
Pendant des générations, le mouvement syndical canadien a été une force redoutable, conquérant des droits et obtenant de nombreux avantages pour les travailleurs. Les congés de maternité, les soins de santé publics, les retraites et la journée de travail de huit heures témoignent de sa puissance.
Mais aujourd’hui, les fondements économiques sur lesquels il reposait s’effondrent. Résultat, on se trouve devant une guerre de classe unilatérale. Les gains du passé sont repris, et les outils des travailleurs pour se défendre – la négociation collective et le droit de grève – sont systématiquement démantelés.
La nouvelle ère de protectionnisme et de bouleversements économiques accélère ce processus. La guerre commerciale avec les États-Unis met en péril des centaines de milliers d’emplois. Et en réponse à cette guerre commerciale, le gouvernement Carney, comme beaucoup de ses homologues provinciaux, s’est orienté vers une politique de « dévaluation interne » : austérité, licenciements dans le secteur public et coupes drastiques dans les dépenses sociales.
Face à cette offensive, le mouvement syndical n’a pas été en mesure de monter une opposition sérieuse. Que faire?
Fissures dans le contrat social
Le système qui régit les relations de travail modernes est né de l’essor économique qui a suivi la Deuxième Guerre mondiale. Face à une classe ouvrière combative et mécontente, la classe dirigeante a accordé des concessions juridiques, reconnaissant les syndicats et créant le système de négociation collective. C’était le cadre juridique de ce qu’on appelle le « contrat social », un système dans lequel, en échange de la paix sociale, les travailleurs ont obtenu des améliorations en matière de salaires, de retraites et de programmes sociaux.
Mais ce système n’a été possible que grâce à cet essor économique sans précédent. Il a permis aux capitalistes de souffler un peu et de jeter quelques miettes aux travailleurs afin d’éviter la révolution. Mais aujourd’hui, la croissance annuelle de 5-6% des années 1950-1960 n’est plus qu’un lointain souvenir. Depuis, les taux de croissance ont tendance à baisser chaque décennie, reflétant le déclin du système capitaliste.
Ce déclin s’est surtout fait sentir dans l’érosion continue des salaires, qui est devenue une caractéristique fondamentale de tous les conflits syndicaux récents. La flambée de l’inflation et la crise immobilière érodent le niveau de vie à un rythme sans précédent, transformant toute augmentation salariale inférieure à l’inflation en une baisse de salaire déguisée.
Le fossé entre ce dont les travailleurs ont besoin pour survivre et ce que les patrons sont prêts et capables de leur donner est devenu infranchissable. Les employeurs et les gouvernements ne sont plus en mesure de faire des concessions et sont passés à l’offensive.
Il en résulte des décennies d’érosion lente : gel des salaires, contrats à deux vitesses, érosion des avantages sociaux et précarisation incessante du travail. Le taux de syndicalisation est passé d’un sommet de 37% en 1981 à seulement 30% aujourd’hui.
Pendant des décennies, on a demandé aux travailleurs de se serrer la ceinture, d’être raisonnables et d’accepter des contrats inférieurs à la norme au nom de la compétitivité ou de la responsabilité fiscale. Mais les travailleurs ne pouvaient tolérer cette situation que pendant un certain temps. La pression accumulée par des années de concessions et d’érosion du niveau de vie devait éventuellement trouver un exutoire.
Après des décennies de calme relatif, la classe ouvrière canadienne remonte dans le ring. L’année 2023 a connu le plus grand nombre de jours-personnes perdus pour cause de grève depuis 1986. Signe révélateur de la situation, des syndicats qui n’avaient pas fait grève depuis une génération – les fonctionnaires fédéraux, les débardeurs de Vancouver, les enseignants de l’Alberta et les infirmières du Québec – se sont tous lancés dans la lutte.
Mais la classe dirigeante ne peut tolérer que l’économie soit paralysée. Les droits syndicaux ont donc été attaqués, d’abord par des lois de retour au travail, puis plus récemment par l’article 107 du Code du travail. Les gouvernements provinciaux ont adopté une série de lois antisyndicales, s’attaquant au financement des syndicats et à la négociation collective dans son ensemble, tout en utilisant la clause dérogatoire.
Le « juste milieu » disparaît et le contrat social se fissure. En langage marxiste, nous assistons à une détérioration de la base économique de la société qui entre violemment en conflit avec la superstructure sous la forme du cadre juridique des relations de travail.
