Les gouvernements fédéraux du Canada et des États-Unis ont exigé que tous les chauffeurs de camion traversant la frontière canado-américaine soient vaccinés. Cette mesure a révolté un certain nombre de personnes qui ont organisé un « convoi de la liberté » anti-vaccins à travers le pays jusqu’à Ottawa. Le convoi devrait atteindre la capitale le 29.

Le convoi a suscité une controverse à l’échelle nationale, mais aussi un soutien considérable. Un GoFundMe mis en place pour aider à couvrir les frais de transport a récolté plus de 6 millions de dollars auprès de 82 500 donateurs. Ce montant comprend une poignée de dons anonymes de plus de 10 000 dollars, le plus important étant de plus de 25 000 dollars.

Le convoi est devenu un point de convergence pour les éléments d’extrême droite. Par exemple, l’organisatrice du GoFundMe, Tamara Lich, est secrétaire du Maverick Party, parti pro-Wexit de l’Alberta. En outre, des appels ont été lancés pour demander que cet événement devienne la version canadienne de l’émeute du 6 janvier au Capitole. Ces appels sont suffisamment bruyants pour que GoFundMe ait suspendu les fonds du convoi jusqu’à ce que les organisateurs puissent fournir un plan exact de l’utilisation de l’argent.

Un certain nombre de voix éminentes de l’establishment politique conservateur ont également apporté leur soutien aux camionneurs. Il s’agit notamment du premier ministre de l’Alberta, Jason Kenney, de l’ancien chef fédéral Andrew Scheer et de la chef fédérale adjointe Candice Bergen. Le chef fédéral Erin O’Toole a d’abord hésité à exprimer son soutien, mais il a récemment annoncé qu’il rencontrerait les manifestants sur la colline du Parlement. M. Kenney, en particulier, a exprimé son soutien de manière très claire, annonçant qu’il s’était rendu à Washington DC et qu’il travaillait avec une équipe de gouverneurs américains pour faire annuler l’obligation vaccinale.

C’est un autre exemple de l’hypocrisie flagrante des conservateurs. En réponse au militantisme croissant du mouvement autochtone ces dernières années, les conservateurs ont présenté un certain nombre de projets de loi visant à interdire les manifestations qui entravent ce qu’ils considèrent comme des « infrastructures essentielles ». Kenney a fait passer un tel projet de loi en Alberta, et des lois similaires ont été proposées au Manitoba et au fédéral.  Mais maintenant que plusieurs centaines de personnes se sont regroupées en véhicules, et ont réellement perturbé les autoroutes et les voies publiques, ils en viennent à les soutenir. Le convoi a déjà traversé l’Alberta et le Manitoba sans incident. C’est parce que ces projets de loi ne sont pas conçus pour protéger les infrastructures, mais pour réprimer la dissidence. Ils font un tollé lorsqu’un groupe de manifestants autochtones bloque une voie ferrée, ou lorsque des travailleurs en grève forment un piquet de grève, mais tant que les manifestants détestent Trudeau, ils peuvent causer autant de trafic qu’ils le souhaitent.

Malgré la controverse, seule une petite minorité de camionneurs soutient réellement le convoi. L’Alliance canadienne du camionnage a déclaré que près de 85 % des camionneurs sont entièrement vaccinés, ce qui est comparable à la population générale. Seuls 1200 d’entre eux se sont joints au convoi, ce qui est loin des fausses nouvelles prétendant qu’il en compte 50 000.

Si certains, à gauche, ont qualifié à tort ce mouvement de « fasciste » en raison de son association avec les conservateurs anti-vaccins, nous devons veiller à ne pas exagérer les choses. Ce mouvement ne reflète pas la force de l’extrême-droite, mais sa faiblesse. S’ils essayaient de draper ouvertement le mouvement de racisme ou de négationnisme du génocide autochtone, le soutien dont il bénéficie s’effondrerait du jour au lendemain.

