Ici, Joel Bergman du comité éditorial de La Riposte présente la vision des marxistes québécois sur la question nationale. Il souligne qu’il y a une immense différence entre la  » souveraineté  » des travailleurs et la souveraineté des patrons et du leadership du Parti Québécois.

La question nationale domine la politique canadienne depuis très longtemps. Dans le reste du Canada, les médias et le gouvernement bourgeois fédéraliste tournent en dérision les « séparatistes » « qui tentent de diviser le pays ». Au Québec, certains affirment que l’oppression des Québécois sera réglée avec la souveraineté. Que veut dire tout cela? Dans un passé récent, la trahison ouverte du Parti québécois a poussé beaucoup de gens à se poser des questions sur les intentions de leurs chefs souverainistes. Qu’elle est la réponse marxiste à cette question?

Le Québec est une nation opprimée par l’État canadien. Nous luttons contre toutes les formes d’oppression nationale et défendons tous les droits démocratiques des Québécois, y compris le droit à l’autodétermination, si les Québécois en décident démocratiquement ainsi. Suite à cette affirmation, nous devons clarifier ces deux points. Comment pourrait-on atteindre cette libération et qui, dans cette société, est en mesure de diriger cette lutte d’émancipation?

« En ce temps de crise économique, ce n’est pas le moment de discuter de souveraineté. » Pauline Marois, chef du Parti Québécois.

Beaucoup d’honnêtes travailleurs qui croyaient à la rhétorique nationaliste du PQ se sont sentis confus après de telles paroles. Les vrais intérêts de la bourgeoisie du PQ ont été clairement dévoilés. Il utilise les aspirations de millions des Québécois qui désirent l’émancipation de l’oppression nationale et les utilise comme des pions dans le grand jeu du capitalisme mondial. Cela prouve qu’il y a une division des classes dans le mouvement souverainiste. Les chefs bourgeois et petits-bourgeois du PQ et du Bloc Québécois voient le combat de millions de Québécois pour l’acceptation de la souveraineté comme une pièce du casse-tête qui va mener à une accommodation raisonnable avec l’impérialisme de l’État capitaliste canadien. Ils cherchent à avoir une plus grande part de la tarte des profits tout en donnant au Québécois une image des plus progressive. Toutefois, les travailleurs voyaient le mouvement de l’indépendance comme une lutte révolutionnaire pour l’amélioration de leurs conditions de vie. Cette différence a été accentuée et masquée au fil de l’histoire du Québec, mais elle a toujours existé.

« En un mot, l’oppresseur et l’opprimé ont été mis en constante opposition l’un contre l’autre, ils ont suivi une lutte ininterrompue, à la fois ouverte, à la fois cachée. » K. Marx, Le Manifeste du Parti communiste.

La Révolution tranquille et le front commun

Un regard sur l’histoire du Québec le confirme : la « Révolution tranquille » a été un combat pour la libération nationale dirigé par la petite bourgeoisie québécoise dans les années 60. Inspirée par les nombreuses grèves héroïques de la classe ouvrière québécoise pendant les années 40 et 50, qui se battait contre le despotisme de Maurice Duplessis, la petite bourgeoisie du Québec (avocats, intelligentsia, académiciens et petits entrepreneurs) a pu utiliser l’État et une série de nationalisations pour conclure, du moins partiellement, les tâches de la révolution démocratique nationale et faire sortir le Québec de l’âge de pierre.

Les impérialistes ont modernisé, économiquement, la province pour mieux en extraire des profits massifs, mais ses institutions sociales et politiques ressemblaient plutôt à celles d’une république bananière. La petite bourgeoisie québécoise était dominée complètement par l’impérialisme. Utilisant le pouvoir de l’État, les petits bourgeois québécois ont pu repousser les impérialistes canadiens et états-uniens, et ont laissé place au développement d’une bourgeoisie québécoise. Entre 1960 et 1990, via l’usage de l’État, la propriété des entreprises par les francophones au Québec est passée de 15 % à 65 %. Et ces entreprises sont loin d’être petites.

Certaines sont devenues des corporations internationales, comme Bombardier et Québecor Monde. Les bourgeois ont été capables de se faire une place pour leur propre entreprise. Bien sûr, après avoir accompli cette tâche, ils ont laissé la classe ouvrière de côté et les contradictions latentes dans la société québécoise n’ont fait que s’accroître.

