Le Québec vit actuellement une réforme majeure de son système de santé. Le processus de destruction du système public amorcé dans les années 80 prend de la vitesse avec la réforme Barrette. Sous prétexte d’améliorer l’accès aux soins, d’optimiser les structures, et d’accroître l’efficacité du réseau, le ministre de la Santé et des Services sociaux Gaétan Barrette prépare en fait le terrain pour la privatisation de celui-ci. Mise en œuvre grâce aux projets de loi 10 et 20 (maintenant adoptés et sanctionnés), la stratégie du gouvernement libéral se décline en deux volets. D’abord, pour faire avaler aux travailleurs québécois la pilule de la privatisation, ce gouvernement au service des plus riches y va tranquillement, en octroyant des morceaux du système de santé au privé pièce par pièce. Ensuite, pour obtenir la privatisation du reste, le plan de Barrette consiste à saboter le système public au point de le rendre encore moins attrayant aux yeux du public qu’un système privé.

Barrette à l’assaut du système public

En février 2015, l’Assemblée nationale adoptait le projet de loi 10, ayant comme effet de modifier profondément la structure du système de santé. Jusqu’alors, celui-ci était organisé en Centres de santé et de services sociaux (CSSS) et autres établissements (centres hospitaliers universitaires, centres de réadaptation, centres jeunesse, etc.), dont l’encadrement était confié aux Agences régionales de santé et de services sociaux (ARSSS). Le PL10 vient abolir les ARSSS et les fusionner aux CSSS et autres établissements de leur région, afin de créer des méga Centres intégrés de santé et de services sociaux (CISSS). Le nombre de CSSS passe ainsi de 182 à 33. Le ministre Barrette prétend pouvoir sauver 220 millions de dollars par année grâce à cette structure simplifiée, notamment en élaguant le personnel de gestion de près de 1300 cadres. L’abolition des ARSSS signifie par ailleurs la disparition d’un palier décisionnel et par conséquent la concentration de leurs pouvoirs entre les mains du ministre. Notamment, le pouvoir d’allocation des budgets lui appartient maintenant complètement. Considérant que le ministère de la Santé et des Services sociaux occupe près de 40% des dépenses de l’État, c’est un pouvoir considérable qui lui est accordé.

Par ailleurs, le ministre s’occupe maintenant de nommer les membres des conseils d’administration des mégastructures. Les anciens CA étaient composés en grande partie de représentants des différents professionnels (médecins, infirmières, sages-femmes, pharmaciens), et étaient donc considérés comme trop proche des employés. Les CA réuniront maintenant majoritairement des « membres indépendants », nommés par le ministre. La Fédération des chambres de commerce du Québec (FCCQ), compas assez fiable de l’opinion des patrons québécois, « ose croire que le ministre saisira alors l’occasion d’inviter davantage d’entrepreneurs à siéger aux conseils d’administration ». Nous n’avons pas de doute que leur souhait sera exaucé.

Le PL10 constitue une manne pour l’entreprise privée. Premièrement, parmi les nouveaux pouvoirs conférés au ministre, on retrouve la possibilité d’obliger un établissement à avoir recours au privé pour son approvisionnement en biens et services. La FCCQ, qui saluait le PL10 dans son mémoire présenté en commission parlementaire, y rappelait aussi que des services comme la logistique, l’entretien ménager, les services informatiques, la gestion du parc immobilier, les chirurgies d’un jour et l’hébergement et les soins de longues durées « pourraient être fournis par le secteur privé ». Le message envoyé au ministre est assez clair. Il faut donc prévoir une sous-traitance accrue de ces services. Deuxièmement, en plus de vraisemblablement faire augmenter la taille du gâteau pour le secteur privé, le PL10 le divise en parts plus grosses. En effet, la fusion des structures fait en sorte d’augmenter la taille des contrats à distribuer au privé. On peut donc s’attendre à une pression accrue et des tentatives de corruption plus agressives de la part des entreprises privées pour obtenir leur part du gâteau.

