte de ses particularités. Les marxistes appuient la revendication juste des Premières Nations opprimées d’avoir davantage de contrôle sur leur territoire traditionnel, leur éducation, leur culture et leur développement économique, et nous ne forçons pas ces communautés à adopter des slogans qui ne correspondent pas à leurs combats ou leurs souhaits.

En même temps, nous devons souligner les limites de l’autonomie des peuples autochtones sous le capitalisme, dont le Nunavut est un bon exemple. La création du territoire du Nunavut en 1999 a été le résultat de négociations entre les Inuits et le gouvernement canadien depuis les années 1970. Les Inuits, qui représentent 85% de la population du territoire, ont réalisé des gains politiques importants, car l’accord leur a permis d’avoir un plus grand contrôle sur leurs terres, leur éducation, leur culture et leurs langues. Cependant, le territoire reste très dépendant des transferts financiers du gouvernement fédéral, en plus d’être à la merci des grandes multinationales, notamment des sociétés minières, qui s’installent pour exploiter les ressources naturelles et la main-d’œuvre bon marché, puis s’en vont. Vingt ans après la création du Nunavut, les Inuits continuent de faire face à des difficultés économiques importantes telles que le prix exorbitant des produits de base, le taux de chômage le plus élevé parmi les provinces et les territoires, et un manque flagrant de soins et de services essentiels. Les mauvaises conditions matérielles, l’insécurité alimentaire et une importante pénurie de logements entraînant le surpeuplement entraînent de graves problèmes de santé. Le taux de mortalité infantile au Nunavut est trois fois plus élevé que la moyenne nationale, et le territoire est touché par une épidémie de tuberculose dont la gravité rivalise avec celle de certains pays du tiers monde. Un manque de ressources dans le système scolaire limite également la capacité à protéger les langues inuites, qui n’ont cessé de décliner depuis la création du Nunavut. Les terribles conditions de vie au Nunavut démontrent les immenses limites imposées par le capitalisme à l’émancipation des peuples autochtones, qu’ils aient ou non une autonomie sur le papier.

La théorie postcoloniale : un cul-de-sac

Après une période révolutionnaire dans les années 1970, la lutte des classes est entrée dans une période de déclin, atteignant son point le plus bas dans les années 1990 après l’effondrement de l’Union soviétique. Cela a eu des effets profondément négatifs sur les intellectuels de gauche qui ont abandonné le marxisme. Comme il est assez fréquent dans les périodes de réaction, il y a eu une prolifération de toutes sortes d’idées reflétant le pessimisme régnant au sein de la gauche.

En ce qui concerne la question autochtone, cela s’est reflété dans les idées universitaires du « postcolonialisme ». Nous avons expliqué comment le Canada a été colonisé par des blancs venus d’Europe dans le but d’exterminer, de remplacer et d’assimiler la population autochtone. L’héritage raciste de cet horrible crime commis contre les peuples autochtones est bien vivant aujourd’hui. Les théoriciens postcoloniaux reconnaissent ces faits et affirment que la solution est de « décoloniser ». À première vue, il semblerait que nous devrions soutenir l’appel à la décolonisation, dont on pourrait supposer qu’elle constitue un moyen de lutter contre le colonialisme. Jusqu’à maintenant, tout cela fait partie du B-A-BA pour les marxistes. Mais comme on dit, le diable est dans les détails.

La conclusion logique de la théorie postcoloniale est l’idée que les peuples autochtones et les travailleurs non autochtones ont des intérêts contradictoires ou opposés. Dans un article de rabble.ca intitulé « Building rage : Decolonizing class war », l’auteure avance qu’« il existe des contradictions profondément enracinées entre les objectifs et les intérêts d’une classe ouvrière colonisée et d’une classe ouvrière urbaine non autochtone » (notre traduction). L’auteure poursuit en demandant si la revendication d’un salaire minimum plus élevé dépend de l’exploitation continue ou accrue de certains travailleurs à l’intérieur des frontières nationales du Canada, comme par exemple ceux qui sont forcés de travailler sur le marché noir.

