C’est cette semaine qu’a lieu le congrès de 2019 du Syndicat des travailleuses et travailleurs des postes (STTP), à Toronto. Les travailleurs des postes éliront la direction du syndicat, quelques mois seulement après avoir été forcés de retourner au travail. Malheureusement, une occasion en or de défier la loi de retour au travail imposée par le parlement canadien a été manquée en 2018. Le syndicat se doit d’élire une direction ouvertement critique de la décision d’accepter le retour au travail et qui s’engage à défier les prochaines lois spéciales.

Au Canada, le droit de grève n’existe actuellement que sur le papier. Les lois retirant le droit de grève sont devenues la norme plutôt que l’exception. Parfois, la loi est déposée avant même que les travailleurs n’entrent en grève. Que ce soit les libéraux ou les conservateurs, le parti au pouvoir n’y change rien. C’est un phénomène que l’on constate tant à l’échelle fédérale que provinciale. Le droit de grève n’existe que tant qu’une grève n’a pas d’impact. Mais sans ce droit, tout ce qui a été bâti et gagné par le mouvement syndical est menacé.

Lors des négociations en 2018, tout allait bien pour le STTP. Les travailleurs appuyaient fortement la grève et le public était largement favorable aux revendications principales du syndicat. L’équité salariale pour les postiers en milieu rural, majoritairement des femmes, de même que la revendication visant à mettre fin à la crise des blessures causées par le temps supplémentaire obligatoire, étaient des enjeux populaires et compréhensibles pour lesquels il était possible de mobiliser des appuis. Cela a mis une sérieuse pression sur les libéraux de Justin Trudeau, qui avaient par le passé exprimé, de manière hypocrite, de la sympathie pour les travailleurs des postes. Le fait de voir Trudeau le « féministe » refuser l’équité salariale a sérieusement affaibli le gouvernement.

Dès que la grève a commencé, il fallait vraiment se voiler les yeux pour ne pas voir qu’une loi spéciale était au programme. La direction du syndicat a tenté d’atténuer cette menace en adoptant une tactique de grève du zèle et en organisant des grèves rotatives. Les représentants syndicaux soutenaient que cette stratégie allait coûter des millions de dollars à Postes Canada, parce que les gens allaient éviter les services postaux dans la période juste avant Noël. Ils affirmaient que cela permettrait au syndicat d’économiser les frais d’une grève générale, et que cette méthode risquait moins de provoquer une loi de retour au travail. Toutefois, de nombreux syndiqués se sont par la suite plaints que les travailleurs ne recevaient aucune indemnité de grève lors de la grève rotative, puisque les statuts du STTP prévoient que les indemnités de grève ne sont payées qu’après 10 jours de grève consécutifs. Si ce faible moyen de pression n’a pas empêché l’adoption d’une loi spéciale, il a par contre irrité les membres de la base du syndicat, ceux-là mêmes qu’il aurait fallu mobiliser en masse pour organiser la désobéissance. Ce n’est que lorsque les travailleurs sont amenés sur les piquets de grève qu’ils ont l’occasion de contrôler eux-mêmes démocratiquement la grève, plutôt que ce soient les bureaucrates qui dictent d’en haut les mots d’ordre. Un tel contrôle démocratique est essentiel pour libérer le pouvoir et la créativité des membres, qui sont nécessaires pour défier la loi.

Lorsque la loi spéciale a été annoncée à la fin novembre, la grève rotative aurait dû être transformée en grève générale afin de montrer que les travailleurs n’avaient pas l’intention de se laisser intimider. Toutefois, la direction du syndicat envoyait des messages contradictoires quant à la possibilité de défier la loi. Alors que le président du STTP, Mike Palecek, affirmait que « toutes les options demeurent sur la table », d’autres dirigeants syndicaux disaient aux postiers de retourner travailler. Certaines sections locales ont refusé de retourner travailler et, allant à l’encontre de la direction à Ottawa, ont spontanément fait la grève ou occupé leurs lieux de travail pendant quelques jours de plus.  

La loi de retour au travail contre le STTP a coïncidé avec la fermeture de l’usine de GM à Oshawa et un débrayage sauvage des travailleurs de l’automobile. Il y avait une réelle possibilité qu’une lutte ouvrière pour le droit de grève et pour le droit à un emploi décent donne l’élan à un puissant mouvement de masse. Si le STTP avait appelé à des manifestations de masse dans chaque ville le jour où la loi a été adoptée, le 27 novembre à midi, les 50 000 travailleurs des postes auraient été rejoints par des centaines de milliers d’autres travailleurs dans chaque grande ville. La direction du STTP et Palecek ont plutôt émis la directive aux travailleurs de retourner travailler et d’attendre les instructions. Les piquets solidaires tenus dans les semaines suivantes étaient héroïques, mais ont laissé les travailleurs des postes passifs. Cette tactique n’aurait jamais pu vaincre le gouvernement.