Assis sur un volcan
Si les réformes en matière de droits du travail et de protection sociale ont constitué un pas en avant pour la classe ouvrière, de manière dialectique, ces victoires ont ouvert la voie à la dégénérescence du mouvement syndical. Comme le décrit Trotsky dans un texte intitulé « Les syndicats à l’époque de la décadence impérialiste », la caractéristique commune des organisations syndicales est « leur rapprochement et leur intégration au pouvoir d’État ».
C’est essentiellement ce que représente le système de négociation collective. Le mouvement syndical s’est institutionnalisé. Les syndicats ont obtenu une reconnaissance légale, mais ont sacrifié leur droit de grève pendant la durée du contrat. De plus, au lieu de mobiliser leurs membres, les représentants syndicaux passent la plupart de leur temps à régler des griefs mineurs entre l’employeur et les employés, se transformant ainsi en fonctionnaires de bas niveau de l’État capitaliste, chargés d’aider à dissiper la colère des classes.
Au lieu de mener la lutte, les dirigeants syndicaux s’accrochent au passé, sans se rendre compte que la période de paix relative entre les classes est révolue depuis longtemps. Ils appellent constamment les employeurs à « négocier de bonne foi » et à respecter la législation du travail et les droits qu’ils violent à tour de bras.
Incapables de voir au-delà du système capitaliste, les dirigeants syndicaux, en cette période de crise capitaliste, sont contraints d’accepter ce que le système a à offrir : une baisse du niveau de vie. Nous avons vu, à maintes reprises, des dirigeants syndicaux vendre de mauvais accords à leurs membres en disant : « Je sais que c’est mauvais, mais c’est la meilleure entente possible ». C’est pourquoi les contrats à deux vitesses, les régimes de retraite à cotisations définies et les contrats prévoyant une érosion salariale et d’autres concessions sont devenus monnaie courante.
Pire encore, lorsque les membres de la base prennent des initiatives pour riposter, ces mêmes dirigeants passent une grande partie de leur temps à jouer la police auprès d’eux.
À titre d’exemple, lorsque les postiers se sont mis en grève l’automne 2024, il était évident que le gouvernement Trudeau se préparait à utiliser l’article 107 pour leur enlever le droit de grève. Les postiers s’y attendaient, car leur droit de grève leur avait déjà été retiré en 2018 et en 2011. Lorsque le gouvernement a invoqué l’article 107, les travailleurs de Saskatoon, Burnaby et Edmonton ont tous voté pour défier l’ordre de retour au travail. Les dirigeants locaux de Scarborough et de Vancouver ont également pris position en faveur de la désobéissance. Certaines sections locales des Maritimes ont même refusé de reprendre le travail pendant quelques heures le matin où l’ordre est entré en vigueur.
Mais cette volonté de défendre le droit de grève a été étouffée par la direction du Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes (STTP). Elle est même intervenue pour empêcher les travailleurs affiliés à un syndicat de débardeurs de participer à un piquet solidaire devant une usine de traitement à Vancouver, démontrant de manière scandaleuse à quel point elle essayait de garder le contrôle sur la situation.
Les postiers de la base ont tout fait pour défendre leurs emplois, relançant même la grève cette année, avec de nombreux travailleurs de la base participant à du piquetage devant des installations de Purolator. Mais la direction du STTP a désamorcé la grève sans discussion sur l’avenir de la lutte et au moment d’écrire ces lignes s’apprête à accepter une entente prévoyant la suppression de 30 000 emplois.
Le résultat est que Postes Canada est en train d’être démantelée et que le STTP, avec ses traditions héroïques, est en train d’être écrasé, sans que le mouvement syndical ne lève le petit doigt.
Cela illustre parfaitement ce que Trotsky avait décrit. Écrivant sur la situation à laquelle sont confrontés les dirigeants syndicaux réformistes, il expliquait qu’ils se transforment en « police politique aux yeux de la classe ouvrière ».
La colère de classe bouillonne sous la surface de la société, tel le magma brûlant dans un volcan. Au sommet de ce volcan se trouvent les dirigeants syndicaux, vestiges d’éruptions passées formant une croûte épaisse. Conditionnés par des décennies de paix sociale relative, ils bloquent la voie à de futures éruptions.
Mais même la croûte la plus tenace ne peut retenir la pression éternellement.
