L’héritage de Camilo Cahis

Trop peu de gens ont pu rencontrer cet homme remarquable, mais son travail touche à tous les aspects de nos idées et de nos activités aujourd’hui. Le PCR ne serait pas ce qu’il est sans lui.

  • Marco LaGrotta
  • ven. 25 avr. 2025
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Le 25 avril 2025 marque le dixième anniversaire de la mort de Camilo Cahis.

Camilo fut l’un des premiers membres de notre parti, qui était connu sous le nom de La Riposte socialiste/Fightback au moment de sa mort. Dès son adhésion, Camilo est devenu un de nos membres dirigeants. Il a été la deuxième personne à être employée par notre parti, à une époque où celui-ci ne comptait que quelques dizaines de membres. Il a également joué un rôle central au sein de notre comité exécutif, porteur de responsabilités auxquelles il a accordé la plus grande attention jusqu’aux derniers instants de sa vie. Bien que trop humble pour accepter les éloges, Camilo a contribué à jeter à nouveau les bases du marxisme au Canada et a été l’un des dirigeants incontestés du mouvement.

Malheureusement, trop peu de gens ont pu rencontrer cet homme remarquable. Cela s’applique à la grande majorité de nos propres membres, dont la plupart ont rejoint le parti longtemps après sa mort. Si le nom de Camilo Cahis leur est familier, c’est uniquement grâce à la maison d’édition anglophone qui porte son nom.

Malgré cela, l’œuvre de Camilo touche à tous les aspects de nos idées et de nos activités aujourd’hui. Le PCR ne serait pas ce qu’il est sans lui.

Il va sans dire que les partis ne se construisent jamais grâce aux seuls efforts de grands hommes ou de grandes femmes. Il s’agit plutôt d’un effort collectif qui tire sa cohésion et sa force des idées et des traditions du marxisme.

Cela dit, il serait erroné d’ignorer le rôle que jouent certaines personnalités exceptionnelles dans la construction et le leadership d’un parti. C’est particulièrement vrai lorsqu’il est question des tout débuts. Au cours de cette période, même les actions d’un seul individu peuvent jouer un rôle déterminant dans le développement futur du parti. Et Camilo a joué un tel rôle au cours de sa vie.

Camilo le marxiste

Ted Grant disait autrefois qu’un révolutionnaire devait posséder trois qualités : une maîtrise de la théorie marxiste, un sens des proportions et un sens de l’humour. Camilo possédait sans contredit ces trois qualités.

J’ai rencontré Camilo pour la première fois lors d’un événement de Fightback organisé à l’université de Toronto sur le thème du stalinisme. C’était mon premier événement et Camilo était le conférencier. J’étais un élève du secondaire qui venait juste d’être introduit au marxisme, mais j’avais encore ma part de doutes au sujet de Lénine et de la révolution russe.

Inutile de dire que ces doutes se sont rapidement dissipés. Camilo a parlé d’une manière calme et mesurée, ce qui était son style. J’ai été stupéfait par sa maîtrise du sujet, ainsi que par sa façon systématique de développer chaque point. Il n’y avait jamais une once d’arrogance ou de grandiloquence inutile lorsque Camilo s’exprimait, même sur les sujets qu’il comprenait mieux que quiconque. Camilo laissait les idées parler d’elles-mêmes. J’ai été choqué d’apprendre, bien des années plus tard, que Camilo était une personne timide et que parler en public n’était pas naturel pour lui. Je n’avais jamais été aussi impressionné par un discours public avant cet événement, et je n’ai rencontré que peu de personnes comparables depuis.

Camilo avait une approche similaire pour ses écrits. J’attendais toujours avec impatience de lire ses derniers articles dans Fightback, probablement plus que n’importe quel autre auteur. Ses articles n’étaient jamais ennuyeux et étaient toujours exhaustifs, contenant de nombreux faits et chiffres à l’appui. Camilo lisait régulièrement la presse bourgeoise, notamment le National Post et le Globe & Mail, prenant en note au fur et à mesure tout ce qu’il trouvait intéressant et utile. Jamais il n’essayait de forcer une conclusion donnée à ses articles, ce qui est toujours le cas des auteurs paresseux. Il assemblait plutôt les faits et les chiffres de telle sorte que le lecteur en tire lui-même la conclusion. J’ai toujours essayé de calquer mes propres écrits sur les siens, sans toujours y parvenir.

Camilo n’était pas du genre à se contenter de réponses simples et de slogans, comme c’est trop souvent le cas dans le mouvement aujourd’hui. Ce que je pensais être une question simple s’est souvent transformé en une discussion d’une heure avec lui. Camilo explorait toujours chaque question en profondeur. Il n’a jamais considéré le marxisme comme un dogme, mais comme une science – et c’est seulement ainsi que le marxisme doit être traité.

Camilo l’homme

Mais ces éléments ne représentent qu’une petite partie de ce qu’était Camilo. Il existe de nombreuses personnes talentueuses et intelligentes qui ne deviendront jamais des dirigeants sérieux. Camilo avait une force d’esprit impressionnante, mais aussi une force de caractère unique. C’est la combinaison de ces deux éléments qui a fait de lui l’homme qu’il était.

