Meta, le géant des médias sociaux qui possède Facebook et Instagram, a commencé à bloquer toutes les nouvelles sur ses plateformes au Canada en août. Cette interdiction fait suite à l’adoption par le gouvernement fédéral du projet de loi C-18, la Loi sur les nouvelles en ligne, qui oblige les grandes entreprises technologiques à payer les médias pour les contenus qu’ils utilisent ou réutilisent sur leurs plateformes. Google a également prévu de commencer à bloquer les nouvelles au Canada d’ici la fin de l’année, lorsque la loi C-18 entrera en vigueur. Pour les communistes, le blocage des nouvelles sur les plateformes détenues par des milliardaires souligne la nécessité d’une presse ouvrière indépendante par le biais de la production et de la distribution d’un journal physique.

Fightback/La Riposte socialiste, la section canadienne et québécoise de la Tendance marxiste internationale (TMI), a toujours organisé son activité politique autour de la publication d’un journal régulier. Mais l’importance de pouvoir imprimer notre propre journal est devenue plus évidente que jamais après le blocage des nouvelles par Meta, lorsque notre page Facebook en français a été complètement effacée pour les utilisateurs canadiens. La page de La Riposte socialiste ne contient aucun message ni aucun autre contenu. Les liens vers notre site international In Defence of Marxism ont également été désactivés. Bien que notre page en anglais reste visible sur Facebook au moment de la rédaction de cet article, ce n’est qu’une question de temps avant que cette page ne soit également effacée.

Alors que la crise du capitalisme s’aggrave, la classe dirigeante, qui est totalement incapable de résoudre les problèmes les plus urgents de la société, a de plus en plus recours à la censure contre toutes les voix dissidentes, en particulier celles qui remettent en cause le capitalisme lui-même. La suppression sur les médias sociaux des contenus qui menacent les intérêts des capitalistes a toujours été inévitable. La censure des nouvelles par Meta n’est que l’accident par lequel cette nécessité s’est révélée, pour reprendre l’expression de Hegel.

Heureusement, les marxistes de Fightback/La Riposte socialiste ont dans leur arsenal une arme qui peut résister à la censure des grandes entreprises technologiques : un journal physique. Entièrement financé par nos propres sympathisants, vendu et distribué par nos camarades, le journal agit comme un organisateur collectif et représente notre outil le plus puissant pour construire un parti révolutionnaire de masse capable de mener la classe ouvrière dans le renversement du système capitaliste.

Lutter contre la censure capitaliste

L’idée qu’une organisation communiste puisse vendre un journal est souvent attaquée par de nombreux sectaires à gauche, même par ceux qui se considèrent comme des « marxistes ». Ces attaques reposent toujours sur la prémisse suivante : les journaux seraient dépassés, démodés, une relique désuète du 20e siècle. Pourquoi produire un journal au 21e siècle, demandent ces critiques, alors que tout le monde s’informe sur Internet? Pourquoi ne pas simplement maintenir un site web ou une présence active sur les médias sociaux?

Meta a apporté une réponse fracassante à ces affirmations. Si Facebook était une source majeure de nouvelles pour de nombreux utilisateurs – une enquête menée par Pew Research en 2020 a révélé que 36% des adultes aux États-Unis déclaraient obtenir régulièrement des nouvelles de Facebook –, ce n’est plus une option au Canada. Tous ceux qui, au Canada, s’informaient sur les plateformes Meta doivent désormais se tourner vers d’autres sources. Mais quelles sources? Les médias « grand public » appartiennent à des milliardaires et représentent les intérêts de la classe capitaliste. Cela inclut également les radiodiffuseurs publics tels que Radio-Canada, puisque l’État représente les intérêts de la classe dirigeante. En outre, les riches financent directement des médias d’extrême droite tels que Rebel News.