La digue cède
Les dirigeants syndicaux étant incapables de contenir la colère, les grèves sont devenues monnaie courante. Cela a contraint le gouvernement fédéral à violer de plus en plus le droit de grève, d’abord avec les habituelles lois de retour au travail, puis avec l’article 107 du Code du travail.
Mais tout cela n’a fait qu’augmenter la pression. Les employeurs n’ont guère intérêt à négocier lorsqu’ils savent que le gouvernement interviendra en leur faveur. Les travailleurs se retrouvent face à un choix difficile : défier la loi ou accepter la défaite.
Les dirigeants syndicaux tendent à respecter les ordres de retour au travail, puis à les contester en cour. Bien qu’ils affirment vouloir « lutter », dans la pratique, le choix de la voie judiciaire a signifié accepter la défaite. Ces contestations prennent une éternité et même lorsque les syndicats ont obtenu gain de cause devant les tribunaux, comme dans le cas du syndicat des postiers en 2016, la bataille était en pratique déjà perdue. Et les victoires devant les tribunaux n’ont rien fait pour empêcher que le droit de grève soit violé encore et encore.
Mais aucune loi ne peut freiner la roue de l’histoire. Il était inévitable qu’à un moment donné, un syndicat finisse par défier la loi.
Les premiers à franchir le pas ont été les travailleurs de l’éducation membres du SCFP en Ontario, à l’automne 2022. Dans le cadre de ce conflit, le premier ministre Doug Ford a imposé une loi de retour au travail. Il a également utilisé la clause dérogatoire pour violer purement et simplement le droit à la négociation collective, imposant un contrat avec des augmentations salariales inférieures à l’inflation à certains des travailleurs syndiqués les moins bien payés du pays.
Cela a provoqué un tel tollé parmi les travailleurs et le mouvement syndical dans son ensemble que le Conseil des syndicats des commissions scolaires de l’Ontario (OSBCU) a appelé à défier la loi. La Fédération du travail de l’Ontario (OFL) a également menacé de paralyser toute la province avec une grève générale. En conséquence, la loi a été retirée et aucun travailleur n’a été sanctionné.
Craignant ce précédent, les gouvernements partout au pays se sont alors abstenus d’utiliser les lois de retour au travail pendant trois ans.
Mais après l’intensification des grèves en 2023, la classe dirigeante voulait que le gouvernement fasse quelque chose. En 2024, Trudeau a trouvé la réponse dans l’article 107 du Code du travail et l’a utilisé pour mettre fin à sept grèves différentes cette année-là.
Puis, en août de cette année, les agents de bord d’Air Canada ont défié un ordre de retour au travail imposé via l’article 107 par le gouvernement Carney. Citant les travailleurs de l’éducation de l’Ontario comme source d’inspiration, ils ont justifié leur geste en déclarant : « Lorsque les lois protègent des milliards de dollars en profits au détriment des travailleurs, la désobéissance est nécessaire. » L’ordre s’est avéré sans effet et ni le syndicat ni les travailleurs n’ont été sanctionnés.
Ces deux exemples ont démontré que la loi n’a aucun poids lorsqu’on y oppose le pouvoir de la classe ouvrière.
La nécessité d’une perspective socialiste
Mais, paradoxalement, même lorsque les travailleurs ont réussi à vaincre un ordre de retour au travail, ils n’ont pas obtenu une bonne convention collective.
Dans le cas des travailleurs de l’éducation de l’Ontario, les dirigeants syndicaux disaient qu’avec l’inflation galopante, toute augmentation salariale inférieure à 3,25 dollars de l’heure équivalait à une baisse de salaire. Mais après avoir défié la loi avec succès, les dirigeants syndicaux ont fait volte-face et ont fini par recommander une augmentation salariale de un dollar de l’heure, qualifiant cette entente de « règlement salarial révolutionnaire ».
Sachant pertinemment qu’il y avait une opposition généralisée, les dirigeants syndicaux ont retardé le vote et organisé une série de réunions Zoom au cours desquelles ils ont semé la panique parmi les travailleurs pour les inciter à voter en faveur de l’entente. Les travailleurs n’ont pas eu la possibilité de discuter entre eux, d’organiser l’opposition ou de contester la direction. Au final, les travailleurs ont voté à contrecœur à 73% en faveur de l’entente.