Du fait que les mouvements sociaux au Québec ont été dirigés par la petite bourgeoisie radicale jusqu’à ce jour, leurs revendications ont été basées sur le nationalisme. Or, vers la fin de 1971, la classe ouvrière a commencé à bouger. La lutte entre les syndicats de la FTQ, la CSN, et la CEQ, qui jusque alors divisait la classe ouvrière (et qui la divise encore), s’est interrompue. Tous les grands syndicats se sont unis pour former le Front commun en 1971. Le Front commun a publié un manifeste qui a déclaré: « L’impérialisme capitaliste américain a une influence directe sur la vie de chaque Québécois. Pour qu’on s’en sorte, il faut premièrement que l’on comprenne comment fonctionne le capitalisme, qui mène à l’impérialisme. Une fois qu’on l’aura compris, il ne suffira pas de remplacer le capitalisme américain par un capitalisme québécois, mais il faudra chercher un autre système qui puisse mieux répondre aux besoins de la population. »

L’unité nationale des Québécois s’est heurtée à la question de classe, avec la classe ouvrière bougeant vers le socialisme. Le PQ a été même dénoncé par la CSN, qui l’a identifié à « une petite bourgeoisie professionnelle et technocratique dont l’ambition est de prendre la place de la bourgeoisie anglo-canadienne au Québec (notamment par le biais des institutions de l’Etat) ». C’est exactement ce qui s’est passé. L’inhabilité des nationalistes petits-bourgeois à résoudre les contradictions du système et leur nationalisme sans perspective de classe ont été démontrés à la classe ouvrière, et les travailleurs ont décidé de se diriger eux-mêmes pour défendre leurs propres intérêts. La lutte nationale est devenue une lutte de conscience de classe, le combat de classes a traversé le combat national, et pour une fois, les travailleurs ont pris le pouvoir, mais ils ne le comprenaient pas.

À cause de sa nature syndicaliste et du fait qu’il n’avait pas la perspective de conquête du pouvoir politique, le mouvement a été éventuellement repoussé vers le Parti québécois et le mouvement pour la libération du Québec a été de nouveau canalisé vers le nationalisme. Le PQ utilise le mot « souveraineté » précisément à cause de son ambivalence, pour réclamer l’appui de la classe ouvrière au Québec. Les travailleurs voient la « souveraineté » comme une lutte révolutionnaire pour l’amélioration de leurs conditions, alors que les chefs bourgeois et petits-bourgeois voient le combat comme le moyen de trouver des accommodements raisonnables avec l’impérialisme et l’État capitaliste canadien. Les dirigeants du mouvement indépendantiste ont agi comme médiateurs entre la population furieuse et l’État canadien.

La bourgeoisie unie

En 2005, on a vu l’apparition du manifeste « Pour un Québec lucide ». Il a été signé par 12 Québécois éminents, y compris l’ancien Premier ministre et fondateur du Bloc québécois, Lucien Bouchard. Parmi les autres signataires, on retrouve des capitalistes québécois, des intellectuels et des politiciens péquistes et libéraux. Une chose a frappé : tous n’étaient pas des nationalistes. Ce qui les unissait était leur intérêt de classe. Le manifeste déclare clairement : « Quelques membres de notre groupe sont souverainistes, d’autres croient que le futur du Québec sera mieux assuré dans le Canada. Malgré ces différences, nous sommes certains que, quel que soit le choix des Québécois, les défis que nous avons à affronter restent les mêmes. » La bourgeoisie est unie et déclare « La souveraineté n’est pas pensable maintenant ».

« Pour un Québec lucide » a mis cartes sur table. Ce manifeste étale un plan bourgeois pour résoudre les problèmes qu’affronte le Québec dans un marché capitaliste mondialisé. Ce plan comprend beaucoup de mesures impopulaires, comme une hausse des frais de scolarité, d’électricité ou le soutien de l’État aux partenariats public-privé pour rendre le Québec plus « compétitif » et pour soulager la dette du gouvernement. Non par hasard, ce sont les mêmes mesures que les patrons proposent et exécutent dans le reste du Canada et aux États-Unis. Ils luttent contre les bénéfices gagnés par le combat de la classe ouvrière. La bourgeoisie est unie par-delà les nationalités, et nous devons donc faire de même. Les travailleurs doivent s’unir pour lutter contre ces attaques et refuser la division et le diversionnisme. C’est le seul chemin pour défendre les gains du passé et bâtir une société qui en vaut le nom.

