L’austérité de Carney commence. Sa première cible : Postes Canada

Le gouvernement Carney a lancé son programme d’austérité en ciblant Postes Canada, avec la fin de la livraison à domicile et la fermeture de bureaux, ce qui menace des milliers d’emplois syndiqués et dégrade les services. Cette attaque sert d’avertissement à l’ensemble de la classe ouvrière : seule une mobilisation de masse, appuyée sur une perspective socialiste, peut stopper ce démantèlement.
  • Marco La Grotta
  • ven. 26 sept. 2025
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Photo : STTP-Section locale de Montréal / Facebook

Mark Carney a lancé son programme d’austérité.

Dans une annonce surprise, le ministre Joel Lightbound a déclaré hier que Postes Canada allait être contrainte de mettre fin à la distribution du courrier à domicile. De plus, un nombre indéterminé de bureaux de poste ruraux vont fermer et certains envois ne seront plus acheminés par avion, ce qui allongera les délais de livraison. Postes Canada a 45 jours pour présenter au gouvernement son plan de « restructuration » suivant ces lignes directrices.

Les membres du STTP ont répliqué par une nouvelle grève afin de forcer le gouvernement à faire marche arrière. La décision de Lightbound entraînera la destruction de milliers d’emplois syndiqués bien rémunérés, ainsi qu’une détérioration du service pour des millions de Canadiens. Il ne s’agit plus d’une lutte pour les salaires et les conditions de travail, mais d’une lutte existentielle pour protéger les emplois et les services qui touchent directement tous les travailleurs. 

Comment en sommes-nous arrivés là, et comment le mouvement syndical doit-il réagir?

Pourquoi Postes Canada?

Les coupes à Postes Canada doivent être comprises dans leur contexte plus large. Au cours des dernières semaines, Carney a préparé psychologiquement le public à un « budget d’austérité » qui sera présenté en novembre. Entre-temps, il a demandé aux ministères fédéraux de trouver 15% d’« économies » sur une période de trois ans. Les coupes imposées à Postes Canada ne sont que le coup d’envoi de la campagne d’austérité à venir et un avant-goût de ce que Carney nous réserve. 

Le choix de commencer avec des licenciements chez Postes Canada n’est pas fortuit. Jusqu’à hier, le STTP était engagé dans des négociations avec la direction sur les questions salariales et l’augmentation du travail à temps partiel. La direction a invoqué des difficultés financières et les négociations ont abouti à une impasse. D’un seul coup, Carney a « résolu » l’impasse en ordonnant le licenciement massif des travailleurs, tout en portant un coup dur au STTP, un syndicat aux traditions combatives. Ce faisant, Carney a envoyé un message aux autres syndicats : si le STTP peut être écrasé, vous pouvez l’être aussi.

« Postes Canada perd de l’argent! »

Le gouvernement a justifié sa décision en soulignant le fait que Postes Canada perd de l’argent. C’est un fait incontestable. Cependant, certains points doivent être clarifiés ici.

Premièrement, la raison pour laquelle Postes Canada perd de l’argent est qu’elle offre des services nécessaires qu’aucune entreprise privée n’a intérêt à offrir. Le Canada est un pays immense, et il y a peu ou pas de profits à réaliser en offrant des services postaux abordables et réguliers dans les régions les plus éloignées ou rurales du pays. C’est pourquoi la distribution du courrier est propriété publique dans de nombreux grands pays, même si elle n’est pas toujours rentable. Cela ne pose problème que si l’on considère la distribution du courrier non pas comme un service nécessaire, mais comme une activité commerciale comme une autre – une idée avec laquelle bien des gens ne seront pas d’accord.

Deuxièmement, même si le gouvernement fédéral a été contraint de « subventionner » Postes Canada ces dernières années, cette somme est dérisoire comparativement aux autres subventions accordées à des entreprises privées, où les résultats sont bien plus décevants. 

Il est vrai que le gouvernement fédéral a accordé à Postes Canada un prêt remboursable d’environ un milliard de dollars pour l’aider à demeurer à flot. Mais ce n’est rien comparé aux plus de 50 milliards de dollars de prêts et de subventions accordés ces dernières années aux constructeurs automobiles et aux fabricants de batteries pour stimuler la production et – en théorie – créer des emplois. Ces derniers mois, bon nombre de ces entreprises ont revu leurs plans d’expansion à la baisse, et le nombre d’emplois créés sera probablement minime. 

La question doit être posée : pourquoi appliquer une norme aux entreprises privées qui ne tiennent pas leurs promesses et une autre à une entreprise publique comme Postes Canada? Si l’on se préoccupe de protéger les « bons emplois canadiens », cela n’inclut-il pas également les 60 000 personnes qui travaillent pour Postes Canada, dont beaucoup sont syndiquées? Manifestement, non.