Dans un autre article de la revue de gauche Canadian Dimension intitulé « A Twelve-Step Program for a Post-Colonial Future », les auteurs affirment que les Canadiens non autochtones sont « privilégiés » précisément en raison de l’oppression des peuples autochtones, ce qui signifie que les travailleurs non autochtones bénéficient directement de l’assujettissement continu de ces derniers. La solution proposée est que les non-Autochtones doivent saper et abandonner leurs propres « privilèges ».

L’idée maîtresse de la plupart de ces écrits est de passer d’une lutte des classes contre les capitalistes (qui possèdent la plupart des terres et des ressources et prennent toutes les décisions importantes) à une lutte des peuples autochtones contre les « colons » dans leur ensemble. Dans l’article « Decolonization is not a metaphor », les auteurs Eve Tuck et K. Wayne Yang ne mentionnent le capitalisme que dans les notes de bas de page, mais passent des pages à critiquer le mouvement Occupy : « Dans Occupy, le « 99% » est invoqué comme une supermajorité méritante, contrairement à la richesse non méritée du « 1% ». Cela rend les peuples autochtones (une « super-minorité » de 0,9%) complètement invisibles et absorbés, juste un groupe assorti d’un astérisque qui sera subsumé par la légion des occupants. » Ce qui n’est même pas reconnu ici, c’est que cette façon de présenter les choses « efface » complètement les différences de classe et traite tous les non-Autochtones comme étant fondamentalement pareils.

Cet article va même jusqu’à expliquer que « La quête de droits pour les travailleurs (et du droit au travail) et de droits pour les personnes minorisées dans un contexte de colonialisme de peuplement peut sembler anticapitaliste, mais cette quête est néanmoins largement pro-coloniale ». De ce postulat, les auteurs tirent naturellement la conclusion absolument réactionnaire selon laquelle « Pour que les mouvements de justice sociale, comme Occupy, aspirent vraiment à la décolonisation de manière non métaphorique, ils devraient appauvrir, et non pas enrichir, la population de colons des États-Unis, qui représente plus de 99% de la population ».

Cette approche souffre de plusieurs défauts, notamment le fait que cette approche purement identitaire joue directement le jeu des capitalistes qui dressent les différents secteurs de la classe ouvrière les uns contre les autres pour contrecarrer tout mouvement de masse uni. C’est une idée très dangereuse pour le mouvement, car elle rend la solidarité impossible. Le slogan « soutenez les peuples autochtones et appauvrissez-vous » ne fera clairement que nuire au mouvement.

Les partisans du postcolonialisme appellent parfois au renversement de l’État « colonisateur » (« Settler-colonial state »). S’ils entendaient par là une lutte de classe unie pour renverser l’État bourgeois canadien, nous serions alors tout à fait d’accord. Mais ce n’est pas ce qu’ils veulent dire. Ils étiquettent comme « colons » toute la classe ouvrière non autochtone, y compris les nouveaux immigrants et les réfugiés qui luttent contre le racisme. Ils jugent que l’État canadien appartient à tous les « colons », contre les Autochtones. Ils affirment que l’État canadien – dont la police tue régulièrement des jeunes Noirs et immigrés, qui brise les grèves avec ses lois de retour au travail – appartient aux travailleurs et aux jeunes. C’est une position abominable.

L’État canadien est la propriété de la classe capitaliste canadienne et d’aucune autre classe. Au XIXe siècle et avant, il aurait été juste de l’appeler un État colonial, dépendant de l’impérialisme et de la bourgeoisie britanniques. Mais comme nous l’avons expliqué plus tôt, à aucun moment il n’a été l’État des colons européens pauvres exploités par les capitalistes anglo-canadiens. Au XXe siècle, la bourgeoisie canadienne a coupé le cordon ombilical qui la reliait à la mère patrie et s’est développée en tant que classe dirigeante indépendante. À partir de ce moment, l’État canadien est devenu un État impérialiste, qui ne diffère pas, dans ses fondements, des États britannique, français ou allemand.

