Cela fait maintenant 10 mois que les travailleurs de l’aluminerie de Bécancour (ABI), en Mauricie, combattent le lock-out imposé par la direction de l’usine. Malgré le courage et la détermination des employés, cette situation ne peut durer éternellement. Pour dénouer l’impasse, le 7 novembre dernier, le nouveau ministre du Travail, de l’Emploi et de la Solidarité sociale, Jean Boulet, a annoncé la reprise des négociations ainsi que la formation d’un nouveau conseil de négociation. Le ministre exige aussi qu’un accord soit conclu d’ici le 30 novembre 2018. Mais la lutte est loin d’être terminée et la solidarité de l’ensemble de la classe ouvrière est plus que jamais nécessaire pour faire pression sur les patrons comme sur le gouvernement québécois.

Rappelons-nous que le 10 janvier dernier, les employés de l’ABI votaient à 80,3 % contre une offre de nouveau contrat de travail présentée par la direction de l’aluminerie. Cette offre imposait un régime de retraite à deux vitesses au détriment des nouveaux travailleurs. Un autre point de litige était le respect de l’ancienneté dans les mouvements de main-d’œuvre, ainsi que le financement du régime de retraite. La direction avait annoncé que cette offre était finale. Face au refus des employés de l’usine, cette dernière a décrété un lock-out le 11 janvier. C’est la direction qui est donc à blâmer pour l’enlisement du conflit qui se poursuit aujourd’hui depuis près d’un an sans aucune réelle avancée.

Sans attendre, la partie patronale a multiplié les attaques et provocations envers les travailleurs. Seulement quelques heures après le déclenchement du lock-out, elle s’est affairée à limiter la marge de manœuvre des lockoutés en se munissant d’une injonction. Non seulement cette injonction limite l’accès à l’usine et les lieux propices à la tenue de piquets de grève, elle impose aussi une limite maximale de 15 piqueteurs. Ensuite, elle n’a pas hésité à recourir aux briseurs de grève pour venir en aide aux cadres qui assurent présentement le maintien d’un tiers de la production habituelle. Après avoir utilisé l’appareil de justice à son avantage, la direction de l’aluminerie n’a pas hésité à contrevenir à la loi anti-briseur de grève pendant des mois sans aucune conséquence légale. Aussi, les lockoutés ont dû faire face à la violence des services de sûreté employés par la direction, qui ont provoqué des échauffourées. Un agent de la firme Gardium a d’ailleurs été arrêté en mai dernier et devra subir un procès pour voies de fait et menace de mort envers un employé de l’usine. Tout cela ne fait que témoigner de la mauvaise foi des patrons qui, par tous les moyens possibles, cherchent à intimider et briser la solidarité des lockoutés.

De son côté, la direction syndicale a tenté plusieurs fois de trouver une solution au conflit. Le 7 février, elle a organisé une manifestation devant l’Assemblée nationale dans le but de pousser le gouvernement québécois à intervenir en vue d’une reprise des négociations. Le 9, les dirigeants du syndicat ont rencontré la ministre du Travail de l’époque, Dominique Viens, qui a fini par nommer, à la fin du mois d’avril un médiateur spécial en la personne de Lucien Bouchard. Ce dernier avait d’ailleurs déjà occupé cette fonction lors d’un conflit précédent à l’ABI en 2011. Cette annonce a suscité un certain enthousiasme chez le syndicat.  Mais la médiation n’a eu aucun effet. En fait, depuis l’arrivée de Me Bouchard, la partie patronale n’a fait preuve d’aucune ouverture et a même formulé des exigences plus sévères que l’offre préalablement rejetée par les travailleurs. Notamment, lors d’une reprise des négociations six mois après le début du conflit, la direction a annoncé qu’elle souhaitait réduire le personnel de l’usine de 20 %. Clément Masse, directeur de la section locale 9700 du Syndicat des Métallos a commenté cet affront en disant qu’il s’agissait d’une forme de vengeance, « comme pour punir les travailleurs ». M. Masse a aussi affirmé que « La médiation nous a permis de voir l’ampleur des nouvelles demandes de l’employeur et on voit que sa volonté de négocier n’est pas là. »

En réalité, les travailleurs de l’ABI ne peuvent pas compter sur le soutien de l’État et ses médiateurs. Lucien Bouchard, qui a repris sa carrière d’avocat après avoir mis fin à sa carrière politique, n’a pas perdu de temps pour aller se mettre au service des grandes entreprises et des patrons. À vrai dire, personne ne saurait douter des intérêts de classe de cet ancien premier ministre, ce signataire du Manifeste pour un Québec lucide, qui a consacré son mandat à couper dans les services publics et à détruire le système de santé, et qui siège aujourd’hui aux conseils d’administration de TC Transcontinental et de l’Association pétrolière et gazière du Québec. C’est d’ailleurs lui qui a proposé au syndicat de se rendre à Pittsburgh, en territoire miné, pour négocier au siège social d’Alcoa, qui possède la majorité des parts de l’usine. Les dirigeants syndicaux sont donc amenés à négocier loin de la pression de leur base, et donc dans des conditions où il est plus facile pour eux de céder face à la pression des patrons.

