Scandales sexuels chez Hockey Canada : la pourriture au cœur de la planète hockey

La fédération Hockey Canada est plongée au cœur de scandales sexuels. Les détails qui sortent depuis des semaines sont de plus en plus sordides. Le 22 juillet, une nouvelle allégation de viol collectif visant l’édition 2003 d’Équipe Canada junior a été rendue publique. Cela s’ajoute à une histoire similaire visant l’équipe de 2018 qui a été dissimulée par Hockey Canada. Ces cas montrent que la violence sexuelle imprègne profondément la culture du hockey. Et plus encore, comme dans toute autre business, les profits, les réputations, la protection des vedettes qui font rentrer l’argent passent avant la lutte contre les agressions. Le capitalisme et la violence sexuelle vont main dans la main.

  • Julien Arseneau
  • jeu. 28 juill. 2022
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La fédération Hockey Canada est plongée au cœur de scandales sexuels. Les détails qui sortent depuis des semaines sont de plus en plus sordides. Le 22 juillet, une nouvelle allégation de viol collectif visant l’édition 2003 d’Équipe Canada junior a été rendue publique. Cela s’ajoute à une histoire similaire visant l’équipe de 2018 qui a été dissimulée par Hockey Canada. Ces cas montrent que la violence sexuelle imprègne profondément la culture du hockey. Et plus encore, comme dans toute autre business, les profits, les réputations, la protection des vedettes qui font rentrer l’argent passent avant la lutte contre les agressions. Le capitalisme et la violence sexuelle vont main dans la main.

Dissimulation

En mai dernier, il a été rendu public que Hockey Canada avait réglé sans bruit un cas de viol collectif impliquant huit joueurs de l’édition 2017-2018 d’Équipe Canada junior. Le viol s’est produit lors d’un gala de la fédération en juin 2018. Un joueur aurait eu une relation sexuelle avec la victime, puis invité sept de ses coéquipiers à agresser la jeune femme. Ils l’auraient ensuite filmée et incitée à dire qu’elle était sobre, puis lui auraient demandé de ne pas aller voir la police. La victime réclamait 3,55 millions de dollars en dommages; un mois à peine après le dépôt de la plainte, le 20 avril dernier, l’affaire a été réglée en privé par Hockey Canada. 

Depuis ces premières révélations, les dirigeants de Hockey Canada ont comparu devant le comité Patrimoine de la Chambre des communes, se ridiculisant au passage. Il appert qu’une enquête avait été commandée à une firme d’avocats à l’époque en 2018, mais qu’aucun joueur n’avait été forcé de témoigner! Sans surprise, l’enquête n’a mené à rien. Mais maintenant que les huit joueurs allaient être poursuivis par la victime, Hockey Canada s’est empressé de sortir le chéquier pour s’assurer que l’affaire soit dissimulée et ne fasse aucun bruit. Le contraste entre la vitesse et les ressources consacrées à protéger les jeunes super-vedettes et leur éviter les conséquences de leurs agissements, et le manque de sérieux accordé à l’enquête sur les faits eux-mêmes est saisissant.

Les allégations contre une demi-douzaine de joueurs de l’édition 2003 d’Équipe Canada junior sont encore plus dégoûtantes. Ils auraient collectivement agressé une femme à peine consciente et filmé le tout. Au début du film, un joueur répond à des questions à la manière d’une entrevue d’avant-match, puis affirme que les gens sont sur le point de voir « un putain de rôti d’agneau » (« a fucking lamb roast »). Puis, le viol apparait sur l’horrible vidéo, dont le contenu a été décrit par trois sources indépendamment les unes des autres. Une enquête policière est maintenant ouverte.

Comme si ces révélations des dernières semaines n’étaient pas assez, il a été dévoilé que Hockey Canada dispose d’un « fonds national d’équité » couvrant les responsabilités non assurées, y compris « les réclamations potentielles pour abus sexuels passés ». Au total, ce fonds a été utilisé pour neuf plaintes pour violence sexuelle depuis 1989, pour un montant total de 7,6 millions de dollars (en plus de 1,3 million de dollars de règlements assurés pour 12 autres plaintes). Cette organisation est donc si bien au fait de la culture du viol au sein du hockey qu’elle dispose d’argent pour l’aider à régler silencieusement les cas d’inconduite sexuelle qui surviennent en cours de route.