Alors que l’extrême droite et les théoriciens postcoloniaux voudraient nous faire croire que nos intérêts sont mutuellement opposés, le fait est que les travailleurs autochtones et non autochtones ont les mêmes intérêts fondamentaux. Nous partageons un ennemi commun, la classe capitaliste, qui nous opprime et nous exploite tous. C’est un fait bien connu qu’une minuscule minorité de capitalistes possède la grande majorité des terres et des richesses dans le monde. Les entreprises qui attaquent les syndicats et qui poussent à des mesures d’austérité appartiennent aux mêmes capitalistes qui dirigent les projets d’extraction minière sur les terres des Autochtones.

Il est évidemment vrai que certains secteurs de la population sont plus opprimés que d’autres, et les peuples autochtones forment l’une des couches les plus opprimées de la société. Cependant, nous sommes fondamentalement en désaccord avec l’idée que les travailleurs non autochtones profitent de l’oppression des peuples autochtones. Ce que ces universitaires qualifient de « privilèges » constituent en fait des droits fondamentaux et des possibilités qui, dans la plupart des cas, ont été gagnés au prix de luttes, et nous devrions nous efforcer de les étendre à tout le monde. Il est vrai qu’historiquement, la classe dominante a conféré des avantages à une couche des exploités pour la convaincre, pendant un temps, que le système fonctionne dans son intérêt. Mais c’est une illusion totale qui doit être brisée. Nous ne pouvons pas faire ce que font de nombreux théoriciens postcoloniaux et accepter les illusions bourgeoises qui servent à diviser la classe ouvrière pour faire perdurer le règne des capitalistes.

Méthode idéaliste

Nous pouvons voir ici la divergence fondamentale entre le matérialisme dialectique et le marxisme d’une part, et l’idéalisme et le postcolonialisme d’autre part. Alors que le postcolonialisme semble offrir un moyen de lutter contre l’impérialisme et le racisme, en réalité les postcolonialistes arrivent aux mêmes conclusions que les impérialistes et n’offrent donc aucun changement fondamental.

Du point de vue de la classe dominante, la domination du capitalisme et de l’impérialisme occidentaux témoigne de la culture « plus avancée » ou « supérieure » des Européens. Selon cette idée, les cultures européennes étaient plus avancées, et grâce à cela, elles ont pu développer le capitalisme (ou du moins des méthodes de production plus avancées) avant les peuples qu’elles allaient dominer. Selon les capitalistes, en raison de cette « supériorité », la civilisation européenne était destinée à dominer le monde. Du point de vue de la bourgeoisie, c’est la justification historique du colonialisme et de l’impérialisme.

Les postcolonialistes finissent par arriver aux mêmes conclusions que la classe dirigeante, mais depuis la direction opposée. Selon les postcolonialistes, la culture constitue la force motrice de l’histoire et c’est la culture raciste des sociétés occidentales qui est à l’origine de l’impérialisme occidental. Par conséquent, la culture occidentale est intrinsèquement et désespérément raciste, et c’est cette caractéristique qui pousse les pays occidentaux à tenter d’affirmer leur domination sur toutes les autres cultures.

Selon ce point de vue, tous les peuples des sociétés occidentales forment un seul bloc réactionnaire et raciste – indépendamment de la division de classe – et il ne peut donc y avoir d’unité entre les peuples coloniaux opprimés et les classes opprimées des pays impérialistes dominants dans une lutte contre le capitalisme, l’impérialisme et le racisme. Selon le postcolonialisme, cette unité ne peut jamais être réalisée parce que chaque chose et chaque personne provenant de la civilisation occidentale est intrinsèquement raciste et impérialiste – y compris la classe ouvrière et les idées révolutionnaires du marxisme.

Cependant, en tant que matérialistes, nous comprenons que l’impérialisme n’est pas le résultat de la volonté individuelle des capitalistes, ni un résultat de la culture. C’est plutôt le contraire. La culture, la politique, le droit et la société découlent de facteurs économiques.

Marx explique dans Le Manifeste du Parti communiste comment le capital, une fois qu’il a saturé le marché intérieur, est contraint de dépasser ses frontières en raison de ses propres contradictions inhérentes et de se répandre dans le monde entier. C’est la base fondamentale du colonialisme et de l’impérialisme sous le capitalisme.

