Les masses chinoises prises entre l’épidémie et la dictature

Cet article a été publié le 29 janvier dernier sur le site In Defence of Marxism. L’épidémie de coronavirus en Chine est critique. Selon les chiffres officiels, 5 997 cas ont été confirmés dans tout le pays jusqu’à maintenant, la grande majorité d’entre eux à Wuhan, la capitale de la province de Hubei. Cependant, neuf […]

  • In Defence of Marxism
  • lun. 10 févr. 2020
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Cet article a été publié le 29 janvier dernier sur le site In Defence of Marxism.

L’épidémie de coronavirus en Chine est critique. Selon les chiffres officiels, 5 997 cas ont été confirmés dans tout le pays jusqu’à maintenant, la grande majorité d’entre eux à Wuhan, la capitale de la province de Hubei. Cependant, neuf autres provinces ont signalé plus de 100 cas confirmés, la plupart dans les provinces industrielles du Zhejiang et du Guangdong. La maladie s’est propagée au-delà des frontières de la Chine, de la Thaïlande à l’Australie en passant par les États-Unis.

Le régime du PCC a décrété des mesures drastiques pour contenir l’épidémie qui se développe. Outre Wuhan, 13 autres villes du Hubei ont été déclarées en quarantaine, touchant ainsi plus de 35 millions de personnes. La prétendue « Armée populaire de libération » a été déployée à Wuhan. L’organe suprême du PCC, le Comité permanent du Politburo, a formé un sous-comité pour superviser directement le confinement de la maladie.

Wuhan : ville fantôme

Un climat de peur s’est emparé de la Chine. Wuhan, l’épicentre de l’épidémie, est devenue pratiquement une ville fantôme, ses millions d’habitants s’étant soit échappés, soit enfermés chez eux. À Pékin, à plus de 1 100 km au nord de Wuhan, presque tout le monde porte un masque anti-grippe dans la rue, malgré le fait que la capitale compte un nombre relativement faible de cas signalés (102). Le pays a connu une pénurie de masques anti-grippe en raison d’une demande accrue à l’échelle nationale, et en particulier dans le Hubei. Pourtant, les masques anti-grippe ne font rien pour empêcher le virus de nous infecter. Au mieux, ils empêchent les gouttelettes de salive d’une personne déjà infectée de se propager à d’autres.

Dans cette atmosphère de peur, des questions urgentes doivent être répondues par les autorités. D’où vient ce virus? Comment se propage-t-il réellement? Les mesures prises par le gouvernement vont-elles fonctionner? Une minorité de personnes se pose également une question cruciale : pourquoi a-t-on laissé l’épidémie se détériorer jusqu’à l’ampleur actuelle?

Le régime du « Centre du Parti avec le camarade Xi Jinping comme noyau dirigeant » offre des réponses ambiguës et changeantes à ces questions. Sachant que les masses sont encore amères de l’expérience de l’épidémie de SRAS en 2002, au cours de laquelle le gouvernement a balayé la crise sous le tapis pendant plus de trois mois et a activement fait taire ceux qui essayaient de la rapporter jusqu’à ce qu’une dissimulation ne soit plus possible, le régime Xi a assuré à la population qu’il sera différent de son prédécesseur Hu Jintao. Des mises à jour fréquentes sur la situation ont été diffusées dans divers médias, associées à des décrets grandioses et drastiques. Des histoires humaines déchirantes, comme celle de certains habitants de Wuhan qui se sont organisés pour chanter l’hymne national par leur fenêtre afin de se remonter le moral, ont été célébrées (avec un rappel poli qu’ils devraient porter leur masque anti-grippe). La télévision d’État CCTV a retransmis en direct le chantier de construction d’un nouvel hôpital à Leishenshan, soit l’un des nouveaux hôpitaux que le gouvernement a commandés suite à l’apparition de l’épidémie, qui sera équipé de la technologie 5G.

Néanmoins, l’éblouissant blitz médiatique ne répond toujours pas de manière cohérente à certaines questions fondamentales. L’origine réelle de la maladie, bien que l’on suppose qu’elle provient d’animaux sauvages, est encore inconnue. Plus important encore, bien que le mécanisme de propagation de la maladie n’est pas encore compris, le gouvernement a seulement admis que le virus peut se propager entre humains le 20 janvier, alors que 198 cas avaient été officiellement signalés (contre 45 cas trois jours auparavant). Cela est survenu des semaines après qu’une équipe de scientifiques à Shanghai ait séquencé l’ensemble du génome du nouveau virus le 5 janvier, puis publié ses conclusions à l’internationale, selon le journal China’s Health News. Caixin rapporte également que les signes d’une infection d’humain à humain étaient déjà apparents pour les chercheurs selon leur étude des 41 premiers patients depuis le 11 janvier. Il est à noter que le premier cas confirmé d’infection a été signalé le 1er décembre 2019.