Finalement, le PL10 établit fermement les cliniques privées comme partenaires du système de santé. En effet, à travers les articles 77 et suivants, le plein pouvoir est accordé au ministre de la Santé de conclure et de signer des contrats avec des cliniques privées afin de répondre aux besoins en services de santé spécialisés dans la population. Avec ces contrats, les cliniques privées, autrefois marginales, ne sont désormais plus seulement considérées comme des sous-traitants du système public, mais sont devenues bel et bien « associées » au réseau de santé public sous le titre de cliniques médicales associées (CMA). D’après la nouvelle loi, un CISSS (dont le conseil d’administration est composé en majorité de gens nommés par le ministre, rappelons-le) peut directement proposer au ministre d’avoir recours à une CMA pour la prestation de soins spécialisés lorsque sa population desservie fait face à des besoins auxquels ses services ne réussissent pas à répondre. La décision d’accorder le contrat appartient ensuite entièrement au ministre. En faisant partie intégrante des CISSS, les CMA pourront plus facilement recevoir la clientèle du réseau public afin « d’améliorer l’accessibilité aux soins ». En d’autres mots, il s’agit d’une véritable porte ouverte au développement des cliniques spécialisées au privé, qui pourront désormais avoir accès à une clientèle beaucoup plus large en récupérant les services qui auront été réduits ou coupés par le même ministre!

Légalisation d’un système à deux vitesses

Quant au Projet de loi 20, son effet le plus notable est la légalisation des frais accessoires. Les cliniques ont comme pratique depuis de nombreuses années de facturer des frais supplémentaires aux patients pour certains services qui nécessitent l’utilisation d’un équipement non couvert par la RAMQ. Certains médecins en profitaient pour réclamer aux patients des frais supérieurs à ce qu’il leur en coûtait vraiment, réalisant ainsi un profit en plus de leur rémunération par l’État. Ces frais accessoires sont maintenant encadrés, mais par la même occasion légalisés par le PL20. Cette pratique, qui va pourtant à l’encontre de la Loi canadienne sur la santé, a pour effet de créer un système à deux vitesses, où les Québécois plus fortunés ont accès à des services en clinique plus rapidement et avec des équipements plus modernes, moyennant une certaine somme. Parallèlement, les travailleurs et les pauvres languissent sur les files d’attente interminables du système public. Ce serait 50 millions de dollars qui seraient ainsi empochés par des cliniques privées chaque année à titre de frais accessoires.

Le ministre Barrette a depuis l’adoption de la loi joué à l’anguille, affirmant d’abord qu’il voulait abolir tous les frais accessoires, sans établir d’exception par règlement comme c’est le cas actuellement. Depuis, il a fait volte-face et refuse maintenant d’abolir le règlement permettant d’encadrer les frais accessoires, et n’a pas été capable de confirmer que tous les frais accessoires seront abolis. En effet, il n’y a pas vraiment de raison pour le ministre de complètement les interdire : cela voudrait dire devoir étendre la couverture de l’assurance publique à de nouveaux services. Les lacunes de la loi en termes de services couverts font plutôt l’affaire des cliniques privées qui se retrouvent de facto à être les seules à offrir les services que la loi n’avait su prévoir.

Attaques sur le personnel

Un autre aspect inquiétant des bouleversements se produisant dans le milieu de la santé est la forte pression mise sur les employés à tous les niveaux. Autant les services administratifs que les professionnels, les gestionnaires, etc. subissent ces attaques qui sont menées sur plusieurs fronts. Bien que le sort de bureaucrates surpayés ne soit pas de nature à nous faire verser une larme, la pression mise sur les gestionnaires constitue une forme de sabotage.

D’un côté, les modifications qu’amène le PL10 déstabilisent les liens entre les professionnels et les gestionnaires qui ont été déplacés et/ou mutés lors de la création des CIUSSS. Une répercussion importante est que les gestionnaires travaillent désormais dans plusieurs installations. Ainsi, selon l’Association des gestionnaires en santé et services sociaux du Québec (AGESS), 45% des gestionnaires doivent diriger des employés répartis sur plus de cinq installations, ce qui occasionne une énorme perte de temps pour les déplacements et fait en sorte de réduire leurs contacts avec chaque installation. Ceci s’observe plus particulièrement dans les régions, où les établissements s’étendent sur un grand territoire, comme au Saguenay-Lac-Saint-Jean, où les gestionnaires se décrivent comme « démotivés ». De plus, la réorganisation a entrainé une centralisation des prises de décisions à l’échelle des hauts gestionnaires, réduisant ainsi le pouvoir qu’ont les travailleurs cadres à l’intérieur des installations. Cette centralisation fait en sorte que des délais sont créés dans l’attribution des ressources et, conséquemment, provoque des pénuries à divers paliers qui affectent fortement l’ensemble du personnel.