Le racisme représente l’aspect politique de ce processus. D’une part, la bourgeoisie justifie son impérialisme par le racisme. Mais en utilisant des idées nationalistes et racistes, elle divise également la classe ouvrière sur des lignes nationales dans une tentative de rallier une couche de la classe ouvrière derrière elle et d’empêcher une lutte de classe unifiée contre l’exploitation et l’oppression du capitalisme et de l’impérialisme.

Les postcolonialistes disent fondamentalement la même chose que les impérialistes et excluent ainsi toute lutte internationale unie contre l’impérialisme. Ils ramènent la lutte contre le racisme et l’impérialisme à la défense de la culture et de la religion (historiques), ou plutôt à la défense des cultures et des religions non occidentales contre les assauts culturels de l’Occident. Autrement dit, le postcolonialisme ne considère pas l’histoire du monde comme une histoire du développement des forces productives ou une lutte d’intérêts économiques fondamentaux, c’est-à-dire la lutte des classes. Ils la voient comme un choc des cultures, un choc des civilisations, exactement le même point de vue que la classe dirigeante. En réalité, cette vision représente les préjugés des nationalistes petits-bourgeois des nations opprimées, et n’a rien à voir avec celle de la classe ouvrière, qui est instinctivement internationaliste.

L’idée que la culture est la force motrice de l’histoire prend ses racines dans une méthode idéaliste. L’idéalisme se fonde sur la notion que nos idées constituent l’élément principal du monde et que la réalité matérielle est le reflet de nos idées. C’est ainsi que les postcolonialistes en viennent à considérer la culture comme la force motrice de l’histoire, c’est-à-dire que la culture raciste engendre l’impérialisme.

Mais en tant que marxistes, nous croyons qu’il n’y a qu’une seule réalité matérielle et que nos idées ne sont qu’un reflet de ce monde matériel, et un reflet de nos conditions matérielles.

Cependant, nous ne sommes pas de vulgaires déterministes économiques ni des fatalistes. L’histoire ne se déroule pas de manière schématique sous l’effet des seuls facteurs économiques. Il n’y a pas de relation automatique et immédiate entre les développements dans la base économique et la superstructure sociale de la société. Marx et Engels l’ont expliqué à plusieurs reprises.

La culture, l’art, la philosophie, la politique et les traditions jouent un rôle énorme dans la société, et peuvent à leur tour avoir des répercussions sur le développement économique. Mais en dernière analyse, la culture et les idées sont déterminées par la réalité matérielle, par la lutte des classes et le développement des forces productives de la société. Ainsi, du point de vue du marxisme, la culture raciste est le produit des forces économiques qui engendrent l’impérialisme et sert à justifier la domination coloniale.

Les postcolonialistes se rangent malheureusement entièrement aux idées des impérialistes. Ils n’offrent aucun moyen de combattre l’impérialisme et le capitalisme. Leur lutte est contre le marxisme et la classe ouvrière.

Des méthodes de lutte de classe pour la libération des autochtones

Parfois, la « décolonisation » est invoquée dans le mouvement de manière très abstraite et idéaliste pour suggérer que nous pouvons abolir les conditions oppressives et coloniales auxquelles sont confrontés les peuples autochtones en ne changeant principalement que nos pensées, nos paroles et nos comportements. Par exemple, dans certains établissements postsecondaires, des universitaires de gauche défendent l’idée de classes ou d’espaces « décolonisés ». Bien que les marxistes luttent contre tous les cas d’attitudes et de comportements discriminatoires et s’efforcent activement de convaincre les travailleurs non autochtones qu’ils doivent être solidaires et se battre pour la libération des Autochtones, nous comprenons que les attitudes et les idées des gens sont façonnées par les conditions sociales et matérielles dans lesquelles ils vivent.

