La Révolution d’Octobre et la lutte des LGBTQ+

Avec la terrible tragédie survenue à Orlando le 12 juin, nous avons pensé qu’il serait pertinent de publier cet article sur la lutte des LGBTQ+ et la Révolution d’Octobre. Il a été publié une première fois le 25 mars dernier en anglais sur le site web de nos camarades de Socialist Appeal, aux États-Unis. Il fut un […]

  • Timothy Bay
  • mar. 14 juin 2016
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Avec la terrible tragédie survenue à Orlando le 12 juin, nous avons pensé qu’il serait pertinent de publier cet article sur la lutte des LGBTQ+ et la Révolution d’Octobre. Il a été publié une première fois le 25 mars dernier en anglais sur le site web de nos camarades de Socialist Appeal, aux États-Unis.


Il fut un temps où le mariage homosexuel était légalisé, où les personnes transgenres étaient autorisées à servir dans l’armée, où un homme ouvertement homosexuel était ministre des Affaires étrangères, où la discrimination était supprimée de la loi, et où changer de genre sur des documents officiels était une simple formalité administrative. Quel était cet endroit merveilleux ? Quand est-ce que de telles lois – qui sont allées plus loin que celles de n’importe quel pays moderne en termes de droits LGBTQ+ – ont été édictées ? Et plus important encore, pourquoi ces mêmes lois ne sont-elles pas en vigueur partout dans le monde aujourd’hui ? Sans surprise pour les marxistes, le pays en question était l’Union Soviétique et ces lois furent adoptées pendant la phase ascendante de la révolution, de 1917 à 1926, sous la direction de Lénine et de Trotsky. Également sans surprise, elles furent par la suite abrogées par la contre-révolution stalinienne qui foula aux pieds toutes les avancées sociales et politiques du bolchévisme.

La carrière de Gueorgui Tchitcherine, commissaire du peuple aux Affaires étrangères de 1918 à 1930, est représentative de cette transformation. Lorsqu’il retourna en Russie après la Révolution bolchévique, Tchitcherine fut nommé député de Trotsky dans les négociations ayant conduit à la signature du traité de Brest-Litovsk et le remplaça en tant que commissaire du peuple aux Affaires étrangères en mai 1918. Dans cette position, Tchitcherine, un homme ouvertement homosexuel, devenait le représentant de l’État soviétique sur l’arène mondiale. Parmi d’autres accomplissements, il signa le traité de Rapallo au nom de l’État soviétique et – comble de l’ironie – négocia le statut de l’Église catholique en Russie avec Eugenio Pacelli, l’homme qui allait devenir par la suite le Pape Pie XII. Cependant, en dépit de son acharnement au travail et de ses talents diplomatiques, Tchitcherine entra en conflit avec Staline, fut effectivement mis sur la touche à partir de 1928 et finalement démis en 1930, et toutes références furent effacées après sa mort en 1936. Exilé politique sous le tsarisme, élevé et encouragé à développer ses talents par le bolchévisme, il fut écarté par la contre-révolution stalinienne. En cela, il est peut-être représentatif de tous ceux opprimés pour leur genre ou leur sexualité dans l’ancien empire tsariste et en Union Soviétique.

L’homosexualité était illégale sous le tsarisme. Sans compter la question de l’égalité matrimoniale, les individus qui ne se conformaient pas aux « normes » de genre et de sexualité prédominantes pouvaient être emprisonnés simplement parce qu’ils existaient et s’étaient confiés à la mauvaise personne. La situation changea du jour au lendemain avec la prise du pouvoir par les bolcheviks. Bien que les vieilles lois tsaristes n’aient pas été complètement abolies avant 1922, quand l’homosexualité a été retirée du nouveau Code criminel et que le mariage entre personnes de même sexe a été légalisé, il n’y a pas la moindre preuve que les vieilles lois ont continué d’avoir cours après le 7 novembre 1917. Dans les faits, la totalité des vieilles lois tsaristes avait été jetée au feu après la prise du pouvoir par la classe ouvrière.

En 1926, la révolution a permis aux individus de changer d’identité de genre sur demande, sur leurs passeports comme sur les autres documents officiels, sans avoir à recourir à la chirurgie ou à des séances de psychologie, ni à satisfaire à aucune exigence. La recherche financée par l’État commença à s’interroger au sujet de l’intersexualité. L’avenir semblait radieux pour toutes les identités sexuelles ou de genre autrefois marginalisés. Bien que les bolcheviks n’aient pas eu dès le départ une vision très développée ni accordé une importance spéciale aux enjeux des LGBTQ+ [un terme moderne utilisé ici, car la terminologie utilisée à l’époque est soit dépassée, offensante, exclusive ou tout cela à la fois], il est clair qu’ils avaient une position fondamentale d’opposition aux préjugés et aux discriminations.

Le bolchevik Grigorii Batkis, Directeur de l’Institut d’Hygiène Sociale, décrivait cette position de la manière suivante : « l’actuelle législation sexuelle en Union Soviétique est le produit de la Révolution d’Octobre. Cette révolution est importante non seulement en tant que phénomène politique qui fixe le rôle politique de la classe ouvrière, mais aussi pour les révolutions qui en découlent dans tous les aspects de la vie… [La législation soviétique] déclare la non-intervention absolue de l’Etat et de la société dans les relations sexuelles, pourvu qu’elles ne nuisent à personne et n’empiètent sur les intérêts de quiconque… L’homosexualité, la sodomie et diverses autres formes de satisfactions sexuelles présentées dans la législation européenne comme des infractions à la moralité publique sont traitées par la législation soviétique exactement comme des relations sexuelles soi-disant « normales » ». L’Union Soviétique aurait sans aucun doute vu naître de florissantes possibilités pour l’humanité, bien au-delà de ce dont on peut même rêver aujourd’hui, si le désastre de l’isolement et du stalinisme n’avait pas eu lieu.