Pourquoi ne pas passer à d’autres sites de médias sociaux? Ceux-ci appartiennent également à de riches capitalistes, qui détermineront toujours quel contenu est acceptable en fonction de leurs propres intérêts. Il suffit de citer Twitter/X, propriété d’Elon Musk, ce « champion de la liberté d’expression », qui suspend des comptes de gauche et encourage les néo-nazis. Parallèlement, YouTube a censuré, supprimé et démonétisé de nombreux comptes de gauche. Le journaliste Chris Hedges a vu l’ensemble des six années d’archives des émissions qu’il animait disparaître de YouTube. Même le fait d’avoir un site web ne protège pas contre la censure capitaliste, puisque les capitalistes possèdent également les systèmes de gestion de contenu Web, les bureaux d’enregistrement de noms de domaine et les fournisseurs d’infrastructure infonuagique qui dominent le marché. Ces entreprises peuvent couper le service à tout moment.

Comme les marxistes aiment à le dire, on ne contrôle pas ce que l’on ne possède pas. À un certain moment, les milliardaires qui contrôlent les médias ne permettront plus à aucune voix représentant une menace matérielle directe pour leurs intérêts de trouver un auditoire. De la même manière que les lois de retour au travail sont devenues routinières au Canada dès qu’une grève menace de devenir effective, le marteau de la censure s’abattra sur n’importe qui, mais surtout sur les organisations de gauche, dès que leurs idées trouveront un écho suffisant pour menacer la classe dirigeante.

En produisant un journal physique, les révolutionnaires peuvent continuer à s’organiser et à transmettre leurs idées aux travailleurs et aux jeunes, indépendamment de la censure. Bien entendu, dans une situation révolutionnaire ou prérévolutionnaire, l’État capitaliste peut en venir à détruire physiquement la capacité des organisations ouvrières, socialistes et communistes à imprimer un journal. C’est ce qui s’est passé en Russie en 1917, lorsque le gouvernement provisoire a détruit l’imprimerie des bolcheviks, et au Canada pendant la Première Guerre mondiale, après que la révolution d’octobre a déclenché une vague de révolutions dans le monde entier. En 1918, l’État canadien a interdit de nombreuses publications socialistes sous peine d’amende et d’emprisonnement.

Mais comme le disait Victor Hugo, aucune force sur terre ne peut arrêter une idée dont le temps est venu. Comme nous l’avons vu en Russie en 1917, ou en Espagne dans les années 1970, même les régimes les plus tyranniques sont incapables d’empêcher la diffusion d’imprimés révolutionnaires lorsque ces idées correspondent aux besoins des masses, qui trouvent l’ordre existant intolérable et cherchent une issue.

Le journal en tant qu’organisateur collectif

Dans sa brochure « Par où commencer? », publiée en 1901, Vladimir Lénine explique le rôle central d’un journal dans la construction de l’organisation révolutionnaire :

« Le journal ne borne pas cependant son rôle à la diffusion des idées, à l’éducation politique et au recrutement d’alliés politiques. Il n’est pas seulement un propagandiste collectif et un agitateur collectif; il est aussi un organisateur collectif. On peut à cet égard le comparer à l’échafaudage dressé autour d’un bâtiment on construction; il ébauche les contours de l’édifice, facilite les communications entre les différents constructeurs, à qui il permet de répartir la tâche et d’embrasser l’ensemble des résultats obtenus par le travail organisé. Avec l’aide et à propos du journal se constituera d’elle-même une organisation permanente, qui ne s’occupera pas seulement d’un travail local mais aussi général et régulier, habituant ses membres à suivre de près les événements politiques, à apprécier leur rôle et leur influence sur les diverses catégories de la population, à trouver pour le parti révolutionnaire la meilleure façon d’agir sur ces événements. Les problèmes techniques – la fourniture dûment organisée au journal de matériaux, sa bonne diffusion – obligent déjà à avoir un réseau d’agents locaux au service d’un seul et même parti, d’agents en relations personnelles les uns avec les autres, connaissant la situation générale, s’exerçant à exécuter régulièrement les diverses fonctions fragmentaires d’un travail à l’échelle de toute la Russie, s’essayant à la préparation de telle ou telle action révolutionnaire. »

Tous ces éléments sont tout aussi pertinents et applicables pour les révolutionnaires d’aujourd’hui. La production d’un journal régulier oblige les camarades à étudier attentivement l’actualité, à améliorer leurs connaissances et leur compréhension de la politique, à appliquer la théorie marxiste aux besoins pratiques du mouvement et à proposer des revendications transitoires reliant les revendications immédiates des travailleurs et des opprimés à la lutte pour le socialisme.

