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Le recours à l’arbitrage obligatoire est devenu une habitude dans le mouvement syndical canadien. Tout comme les patrons et leurs gouvernements ont maintenant le réflexe d’adopter une loi spéciale de retour au travail dès qu’une grève menace de devenir efficace, les dirigeants syndicaux sont de plus en plus prompts à demander l’arbitrage obligatoire. Les lois spéciales de retour au travail et l’arbitrage obligatoire ont tous deux le même résultat : enlever les travailleurs des piquets de grève et les renvoyer au travail, leur retirant ainsi le pouvoir de prendre des décisions importantes sur leur vie pour le remettre entre les mains d’avocats en coulisse.

Un coup d’œil aux récents conflits de travail au Canada montre à quel point l’arbitrage obligatoire est devenu courant. L’exemple récent le plus marquant est le lock-out du Canadien Pacifique, lorsque les dirigeants des Teamsters ont accepté de retourner au travail et de se soumettre à l’arbitrage obligatoire après que le gouvernement fédéral ait menacé d’adopter une loi de retour au travail. En Nouvelle-Écosse, le syndicat représentant les professeurs et les bibliothécaires en grève de l’Université Sainte-Anne a demandé l’arbitrage obligatoire en avril pour mettre fin à un arrêt de travail qui avait duré six semaines. En Ontario, les dirigeants du SEFPO ont annulé une grève des professeurs de collège qui devait commencer le 18 mars 2022 après avoir accepté l’arbitrage obligatoire.

Dans le cadre de l’arbitrage obligatoire, les conflits du travail sont soumis à une partie supposée « neutre » qui entend les arguments des deux parties. L’arbitre prend ensuite une décision sur ce qu’il adviendra des salaires, des avantages et des conditions de travail des travailleurs, décision qui est juridiquement contraignante.

Les travailleurs doivent s’opposer à l’arbitrage obligatoire, à la fois par principe et parce qu’il ne fonctionne pas, du moins pas pour les travailleurs de la base. En principe, l’arbitrage obligatoire est une violation totale du droit démocratique des travailleurs à décider de leur propre convention collective. Au lieu d’un conflit basé sur la libre négociation entre les travailleurs et les employeurs, l’arbitrage obligatoire envoie le conflit à un groupe d’avocats – l’avocat du syndicat, l’avocat des patrons, l’avocat servant d’arbitre « neutre » – pour décider de ce qui est un accord « équitable ».

Dans leur grande majorité, ces avocats et bureaucrates finissent par se ranger du côté du patron. Comme nous l’avons déjà écrit :

« L’arbitrage n’est pas du tout neutre et se fonde sur les lois et les normes du travail du système capitaliste. Dans la majorité des cas, les arbitres se rangent du côté des patrons, plutôt que des travailleurs […] Les arbitres peuvent se sentir obligés de donner 1% ici ou là, mais en fin de compte, l’arbitrage est un moyen pour les patrons d’éloigner leurs employés des piquets de grève et de les renvoyer au travail, tandis que leur sort est réglé par des avocats et des bureaucrates sans visage. »

Pour les marxistes, les conditions matérielles déterminent la conscience. Les dirigeants syndicaux qui gagnent des salaires à six chiffres et bénéficient d’une série d’autres avantages dont ne dispose pas la base auront tendance à adopter une mentalité différente de celle de ceux qu’ils représentent. Le scandale de corruption impliquant l’ancien dirigeant d’Unifor, Jerry Dias, montre comment les bureaucrates syndicaux peuvent gagner beaucoup d’argent grâce à la corruption, qu’elle soit légale ou illégale. Les bureaucrates syndicaux qui s’en sortent bien par rapport au membre moyen du syndicat sont peu disposés à faire des vagues. Pour les travailleurs confrontés à des attaques, menacer de faire grève et y donner suite si nécessaire est le seul moyen de défendre leurs salaires et leurs avantages. Mais pour ces mauvais dirigeants syndicaux, les grèves constituent une nuisance à leur existence autrement confortable et ils ont toutes les raisons de ne pas se battre.

Pour cette raison, les bureaucrates syndicaux se tournent souvent vers l’arbitrage obligatoire. Ce réflexe découle d’une perspective de collaboration de classe, qui est devenue dominante parmi les syndicats, en particulier pendant l’après-guerre. Dans cette période de capitalisme florissant, les employeurs pouvaient se permettre de jeter quelques miettes à leur main-d’œuvre. Aujourd’hui, cependant, le contexte des luttes syndicales est très différent. Aujourd’hui, le capitalisme est embourbé dans la crise et exige des coupes. La seule façon de stopper les coupes et les attaques des patrons et d’obtenir des gains réels pour les travailleurs est la lutte collective.

