Le serment au roi, le crétinisme parlementaire et les problèmes chez QS

L’épisode de l’abolition du serment au roi aura été un exemple saillant des problèmes qui affectent Québec solidaire depuis de nombreuses années. 

  • Julien Arseneau
  • ven. 13 janv. 2023
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L’épisode de l’abolition du serment au roi aura été un exemple saillant des problèmes qui affectent Québec solidaire depuis de nombreuses années. 

Après avoir d’abord refusé de prêter serment au roi, les députés de QS ont capitulé sous prétexte d’avoir à déposer un projet de loi pour l’abolir. Mais cette soumission n’a eu absolument aucun impact sur le résultat final, alors que c’est la CAQ qui a déposé le projet de loi qui a finalement éliminé ce serment humiliant et anti-démocratique. Encore une fois, la modération et la foi aveugle dans le parlementarisme des députés de QS auront conduit le parti sur la voie d’une décision dénuée de principe, et en plus totalement inutile à tout point de vue.  

Crétinisme parlementaire

Sous l’impulsion du PQ, les deux partis avaient initialement refusé de prêter serment en octobre dernier. Mais la présidente de l’Assemblée nationale a ensuite expliqué que cela signifiait qu’ils ne pourraient pas siéger à l’ouverture du Salon bleu, le 29 novembre. Ce à quoi les députés de QS ont plié et sont allés jurer fidélité à Charles III à l’abri des caméras. 

Le parti a ensuite déposé son projet de loi pour rendre le serment au roi facultatif le 1er décembre. Mais celui-ci a simplement été ignoré, et la CAQ a introduit son propre projet de loi cinq jours plus tard! 

Bizarrement, la direction de QS et certains de ses supporters semblent donner le crédit au parti pour l’abolition du serment. Le chanteur bien connu et partisan de QS, Émile Bilodeau, a même poussé la note sur sa page Facebook, affirmant que pendant que les députés du PQ « pleurnichaient », le député solidaire Sol Zanetti déposait un projet de loi. La publication du chanteur a disparu depuis, mais elle était un exemple assez crasse de l’opinion dominante au sein de la direction et des têtes d’affiche du parti, pour qui l’important était que les 11 députés soient au parlement coûte que coûte. 

Mais quiconque a des yeux pour voir sait que sans la position de principe des trois députés péquistes, la CAQ n’aurait jamais fait adopter un projet de loi abolissant le serment aussi rapidement. La CAQ était visiblement pressée de passer à autre chose, afin que le PQ cesse de monopoliser les projecteurs. 

Rarement a-t-on vu chez QS un exemple aussi clair de ce que Marx et Engels appelaient le « crétinisme parlementaire ». Engels l’expliquait ainsi :  « Le “crétinisme parlementaire” est une maladie incurable, une affection dont les malheureuses victimes sont imprégnées de la noble conviction que le monde entier, son histoire et son avenir sont dirigés et déterminés par une majorité de voix dans cette institution représentative qui a l’honneur de les compter parmi ses membres. »

Cette tendance est forte chez Québec solidaire. Nous l’avions vu autour du débat sur les signes religieux : au lieu de participer aux mobilisations antiracistes et de s’opposer catégoriquement à toute forme de discrimination, Gabriel Nadeau-Dubois proposait alors un « compromis à l’Assemblée nationale » où les partis s’entendraient pour interdire le port de signes religieux « seulement » pour les policiers, les juges et gardiens de prison. 

Nous l’avions vu lors de l’épisode du fameux t-shirt de Catherine Dorion également. Dénoncée publiquement pour avoir enfreint le décorum ridicule de la « Maison du peuple », elle s’est visiblement fait dire de rentrer dans le rang et de respecter les coutumes par ses collègues, et a passé les trois dernières années de son mandat plutôt loin des projecteurs. 

Sur la question du racisme systémique, QS avait accepté de retirer le terme « systémique » d’une motion qu’il avait proposée à l’Assemblée en 2020, afin qu’elle soit votée par la CAQ – permettant ainsi à ce parti de se prétendre antiraciste dans une fausse unanimité. Durant la pandémie, particulièrement au début, le parti a tu ses critiques et offert sa « collaboration » à la CAQ, relayant ses messages en disant que ce n’était pas le moment de « ​​scorer des points politiques ».