Nos détracteurs pourraient nous objecter : « N’est-ce pas possible avec une publication purement en ligne? » Mais comme nous l’avons établi, les capitalistes contrôlent les plateformes web et les médias sociaux et peuvent censurer une organisation révolutionnaire à tout moment. Le seul moyen d’assurer la publication de nos idées est un journal imprimé, produit et distribué de manière indépendante.

Un journal ne construit pas seulement l’organisation révolutionnaire : il construit des révolutionnaires, d’une manière qu’aucun site web ou média social ne peut égaler. Il exige des camarades qu’ils vendent le journal en personne : en participant à des rassemblements et à des manifestations, en marchant sur les piquets de grève et en s’adressant directement aux travailleurs et aux jeunes. Le journal offre une incarnation physique de l’organisation révolutionnaire et de son programme. Il pousse les révolutionnaires à sortir de leur zone de confort et les oblige à défendre les perspectives communistes – à « expliquer patiemment », comme le disait Lénine – et à gagner les travailleurs aux idées révolutionnaires.

Pour vendre efficacement le journal, les marxistes doivent avoir une solide connaissance de son contenu, être au fait de l’actualité, comprendre la théorie et être capables de l’expliquer aux autres. Cela signifie intervenir activement dans le mouvement à chaque tournant, proposer les idées marxistes qui peuvent mener les travailleurs et les opprimés à la victoire, et construire une organisation communiste de masse capable de renverser ce système pourri.

Construire le parti révolutionnaire

L’acte de vendre le journal, cependant, conduit à une question fréquente : « Si vous êtes communistes, pourquoi vendez-vous vos journaux au lieu de les distribuer gratuitement? »

Malheureusement, nous vivons toujours en régime capitaliste. L’impression d’un journal nécessite de l’argent et des ressources. En tant qu’organisation marxiste révolutionnaire, nous n’avons pas de commanditaires ou de riches mécènes. Nous dépendons entièrement du financement de nos membres et de nos sympathisants. Les ventes de journaux sont une composante essentielle de ce financement, car elles permettent de couvrir les coûts d’impression. Elles permettent également à l’organisation marxiste d’aller au-delà de ses sympathisants existants pour financer la construction de l’infrastructure du parti révolutionnaire.

Les ventes de journaux permettent de financer les locaux, l’embauche de permanents, l’impression de littérature marxiste et les voyages pour relier les camarades des différentes régions. Les camarades qui vendent le journal doivent également convaincre les travailleurs que le contenu vaut leur argent. Les travailleurs et les jeunes soucieux de changement politique comprendront l’intérêt d’acheter un journal pour aider à soutenir une organisation révolutionnaire. Le fait de payer pour un journal fait que celui qui l’achète sera plus enclin à le lire. D’un autre côté, donner un journal gratuitement à quelqu’un ne demande aucun effort, aucune connaissance, ni aucune compétence en matière d’agitation. Pour convaincre quelqu’un de payer un journal, il faut le convaincre de la valeur des idées révolutionnaires.
En organisant son activité politique autour de la publication et de la distribution d’un journal révolutionnaire, la TMI s’inscrit dans une fière tradition communiste, des bolcheviks au Black Panther Party en passant par la tendance Militant en Grande-Bretagne. Pour paraphraser Lénine, sans journal révolutionnaire, il ne peut y avoir de mouvement révolutionnaire. Plutôt que de nous laisser à la merci de milliardaires qui contrôlent l’accès aux médias traditionnels et sociaux, nous construisons une presse ouvrière indépendante basée sur les idées du marxisme. Les journaux physiques sont le seul moyen de garantir un journalisme révolutionnaire par la classe ouvrière, pour la classe ouvrière. Nous vous invitons à soutenir la construction d’un parti révolutionnaire en nous rejoignant et en prenant un abonnement de solidarité à Fightback et à La Riposte socialiste.