Source : Journal de Montréal/Facebook

Le réseau de la santé québécois est en déroute, les toits des écoles s’effondrent, la crise du logement s’intensifie, les familles canadiennes sont plus endettées que jamais et il est minuit moins une pour sauver la planète. Il ne manque pas de sujets cruciaux pour faire les manchettes. Pourtant, c’est le sempiternel sujet de l’immigration qui titille inlassablement les chroniqueurs et politiciens nationalistes. C’est comme si le rhume des foins actuel s’accompagnait d’envies incontrôlables d’éternuer des discours xénophobes et des messages alarmistes. 

Dans son édition du samedi 6 mai 2023, le Journal de Montréal titrait : « Le Québec pris au piège dans un Canada qui veut 100 millions d’habitants ». Dans cette édition, qui aurait tout aussi bien pu s’intituler « numéro spécial contre les immigrants », on y retrouve articles et chroniques qui agitent l’épouvantail de l’augmentation du nombre d’immigrants au Québec. 

En particulier, le journal s’en prend au projet du think tank de droite canadien Initiative du Siècle qui fait campagne pour que la population canadienne atteigne 100 millions d’habitants en 2100 à travers l’immigration. La une du Journal laisse penser qu’il s’agit d’une nouvelle, et même qu’Ottawa aurait adopté cette idée. Or, cela fait déjà quelques années que l’organisme promeut cette idée de tripler la population du pays et soutient que la prospérité économique du Canada est menacée si l’immigration n’augmente pas drastiquement. Et le gouvernement Trudeau n’a pas adopté le plan de ce think tank – mais pourquoi laisser la vérité se mettre dans le chemin d’une belle page couverture? Question de bien susciter la peur et de mousser ses ventes, Quebecor souffle sur des braises pour alimenter le feu.  

L’immigration occupe une place grandissante dans les débats publics au Québec et au Canada. Pourtant, entre la droite qui veut limiter l’immigration et celle qui veut l’augmenter, les intérêts des travailleurs ne sont jamais défendus. 

La grande diversion

Dans un énième délire xénophobe, le 6 mai dernier, le chroniqueur Mathieu Bock-Côté nous explique ce que cet afflux d’immigrants proposé par l’Initiative du Siècle aura comme conséquences : « Il y aura encore un territoire nommé Québec. Mais ce ne sera plus celui du peuple québécois. » Son message est clair : les immigrants vont nous remplacer au Québec! Cela serait risible si ses propos ne revenaient pas à répéter la thèse du « grand remplacement », cette théorie conspirationniste d’extrême droite qui prétend que les élites politiques européennes tentent de remplacer la population « blanche » par l’immigration en provenance d’Afrique. 

Comme nous pouvions nous y attendre, ça n’a pas été long avant que le premier ministre François Legault se mêle à la discussion dans la grande chambre d’écho des réactionnaires nationalistes. Deux jours après la publication du Journal de Montréal, il s’est dit « préoccupé » par le nombre d’immigrants temporaires au Québec et a affirmé songer à leur imposer des normes de francisation. Comme si des travailleurs mexicains honteusement exploités comme cheap labour pour cueillir des fraises quelques mois par année avaient le pouvoir de chambouler les habitudes linguistiques au Québec! 

Dans la foulée, le 9 mai, l’Assemblée nationale a unanimement voté pour une motion dénonçant le projet d’Initiative du Siècle. Le lendemain, une autre motion a été adoptée à l’unanimité contre le plan fédéral d’accueillir 500 000 immigrants par année d’ici 2025. 

La réalité est que toute cette histoire a des conséquences réactionnaires. Elle a pour effet immédiat d’encourager les discours et comportements racistes et sert d’écran de fumée sur les enjeux véritables qui menacent les conditions de vie de la majorité au Québec. Brandir des épouvantails et faire une campagne de peur est très utile pour détourner l’attention des enjeux pour lesquels la classe dirigeante n’a aucune solution à offrir. 

Si la CAQ se dit préoccupée par la survie du français devant l’augmentation de l’immigration, elle ne lèvera pourtant jamais le petit doigt, tout comme le Parti québécois avant elle, pour financer le système d’éducation et les programmes de francisation. L’hypocrisie pue au nez et rappelle les propos de Michel Chartrand qui disait être « toujours contre ces “nationaleux” qui voulaient sauver la langue et laisser crever ceux qui la parlent ».

Malheureusement, Québec solidaire est encore une fois tombé dans le panneau, en soutenant les motions au Parlement. Si le parti affirme correctement que l’immigration n’est pas une menace pour le Québec, voter ainsi envoie comme message que le parti voit un problème dans l’augmentation de l’immigration et qu’il est d’accord dans l’essence avec la position de la droite nationaliste. Comme nous l’avons vu lorsque les députés du parti ont voté pour la discriminatoire Loi 96, ou plus récemment encore dans l’affaire Elghawaby, la direction du parti est incapable de défendre une vraie position antiraciste conséquente, ce qui renforce le poids des réactionnaires dans la sphère politique et médiatique. Au risque de nous répéter d’un article à l’autre, il aurait plutôt fallu démasquer la mascarade de la droite nationaliste, et non lui donner une couverture de gauche.

L’« ouverture » canadienne

De l’autre côté, il ne faudrait pas croire que les intentions derrière l’Initiative du Siècle soient plus vertueuses. En effet, comme n’ont pas manqué de le souligner les chroniqueurs du JdeM, derrière cet organisme se trouvent les « milieux d’affaires torontois ». Notamment, il est soutenu par les multinationales Mckinsey et BlackRock.