Culture du viol et du silence

Quiconque a déjà enfilé des patins ou approché de près ou de loin le monde du hockey est bien au fait de la terrible culture qui règne dans ce milieu. L’homophobie latente, les violences sexuelles, l’intimidation, les vedettes qui se croient tout permis, tout cela est bien connu. Les faits des dernières semaines mettent cette culture en lumière aux yeux de tous. Malheureusement, les horribles histoires des dernières semaines sont loin d’être isolées, et la culture du silence est largement répandue.

À l’été 2020, une vague de dénonciations de violences physiques, psychologiques et sexuelles dans le monde du hockey junior avait déferlé. L’ancien joueur Dan Carcillo avait lancé un recours collectif contre la Ligue canadienne de hockey (LCH), qui avait été suivi par la mise sur pied d’un « comité d’examen indépendant » de trois personnes. Ce comité avait interviewé des centaines de personnes liées au hockey junior et formulé des recommandations à la LCH concernant la profonde culture de harcèlement et d’intimidation dans la ligue. Or, son rapport a été déposé discrètement et les trois membres du comité ont même été interdits par la LCH de s’adresser aux médias à ce sujet!

Puis l’automne dernier, c’est l’affaire Brad Aldrich qui avait fait les manchettes. Ce responsable de la vidéo pour les Blackhawks de Chicago a agressé sexuellement le joueur Kyle Beach en mai 2010. La haute direction de l’équipe a étouffé l’affaire pendant des semaines pour ne pas nuire au parcours de l’équipe en séries éliminatoires – les séries sont extrêmement profitables pour les équipes qui y participent. Puis, une fois la Coupe Stanley remportée, Aldrich a été discrètement renvoyé. Parce que l’affaire a été balayée sous le tapis, il est allé faire d’autres victimes, dont une d’âge mineur, dans un autre emploi. 

Un joueur des Hawks de l’époque affirmait à l’été 2021 que dans l’équipe, « tout le monde savait » ce qui s’était passé. Des joueurs faisaient des blagues homophobes sur le sujet dans le vestiaire. Et pourtant, le silence a prévalu.

Combien de fois entendons-nous ces paroles, « tout le monde le savait »? Ces mêmes mots ont été entendus ces derniers jours depuis que l’humoriste québécois Philippe Bond a été dénoncé par huit femmes pour harcèlement et agressions. 

Depuis que les allégations et les faits visant Hockey Canada ont fait surface, les larmes de crocodile coulent. Le gouvernement Trudeau et les partis d’opposition demandent la tête des dirigeants de la fédération. Mais la pourriture est plus profonde encore : Sport Canada, l’organisme du ministère du Patrimoine qui chapeaute la fédération, avait été mis au courant des allégations de 2018, mais n’avait pas cru bon de le rapporter à la ministre ou d’en faire tout un plat. Qu’il y ait des boucs-émissaires ou non, nous avons affaire à une culture généralisée de banalisation et de silence – qui n’est bien sûr pas limitée au monde du hockey – que quelques changements de personnel ne vont pas altérer le moins du monde.

Et c’est seulement lorsque des cas concrets sont rendus publics que les personnes responsables se plient en quatre pour se désoler du sort des victimes, après avoir tout fait pour minimiser les cas ou les régler en silence. Hockey Canada a maintenant dévoilé un « plan d’action » pour lutter contre la culture toxique au hockey. Nous ne pouvons avoir aucune confiance dans ces dirigeants qui n’ont rien fait d’autre que de tenter d’étouffer les cas qui leur sont rapportés.

Dans le monde du spectacle, du sport, des arts, tout ce qui peut perturber les rentrées d’argent est balayé sous le tapis. La réputation de telle ou telle vedette, la carrière de telle ou telle personne accusée (comme Simon Houle et Gilbert Rozon), le bon roulement des affaires l’emporte sur le bien-être des victimes et la lutte contre les violences. 

Les violences sexuelles et la culture du silence qui les entoure font partie intégrante du système capitaliste. Un système dans lequel le pouvoir, les profits, et le prestige d’une minorité de riches passe avant tout ne peut pas lutter sérieusement contre les violences sexuelles. Il n’y aura pas de réelle justice pour les trop nombreuses victimes d’agression tant que nous vivrons sous ce système. Nous avons besoin d’une société socialiste où le pouvoir repose dans les mains des travailleurs et travailleuses, et où nous pouvons collectivement nous attaquer à toute forme de préjugé et de violence, sans arrière-pensée reliée aux profits et aux intérêts d’une minorité.