Et il n’y a pas seulement les prises de décisions qui ont été centralisées, mais aussi tout ce qui concerne les services aux employés à l’intérieur des nouveaux établissements, comme le service de la paie, les ressources humaines, etc. Cela signifie d’importantes relocalisations et coupures à l’échelle administrative. Par exemple, dans l’ouest de l’île de Montréal, l’ensemble des dossiers des 10 000 employés seront désormais traité par un seul service de santé et sécurité au travail, un seul service de relations de travail, etc. Dans le contexte de réforme actuel, ceci n’a pas réellement comme objectif de rendre le système plus efficace, mais de saboter en accroissant les délais qui affecteront bien sûr les travailleuses et travailleurs.

Par ailleurs, les coupures budgétaires massives imposées au système de santé constituent non seulement une attaque contre l’ensemble des travailleurs, mais une attaque contre le personnel de la santé, ce qui nuit en retour à la qualité des soins. En effet, les gestionnaires se voient imposer de respecter un budget qui est souvent inférieur aux besoins de leur milieu. Encore en mars 2016, lors du dépôt du budget, on apprenait que de nouvelles compressions de 247 millions allaient être faites en santé après avoir déjà coupé 669 millions au cours des deux années précédentes. Ceci se répercute évidemment sur les travailleurs qui font face à des coupures dans le personnel et dans le budget de leur département et qui doivent ainsi se soumettre à une augmentation de leur charge de travail. Cela s’observe aussi bien dans les milieux hospitaliers que dans les groupes communautaires et les centres d’hébergement. En novembre 2015 par exemple, ce sont 12 postes qui étaient abolis à l’hôpital de Maria en Gaspésie suite à la fermeture de 10 des 24 lits de l’unité de chirurgie. Dans le Bas St-Laurent, ce sont 118 postes qui ont été abolis cette année. Ce ne sont que des exemples parmi tant d’autres, mais le résultat est le même à grande échelle. Les emplois dans le système de santé public sont de plus en plus précaires, et pour compenser les fermetures de poste, les professionnels-les de la santé doivent s’attendre à composer avec une surcharge de travail et à être davantage sollicités pour faire des heures supplémentaires.

Ainsi, il n’est pas surprenant d’observer de plus en plus de colère et d’épuisement chez les travailleuses du système de santé public. La CSN rapporte d’ailleurs une hausse de 50% du nombre d’absences pour cause de maladie et une hausse de 30% de la prise de médicaments dans la dernière année. Ceci ne peut que refléter toute la détresse qui se vit à l’intérieur du réseau suite aux attaques faite par le gouvernement.

Sans oublier que tous ces coups sont arrivés en même temps que les négociations pour le renouvellement des conventions collectives, où le gouvernement a lancé une offensive en s’attaquant aux salaires, aux avantages sociaux, aux fonds de pension ainsi qu’à la stabilité d’emploi. Les nouvelles conventions collectives pour 2015-2020 commencent finalement à être officialisées après une chaude lutte où les travailleurs-euses du système public se sont mobilisés par milliers afin de se défendre. Les syndicats se disent majoritairement satisfaits des gains faits lors des négociations et par le fait même, passent sous silence que l’âge de la retraite va désormais être à 61 ans et qu’en salaire réel les employés du secteur public continueront de s’appauvrir.

Un saccage tranquille

En fait, loin d’être un phénomène nouveau, la réforme ne fait que poursuivre une tendance bien amorcée de démantèlement du réseau public. Pour mieux la comprendre, il convient donc de retracer le parcours suivi par le système de santé public québécois depuis ses débuts.

Le système de santé public québécois a pris naissance vers la fin du boom d’après-guerre, de façon embryonnaire en 1961 avec l’adoption de la Loi sur l’assurance-hospitalisation, puis dans sa version moderne en 1971 avec l’adoption de la Loi sur l’assurance maladie, qui créait le système des CLSC, assurait une vaste couverture des soins de santé et prenait en charge la rémunération des médecins. Cette grande victoire pour les travailleurs a été gagnée de chaude lutte, à une époque d’intense lutte des classes; l’année suivante, plus de 200 000 travailleurs du Front Commun faisaient grève dans le plus vaste mouvement de lutte sociale de l’histoire du Québec.