Le jeu des reproches

Le gouvernement central blâme le gouvernement de la ville de Wuhan et particulièrement le maire Zhou Xianwang pour la réponse et la divulgation tardives de l’épidémie. Zhou, un maire « élu » d’en haut et non par un vote populaire, a commis un certain nombre de gaffes qui ont facilement fait de lui un bouc-émissaire. Le 26 janvier, il a affirmé que Wuhan avait entièrement résolu le problème de la pénurie de combinaisons médicales, mais il a été contredit par le gouverneur de la province de Hubei, Wang Xiaodong, qui a déclaré qu’il y avait toujours une grave pénurie plus tard dans la journée. Quatre jours après que Wuhan ait déclaré son confinement, Zhou a révélé que plus de cinq millions de personnes, soit près de la moitié de la population de la ville, avaient quitté Wuhan après que l’ordre ait été donné.

Le Global Times, l’un des médias les plus soumis au gouvernement central, a émis de faibles critiques :

« Il faut souligner qu’il est très regrettable que la ville n’ait pas pris les mesures d’urgence nécessaires pour empêcher un si grand nombre de personnes de voyager à travers le pays, car cela rend particulièrement difficile la prévention et le contrôle de l’épidémie. La ville devrait faire face au fait que le public est très mécontent de cette situation. » 

On nous donne ainsi une rare information de qualité venant d’en haut : que les jours du camarade Zhou comme cadre « construisant le socialisme avec des caractéristiques chinoises » sont comptés.

Malheureusement, il semble que les gaffes bureaucratiques ne puissent pas non plus être contenues. Le matin du 26 janvier, le gouvernement de la ville de Shantou, Guangdong, a soudainement déclaré la ville en quarantaine. Le confinement de cette ville portuaire clé, située à 1100 km de Wuhan, aurait été un événement extraordinairement alarmant pour le pays et pour la communauté internationale. Finalement, la ville a annulé l’ordre de quarantaine deux heures seulement après l’annonce initiale, au cours de laquelle des citoyens, naturellement affolés, ont afflué vers les marchés pour s’approvisionner.

En prenant un peu de recul, on constate que ces gaffes ne sont possibles que sous un régime dictatorial, désireux d’afficher son « efficacité » et son « esprit de décision » par des gestes grandioses à tous les niveaux du gouvernement. L’augmentation des villes en quarantaine et de la construction rapide d’hôpitaux soulèvent des questions fondamentales concernant les mille et une tâches logistiques nécessaires pour contenir 35 millions de personnes dans la province de Hubei. Attendre du maire Zhou qu’il empêche cinq millions de personnes effrayées et déterminées de quitter Wuhan, la 41e plus grande ville du monde, c’est vouloir l’impossible, quelles que soient ses compétences personnelles. En outre, on peut également se demander si le personnel médical et de secours a accès à des moyens de transport adéquats dans une mégapole en quarantaine. Dans l’ensemble, la volonté du régime du PCC de maintenir son image « forte et stable » par un spectacle pompeux ne fait qu’ouvrir la porte aux erreurs pour ceux qui veulent résoudre la situation tout en obéissant aux ordres.

Le capitalisme est mauvais pour la santé

Fondamentalement, c’est le système social même que le PCC a restauré et maintient, le système capitaliste axé sur le profit, qui a permis à cette situation de s’aggraver jusqu’au niveau actuel. Avant le 17 janvier, quelques semaines après que l’épidémie ait été signalée et quelques jours après que des employés médicaux aient contracté le virus, le gouvernement de Wuhan continuait encore à promouvoir l’annuel « Festival printanier de la culture bénéfique au peuple » pour attirer les touristes à Wuhan pendant les vacances. Le 19 janvier, un jour avant que le gouvernement n’admette que le virus pouvait se propager entre humains, le quartier de Baibuting Garden de Wuhan a même organisé un énorme banquet « des dix mille familles » en guise de spectacle. Cette erreur est encore une autre part de responsabilité que le gouvernement central attribue au gouvernement de Wuhan, mais cette indifférence face au bien-être des gens au nom de la maximisation des profits fait partie intégrante de tout gouvernement capitaliste à tous les niveaux.

Il en va de même pour les puissances impérialistes occidentales, dont les médias n’ont pas ménagé leurs efforts pour railler les échecs du PCC et pleurer des larmes de crocodile sur le sort des masses chinoises. On peut imaginer que, si une épidémie semblable se produisait aux États-Unis, au lieu d’une bureaucratie dictatoriale, la classe ouvrière américaine serait à la merci des géants de l’industrie pharmaceutique, des compagnies d’assurance maladie et des réseaux hospitaliers.

Les marxistes du monde entier sont solidaires des travailleurs et des jeunes chinois en ces temps difficiles. Malgré la situation pénible, la classe ouvrière chinoise, la plus puissante au monde, est assurée de surmonter cette crise. Une fois la bataille contre le coronavirus terminée, elle pourrait bien se retourner contre une autre maladie plus chronique : la dictature capitaliste du PCC.