Derrière ces cibles d’immigration plus élevées se cachent les ambitions d’une frange influente de la classe capitaliste canadienne, qui voit dans l’immigration une façon rapide d’augmenter le poids démographique du Canada, afin d’améliorer sa « place sur l’échiquier mondial ». Le Canada est déjà le pays le moins populeux du G7, et l’écart se creuse avec des puissances montantes comme la Chine et l’Inde. Les impérialistes canadiens craignent de passer d’une puissance de deuxième ordre à une puissance de troisième ordre. Le poids démographique a une influence importante sur la taille de l’économie. Sur le site internet du groupe, nous pouvons lire : « Un Canada plus grand est un Canada plus influent; une population plus nombreuse signifie une économie plus forte pour mieux protéger nos intérêts. » Et plus loin : « Une population plus importante nous donnerait un marché intérieur dynamique et robuste, avec plus de talents mondiaux pour stimuler l’innovation et pourvoir de nouveaux emplois. » 

Bien que le gouvernement fédéral ait affirmé ne pas soutenir ce projet, le plan des libéraux de Justin Trudeau d’accueillir 500 000 immigrants par an au Canada à compter de 2025 s’inscrit dans cette même vision.  

Si les libéraux se font les porte-étendards de l’ouverture et de l’intégration des nouveaux arrivants, c’est pour masquer les froids calculs de la classe capitaliste qui ne fait la promotion de l’immigration que parce que celle-ci correspond à ses intérêts. La fermeture récente par le gouvernement de Trudeau du Chemin Roxham par où passaient des milliers de réfugiés désespérés ne peut laisser aucun doute sur l’hypocrisie libérale. Tantôt on veut ouvrir les portes, tantôt les fermer, peu importe le sort des milliers d’humains forcés de traverser la planète pour fuir la misère, la violence et la pénurie.  

Pas notre débat

En fait, le vrai piège, c’est celui du débat sur l’immigration. Si l’immigration est importante pour la classe capitaliste d’un point de vue économique, c’est aussi un sujet très utile pour diviser les travailleurs sur des lignes nationales. Monter les travailleurs les uns contre les autres permet aux patrons de faire baisser les salaires et les conditions de travail, que ce soit par la menace de délocaliser la production ou en recourant au cheap labour immigrant. Le débat sur l’augmentation ou la restriction de l’immigration s’inscrit dans cette stratégie qui est aussi vieille que le capitalisme. La classe ouvrière n’y a aucun intérêt.

Ce sont seulement les capitalistes et leurs représentants politiques qui gagnent dans ce débat, car ce sont eux qui en fixent les termes. En effet, s’ils débattent sur le nombre d’immigrants à admettre comme on parle de bétail, ils sont plus frileux à débattre de la circulation des marchandises et des capitaux. Jamais François Legault ne se plaindra qu’une multinationale comme Glencore vienne donner le cancer aux travailleurs de la Fonderie Horne, ni qu’Amazon s’installe dans la province pour exploiter intensément des travailleurs québécois. Mais gare aux travailleurs immigrants sans le sou! Quant à Justin Trudeau, s’il fait miroiter un « altruisme » envers les immigrants, c’est pour s’assurer d’avoir suffisamment de main-d’œuvre exploitable à offrir aux entreprises. 

Alors que d’un côté, les politiciens nationalistes identitaires québécois (de même que les conservateurs anglo-canadiens) fomentent la haine des immigrants pour faire mousser leur carrière, de l’autre, la bourgeoisie canadienne fait la promotion de l’immigration… à ses conditions, sous son contrôle et pour ses propres intérêts. Les deux côtés s’entendent pour dire que l’État bourgeois doit maintenir un strict contrôle sur les frontières et les flux migratoires. Le débat entre les deux est simplement de savoir combien d’humains en provenance des pays pauvres, exploités, manipulés, écrasés par les nations impérialistes comme le Canada pourront s’enfuir ici. Aucun des deux côtés ne remet en question le système qui créé ces flux migratoires en premier lieu : le capitalisme.

En réalité, il y a amplement de ressources dans la société pour accueillir tous les gens qui veulent venir ici. Des milliards de dollars d’argent extirpé du labeur des travailleurs sont accumulés dans les poches des capitalistes comme Pierre-Karl Péladeau, patron de Québecor qui possède le Journal de Montréal. Ce sont eux qui nous prennent véritablement au piège, en nous empêchant de construire une société qui puisse répondre aux besoins de la population et intégrer tous ceux qui y arrivent. Les seules limites pour accueillir des immigrants sont celles qu’impose le système capitaliste. C’est lui qui crée le « problème » de l’immigration.

Toute attaque envers les immigrants, comme contre n’importe quelle section de la classe ouvrière mondiale, en plus d’apporter souffrance et misère, ne participe qu’à diviser et affaiblir le mouvement ouvrier. C’est pourquoi il est fondamental pour le mouvement ouvrier et la gauche au Québec et au Canada de s’opposer au contrôle des frontières et de dénoncer la supercherie du débat sur l’immigration. Pour cela, il est nécessaire de lutter contre le capitalisme et défendre la perspective du socialisme international. Comme Marx et Engels l’ont dit : Travailleurs de tous les pays, unissez-vous!