Le PL3 et le rôle politique des syndicats

Le projet de loi 3 de la CAQ constitue une attaque majeure contre le mouvement syndical en cherchant à limiter ses activités politiques sous couvert de transparence et de démocratie. Cette séparation artificielle entre luttes économiques et politiques affaiblit les travailleurs.
  • Benoît Tanguay
  • lun. 15 déc. 2025
Partager

Le projet de loi 3 déposé par la CAQ représente une attaque importante contre le mouvement syndical québécois. Sous couvert de favoriser la démocratie et la transparence dans les finances syndicales, il représente en fait une ingérence patronale scandaleuse dans la façon dont les travailleurs gèrent leurs organisations. Il soulève toutefois une question importante : les syndicats devraient-ils avoir un rôle politique, ou s’en tenir aux luttes « économiques »?

Qu’est-ce que le PL3?

Le projet de loi 3 imposera une division des cotisations syndicales entre « principales » et « facultatives ». Ces cotisations « facultatives » sont celles qui paient pour des contestations judiciaires, des campagnes de publicité et toute participation à un mouvement social, « y compris de nature politique ». Les dépenses au moyen de cotisations facultatives exigeront la tenue de votes supplémentaires en assemblée générale. 

Le prétexte donné par le gouvernement est « d’améliorer la gouvernance, la démocratie et la transparence des syndicats ».

Concrètement, les cotisations facultatives signifieront que chaque syndicat local décidera à la pièce s’il contribue à telle ou telle dépense politique de sa centrale syndicale. La capacité des centrales syndicales de participer aux luttes sociales et aux enjeux qui dépassent le cadre immédiat des négociations collectives sera donc limitée. 

Par ailleurs, la loi créera aussi des obligations de transparence et de divulgation dans les finances des syndicats.

Les directions syndicales ont dénoncé le fardeau administratif que de telles obligations imposeront aux petits syndicats locaux aux moyens limités. En fait, il s’agit certainement d’un des objectifs cachés de cette loi : cela rendra la syndicalisation de petits milieux de travail moins attrayante. 

La CSN note d’ailleurs qu’elle publie déjà ses états financiers sur le Web – de façon plus détaillée que le gouvernement! 

De plus, loin de donner aux membres un plus grand contrôle sur les finances de leur syndicat, on peut s’attendre au contraire à ce que cela rende les syndicats encore plus bureaucratiques, en augmentant le fardeau de l’appareil administratif.

Loin de favoriser la démocratie dans les syndicats, la loi aura au contraire pour effet de décourager encore plus la participation des membres, en ajoutant des exigences administratives aux assemblées générales, les rendant encore plus ennuyantes et dépolitisées.

Démocratie bourgeoise, dictature patronale

L’hypocrisie de la CAQ et des partisans de cette loi est renversante.

Le parti qui prétend faire des leçons de « démocratie » est le même qui perdrait tous ses sièges si des élections avaient lieu demain. Le même parti qui se permet de faire des leçons de « transparence » aux syndicats est incapable d’expliquer comment il a réussi à dépenser 1 milliard de dollars sur un site Web avec le scandale SAAQclic. 

Les dépenses politiques des bourgeois, elles, ne font pas l’objet de votes en assemblée générale. Les riches dépensent sans compter et sans transparence pour acheter la classe politique. On ne compte plus les scandales d’enveloppes brunes, de commandites, de prête-noms, de portes tournantes et de « ministres à 200 dollars ». 

Même qu’une telle corruption directe n’est souvent pas nécessaire pour les bourgeois : ils n’ont qu’à lâcher un coup de fil à leurs « vieux chums » ou à visiter leur club de golf pour avoir l’oreille attentive des ministres, des juges et des hauts fonctionnaires.

Les patrons n’ont pas non plus besoin de se payer des campagnes publicitaires de nature politique dans les grands journaux pour faire valoir leurs intérêts : ils possèdent les grands journaux. Les chroniqueurs du Journal de Montréal savent très bien qui met le beurre sur leurs toasts. 

Parions qu’il n’y aura jamais de loi pour demander la transparence dans les finances de l’Association de la construction du Québec, ni pour imposer des conditions aux dépenses « politiques » du Conseil du patronat.

Les milieux des affaires, de la politique et du journalisme forment un marais puant où on s’adonne à des relations incestueuses – tout le monde ne s’y entend pas toujours, mais en dernière analyse, quand cela importe vraiment, tous se portent à la défense des mêmes intérêts de classe. C’est un petit club, et les travailleurs n’y sont pas invités.

En réalité, la « démocratie » dans laquelle on vit est plutôt la « dictature » des capitalistes. C’est une loi aussi fiable que celle de la gravité : quel que soit le parti au pouvoir, il s’assurera toujours de protéger les intérêts du patronat. Le seul choix auquel les travailleurs ont droit est de décider quelle clique de laquais des patrons prendra le pouvoir. 