Une société fondée sur l’inégalité et la soumission de certains groupes engendre des idées et des attitudes qui reflètent et renforcent ces inégalités et ces oppressions. Pour abolir une fois pour toutes les attitudes discriminatoires à grande échelle, nous devons transformer radicalement notre réalité sociale. Cela ne signifie pas que nous ne devons pas combattre les attitudes discriminatoires ici et maintenant et éduquer les travailleurs non autochtones sur l’importance de la lutte pour les droits des Autochtones, mais que le meilleur moyen d’y parvenir est de lutter pour transformer la réalité sociale elle-même. Alors que le capitalisme nous oppose les uns aux autres dans une concurrence féroce, déformant nos relations à un niveau fondamental, la lutte commune brise les attitudes discriminatoires en humanisant les groupes qui ont été injustement dépeints comme une menace et enseigne aux travailleurs exploités et opprimés, autochtones ou non, qu’ils ont en fait des intérêts communs.

Parfois, les milieux universitaires critiquent le marxisme parce qu’il accorde la primauté à la lutte des classes. À cet égard, nous plaidons coupables. Mais cette insistance sur la lutte des classes est accusée à tort de mettre en veilleuse d’autres types de luttes, comme la lutte contre l’oppression coloniale et le racisme. Rien ne saurait être plus éloigné de la vérité. Pour les marxistes, la lutte des classes et la lutte contre le colonialisme et toutes les autres formes d’oppression sont intrinsèquement liées. Elles font partie intégrante de la même lutte.

En réalité, ce n’est pas parce que les travailleurs non autochtones connaissent une meilleure situation que les Autochtones sur le plan du salaire, de l’emploi, du logement, ou font face à moins d’obstacles et de maux sociaux tels que l’incarcération, que ces derniers en connaissent une pire. Il y a plus qu’assez de richesses et de ressources pour garantir à chacun et chacune un niveau de vie élevé, bien au-delà de ses besoins de base. Aucun groupe de travailleurs n’a besoin de sacrifier les miettes qu’il possède pour qu’un autre en reçoive davantage. Tout argument selon lequel les non-Autochtones profitent de l’oppression des Autochtones est donc réactionnaire, car il fait le jeu de la classe capitaliste en rejetant sur une partie des travailleurs la responsabilité de ce qui est essentiellement un problème du système.

Le problème est que sous le capitalisme, une minorité parasite, la classe capitaliste, s’approprie la majorité des richesses. Autrement dit, si certaines couches de la classe ouvrière et des opprimés ont moins, c’est parce que la classe dominante accapare la majorité des richesses. L’oppression continue de certains groupes sous le capitalisme fait baisser le niveau de vie de tout le monde dans une course vers le bas, tout en assurant de plus grands profits aux banquiers et aux patrons. L’oppression sert également à maintenir la majorité divisée et nous empêche de nous unir contre notre oppresseur commun. Cela ne sert que les intérêts de la classe capitaliste. La classe ouvrière et tous les opprimés ont tout à gagner à s’unir pour arracher la richesse et le pouvoir à la classe dominante. Mais elle a tout à perdre en restant divisée et en se disputant les miettes. En fin de compte, tant qu’une partie de la société est opprimée, il ne peut y avoir de véritable liberté pour le reste d’entre nous.

Comme l’explique Howard Adams : « Au Canada, il fallait trouver et mettre à la disposition des hommes d’affaires de l’industrie de la traite des fourrures une main-d’œuvre sous contrat ou semi-esclave. Les stéréotypes et les préjugés raciaux se sont alors développés à partir du constat que les Indiens fournissaient une main-d’œuvre potentiellement bon marché pour le piégeage des fourrures et pour tout autre travail qui devait être fait. En plus de cela, ils se sont avérés être les trappeurs et les ramasseurs de fourrures les plus efficaces. Les intellectuels et les ecclésiastiques européens ont donc commencé à créer des théories raciales pour montrer que les peuples autochtones d’Amérique du Nord et des autres colonies étaient primitifs, des sous-hommes intrinsèquement inférieurs. »

Le racisme à l’égard des peuples autochtones constitue donc une caractéristique fondamentale de la société canadienne. Alors que bien des gens tentent de nous faire croire que cela appartient au passé, les résultats du rapport final de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées de 2019 montrent que le racisme se porte bien au Canada. Le commerce de la fourrure n’étant plus la pierre angulaire de l’économie, les théories raciales sur les peuples autochtones n’ont pas disparu, mais ont simplement changé de forme. Si aujourd’hui les Autochtones ont techniquement des droits égaux devant la loi, le racisme ambiant les conduit à se voir refuser les bons emplois et les bonnes occasions, perpétuant un cercle vicieux de pauvreté et de dépossession. Ce phénomène prend racine dans le système capitaliste qui se sert du racisme pour justifier le fait de payer moins cher certains secteurs de la classe ouvrière.