Une vague de grèves récentes aux États-Unis apporte des preuves claires de ce point de vue. En avril, les enseignants de Minneapolis se sont mis en grève pour la première fois en 50 ans et ont obtenu des concessions de la part du district scolaire sur toutes leurs revendications. En mars, plusieurs centaines de travailleurs de Kellogg’s à Kansas City ont obtenu des augmentations de salaire de plus de 15% après avoir fait grève pendant près de trois mois. L’année dernière, plus de 10 000 travailleurs de John Deere dans cinq États ont fait grève pendant un mois et ont obtenu des augmentations de 10% et de meilleurs avantages sociaux. Les travailleurs auraient-ils obtenu ces gains s’ils n’avaient pas fait grève et s’étaient plutôt tournés vers l’arbitrage obligatoire? Poser la question, c’est y répondre. Pour se défendre et gagner, les travailleurs doivent être prêts à faire grève.

Nos propos ne devraient pas être interprétés de manière ultra-gauchiste. Soyons clairs : personne ne veut faire la grève. Aucun travailleur ne veut sacrifier son salaire et tenir un piquet de grève pendant des jours, des semaines ou des mois sans garantie de victoire. Mais que se passe-t-il lorsque le patron réduit vos salaires, vos pensions et vos avantages sociaux? Que se passe-t-il lorsque l’inflation érode votre niveau de vie? Si les leaders syndicaux signalent qu’ils ne sont pas prêts à se battre, quelles que soient les conditions, les patrons seront heureux de réduire les salaires et les avantages sociaux et les conditions de vie des travailleurs continueront à se dégrader.

Comme le dit le vieil adage : « Si tu veux la paix, prépare la guerre. » Mais si les dirigeants syndicaux laissent entendre qu’ils ne se battront pas, quelles que soient les conditions, les travailleurs perdront progressivement tous les gains qu’ils ont obtenus dans le passé – des gains conquis, nous le rappelons à nos lecteurs, au prix d’une lutte acharnée. Les patrons n’ont pas fait de concessions telles que le week-end, la journée de travail de huit heures, le salaire minimum, la fin du travail des enfants, etc. par pure bonté d’âme. Ils l’ont fait parce que les travailleurs se sont battus pour ces choses; parce que les travailleurs étaient prêts à recourir au seul outil dont nous disposons pour nous défendre, notre capacité à retenir notre force de travail.

Aucune menace n’est crédible si l’on n’est pas prêt à la concrétiser par des gestes. Personne ne veut faire grève, mais nous devons être prêts à le faire si nécessaire. Si les travailleurs ne sont pas prêts à faire grève, nous ne pouvons nous attendre qu’à des coupures et des attaques. La faiblesse invite à l’agression. La logique même du capitalisme signifie que les employeurs exploiteront les travailleurs et profiteront de leur faiblesse partout où ils le pourront pour maximiser leurs profits. Il n’y a pas de terrain d’entente lorsque les travailleurs et les patrons ont des intérêts mutuellement antagonistes. Il ne s’agit pas d’être « raisonnable ». C’est une question de pouvoir – le pouvoir des travailleurs contre le pouvoir des patrons.

Bien sûr, les grèves ne se font pas du jour au lendemain. Nous devons avoir des discussions au sein du mouvement syndical et encourager nos collègues à s’approprier leurs propres syndicats, leurs lieux de travail et leurs grèves. Une grève réussie commence lorsque les travailleurs voient que la seule façon de mettre fin aux attaques contre les conditions de travail est de se mettre en grève, puis débattent et acceptent démocratiquement cette ligne de conduite.

La transparence et la reddition de comptes sont essentielles à la démocratie des travailleurs, ce qui exige des négociations ouvertes en cas de grève ou de lock-out. Informez les travailleurs de ce qui est discuté entre le syndicat et l’employeur, et laissez les décider! Cela signifie que les travailleurs devraient pouvoir assister aux négociations s’il y a suffisamment de place. Cela signifie que les négociateurs syndicaux devraient rédiger des rapports réguliers sur ce qui est discuté et les présenter aux réunions des membres. Les membres de la base du syndicat devraient avoir le droit d’interroger régulièrement leurs représentants et de voter sur le maintien ou non de la stratégie.

La réussite des travailleurs américains en grève dans l’obtention de salaires plus élevés montre la voie à suivre. Pour lutter contre les attaques et l’érosion du niveau de vie par l’inflation, nous devons rejeter l’arbitrage obligatoire et faire revivre les traditions syndicales combatives du passé. Les travailleurs ne doivent pas accepter l’arbitrage obligatoire, et les dirigeants syndicaux doivent cesser de proposer et de soutenir l’arbitrage obligatoire comme moyen de désorganiser la lutte.

La lutte pour de meilleurs salaires et conditions de travail est en fin de compte une lutte contre le capitalisme lui-même. L’arbitrage obligatoire désarme les travailleurs dans cette lutte. La seule façon d’améliorer le niveau de vie des travailleurs est la lutte de classe, et la seule façon de rendre ces améliorations permanentes est de lutter pour la transformation de la société – lutter pour le socialisme. Le rejet de l’arbitrage obligatoire est le premier pas que les travailleurs doivent faire pour raviver ce combat et gagner.