De plus en plus souvent, nous voyons des ententes défavorables recommandées par les dirigeants syndicaux d’un côté, mais un membership qui les accepte à reculons, voire qui les rejette entièrement de l’autre. Ce fut le cas en 2022 en Colombie-Britannique avec le principal syndicat du secteur public (BCGEU), où les membres ont accepté de justesse un accord défavorable à seulement 53,5%. En 2024, les infirmières du Québec ont rejeté à 61% un accord recommandé par leurs dirigeantes.
Une situation similaire s’est produite avec les agents de bord d’Air Canada en août dernier. Là aussi, même si les travailleurs avaient vaincu l’ordre de retour au travail et avaient indéniablement le vent en poupe, les dirigeants syndicaux ont conspiré pour imposer une entente pourrie à leurs membres. Ils ont même scandaleusement étouffé la démocratie syndicale, privant leurs membres de toute véritable prise de décision. En signe de protestation, les travailleurs ont voté à 99,5% contre l’entente proposée.
Mais pourquoi les dirigeants syndicaux agissent-ils ainsi?
Tout cela tient à la vision des dirigeants syndicaux qui ont depuis longtemps cessé de lutter pour le socialisme et sont donc contraints d’accepter les limites du capitalisme.
Lors de la grève des travailleurs de l’éducation de l’Ontario en 2022, une journaliste a demandé lors d’une conférence de presse : « Qu’attendez-vous des membres? En tant que membre de l’équipe de négociation, n’êtes-vous pas censée proposer la meilleure entente possible, celle qui vous semble la plus avantageuse pour les travailleurs? »
Laura Walton, présidente de l’OSBCU, a répondu : « Je pense que le mot clé ici, Carolyn, est “possible”. Et lorsque le gouvernement vous dit qu’il n’y a aucun moyen d’améliorer la situation, vous devez faire ce qu’il faut en tant que dirigeante et présenter l’entente aux travailleurs afin qu’ils puissent s’exprimer. »
Ici, Walton admet tacitement qu’elle acceptait les limites imposées aux négociations par le capitalisme. Dans un contexte de crise capitaliste généralisée, cette approche mène tout droit à la défaite. Si nous n’acceptons que ce qui est « possible » sous le capitalisme, nous serons contraints d’accepter des licenciements massifs, l’érosion des salaires et la réduction des avantages sociaux.
Un autre exemple date d’octobre dernier, avec la grève du personnel de soutien des collèges de l’Ontario.
Après des années de sous-financement, les collèges et les universités ont d’énormes trous dans leurs budgets. Ne pouvant plus compter sur les étudiants internationaux comme vaches à lait, les collèges de l’Ontario ont supprimé près de 10 000 emplois et éliminé 600 programmes. Alors que le syndicat demandait un contrat de trois ans sans aucune réduction de personnel ni fermeture de collèges, le conseil des employeurs a déclaré sans détour que cela lui était impossible à accepter. En conséquence, le syndicat a accepté un accord prévoyant de faibles augmentations salariales pour des emplois qui n’existeront probablement plus très longtemps.
De même, dans le cas de Postes Canada, les dirigeants syndicaux ont accepté la logique de la direction de la société et du gouvernement, acceptant ainsi tacitement la perte de dizaines de milliers d’emplois.
Incapables de voir au-delà du capitalisme, les dirigeants syndicaux sont contraints d’accepter sa logique.
Le fait est que ce n’est pas la richesse qui manque dans notre société; celle-ci est simplement entre les mains des milliardaires. À mesure que la crise s’aggrave, ils pillent l’État et les gouvernements s’endettent de plus en plus. Partout où nous regardons, la privatisation fait son chemin et le financement est transféré vers le secteur privé.
Mais les socialistes n’acceptent pas cette logique. Si le capitalisme ne fonctionne pas, au lieu de le sauver et de mettre l’État en faillite, nous devrions exproprier les capitalistes. Mais cela signifie qu’il faut un horizon qui dépasse les limites étroites de la lutte syndicale. Seul un programme socialiste permet d’y arriver.
Le cul-de-sac de la collaboration de classe
Mais la situation est bien pire dans de nombreux syndicats du secteur privé. Alors que dans le secteur public, les travailleurs ne sont pas directement soumis au marché, ceux du secteur privé subissent de plein fouet ses fluctuations. Cela signifie qu’une perspective socialiste est encore plus pertinente pour les syndicats du secteur privé.