Soyons clairs : l’échec du STTP à défier la loi de retour au travail en 2018 a été une trahison du rôle historique du syndicat. Les lois de retour au travail vont être de plus en plus utilisées tant qu’un secteur du mouvement ouvrier n’aura pas le courage d’y désobéir, et il est difficile d’imaginer un syndicat en meilleure posture pour le faire que le STTP en 2018. Si ce n’est pas le STTP, alors qui le fera? Si ce n’est pas maintenant, alors quand? Tous les arguments contre la désobéissance en reviennent à défendre une capitulation perpétuelle, qui aurait ultimement pour conséquence la mort du mouvement ouvrier.

Certains disent que défier la loi était impossible dans ce cas-ci en raison des amendes. Comme il y a toujours des amendes, cet argument revient à dire que la lutte contre les lois de retour au travail est vaine. Un mouvement de masse explosif, avec d’authentiques piquets de grève communs où les postiers font la grève et envoient de leurs syndiqués soutenir les piquets d’autres lieux de travail, aurait comme condition de retour au travail qu’aucune amende ne soit imposée.

D’autres personnes soutiennent que le Congrès du travail canadien a refusé d’organiser une grève générale. Cet argument mélange les bureaucrates passifs au sommet avec les travailleurs à la base. Cet argument revient à demander aux autres de faire ce qu’on n’est pas prêt à faire soi-même. Dire mollement « Je ne vais défier que si vous promettez de me soutenir » n’inspire pas vraiment la confiance; affirmer « Vous faites la grève pour que je n’aie pas à la faire » est encore moins inspirant. Personne ne peut demander aux autres de se battre à sa place. Le mouvement a besoin de dirigeants qui diront : « Nous luttons contre cette injustice. Êtes-vous avec nous ou allez-vous nous trahir? »  Une solidarité directe entre les travailleurs et des piquets communs forceraient les dirigeants à cesser de tergiverser. Le désir de lutter est réel, mais le feu a besoin d’une étincelle pour s’allumer.

Les syndicats et le droit de grève n’existeraient pas aujourd’hui si les travailleurs n’avaient pas été prêts à défier la loi autrefois. Si la direction syndicale à l’époque avait été comme celle d’aujourd’hui, nous n’aurions rien aujourd’hui. Les militants du STTP d’autrefois n’avaient pas peur d’aller en prison au nom de la justice.

Mike Palecek a affirmé que le syndicat n’était pas uni autour de la désobéissance. C’est peut-être vrai, mais alors il faut savoir qui sont ceux qui n’étaient pas prêts à mener cette lutte. Des membres de la base du STTP ont demandé à voir les procès-verbaux des rencontres de l’exécutif pour savoir qui a voté pour et contre la désobéissance. Cette information doit être divulguée afin que les membres décident pour qui voter lors des élections qui viennent.

Certaines personnes disent que les postiers n’étaient pas prêts à défier la loi. En toute franchise, c’est une calomnie à l’endroit de beaucoup de travailleurs de la base, et c’est faire preuve d’une incompréhension complète du fonctionnement d’une organisation collective et du leadership. C’est une chose de se lancer dans une bataille juste, quand on sait qu’on peut compter sur des dirigeants qui nous appuient. C’en est une autre de poser des gestes illégaux quand nos dirigeants ne n’inspirent pas confiance. Des rapports diversifiés et crédibles indiquent que de nombreuses sections locales étaient prêtes à défier la loi et qu’il y a eu des démissions de masse de délégués syndicaux pour faciliter la désobéissance, mais ces militants n’avaient malheureusement pas la confiance et l’organisation nécessaires pour défier à la fois  le gouvernement et la direction syndicale nationale.

Considérant que la majorité de l’exécutif du STTP était opposée à la désobéissance, il aurait fallu un réseau de militants de la base du syndicat qui se serait organisé du bas vers le haut, indépendamment de l’exécutif capitulard. Cet organe de la base aurait pu demander la tenue immédiate d’assemblées des membres dès l’annonce de la loi pour demander que la direction organise la désobéissance. Le caractère rotatif de la grève et l’absence d’assemblées des membres ont effectivement réduit à néant la voix et le contrôle démocratiques des travailleurs. Parfois, la propagande par l’action est nécessaire. Si une seule section locale avait débrayé, avec des piquets potentiellement organisés par des initiatives venues de la base, cela aurait posé la question ouvertement : soit rejoindre ces courageux travailleurs, ou les laisser périr seuls. Dans ces conditions, nous ne pensons pas que les coeurs fragiles au sommet auraient même osé bloquer ceux qui luttaient. L’exemple positif se serait répandu comme une traînée de poudre.

Le STTP a besoin d’une direction prête à défier les lois de retour au travail et d’un réseau combatif à la base pour empêcher cette direction de capituler. Tous les candidats à la direction doivent dire s’ils ont voté pour ou contre la désobéissance et s’ils croient que ne pas défier a été une erreur. Chaque candidat doit s’engager à mener un mouvement de désobéissance lors de la prochaine ronde de négociations et dans le mouvement ouvrier plus large. Le droit de grève est l’enjeu clé pour le STTP et le mouvement ouvrier dans son ensemble. Si nous ne repoussons pas cette menace, la classe ouvrière ne connaîtra plus que des reculs. Le STTP a une fière tradition, ayant été à l’avant-garde du mouvement ouvrier. Il est maintenant temps que le syndicat prenne son devoir au sérieux et se tienne en première ligne dans la défense du droit de grève.