Toutefois, dès les années 80, les patrons et les banquiers, par le biais de l’État, commencèrent à reprendre leurs concessions, notamment en faisant sortir de la couverture publique une partie des services, comme les soins de la vue et les soins dentaires. Durant les années 90, la part de financement de la santé par le biais des transferts fédéraux aux provinces pour la santé diminue gravement. Toutefois, c’est sous le gouvernement péquiste de Lucien Bouchard que la saison de la chasse s’ouvre. En 1996, le père du « Déficit zéro » organise une mascarade tripartite sous la forme de la Conférence sur le devenir social et économique du Québec, au cours de laquelle les dirigeants syndicaux cautionnent honteusement le programme d’austérité qui leur est proposé par le gouvernement et les représentants du patronat. S’en suivront notamment des coupes massives dans le système de santé, la fermeture de plusieurs hôpitaux, la réduction des lits disponibles en établissement et un départ à la retraite anticipé pour 18 000 travailleurs de la santé, dont 4000 infirmières, entrainant une pénurie de main-d’œuvre et l’explosion des listes d’attentes. Une première privatisation déguisée est alors opérée, alors que certains services et soins sont confiés aux organismes communautaires, ceux-ci ayant comme « avantage » d’embaucher un personnel moins bien rémunéré.

À partir de 2003, le gouvernement libéral de Jean Charest, avec comme ministre de la Santé l’actuel Premier ministre Philippe Couillard, entreprend une vaste « réingénierie de l’État ». Celle-ci consiste en une modification de l’organisation et du mode de gestion de l’État, afin de le rapprocher du modèle managérial de l’entreprise privée. Les modifications au réseau de la santé, visant officiellement à rapprocher les services de la population et améliorer l’accès au système de santé, entraînent notamment la fusion des hôpitaux, CHSLD et CLSC pour former des Centres de santé et de services sociaux (CSSS). En 2010, un rapport d’évaluation du ministère de la Santé et des Services sociaux constatait timidement l’échec de ces mesures.

La lente privatisation se poursuit, avec en 2006 la levée de l’interdiction pour les assureurs privés de couvrir des services de santé offerts par le réseau public et le droit donné aux cliniques privées d’offrir certaines chirurgies (cataractes, remplacement d’une hanche ou d’un genou). Le projet de loi 33, adopté et sanctionné en décembre 2006, confère la possibilité aux centres hospitaliers de s’associer à des cliniques privées (les fameuses CMA) afin de leur sous-traiter certains soins spécialisés. En 2007, les médecins obtiennent le droit de s’incorporer, avec les avantages fiscaux et légaux que cela entraîne. Puis, en 2010, les libéraux introduisent l’odieuse « taxe santé » de 200$ sans égard au revenu (à l’exception des ménages les plus pauvres), donc régressive. Parallèlement à ces changements, le système de santé public se transforme en une manne pour les entreprises privées, alors que le réseau de la santé confie une partie de ses besoins accessoires au privé, par exemple en sous-traitant une partie de sa gestion, de l’entretien, de la buanderie, de l’alimentation, etc., ou en ayant recours à des partenariats public-privé pour la construction d’hôpitaux.

L’extension de la sous-traitance, les changements de structures irrationnels et les avantages un par un accordés aux cliniques privées ne sont donc pas des phénomènes nouveaux. Au contraire, on constate que la réforme Barrette ne fait que poursuivre une tendance bien amorcée depuis les années 80. Le système de santé public a commencé à subir des assauts seulement dix ans après sa naissance, et ces assauts se sont poursuivis jusqu’à aujourd’hui. Les attaques ont toutefois maintenant ceci de particulier qu’elles s’inscrivent dans un contexte de crise profonde du capitalisme, ce qui explique leur ampleur.

L’État-Providence, une anomalie

En effet, sous le capitalisme, les concessions accordées aux travailleurs ne sont jamais que temporaires. La création de l’État-Providence au Québec comme ailleurs dans les pays capitalistes avancés fut rendue possible grâce à un contexte historique très particulier. Le boom économique d’après-guerre dû à la reconstruction de l’Europe et au développement des marchés à l’échelle planétaire, conjugué à la menace d’une contagion communiste et à l’émergence d’une classe ouvrière puissante, donnait aux capitalistes à la fois la marge de manœuvre pour accorder des réformes et la motivation d’étouffer la contestation dans l’œuf en accordant une partie des revendications des travailleurs. Or, le capitalisme est un modèle économique où la prochaine crise n’est jamais bien loin, et le boom économique finit par s’épuiser. Cette période de vastes réformes en faveur des travailleurs, loin d’être la norme, constitue une anomalie dans l’histoire du capitalisme.

Or, la crise économique ayant éclaté en 2007-2008 possède une ampleur et une profondeur encore inégalées. Alors que les pays ayant été frappés à l’époque peinent à se remettre sur pieds, affichant aujourd’hui des taux de croissance anémiques justifiant à peine de parler de reprise, d’autres comme le Canada, ayant été jusqu’ici épargnés, sombrent à leur tour. En vérité, les capitalistes sont incapables de trouver une solution pour sortir de la crise. Dans ce contexte d’économie au point mort, les capitalistes cherchent à ce que les dettes publiques, qu’ils ont financées, leur soient remboursées au plus vite, et cherchent réinvestir les marchés abandonnés à l’État-Providence. L’austérité et la privatisation visent exactement à remplir ces deux objectifs.