Cette perspective est absente. À la place, Unifor, le plus grand syndicat du secteur privé, fait tout pour s’attirer les bonnes grâces des patrons. Flavio Volpe, président de l’Association des fabricants de pièces automobiles, évoquant sa relation avec la présidente d’Unifor, Lana Payne, affirme qu’« il n’y a pas de divergence entre Lana et moi ».
Les dirigeants d’Unifor soutiennent également Carney et son Conseil sur les relations canado-américaines. Ils ne s’opposent même pas à l’augmentation massive des dépenses militaires, vraisemblablement dans l’espoir vain que cela crée de l’emploi. Ils sont même allés jusqu’à inviter le premier ministre conservateur Doug Ford à prendre la parole lors d’un rassemblement des travailleurs de Stellantis à Brampton. Le syndicat LiUNA, qui représente 70 000 travailleurs du secteur privé en Ontario, est également un fervent partisan de Ford.
Cette stratégie de collaboration de classe repose sur la croyance erronée que, si nous sommes gentils avec les capitalistes, ils nous fourniront gracieusement des emplois. Mais l’histoire montre de tout autres résultats. Toutes les tentatives d’Unifor, et avant lui du syndicat des Travailleurs canadiens de l’automobile, de collaborer avec les constructeurs automobiles n’ont pas permis de sauver des emplois. Tout ce que cette stratégie fait, c’est prouver aux capitalistes que le syndicat ne représente pas une menace pour eux. Or, dans la lutte des classes, la faiblesse invite à l’agression. Cette approche a contribué à la perte de centaines de milliers d’emplois dans le secteur manufacturier.
Aujourd’hui, la guerre commerciale fait des ravages dans l’industrie manufacturière canadienne. Dans ce contexte, l’approche de syndicats comme Unifor est un cadeau pour les capitalistes qui peuvent fermer des usines et licencier des milliers de personnes en sachant que les leaders syndicaux ne feront rien. Cette approche de collaboration de classe n’a pas empêché la fermeture de Crown Royal ni celles de Stellantis et de General Motors. Et maintenant, Algoma prévoit de licencier 1000 travailleurs.
Ce qu’il faut, ce n’est pas de se rapprocher des capitalistes et des politiciens libéraux et conservateurs, mais que des syndicats comme Unifor mobilisent leurs 315 000 membres afin de prendre les choses en main.
Les travailleurs ont déjà pris des initiatives dans ce sens. Par exemple, le 2 avril à Windsor, les travailleurs de Titan Tool and Die ont bloqué l’usine pour empêcher l’entreprise de transporter des outils et des matrices de l’autre côté de la frontière, au Michigan.
Et le mois dernier, Mike Van Boekel, président de la section locale 88 d’Unifor à l’usine GM Cami d’Ingersoll, a déclaré : « S’ils essaient de retirer ne serait-ce qu’une seule chose de l’usine, nous sommes prêts à prendre le contrôle. » Ces exemples montrent que les travailleurs aspirent naturellement à mener des actions combatives pour lutter contre les patrons et sauver leurs emplois.
Ce mouvement doit être encouragé et organisé. Si les syndicats du secteur privé veulent jouer un rôle autre que celui de gestionnaires à la solde des capitalistes, ils doivent mobiliser leurs membres pour lutter contre les patrons et n’accepter aucun licenciement ni aucune autre concession. La seule façon d’y parvenir est avec un programme socialiste.
Le programme socialiste, c’est : si une entreprise privilégie ses profits au détriment des travailleurs en licenciant du personnel ou en fermant une usine, celle-ci doit être occupée par les travailleurs. Les travailleurs, qui sont ceux qui savent réellement comment faire fonctionner les usines, peuvent en prendre le contrôle et les gérer eux-mêmes. La suite est d’exiger que l’usine soit nationalisée, sans aucune compensation pour les patrons parasitaires qui ont reçu des milliards de dollars de subventions gouvernementales. C’est le seul programme qui puisse sérieusement freiner les attaques contre les travailleurs.
Comme l’expliquait Trotsky : « À l’époque de l’impérialisme décadent, les syndicats ne peuvent être réellement indépendants que dans la mesure où ils sont consciemment, dans l’action, des organes de la révolution prolétarienne. »
Grève générale?
Face à cette offensive généralisée contre les programmes sociaux, les salaires, les avantages sociaux et les droits syndicaux, l’idée d’organiser une grève générale gagne en popularité. Des dirigeants syndicaux comme Sara Nelson et Shawn Fain aux États-Unis ont popularisé cette idée, Shawn Fain appelant à organiser une grève générale le 1er mai 2028.