Colère mal placée

La colère de la poignée de camionneurs impliqués est orientée dans la mauvaise direction. Le transport routier est une industrie brutale, sur laquelle le capitalisme s’appuie pour expédier des marchandises dans des délais serrés, ce qui conduit les camionneurs à travailler plus dur qu’ils ne l’ont fait depuis des décennies, sans augmentation significative de leur salaire. Ils sont régulièrement poussés par leur patron à violer les règles de sécurité et à travailler plus longtemps que la loi ne le prévoit, ce qui entraîne des accidents, des décès et des blessures. Tout cela s’ajoute, bien sûr, au stress de base d’un travail qui vous fait traverser le pays, à des kilomètres de toute famille ou de tout ami, parfois pendant des semaines, alors que le risque d’avoir un accident est toujours présent.

De plus, ces dernières années ont complètement révélé la faillite du système actuel. Toute leur vie, on a dit à ces gens que le capitalisme était censé fonctionner en leur faveur, mais la pandémie a montré que ce n’est pas le cas. La société a été plongée dans une crise après l’autre, et à chaque fois, ce sont les travailleurs qui en ont fait les frais. Cette situation a un effet radicalisant sur des couches de la population qui cherchent des réponses.

En raison de ces conditions, de nombreux camionneurs sont en colère et mécontents du statu quo, et cette indignation a permis à une petite couche d’être gagnée aux mouvements marginaux comme le mouvement anti-vax. Ils se sentent impuissants, et l’imposition d’un vaccin obligatoire est une cible facile sur laquelle diriger leur colère. Mais en réalité, le vaccin n’a rien à voir avec la raison pour laquelle leur vie est si difficile. Cela a tout à voir avec leurs patrons, qui maintiennent avec avidité des salaires bas et des conditions de travail difficiles.

Manque de leadership ouvrier

Ce qui n’était au départ qu’un petit groupe de camionneurs en colère contre les vaccins obligatoires s’est transformé en quelque chose de plus large. Le convoi a gagné l’appui de toutes sortes de personnages, dont Don Cherry, Russel Brand, Elon Musk, Joe Rogan et bien d’autres. Dans certaines parties de l’Ontario, où le convoi a traversé différentes villes, de petites foules munies de drapeaux canadiens se sont rassemblées sur les viaducs et le bord de la route pour les encourager. Les revendications de la manifestation mobile se sont également élargies. Un manifestant debout sur le bord de l’autoroute à Winnipeg a déclaré à la CBC : « Je pense qu’il s’agit davantage d’un mouvement pour la liberté. » Un camionneur du nom de Robert Jorgensen participant au convoi a déclaré : « Ce n’est pas à propos de l’obligation vaccinale, c’est à propos de tout le truc. Tout ça doit partir. »

Ce mouvement est un avertissement pour le mouvement ouvrier. Une immense colère s’accumule dans les profondeurs de la classe ouvrière et cherche un exutoire. Malheureusement, le NPD et les syndicats n’ont pas utilisé leurs ressources pour construire un mouvement de masse combatif pour lutter pour de meilleurs salaires et conditions et des conditions de travail sécuritaires. De l’autre côté, la droite, en particulier l’extrême droite, a mobilisé sans hésitation les gens contre le gouvernement.

En fin de compte, s’il y avait une direction syndicale combative, des mouvements comme celui-ci n’auraient pas lieu. La colère légitime de nombreux camionneurs face aux conditions horribles auxquelles ils sont confrontés serait beaucoup plus facilement canalisée dans un mouvement de masse combatif pour de meilleurs salaires et conditions, des mesures de santé et de sécurité dirigées contre les patrons qui sont les vrais coupables. Les dirigeants des organisations de la classe ouvrière doivent mobiliser la classe ouvrière dans un mouvement militant de masse contre les capitalistes et leur gouvernement, sinon une partie de cette colère contre le statu quo peut être captée par l’extrême droite.