Les motifs des docteurs Couillard et Barrette ne sont d’ailleurs qu’un secret de polichinelle. L’actuel Premier ministre, qui avait démissionné de son poste de ministre de la Santé en 2008 pour se joindre à Persistence Capital Partners, une firme d’investissement privé en santé, plaidait quelques mois après sa démission pour l’ouverture au privé en santé. Toutefois, il n’est pas possible pour eux de recourir directement à la privatisation. La Loi canadienne sur la santé pose comme condition au versement de transferts fédéraux en santé vers les provinces le maintien par celles-ci du caractère public du système de santé. Or, le transfert canadien en matière de santé versé au Québec pour 2016-2017 s’élève à 8,3 milliards de dollars, soit environ 8% des revenus du gouvernement. Une privatisation brusque viendrait réduire soudainement considérablement le budget de l’État québécois. Surtout, elle provoquerait un mouvement fulgurant des travailleurs québécois, qui pourrait prendre des proportions et une direction dangereuses pour la bourgeoisie. Il est beaucoup plus simple et politiquement prudent d’éroder progressivement le système.

Ainsi, la classe dirigeante prépare la privatisation, jouant ses cartes une à une, avec un ministre surpuissant comme croupier. D’abord, les coupes dans le personnel, la surcharge de travail imposée aux employés, la gestion irrationnelle des attributions de postes de même que les changements de structures perpétuels, inefficaces et incompréhensibles constituent un sabotage volontaire du système. Ensuite, les CA sont remplis d’ « administrateurs indépendants », c’est-à-dire de bureaucrates prêts à suivre avec diligence l’agenda de la bourgeoisie. Puis, alors que la sous-traitance de l’approvisionnement du système de santé en biens et services ainsi que la construction d’hôpitaux constituent des marchés déjà bien lucratifs et investis par le grand capital, ce dernier attend patiemment de pouvoir investir la médecine en tant que telle. L’incorporation des médecins, la fin de la couverture publique de certains soins et la légalisation de la couverture privée, la légalisation des frais accessoires, le transfert de patients vers les CMA, tout cela vise à tranquillement pousser la médecine hors du système public et éventuellement adoucir le passage au privé. Il ne restera bientôt plus aux grandes entreprises qu’à se pencher pour ramasser le système comme un fruit pourri.

Dans le contexte économique actuel, tous les acquis des luttes passées sont menacés. Il n’existe pas de telle chose qu’une « vache sacrée ». Le système de santé, Hydro-Québec, la SAQ, etc., constituent des mines d’or et il ne fait aucun doute que la bourgeoisie a toujours eu l’intention de remettre la main dessus un jour ou l’autre. Le contexte de crise lui donne toutefois une impulsion supplémentaire pour passer à l’action. Si nous ne faisons rien pour l’en empêcher, ce n’est qu’une question de temps avant qu’elle nous retire chacune des miettes de réformes qui rendent la vie au Québec un peu moins pénible pour les travailleurs et les pauvres. Capitalisme et austérité vont main dans la main, et tant que nous ne nous serons pas débarrassés une fois pour toute de ce système économique désuet, nous aurons constamment à nous battre pour garder des conditions de vie le moindrement tolérables. Le socialisme est nécessaire pour mettre en place un système de santé efficace, réellement universel et gratuit.

Les mouvements étudiant et ouvrier connaissent un recul actuellement, suite au faux départ donné par le leadership inavoué de « Printemps 2015 » et à la capitulation des dirigeants syndicaux lors de la dernière négociation collective dans le secteur public en automne. Toutefois, les travailleurs-euses et les jeunes reprendront inévitablement la lutte un jour ou l’autre. Les attaques constantes contre nos niveaux de vie et conditions de travail vont finir par provoquer une riposte. Pour réellement mener à une victoire, toutefois, il faut une direction combative qui ne va pas baisser les bras devant l’État et qui comprend que l’époque des compromis est terminée. Cela signifie une direction qui comprend que l’austérité et le capitalisme sont inextricablement liés et que le gouvernement est à la solde des banquiers et des patrons : une direction socialiste. Nous devons construire ce leadership révolutionnaire dès aujourd’hui.