Aussi, plus souvent qu’autrement, l’approche que GND prend dans ses vidéos et ses interventions au Salon bleu vise à faire entendre raison à François Legault et la CAQ, comme si des interventions posées et rationnelles à l’Assemblée nationale feraient voir la lumière à un gouvernement de patrons. L’impression est que les députés de QS croient plus au parlement que la classe dirigeante elle-même. 

Dans le cas du serment, les députés solidaires ont été incapables de voir que c’est la position de principe des députés péquistes ayant refusé d’entrer au parlement qui a forcé la CAQ à rapidement adopter un projet de loi pour passer à un autre sujet; l’argument selon lequel la présence des 11 députés solidaires à l’intérieur du parlement était nécessaire pour faire adopter un projet de loi ne tenait pas la route, étant donné qu’ils n’étaient pas assez nombreux pour changer le résultat du moindre vote. Et QS n’était même pas présent à la manifestation contre le serment devant l’Assemblée nationale, à l’ouverture de la session parlementaire! Le « parti des urnes et de la rue » porte bien mal ce surnom ces temps-ci.

Ce qui manque ici, c’est une approche de classe. Nous devons comprendre que la classe ouvrière et le « monde ordinaire » n’ont jamais été la bienvenue dans la « Maison du peuple », comme le traitement de Catherine Dorion l’avait bien montré. Nous devons comprendre et expliquer ouvertement que le parlement est un forum vide, tandis que les vraies décisions sont discutées et prises dans les conseils d’administrations, dans les bureaux de ministres, et par des fonctionnaires non élus – ce qui est encore plus vrai lorsqu’un gouvernement a une super-majorité comme la CAQ.

Mais les socialistes ne sont pas abstentionnistes pour autant. Nous devons utiliser chaque tribune qui nous est offerte pour défendre les idées socialistes, y compris la tribune parlementaire. Mais nous ne devrions avoir aucune confiance dans le parlement comme chemin par lequel faire progresser les intérêts dans la classe ouvrière. Historiquement, toute victoire sérieuse des travailleurs et des opprimés a été obtenue par les mobilisations de masse, et sans respecter les règles injustes mises en place par la classe dominante. 

Dans cette optique, le parlement devrait servir de plateforme pour dénoncer la classe dirigeante, exposer ses institutions, ses rituels et ses politiques, et défendre les intérêts des travailleurs. Ce n’est pas pour rien que Catherine Dorion était l’une des députés, voire la députée la plus populaire de QS, notamment chez les jeunes, avec ses moqueries du cérémonial bourgeois. Quiconque se prétend une voix des travailleurs et des jeunes à l’Assemblée nationale devrait ouvertement rejeter ce décorum et ces institutions.

Une approche qui ne fonctionnera pas

Après sa bataille contre le serment au roi, le PQ s’est retrouvé en deuxième place dans un sondage, tandis que QS a perdu cinq points de pourcentage. Avec un minime trois députés, c’est la première fois en cinq ans que le PQ reprend la 2e place dans des sondages. Il est palpable que les travailleurs québécois ont apprécié la position de principe de Paul St-Pierre-Plamondon et ses acolytes devant l’institution pourrie de la monarchie. Le parti a attiré une sympathie hors de proportion avec son poids parlementaire en défiant le statu quo. En acceptant de prêter serment au roi, QS a eu l’air d’avoir moins de principes que le PQ et lui a donné cette victoire sur un plateau d’argent.

Comme nous l’avons déjà expliqué, le PQ n’a absolument rien à perdre, n’ayant jamais été aussi loin du pouvoir qu’aujourd’hui. Mais chez QS, généralement parlant, c’est la dynamique inverse qu’on observe depuis quelques années. Sortant de la marginalité et affirmant se « préparer à gouverner », la direction de QS est anxieuse de ne pas trop brasser la cage et de se défaire de son image de parti « radical ». Elle fait donc des « compromis » et s’adonne religieusement au cirque parlementaire au lieu de défier de front les institutions, les traditions et les partis de la classe dominante capitaliste. 

Cette approche ne fonctionnera pas. À mesure que le capitalisme s’enfonce dans la crise, les travailleurs seront de plus en plus à la recherche d’une voix forte qui dénonce sans compromis le capitalisme, ses politiciens et ses institutions, et qui propose une solution de rechange au système. Si la direction de QS se plie aussi facilement aux règles du jeu sur une question comme le serment au roi (pourtant un enjeu facile pour des nationalistes de gauche), qu’en sera-t-il dans les grandes questions des luttes de classe à venir?