La raison d’être des syndicats est précisément que les travailleurs doivent se rassembler et s’organiser collectivement pour espérer tenir tête au patronat qui contrôle le gouvernement et les médias. Le projet de loi 3 vise à affaiblir cet outil d’autodéfense des travailleurs.

Rôle économique ou politique?

Un argument en filigrane des propos des partisans du PL3 est que le rôle des syndicats serait purement économique. « La mission centrale d’un syndicat, c’est de la formation, de la représentation et de la négociation. Tout ce qui est périphérique à ça devient facultatif », a expliqué le ministre du Travail Jean Boulet. 

Cet argument ne résiste pas à l’analyse. 

Juste le mois dernier, la CAQ a menacé de forcer le retour au travail des employés de la STM. Dans les dernières années, à l’échelle fédérale et provinciale, les gouvernements sont intervenus du côté du patronat pour casser la grève des postiers, des agents de bord, des débardeurs, des cheminots, des travailleurs de la construction, etc. C’est sans compter les cas de menace d’intervention pour casser une grève, comme dans le cas de la grève au RTC cet été.

La CAQ ne peut prétendre que les luttes économiques ne regardent que le syndicat et le patron quand elle intervient systématiquement pour casser les grèves des travailleurs, et qu’elle vient même d’adopter une loi, la loi 14, pour plus facilement casser des grèves. C’est le gouvernement lui-même qui prouve que les luttes économiques des travailleurs ont un caractère politique. 

De façon semblable, il est évident que toute la vie politique concerne les syndicats. Actuellement, le gouvernement mène une offensive d’austérité qui supprime des emplois et nuit aux conditions de travail des travailleurs. 

Par exemple, la CAQ ne peut sérieusement affirmer que l’austérité ne regarde pas les syndicats de travailleurs de la STM, quand c’est le sous-financement chronique des transports en commun qui a poussé les travailleurs à entrer en grève. 

De même, le virage Santé Québec, qui a entraîné des restructurations administratives importantes, affecte considérablement les conditions de travail des infirmières. 

Plus généralement, c’est la classe ouvrière en général qui paie et qui subit les conséquences des coupes budgétaires.

Même chose pour la question de la liberté de religion : c’est un secret de polichinelle que l’étincelle qui a poussé la CAQ à adopter le projet de loi 3 est la contestation judiciaire de la loi 21 (la soi-disant « loi sur la laïcité », qui s’attaque aux minorités religieuses) par la Fédération autonome de l’enseignement. La rumeur veut que cela ait fâché les bonzes de la CAQ. Mais il ne fait aucun sens d’affirmer qu’il ne fait pas partie du rôle d’un syndicat d’enseignants de défendre ses membres religieux contre la discrimination. 

La division entre luttes politiques et économiques est entièrement artificielle. La lutte des travailleurs frappe constamment un mur politique et leurs conditions économiques sont constamment affectées par des décisions politiques. La raison en est bien simple : comme expliqué plus tôt, le gouvernement est au service du patronat. 

Une loi populaire?

Selon un sondage Léger, 40% des Québécois appuient la réforme du régime syndical, contre 16% d’opposition seulement. Cela ne sort pas de nulle part. Le même sondage révèle une opinion défavorable envers les syndicats chez 54% des personnes interrogées. 

Devant les opinions négatives envers les syndicats, la réponse habituelle des dirigeants syndicaux est de se plaindre de l’image négative des syndicats que véhiculent les médias. 

Il est certainement vrai que les chroniqueurs de droite font leur pain et leur beurre des scandales dans les syndicats et trouvent toutes les occasions de les attaquer. Par exemple, les médias Québecor ont fait grand cas d’une soirée bien arrosée des dirigeants de la FTQ-Construction aux frais de leurs membres, avec des verres de whisky à 30 dollars et des steaks à 80 dollars. 

Lors de son passage à Tout le monde en parle, la présidente de la FTQ Magali Picard a rejeté ces critiques du revers de la main. « Là où il y a de l’homme, il y a de l’hommerie », a-t-elle dit. 

Effectivement, on ne peut s’attendre à ce que les syndicats soient purs – toutes les institutions sous le capitalisme sont touchées par un certain degré de corruption, de carriérisme et de malversations. Les steaks à 80 dollars sont une peccadille comparativement à ce qui se passe dans les coulisses des banques et des ministères.

Toutefois, cela n’explique rien. Si ces attaques trouvent un tel écho, y compris chez les syndiqués eux-mêmes, c’est parce qu’elles contiennent un élément de vérité. 