Ce qui m’a le plus frappé chez Camilo est son immense humilité. La plupart des gens se représentent les grands hommes comme des personnages plus grands que nature, débordant de grandiloquence et d’assurance. C’est l’image que l’on nous présente souvent à l’école, au cinéma ou à la télévision. Mais cette image fantastique ne correspond pas toujours à la réalité. Ce n’était certainement pas le cas de Camilo – même si c’était un grand homme malgré tout.

Camilo avait un mépris presque organique pour le prestige, quel qu’il soit, surtout lorsqu’il s’agissait de sa propre position. Je n’ai jamais vu Camilo faire preuve d’autorité, hausser le ton ou même manifester de l’irritation à mon égard, même si ma façon de poser des questions le justifiait certainement. Ce type de comportement découle généralement d’un grave manque de confiance en soi, et non l’inverse.

Camilo avait une immense confiance, pas nécessairement en lui-même, mais dans les idées qu’il défendait. Lénine s’opposait à l’idée qu’il était un théoricien, insistant sur le fait qu’il n’était qu’un « publiciste » du marxisme. Camilo se voyait sans doute de la même façon.

Camilo faisait également preuve d’un grand soin dans son travail en tant que membre dirigeant du parti, aussi bien pour les petites que pour les grandes choses. Camilo consacrait autant d’attention à une présentation importante lors d’un événement public qu’à se présenter à l’heure à une réunion de routine de la cellule. Confier une tâche à Camilo, c’était avoir la garantie qu’elle serait réalisée dans les délais et avec finesse, quelle qu’elle soit. C’était un homme sérieux dans son travail, ce qui inspirait la même attitude sérieuse à ceux qui l’entouraient. Il l’a fait en dépit des problèmes de santé mentale qui l’ont tourmenté tout au long de sa vie d’adulte – un fait qu’il a caché à la plupart des gens autour de lui, y compris à moi-même.

Mais Camilo n’était pas quelqu’un de rigide. Au contraire, il avait un riche sens de l’humour que je n’ai jamais rencontré chez personne au même degré depuis lors. La « gauche » d’aujourd’hui présente de nombreuses caractéristiques désagréables, dont l’une est une incapacité totale à trouver de l’humour dans le monde – et surtout en eux-mêmes. Camilo n’était pas comme ça. Sa bonne humeur le rendait sympathique auprès de quiconque se trouvait en sa présence.

Camilo était le plus drôle lorsqu’il parlait d’une déclaration ridicule de Justin Trudeau ou de la dernière bêtise de la bureaucratie du NPD. Je regrette souvent que Camilo n’ait pas vécu pour voir l’élection de Donald Trump, qui aurait été pour lui une source inépuisable de plaisanteries. Le rire de Camilo était toujours explosif et contagieux. C’est l’un des petits détails qui me manquent le plus.

Notre travail continue

Isaac Newton a fait remarquer un jour que « si j’ai pu voir plus loin, c’est que je me tenais sur les épaules de géants ». Dans notre tradition, ce rôle a été joué par des personnalités telles que Marx, Engels, Lénine et Trotsky.

Cependant, il peut être trop facile d’oublier les individus secondaires qui ont défendu leurs idées à travers les âges, souvent sans être acclamés. Ils ont eux aussi joué un rôle dans la préservation des idées, des méthodes et du programme que nous défendons aujourd’hui. Ils font partie de notre héritage au même titre que les géants connus de tous. Nous ne pouvons nous permettre de les oublier.

L’héritage de Camilo peut paraître modeste par rapport à d’autres, mais il n’en est pas moins important. Lui et d’autres ont travaillé à une époque où les forces du marxisme étaient négligeables au Canada. Les pressions exercées pour que nous abandonnions nos idées étaient immenses. Peu de gens auraient eu le courage de tenir le cap dans de telles conditions. Mais Camilo l’a fait.

Ce faisant, Camilo a contribué à initier une nouvelle génération aux idées du marxisme. Je suis fier de me compter parmi eux, même si je suis loin d’être le seul. Il s’est acquitté de cette tâche avec une détermination de fer et sans fanfare. Le résultat est le parti que nous avons aujourd’hui.

Cependant, sa contribution va bien plus loin. Il n’est pas nécessaire d’être quelqu’un de spécial pour enseigner les bases du marxisme. Il faut cependant posséder une certaine habileté pour former des dirigeants. Dans ce domaine, Camilo était sans égal. Aujourd’hui encore, je me demande souvent : « Que ferait Camilo dans cette situation? » Je suis sûr que d’autres camarades qui ont connu Camilo se posent souvent la même question. Tel est l’impact durable d’un véritable dirigeant marxiste.

Camilo n’est plus, mais son impact est plus grand que jamais. Le meilleur hommage que nous puissions lui rendre est de poursuivre son œuvre, c’est-à-dire de construire le PCR et d’ériger une société socialiste libérée du besoin, de la misère et de l’oppression. C’est un avenir dont Camilo ne sera jamais témoin. Mais grâce à lui, c’est un avenir qui, à toutes fins pratiques, nous est garanti.