Le nouveau ministre du Travail, Jean Boulet, a également annoncé qu’il « pense à différents scénarios », n’écartant pas l’idée d’imposer un arbitrage. Il est clair que les travailleurs, dans ce contexte comme dans un autre, ne peuvent pas se fier à l’État et aux tribunaux. En effet, le syndicat avait dénoncé la présence de quelques briseurs de grève à l’usine en avril dernier. Bien que le Tribunal administratif du Travail ait donné raison aux travailleurs sur l’utilisation d’un briseur de grève, plus de six mois plus tard, les audiences du Tribunal ne sont pas terminées encore pour déterminer si oui ou non ABI a employé d’autres briseurs de grève! À l’inverse, les injonctions dont se sont munis les patrons permettent à ces derniers d’attaquer les travailleurs de manière immédiate et de les priver de leurs moyens de pression. C’est la dure réalité sous le système capitaliste : l’État est au service des riches patrons au détriment de la classe ouvrière. Les travailleurs n’avaient certainement pas un allié au gouvernement avec les libéraux de Couillard au pouvoir. Mais  avec l’arrivée au pouvoir de la CAQ, un parti de représentants du milieu des affaires avec à sa tête François Legault, un millionnaire autrefois dirigeant d’Air Transat, on ne peut pas non plus s’attendre à ce que ce gouvernement soit l’ami des lockoutés. C’est pour cette raison les lockoutés devraient maintenir la pression malgré l’annonce de la reprise des négociations.

De nombreux travailleurs n’ont pas hésité à témoigner leur solidarité tout au long du conflit. Les membres de la section locale 7493 des métallos de l’usine Poutres métalliques de Rio Tinto à Sorel ont voté en majorité en faveur de dons récurrents pour contribuer au fonds de grève. Les membres de la section locale 7801 des Métallos de Métallurgie Castech, à Thetford Mines, ont aussi contribué d’autres dons. Cette solidarité représente la principale force dont disposent les travailleurs et elle a été un facteur déterminant pour soutenir les lockoutés pendant cette longue lutte de dix mois. Dernièrement, en réponse à l’intransigeance de la direction et à la complaisance du gouvernement, le syndicat a lancé une pétition adressée aux patrons d’Alcoa dans le but de leur montrer que la population québécoise les appuie. Nous pensons qu’une telle tactique ne pourra avoir un impact notable que si elle est combinée à une mobilisation de masse des travailleurs. C’est la responsabilité de la direction des Métallos et des grandes centrales syndicales de mobiliser les travailleurs de tous les horizons dans une lutte solidaire avec ceux de l’ABI. La victoire obtenue par les travailleurs de l’usine Alma de Rio Tinto Alcan en 2012 est un bon exemple de l’efficacité de ces tactiques. En effet, ce n’est qu’après la manifestation réunissant 8 000 personnes dans la ville d’Alma, une manifestation qui a mobilisé près du tiers de la municipalité de 30 000 âmes, que ces derniers ont eu gain de cause. La victoire de 2012 devrait servir de modèle aux métallos de l’ABI.

Il y a des leçons importantes à tirer de ce lockout. Sous le capitalisme, les patrons n’ont aucun problème à laisser leurs employés sur le trottoir pendant des mois, avec la complicité de l’État, si cela leur permet en bout de ligne de faire des profits. C’est la logique du système capitaliste lui-même qui les pousse à agir de la sorte. Les patrons montrent sans cesse qu’ils ne sont pas capables de faire fonctionner l’économie. Seule la nationalisation des grandes entreprises, le contrôle démocratique par les travailleurs sur celles-ci, et leur gestion dans un plan économique socialiste, permettra de mettre un terme à cette situation. La classe ouvrière, qui produit la richesse et est le véritable moteur de la société, ne devrait pas avoir à craindre le chômage ou les mises à pied. Surtout pas en raison des caprices d’un patronat qui se montre toujours plus gourmand et de moins en moins enclin à faire des compromis.

La lutte des travailleurs d’ABI doit maintenant s’étendre à l’ensemble de la province. Déjà, le 28 novembre aura lieu une grande manifestation en solidarité aux métallos de l’Aluminerie de Bécancour à Montréal. Les camarades de La Riposte syndicale y organisent un contingent socialiste. Nous croyons que l’ensemble du mouvement ouvrier devrait se mobiliser pour cette action. Pour ce faire, la direction de la FTQ de même que celle des autres centrales syndicales devraient lancer un appel à tous leurs syndicats affiliés pour la mobilisation massive de leurs membres, afin de faire pression et trouver une sortie à ce conflit qui dure déjà depuis trop longtemps. D’autres manifestations devraient être organisées, et une grève de solidarité de 24 heures devrait être mise à l’ordre du jour.

La manifestation du 28 novembre peut également être un point de ralliement pour les travailleurs en lutte dans d’autres secteurs de la classe ouvrière, comme les postiers et les employés de la SAQ, pour ne nommer que ceux-là. Nous devons envoyer le message aux politiciens et aux capitalistes que la classe ouvrière est unie dans la lutte, et que nous ne les laisserons plus nous marcher sur les pieds sans répliquer.