Coupé du reste du monde et isolé dans des conditions d’arriération technique et productive extrêmes, dans un pays ravagé par la guerre impérialiste, la guerre civile et la famine, le pouvoir soviétique luttait pour sa survie. Une bureaucratie contre-révolutionnaire se développa au sein de l’État soviétique et du parti lui-même, comme un sinistre cancer. Comme la guerre et la famine nécessitaient des mesures drastiques pour la survie du régime, la bureaucratie grossit et se consolida autour de la personne de Staline. Ainsi, de 1924, l’année de la mort de Lénine, à 1928, lorsque Trotsky fut exilé et l’Opposition de gauche effectivement démantelée, une transformation s’effectua dans l’Union Soviétique, aboutissant à la dictature de la bureaucratie, menée par Staline, et l’étouffement de la démocratie des Soviets, bien que dans le cadre d’une économie nationalisée et planifiée. Finalement, la bureaucratie stalinienne détruisit toutes les avancées sociales et politiques de la révolution, ne gardant que l’économie planifiée pour seule grande conquête de la révolution. Celle-ci fut aussi finalement détruite, entraînée par la chute du stalinisme sous son propre poids bureaucratique et par la désintégration de l’URSS dans les années 1990.

La contre-révolution politique commença à faire ressurgir les vieilles « valeurs morales » de la bourgeoisie en essayant, en même temps, de leur appliquer une terminologie « marxiste-léniniste ». En 1933, l’homosexualité fut interdite et passible d’une peine allant jusqu’à 5 ans de travaux forcés. La propagande stalinienne liait les comportements homosexuels au fascisme. En 1936, le commissaire du peuple à la Justice Nikolaï Krylenko résuma la position officielle en déclarant que l’Article 121 anti-homosexualité du Code criminel visait la vieille classe dirigeante. Il associait ainsi l’homosexualité, d’une manière horriblement non marxiste, à l’ancienne aristocratie tsariste et à la bourgeoisie russe. Comme la bureaucratisation du Kominterm s’effectuait en même temps que la bureaucratisation de l’URSS, les staliniens russes ont été capables de propager leur homophobie et leur transphobie dans les partis communistes officiels à travers le monde. Il y a eu une régression réactionnaire sur ces questions dans tous ces partis, non sans résistance de la part de membres ordinaires de ces partis, comme l’a illustré la célèbre lettre du communiste britannique Harry Whyte à Staline [1].

Voici comment les bolcheviks approchaient les questions de ce que nous appelons maintenant LGBTQ+ : avec la perspective de faire disparaitre toute forme d’oppression et de créer un monde dans lequel l’humanité aurait enfin la possibilité de se développer, libérée des contraintes de la société de classe. Le fait que les États-Unis n’aient pas complètement légalisé la « sodomie » avant 2003 démontre à quel point la société soviétique était avancée sur ces questions, près d’un siècle auparavant !

Aux États-Unis aujourd’hui, l’égalité en matière de mariage a peut-être été gagnée, mais le combat continue sur des enjeux tels que la protection sur les lieux de travail ou le droit démocratique élémentaire pour les personnes transgenres d’utiliser les toilettes et autres services publics sans être harcelées, confondues sur le genre ou sujettes à des actes de violence. Les marxistes se tiennent aux côtés des opprimés, dans cette lutte comme dans toutes les autres, et combattent sans compromis l’homophobie et la transphobie.

Par-dessus tout, la Révolution russe nous montre comment une révolution prolétarienne peut, en pratique, en faire bien plus pour les couches opprimées de la société que les combats réformistes sur des enjeux isolés. Toutefois, il est une accusation répandue qui consiste à dire que les marxistes sont « seulement » intéressés par les conditions économiques, et qu’ils se concentrent exclusivement sur les classes, sans égard pour les questions de race, de genre et de sexualité. Rien ne peut être plus éloigné de la vérité. Ce que les marxistes expliquent, c’est que de tels problèmes n’existent pas de manière isolée, que les différentes formes d’oppression ne s’entrecoupent pas simplement sur le plan individuel, mais reflètent des liens de causalité sur le plan social, et que l’exploitation et l’oppression de classe en sont le fondement. Une fois la société de classe balayée, tous les vieux préjugés et toutes les anciennes oppressions commenceront à s’effriter.

Cela ne signifie pas qu’il n’est pas nécessaire de lutter contre ces différentes formes d’oppression, de discrimination et de préjugés, mais veut plutôt dire que ces luttes découlent nécessairement de la lutte contre l’exploitation de classe. Cela ne signifie pas non plus que le sexisme, le racisme, l’homophobie et la transphobie vont automatiquement disparaître du jour au lendemain avec l’avènement du socialisme. Ces formes de préjugé et de discrimination disparaitront graduellement avec le temps à mesure que le socialisme effacera la base matérielle et les divisions de classes sur lesquelles elles reposent. Mais le point principal sur lequel nous devons insister est qu’il ne sera pas possible d’atteindre le socialisme si nous ne nous unifions pas, en tant que classe, dans la lutte contre nos oppresseurs communs. Les bolcheviks l’ont compris à la fois avant et après la prise du pouvoir, et se sont lancés dans la mêlée aux côtés des exploités et des opprimés. Nous devons apprendre de leur remarquable exemple.


[1Un homosexuel peut-il être membre du Parti Communiste ?, mai 1934. Dans cette lettre, Harry Whyte s’oppose au décret soviétique du 7 mars 1934 qui criminalise la « sodomie » et demande à Staline de justifier du point de vue marxiste cette décision. Version anglaise de la lettre.