Adams explique ensuite : « En nous classant comme des travailleurs inférieurs, ils pouvaient faire exécuter leur travail à moindre coût. Les travailleurs autochtones sont invariablement traités de cette manière discriminatoire : stigmatisés par les mêmes stéréotypes raciaux – retard au travail, absence après le jour de paie, manque de fiabilité au travail – ils sont alors contraints d’accepter des salaires plus bas. Dans ma jeunesse, je n’ai jamais résolu l’énigme du racisme dans l’emploi, mais aujourd’hui, il est clair pour moi que le racisme est le produit de l’économie. »

Les marxistes luttent contre toutes les formes d’oppression ici et maintenant, y compris en se battant pour des réformes qui permettraient d’atténuer immédiatement les conséquences de l’oppression et des centaines d’années de colonisation. Mais quel est le moyen le plus efficace d’y parvenir? Comme la classe dirigeante ne cède jamais de réforme de son plein gré et sans lutte, les mobilisations de masse, combatives et collectives venant de la base et qui font trembler les patrons et les politiciens par crainte de révolution représentent la meilleure façon de gagner une réforme. Les grèves, les manifestations de masse et les occupations sont le genre de tactiques qui peuvent arracher des concessions à la classe dirigeante. La lutte pour ces concessions doit faire partie intégrante de la lutte plus large pour la révolution socialiste. Les peuples autochtones ont une longue histoire de combativité, mais ils ne représentent à eux seuls qu’une minorité de la population. Ce qu’il faut vraiment pour aller de l’avant, c’est une lutte de masse, collective, qui s’étende à toute la classe ouvrière et aux peuples opprimés.

Lorsque les droits des autochtones sont attaqués, le mouvement ouvrier doit organiser des mobilisations de masse et de solidarité jusqu’à ce que les droits des communautés soient respectés ou que leurs revendications soient satisfaites. On ne peut pas laisser les Autochtones lutter seuls contre leur oppression. Tous les travailleurs non autochtones ont intérêt à se battre pour la libération des Autochtones. Notre plus grande force réside dans l’unité et un progrès pour une couche de la classe ouvrière et des opprimés est un progrès pour tous.

De même, les travailleurs et les jeunes autochtones doivent rejeter les idées universitaires « postcoloniales » qui ne peuvent qu’entraîner l’isolement et la défaite de la lutte contre l’oppression des autochtones. Une minorité ne peut pas vaincre la classe dirigeante canadienne et son État. C’est précisément le ralliement de tous les secteurs des opprimés qui remplit les capitalistes d’effroi.

La nécessité de la convergence

La classe dirigeante canadienne et son État craignent depuis des années la possibilité d’un soulèvement autochtone. Par exemple, dans un document du Centre des opérations du  gouvernement, la GRC affirme que « le camp Unist’ot’en est le point focal idéologique et physique de la résistance autochtone aux projets d’extraction de ressources », et ajoute que « la convergence peut renforcer les arguments de ces autres groupes, en augmentant la visibilité et l’efficacité possible de leur opposition ». La convergence et un soulèvement sont précisément ce qu’il nous faut. Nous avons besoin de la « convergence » de tous les peuples opprimés et exploités, c’est-à-dire de toute la classe ouvrière du Québec, du Canada et du reste de l’Amérique du Nord. Nous devons nous lever et nous battre en tant que classe pour mettre fin à des siècles d’oppression capitaliste et d’exploitation des peuples autochtones.