Au Canada, suite à la menace de grève générale lancée par l’OFL en 2022, loin d’être utopique, l’idée d’organiser une grève générale est de plus en plus considérée comme un moyen pratique de lutter contre les attaques envers les droits syndicaux. Comme l’a récemment affirmé Anthony Marco, président du Conseil du travail du district de Hamilton, « les grèves générales provinciales ou pancanadiennes ne peuvent rester à l’état de simples références historiques ou menaces hypothétiques; elles deviennent des instruments nécessaires à la défense de la démocratie ».
Cette question a même été soulevée dans le cadre de la course à la direction du NPD. Lorsque la présidente du Conseil du travail du Canada, Bea Bruske, a demandé au candidat à la direction du NPD, Avi Lewis, de décrire en un mot l’avenir du mouvement syndical lors d’un forum en octobre, celui-ci a répondu : « Je ne peux pas. C’est deux mots. Grève. Générale. » Plus récemment, Magali Picard, présidente de la FTQ, a fait réagir en suggérant d’organiser une « grève sociale » le 1er mai 2026 pour lutter contre une série de lois antisyndicales du gouvernement Legault.
C’est un signe des temps, et une preuve que de nombreux travailleurs veulent une stratégie qui permet réellement de confronter les capitalistes. Si l’on s’arrête pour y penser, il est assez exceptionnel que l’idée d’une grève générale pour paralyser l’ensemble du système capitaliste soit évoquée de manière positive partout dans le mouvement syndical.
Mais la popularité de l’idée de grève générale ne devrait pas nous surprendre. La violation constante du droit de grève transforme toute grève économique en grève politique. Elle menace également d’étendre la grève d’une lutte localisée à une lutte concernant les droits de l’ensemble de la classe ouvrière. Une attaque contre un est une attaque contre tous.
Mais entre parler d’une grève générale et en organiser une, il y a une grande différence.
Jusqu’à présent, n’ayant pas d’autre choix, les dirigeants syndicaux se sont contentés de menacer d’organiser une grève générale. Si l’OFL a réussi à faire reculer Doug Ford par la simple menace, rien ne garantit que cela fonctionnerait à chaque fois. À un moment donné, il faut passer de la parole aux actes, sans quoi tout ce discours n’est que du bluff.
C’est précisément ce que nous avons vu en octobre dernier avec la grève des enseignants de l’Alberta.
Pendant plus de trois semaines, les enseignants ont mené un combat courageux contre le gouvernement de Danielle Smith. L’opinion publique était du côté des enseignants et, le 23 octobre, plus de 30 000 personnes ont manifesté à Edmonton, soit la plus grande manifestation de l’histoire de la province.
Mais la première ministre Smith a ensuite annoncé qu’elle mettrait fin à la grève avec une loi de retour au travail le lundi 27 octobre.
En réponse, Gil McGowan, président de la Fédération du travail de l’Alberta, a fait référence à la grève des travailleurs de l’éducation de l’Ontario de 2022 et a menacé de déclencher une grève générale. Il a expliqué à juste titre : « Ils ne peuvent pas arrêter 450 000 travailleurs. Nos prisons n’ont pas assez de place. » Il a ajouté : « Notre système judiciaire n’a pas les ressources nécessaires pour traiter les arrestations et les amendes. » Un sondage Léger a ensuite montré qu’une majorité de la population de l’Alberta était favorable à une grève générale.
Mais au moment de vérité, les dirigeants syndicaux ont reculé. L’Association des enseignants de l’Alberta a mis fin à la grève, déclarant qu’elle contesterait la loi devant les tribunaux. On pourrait en rire si ce n’était pas aussi tragique, car Smith a utilisé la clause dérogatoire pour faire adopter cette loi – ce qui signifie qu’elle est protégée contre toute contestation judiciaire.
Gil McGowan a convoqué une conférence de presse quelques jours après l’adoption de la loi de retour au travail, au cours de laquelle il a déclaré qu’il serait prêt à lancer une « grève générale si nécessaire ». Mais rien n’a été fait.
Si la violation du droit de grève et de négociation collective n’est pas une raison « nécessaire » pour appeler à une grève générale, Dieu seul sait ce qui pourrait l’être. En réponse à ce fiasco, le ministre des Finances de l’Alberta s’est moqué de ces paroles, disant que ça ressemblait à un « plan pour élaborer un plan ».