Surtout, les syndiqués sourcilleraient moins devant les verres de scotch à 30 dollars que se paient les chefs syndicaux si ceux-ci se montraient vraiment combatifs pour leurs membres.

Mais quiconque a été syndiqué a vu de ses propres yeux la déconnexion de la direction syndicale de ses membres. Les syndicats, nés des luttes de classes du passé, sont aujourd’hui dirigés par des bureaucrates conservateurs dont les salaires élevés et les conditions de travail (per diem, voiture de fonction, semaine qui finit à midi le vendredi, etc.) n’ont rien à voir avec la réalité de leurs membres. 

Le PL3 vise à affaiblir les mobilisations politiques des travailleurs. Mais force est d’admettre que les directions syndicales elles-mêmes agissent souvent comme barrière aux luttes politiques. 

Par exemple, les directions syndicales ont refusé de défier les lois spéciales, se contentant de les contester en cour, sans résultat. Au printemps, alors que la CAQ annonçait des coupes drastiques en éducation, les directions syndicales affirmaient que c’était une lutte des parents et se contentaient de la soutenir à distance. La loi 14 a quant à elle été adoptée en mai dernier, est maintenant en vigueur depuis le 30 novembre, et jusqu’à la veille (!), aucune mobilisation n’avait encore eu lieu. 

Bien souvent, c’est par les médias que les syndiqués apprennent que les centrales syndicales appellent à telle ou telle mobilisation, plutôt que par leurs canaux internes. Quant aux assemblées générales, elles sont souvent un exercice routinier et bureaucratique qui donne l’impression d’être fait pour que les non-initiés ne reviennent pas.

Alors que les conditions de vie des travailleurs s’effondrent, les bureaucraties au sommet, avec leurs carrières confortables, ne veulent pas trop brasser la cage.

Dans un moment révélateur, Magali Picard, toujours à Tout le monde en parle, a déploré que « au Québec, on était les champions du dialogue social ». Effectivement, les directions syndicales ont pris l’habitude de la conciliation avec le patronat, à une époque où celui-ci pouvait se permettre de « s’asseoir » et de « jaser » avec les directions syndicales – et d’acheter la « paix sociale » par des concessions. 

Mais cette époque est révolue, et les directions syndicales ne se sont pas encore réveillées à cette réalité. La classe dirigeante mène une guerre à sens unique contre les travailleurs, et les directions syndicales laissent leurs membres se faire marcher sur le corps, acceptant constamment des reculs dans leurs conditions et salaires. 

Elles sont donc vues à juste titre par leurs membres comme déconnectées. Pas étonnant alors que beaucoup de travailleurs se demandent à quoi bon payer des cotisations, si c’est pour envoyer des bureaucrates à Dubaï socialiser avec l’élite lors de la COP, comme l’a fait Magali Picard en 2023 – en pleines négociations du front commun.

Soit dit en passant, il est assez révélateur qu’alors que la CAQ lance deux attaques sur les syndicats, l’une, la loi 14, qui met en danger le droit démocratique de grève, et une autre, le projet de loi 3, qui met en danger les finances des syndicats, ce soit la deuxième qui suscite une réaction vive des directions syndicales.

Coup de semonce

Cette loi devrait servir d’avertissement aux directions syndicales. Il ne s’agit que d’une partie d’une offensive généralisée contre les syndicats et contre la classe ouvrière en général.

Nous entrons dans une époque où tous les acquis de la classe ouvrière seront remis en question. Ce projet de loi, en s’attaquant à ce pilier du système de relations industrielles établi après la Seconde Guerre mondiale qu’est la formule Rand (le prélèvement automatique des cotisations syndicales), démontre que plus rien n’est sacré pour les capitalistes. Tout risque d’y passer.

Tout cela souligne vivement le rôle politique des syndicats. Il faut des directions syndicales qui en prennent pleinement acte.

Les syndicats québécois ont traditionnellement adopté une « neutralité politique » (qui revenait à un soutien tacite au Parti québécois). Aujourd’hui, cette neutralité est intenable. Le patronat, lui, est représenté au parlement. Comme disait Marx, le gouvernement moderne est un comité chargé de gérer les affaires communes de la bourgeoisie. 

Les patrons ont leurs partis, et les travailleurs ont besoin du leur. L’urgence de bâtir un parti des travailleurs se fait sentir plus que jamais. 

Les syndicats, les plus grandes organisations des travailleurs, ont les ressources pour bâtir un tel parti. Sur la base d’un programme de classe, socialiste, offrant des solutions aux problèmes urgents des travailleurs, un tel parti serait capable de vaincre le patronat et l’austérité capitaliste. Le Parti communiste révolutionnaire va continuer de défendre cette perspective, dans et en dehors des syndicats.