Les étudiants de l’ADEESE (Association des étudiantes et étudiants de la Faculté des sciences de l’éducation de l’UQAM) sont en grève reconductible depuis le 13 octobre dernier pour revendiquer de meilleures conditions de stage.

Les mandats de grève ont été adoptés à très forte majorité lors des votes. Les 5, 20 octobre et 7 novembre derniers, entre 300 et 400 personnes sont venues à ces assemblées générales de grève. Lors de la première assemblée, il y avait tellement de gens qu’il a fallu changer de local. On est loin des assemblées étudiantes où le quorum est à peine atteint. Les conditions des stages provoquent énormément de frustration chez les étudiants en enseignement et ont un important effet mobilisateur.

Les étudiants revendiquent entre autres une meilleure protection des stagiaires contre le harcèlement qu’ils peuvent subir dans leur milieu de stage. Jusqu’à présent, la Faculté n’a aucune politique claire pour protéger les stagiaires contre le harcèlement. Lors d’une assemblée, une étudiante qui a subi du harcèlement pendant son stage racontait que son superviseur lui a simplement dit d’endurer la situation. C’était soit ça, soit abandonner son stage et le reprendre un an plus tard.

Une diminution de la charge de travail et du temps de trajet et l’amélioration des conditions des parents étudiants font également partie des revendications des étudiants de l’ADEESE. Certains étudiants peuvent être placés dans un milieu de stage situé à plus d’une heure de chez eux. En ce qui concerne les parents étudiants, les accommodements qu’ils peuvent recevoir relèvent à 100% du bon vouloir de leur superviseur et de leur enseignant associé. Encore lors d’une assemblée générale, une étudiante expliquait qu’elle connaissait quelqu’un qui a échoué son stage car son enfant était malade et qu’elle avait dû s’absenter pour s’en occuper!

Sans surprise, le sujet de la salarisation des stages est revenu sur la table, et l’ADEESE revendique que la Faculté appuie publiquement la lutte. En 2018, 60 000 étudiants au Québec ont fait la grève pour demander la rémunération des stages, puis une grève illimitée a été déclenchée à l’hiver 2019. Pendant l’assemblée générale du 20 octobre, une représentante du comité de négociation de l’ADEESE racontait que lorsque le comité a demandé à Jean Bélanger, le doyen de la Faculté, d’appuyer publiquement la salarisation des stages, celui-ci a répondu de manière méprisante qu’il est contre parce « qu’il sait ce qui est bon pour les étudiants en éducation et que la salarisation des stages en enseignement n’est pas une bonne chose ». Aujourd’hui, comme en 2018, les stagiaires doivent survivre sans revenu pendant leur stage. Cette situation est inacceptable, et nous pensons que les stagiaires doivent être non seulement rémunérés, mais payés un salaire de syndiqué et avoir droit à de la représentation syndicale.

Par ailleurs, les stagiaires ont récemment appris qu’ils n’auront pas leur bourse de 3900 dollars pour leur stage 4 et que la bourse « Perspective » de 2500 dollars ne sera disponible qu’en janvier 2023. La bourse pour le stage 4 était un gain de la grève des stages d’il y a quelques années et son retour fait partie des revendications de l’ADEESE.

Ceux et celles qui finissent leur baccalauréat auront eu à s’endetter ou occuper un emploi à temps partiel pendant leur stage et nombreux sont ceux qui vivent un burn-out avant même de rejoindre la profession. Ce n’est pas un hasard si au Québec, les taux de diplomation universitaire chez les enseignants au primaire et au secondaire sont respectivement de 79,7% et 72%, ce qui est loin derrière les sciences infirmières (89,2%), le travail social (89%) ou l’administration (86,6%). 

Puis, avant d’obtenir un poste permanent, les enseignants sont souvent très précaires et enchaînent les petits contrats et les suppléances. De plus, les problèmes d’épuisement professionnel chez les enseignants sont largement répandus. Leurs conditions ne sont pas si différentes de celles des stagiaires. À celà s’ajoutent les piètres conditions que subissent à la base les enseignants, avec le mauvais état des écoles, les classes trop nombreuses, le manque de ressources, etc. Pas étonnant alors que le taux d’abandon de la profession après cinq ans soit de 50%. 

Ce n’est pas la première grève visant à améliorer les conditions de stage et probablement pas la dernière. Mais jusqu’ici, les grèves des stages se sont limitées aux étudiants et stagiaires, qui détiennent un pouvoir limité. Ce qu’il nous faut pour accentuer la pression, c’est aller chercher la participation des salariés.  Les syndicats étudiants devraient aller chercher l’appui actif des syndicats du personnel de l’éducation. Les enseignantes et le personnel des écoles ont un pouvoir que les étudiants n’ont pas, soit de faire fermer les écoles en débrayant, ce qui mettrait une énorme pression sur le gouvernement.   

La participation des enseignants à la mobilisation serait donc d’une très grande aide et le mouvement devrait s’orienter vers eux. Cela pourrait commencer par une manifestation qui regrouperait les étudiants en enseignement et les travailleurs du secteur de l’éducation.

Il ne faut pas oublier que les enseignants subissent aussi les conséquences des piètres conditions des stagiaires car celles-ci dissuadent beaucoup de gens à faire des études en enseignement et accentuent donc la pénurie de main-d’œuvre. Par exemple, en ce moment, beaucoup d’enseignants se voient forcés de faire de la suppléance durant les heures qui leur sont normalement allouées pour la correction ou la planification de leurs cours. De plus, le travail gratuit des stagiaires exerce une pression à la baisse sur leurs salaires – et pas seulement en enseignement, mais partout où les stages sont non-rémunérés.

Cette grève est symptomatique de l’exploitation grandissante des travailleurs de l’éducation et de la radicalisation de la jeunesse. Les écarts de richesse se sont accentués depuis la pandémie, le coût de la vie ne cesse d’augmenter avec l’inflation et les décennies d’austérité ont largement affaibli le système d’éducation et les services publics. Ces conditions créent, avec raison, beaucoup de colère.

Et comme si ce n’était pas suffisant, alors que tous les signes indiquent l’arrivée imminente d’une récession, la CAQ pourrait fort probablement être amenée à couper dans l’éducation. Le capitalisme n’a rien de bon à offrir aux stagiaires, aux enseignants et aux élèves. Notre lutte doit être une lutte contre ce système brisé, qui détruit le système d’éducation depuis trop longtemps.