Troisièmement, le STTP a proposé des idées pour réorganiser et développer les activités de Postes Canada, notamment par l’introduction de services bancaires postaux. L’offre de services bancaires publics via l’infrastructure postale a été mise en œuvre avec succès dans d’autres pays, notamment au Japon, où la banque postale compte plus de déposants que n’importe quelle banque privée. Cependant, cette idée a été rejetée d’emblée par le gouvernement. Pourquoi? En bref, parce qu’il préfère fermer et abandonner les bureaux de poste plutôt que d’empiéter sur le territoire des grandes banques, même si cela profiterait énormément aux gens ordinaires. 

Un argument perdant 

Comment les dirigeants du STTP ont-ils répondu aux arguments du gouvernement? Dans une récente interview à la CBC, le négociateur du STTP Jim Gallant a suggéré que les difficultés financières de Postes Canada étaient dues à la pandémie de COVID-19 ainsi qu’aux récentes actions syndicales menées par le STTP dans l’espoir d’en arriver à une entente avec la partie patronale. Il a également laissé entendre que la rentabilité serait rétablie une fois l’entente conclue.

Cet argument n’est franchement pas convaincant. Les pertes de Postes Canada découlent de problèmes beaucoup plus profonds, notamment la nature de la distribution du courrier dans un grand pays, la baisse des volumes de courrier, la concurrence de géants comme Amazon et d’autres facteurs encore. Ignorer ces faits n’aidera pas le STTP à convaincre le public et ne fera que semer la confusion dans ses rangs. 

Un argument plus convaincant serait : pourquoi traitons-nous un service nécessaire comme une entreprise? Pourquoi les profits devraient-ils dicter si une personne âgée a facilement accès à son courrier ou si quelqu’un reçoit son colis en temps voulu? Si le gouvernement est si préoccupé par les « renflouements », pourquoi ne commence-t-il pas par mettre fin aux subventions accordées aux grandes entreprises qui renient ensuite leurs promesses?

De plus, si l’objectif est de défendre les « bons emplois canadiens », pourquoi des multinationales comme Amazon sont-elles autorisées à accaparer le marché en proposant des emplois mal rémunérés et en menant des politiques antisyndicales? Pourquoi ces entreprises et leurs réseaux ne sont-ils pas également nationalisés, afin de permettre la mise en place d’un système postal davantage intégré et plus efficace qui garantirait des emplois décents pour tous? 

Certes, ces idées peuvent en choquer certains. Cependant, quelles autres propositions existent pour empêcher les licenciements massifs et le démantèlement de notre service postal? Aux grands maux les grands moyens. 

La nature de l’époque 

Les coupes budgétaires imposées à Postes Canada sont un signe avant-coureur de ce qui nous attend sous Carney. Elles devraient donc être au sommet des préoccupations de toute la classe ouvrière. Le combat du STTP est notre combat.

Dans cette optique, le mouvement syndical devrait apporter tout son soutien aux membres du STTP en grève, notamment en organisant des manifestations de masse et des grèves de solidarité dans certaines industries, à commencer par les autres travailleurs syndiqués du secteur des postes. Ces actions seraient le meilleur moyen de contraindre Carney à faire marche arrière, tout en donnant confiance aux autres travailleurs lorsque le couperet tombera inévitablement sur eux.

Cependant, nous ne devons pas fermer les yeux sur la réalité. À long terme, la situation des travailleurs du STTP reste désastreuse, du moins dans les conditions actuelles. Le déclin financier de Postes Canada se poursuit, ce qui signifie que des coupes encore plus sévères sont à prévoir. 

La situation à laquelle est confronté le STTP est celle à laquelle seront bientôt confrontés des centaines de milliers de travailleurs du secteur public qui seront touchés par les mesures d’austérité de Carney. Par exemple, les travailleurs des collèges sont confrontés à une lutte existentielle similaire avec l’effondrement des revenus résultant du changement apporté par Carney aux visas étudiants – ce qui entraîne des fermetures, des fusions et des licenciements. Ce n’est qu’une question de temps avant que d’autres travailleurs ne ressentent eux aussi les effets de l’austérité.

Par le passé, même une grève mal organisée pouvait espérer arracher quelques concessions à l’employeur. Cependant, en période de crise économique, même la grève la plus ambitieuse se heurte à certaines limites objectives quant à ce qu’elle peut accomplir. Dans ces moments-là, même le fait de maintenir les conditions de travail préexistantes est vu comme une dépense trop importante par les patrons, sans parler de les améliorer. C’est la situation à laquelle le Canada est confronté aujourd’hui.

Le syndicalisme traditionnel a fait son temps. Les méthodes du passé sont peu efficaces face à une élite dirigeante qui prévoit des mesures d’austérité drastiques. Maintenir le statu quo revient à accepter des licenciements massifs, des réductions salariales importantes et le démantèlement de nos services à long terme. Pour défendre les travailleurs, il est temps que les dirigeants syndicaux élargissent leurs horizons.

La situation actuelle est le produit d’un système économique irrationnel : le capitalisme. Si le « libre marché » a pour conséquence la destruction de nos services et la suppression d’emplois décents et bien rémunérés, la seule solution est de le remplacer par une planification rationnelle, la propriété publique et le contrôle démocratique. La solution est le socialisme, et il est grand temps que les syndicats adoptent une telle perspective.