La leçon saute aux yeux. L’idée d’une grève générale ne peut pas demeurer au stade de paroles en l’air – il faut agir! Sinon, la classe dirigeante continuera à violer les droits syndicaux. Le droit de grève et la reconnaissance syndicale ne peuvent être défendus que par les travailleurs qui exercent leur pouvoir.
Voilà ce qu’est une grève générale. Une grève générale pose la question suivante : qui dirige la société? Ce n’est qu’en menaçant leur pouvoir que nous pourrons repousser les attaques de la classe dirigeante et obtenir des gains pour les travailleurs.
Renouveler le mouvement syndical
Les gouvernements, tant fédéral que provinciaux, préparent une offensive tous azimuts sur le mouvement syndical. Dans le budget fédéral, on peut lire que le gouvernement prévoit « d’ajuster le cadre de règlement des conflits liés à la négociation collective » et que la rémunération dans le secteur public « doit s’aligner sur les tendances du marché du travail canadien » et sur la situation financière du gouvernement. L’Alberta s’en est déjà pris aux droits syndicaux en rendant facultative une partie des cotisations syndicales. Legault veut faire la même chose au Québec. Le gouvernement québécois s’est également doté de sa propre version de l’article 107 avec la loi 14, qui lui donne la possibilité de violer le droit de grève à sa guise.
Leurs motivations sont limpides. La classe dirigeante doit se débarrasser des acquis du passé pour rendre le Canada compétitif sur le marché mondial. Les lettres envoyées par le gouvernement Carney à 70 000 employés fédéraux pour qu’ils vérifient leur admissibilité à la retraite anticipée ne sont que le début d’un programme massif de mesures d’austérité touchant tous les aspects de la vie. Avec l’augmentation importante des dépenses militaires et les sommes colossales nécessaires pour réorienter l’économie, cela est inévitable. Ils doivent affaiblir les syndicats afin qu’ils ne soient pas en mesure de résister à cette offensive.
Mais devant cette situation, les dirigeants du mouvement syndical traînent les pieds, essayant de trouver un moyen de représenter leurs membres sans perturber le système. Ils affirment que cette approche non conflictuelle est celle qui permettra aux travailleurs d’obtenir de réels gains. Mais l’ironie, c’est que c’est précisément cette méthode qui a empêché le mouvement d’obtenir des gains réels pour ses membres. Tout ce que nous obtenons, ce sont des contre-réformes.
Ce n’est qu’en exerçant son immense pouvoir et en menaçant le droit des capitalistes à gouverner que la classe ouvrière peut obtenir les avancées même les plus modestes. Les luttes des travailleurs de l’éducation de l’Ontario contre la loi spéciale de 2022, et celle des agents de bord d’Air Canada contre l’article 107 cet été, l’ont démontré.
Nous avons besoin d’un leadership qui organisera un large mouvement afin de déchaîner le pouvoir de la classe ouvrière. Et pour ce faire, nous avons besoin d’une révolution complète au sein des syndicats.
Un processus de prise de conscience se déroule sous nos yeux au sein de la classe ouvrière. Des centaines de milliers de personnes commencent à réfléchir de manière critique à leur vie, à leur travail, à leur employeur, à leurs dirigeants syndicaux, etc. Beaucoup d’entre eux ont commencé à remettre en question le capitalisme et sont arrivés à la conclusion que leurs dirigeants actuels ne sont pas à la hauteur.
À toutes ces personnes – à cette première vague de militants ouvriers qui cherchent à renouveler le mouvement syndical – nous disons : le Parti communiste révolutionnaire est votre parti. L’objectif du PCR est d’unir les travailleurs révolutionnaires de tous les syndicats de ce pays en une force unie et cohésive. Nous voulons former un groupe de militants armés des leçons tirées des grandes luttes de classe du passé et des idées marxistes qui les ont inspirées. Nous voulons relancer le mouvement avec des idées communistes. En bâtissant nos forces, nous serons éventuellement en mesure de lutter pour un leadership révolutionnaire pour le mouvement.
Ainsi, nous serons capables non seulement de repousser les attaques de la classe dirigeante, mais aussi de mener les travailleurs à prendre le pouvoir des mains des milliardaires et à mettre fin définitivement à leur offensive une fois pour toutes.