Le document reconnait la haine naturelle que ressent la classe ouvrière québécoise envers ses patrons francophones, mais aboutit à la conclusion, erronée et utopique, que ce sentiment peut et doit être éliminé. « Fort longtemps, le peuple a déploré le fait que l’économie québécoise a été dirigée par des gens d’affaires anglophones; aujourd’hui, les gens d’affaires francophones contrôlent notre économie et ils sont rondement critiqués, même jusqu’à un certain point où leurs motifs sont questionnés quand il donne de leur temps et leur argent à la philanthropie. »

Ici, même la bourgeoisie reconnaît ce fait! Les travailleurs québécois détestent leurs patrons anglophones. Le mouvement national a repoussé les capitalistes anglophones et les a remplacés par des francophones. Les travailleurs persistent à détester leurs patrons capitalistes francophones! La question de classe a toujours existé et elle demeure fondamentale. Ces paroles le confirment.

Dans les temps de croissance capitaliste, il est plus facile pour la bourgeoisie de donner des avantages aux travailleurs et de prétendre commander la nation. Le voile progressiste a été lancé sur le mouvement souverainiste et l’unité de la bourgeoisie a été exposée. Maintenant les intérêts de la bourgeoisie se dévoilent au grand jour en opposition aux intérêts de la classe ouvrière du Québec.

Pour une solution socialiste!

C’est précisément pour ces raisons, et pour la condamnation historique du leadership petite-bourgeoise et bourgeois du mouvement souverainiste, qu’il faut que le mouvement de libération nationale soit dirigé par la classe ouvrière. Qui sont les principaux alliés des travailleurs québécois dans leur lutte contre l’État canadien capitaliste qui les opprime? Qui est aussi attaqué par l’État canadien, qui les force au chômage et fait des lois de retour au travail? La classe ouvrière canadienne! Ce sont les capitalistes canadiens et américains qui ont le plus d’intérêts dans l’oppression du peuple québécois. C’est la classe ouvrière canadienne qui a le plus d’intérêts à défendre et à étendre les gains des travailleurs québécois. Également, les bourgeois francophones ont intérêt à réduire le mouvement d’émancipation du Québec à un mouvement nationaliste. Les patrons francophones utilisent l’énergie et les rêves des travailleurs québécois pour poursuivre leurs buts à eux.

L’idée fondamentale que nous pouvons en tirer est que l’unité de classe est nécessaire pour libérer les Québécois de leur oppression nationale. Les bourgeois et petits bourgeois du Québec sont incapables d’accomplir cette tâche de révolution démocratique. Jadis, ils ont réussi à regrouper les travailleurs québécois pour se débarrasser de leur patron capitaliste anglophone canadien et pour les remplacer par d’autres, francophones, québécois, leur donnant une partie du marché capitaliste, mais ils ont une peur bleue que les travailleurs prennent le pouvoir. Ils ont peur parce qu’ils savent qu’une fois placés à la tête du mouvement de libération nationale, les travailleurs pousseraient les patrons québécois dans le gouffre de l’histoire. Les patrons québécois sont des frères et des sœurs des patrons canadiens et états-uniens capitalistes, et, quand ils font face à un combat de classe, ils se rassemblent pour combattre les prolétaires.

Pour battre l’État capitaliste canadien qui oppresse le Québec, les travailleurs ont besoin d’être encore plus unis pour combattre leurs patrons. Les travailleurs francophones, alliés aux travailleurs anglophones, vont réussir à battre leurs patrons, prendre contrôle des principaux leviers économiques et détruire la constitution fédéraliste bourgeoise du Canada.

À la place, les travailleurs institueront une volontaire et égalitaire union socialiste entre le Québec et le Canada. On peut bâtir une société sans pauvreté, guerre et sans les inégalités du système capitaliste, où l’on planifierait la production à partir des vrais besoins de la population plutôt que de produire aveuglément juste pour le profit.

Pour y parvenir, nous ne devons pas nous séparer de nous-mêmes, mais d’avec le système capitaliste.