Mais s’attaquer aux grandes entreprises qui, avec la coordination de l’État canadien, piétinent les droits des Autochtones sur leurs terres tout en exploitant leurs travailleurs et en récoltant des milliards de dollars de profits, exige une lutte unifiée des travailleurs autochtones et non autochtones. Grâce à une telle lutte unie, les travailleurs de toutes origines apprennent en pratique qu’ils peuvent obtenir davantage en luttant ensemble.

Les marxistes accordent la primauté à la lutte des classes parce que c’est le seul moyen de vaincre le système capitaliste et l’État canadien. C’est par la lutte des classes, par le renversement des rapports de propriété capitalistes et la création de nouveaux rapports socialistes, que le legs du colonialisme et le racisme peuvent être combattus. Le mode de production capitaliste repose, dans son essence, sur l’extraction de la plus-value des travailleurs par les propriétaires des moyens de production : les capitalistes. C’est la racine du profit, qui est le but premier des capitalistes. La discrimination, l’oppression et l’asservissement colonial jouent un rôle important dans le maintien du système capitaliste, mais la réalité économique de l’exploitation met les travailleurs dans une position unique pour faire tomber le système. Ce sont les travailleurs qui produisent toutes les richesses de la société et qui peuvent s’emparer des moyens de production pour les mettre au service de l’intérêt de la majorité.

Alors que certains affirment que le marxisme est étranger à la tradition des peuples autochtones, le fait demeure que les peuples autochtones vivaient dans une large mesure selon un mode de vie égalitaire et communiste avant la colonisation. Ce que les marxistes souhaitent c’est y revenir, mais à un niveau supérieur.

Karl Marx disait qu’un peuple qui en opprime d’autres ne peut être libre. La réalité est qu’il n’y aura jamais de véritable solution à la question des droits et des titres autochtones, à la question nationale québécoise ou à l’exploitation de la classe ouvrière dans le cadre de la Confédération canadienne. La classe ouvrière d’Amérique du Nord ne sera jamais libre tant que les peuples autochtones d’Amérique du Nord continueront à être opprimés et asservis.

La seule solution est le renversement complet du capitalisme et le démantèlement de l’État canadien et de la confédération. Une union socialiste volontaire des peuples, fondée sur une véritable égalité, la plus large démocratie ouvrière possible et la propriété commune des moyens de production, n’aurait aucun intérêt à continuer d’assujettir les peuples opprimés.

Le socialisme vise à socialiser cette richesse sous contrôle démocratique. Grâce à cela, les collectivités autochtones participeraient véritablement à tous les niveaux de production et de développement. Une société socialiste, qui organise la production et l’échange en fonction des besoins du peuple et non du profit, serait en mesure de résoudre tous les problèmes non résolus et les injustices dont souffrent les Autochtones. Les immenses ressources de ce territoire pourraient être mobilisées pour permettre aux peuples autochtones d’assurer un niveau de vie décent et durable à leur population.

C’est précisément en libérant toutes les richesses de la société que les problèmes et les injustices auxquels sont confrontées les communautés autochtones peuvent être résolus de manière satisfaisante, car elles se verraient garantir les fonds et les ressources nécessaires à la mise en œuvre de programmes et de services répondant à leurs besoins, et pourraient décider démocratiquement de la manière de procéder sans que cela ne leur soit imposé de l’extérieur.

Sous le capitalisme, la question des droits des Autochtones se trouve entièrement subordonnée aux intérêts de la classe dominante. Les droits des Autochtones sont sans cesse sacrifiés afin de garantir les profits des capitalistes. Sous le socialisme, avec une économie planifiée démocratiquement sous le contrôle des travailleurs, la production se baserait sur le besoin et non sur le profit. Dans ces conditions, nous pourrions immédiatement commencer à travailler en harmonie pour résoudre les problèmes des droits, des titres et de l’autonomie des Autochtones et mettre fin à des siècles d’exploitation, d’oppression et d’asservissement colonial.


1 Le Ralliement national des Métis a adopté la définition suivante de Métis en 2002 : « Le terme “Métis” désigne une personne qui se définit comme tel, se distingue des autres peuples autochtones, est issue de la Nation métisse historique et est acceptée par la Nation métisse. »