Le lundi 15 novembre, notre événement sur « La lutte des Autochtones et la lutte pour le socialisme », qui s’est tenu à l’Université Concordia à Montréal, a fait salle comble avec 70 personnes présentes. Il s’agissait de notre plus grande réunion sur le campus depuis 2016! Ce grand nombre de participants témoigne d’un changement majeur de conscience qui s’est produit à travers le Canada au cours des dernières années. Les jeunes en particulier sont dégoûtés de l’héritage d’oppression des peuples autochtones par le Canada, et veulent se battre pour y mettre fin une fois pour toutes.

La discussion a été lancée par Connor Bennett, militant de La Riposte socialiste et étudiant à Concordia. Après avoir présenté une série de statistiques effroyables sur le sort des Autochtones, il a ensuite donné un aperçu de l’histoire du Canada et de la façon dont le cauchemar actuel a vu le jour.

Connor a expliqué comment l’oppression des Autochtones est un trait caractéristique de la montée du capitalisme canadien. Il a détaillé le rôle de la Loi sur les Indiens de 1876, qui a enchâssé cette oppression dans la loi. L’essor du capitalisme canadien a détruit le mode de vie des peuples autochtones, leur infligeant des violences et des traumatismes qui perdurent encore aujourd’hui.

Il a ensuite pris le temps d’expliquer qu’il existe une tradition radicale et révolutionnaire dans le mouvement autochtone, qui s’est exprimée en particulier dans le mouvement Red Power des années 1970. Il a cité Vern Harper, un leader autochtone de l’époque, qui disait que « les Autochtones et non-Autochtones voient que le capitalisme ne sert pas les masses. Il ne fait que protéger les intérêts capitalistes ». Cette tradition radicale s’est exprimée dans une série de blocus et d’affrontements héroïques des années 1970 aux années 1990 et jusqu’à aujourd’hui, notamment à Oka.

Connor a montré que c’est à la suite de cette montée du militantisme que l’État canadien a commencé à faire semblant de se soucier des Autochtones. En particulier, la Commission de vérité et réconciliation a été mise en place et a recommandé l’adoption au Canada de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones (DNUDPA). Notre camarade a expliqué que si le contenu de la DNUDPA est assez radical dans le contexte canadien (elle met l’accent sur le « consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause »), il ne pourra jamais être mis en œuvre sous le capitalisme. Le cas de la Colombie-Britannique le montre clairement : l’adoption de la DNUDPA par la province n’a pas empêché le gouvernement d’envoyer la GRC contre les militants Wet’suwet’en qui protégent leurs terres contre la construction du gazoduc Coastal GasLink. La classe dirigeante du Canada ne pourra jamais permettre un véritable consentement des peuples autochtones avant d’aller de l’avant avec les projets privés lucratifs.

Un fil conducteur très important de la présentation de Connor était les contradictions de classe grandissantes au sein des communautés autochtones. Dans le cas de Coastal GasLink, de nombreux conseils de bande ont conclu des accords avec la compagnie pour permettre au projet de voir le jour. Les dirigeants de ces conseils de bande représentent une couche mince, mais croissante de bourgeois autochtones qui sont utilisés par l’État et les entreprises pour faire avaler ces projets aux communautés qu’ils sont censés représenter. Connor a fait l’analogie avec la lutte des Noirs aux États-Unis, où, au cours des dernières décennies, une couche de bourgeois noirs a été créée, tandis que la tradition combative et radicale du mouvement des droits civiques a été massivement réprimée.

Connor a ensuite lancé un appel inspirant à la solidarité et à l’unité de classe. Il a utilisé l’exemple de l’île de Baffin, où des militants inuits ont bloqué la piste d’atterrissage et la route d’accès à une mine qui menaçait de mettre en péril l’ensemble de l’écosystème. Alors qu’ils étaient bloqués sur place, un groupe de mineurs travaillant pour la compagnie a écrit une lettre de soutien aux manifestants : « Vous dites que ce n’est pas contre les travailleurs que vous êtes en colère, mais contre les dirigeants de Baffinland, et nous souhaitons vous dire que nous non plus n’accordons pas notre appui à nos supérieurs dans l’entreprise, mais à vous. » Connor a terminé en appelant à lier ces luttes à la lutte pour une société socialiste, où la terre, les ressources et l’industrie seront possédées collectivement et où les projets de développement seront décidés démocratiquement sur la base des besoins et non de la recherche du profit.

Après la présentation, une discussion ouverte a eu lieu, où tous les participants ont pu soulever leurs questions et exprimer leur point de vue. Diverses interventions ont été faites sur le rôle de l’Église dans l’histoire de l’oppression des Autochtones, sur ce que le socialisme signifierait sur le plan du contrôle des Autochtones sur leurs terres et leurs ressources, et sur la manière de lutter contre la Loi sur les Indiens, pour ne citer que quelques exemples. De nombreux participants ont exprimé leur appréciation de l’événement, affirmant que la présentation et la discussion étaient inspirantes et leur avaient ouvert les yeux.

Mais la tenue de notre événement ne semble pas avoir plu à tous. Vendredi dernier, seulement trois jours avant l’événement, nous avons reçu un courriel franchement insultant de la part du comité Équité, diversité et inclusivité du syndicat étudiant de Concordia (CSU). Le courriel nous demandait de retirer nos affiches pour notre événement sur le campus « étant donné le manque de voix autochtones au sein de votre organisation »… alors que La Riposte socialiste est composée de militants à la fois non-autochtones et autochtones! Le courriel continuait à attaquer le socialisme, en disant : « Le lien entre le socialisme et l’identité autochtone n’est pas reconnu par les membres de la communauté autochtone. » Un autre message disait : « Les initiatives qui se concentrent principalement sur la lutte des classes ont la réputation d’être très blanches et performatives »!

C’est un autre exemple malheureux du rôle nocif des politiques identitaires dans le mouvement. Nous avons ici une personne de la direction du CSU qui prétend que « la communauté autochtone » ne reconnaît pas le lien avec le socialisme. Depuis quand la direction du CSU peut-elle prétendre être la voix de « la » communauté autochtone? De plus, ce type de généralisation s’inscrit dans l’idée raciste selon laquelle tous les Autochtones sont pareils. Nous n’avons jamais prétendu parler au nom des communautés autochtones. Mais de quel droit la bureaucratie du syndicat étudiant se permet-elle de réduire au silence le nombre croissant de marxistes autochtones qui souhaitent s’unir à l’ensemble de la classe ouvrière pour mettre fin à l’oppression des Autochtones? Nous demandons simplement à exercer notre droit démocratique de défendre une perspective socialiste dans cette lutte – une perspective socialiste qui gagne clairement en popularité auprès des Autochtones et des non-Autochtones et qui menace clairement les bureaucraties anti-socialistes. Ces porte-paroles autoproclamés ne peuvent pas faire taire les révolutionnaires autochtones et leurs camarades.

La question de la « communauté autochtone » et du socialisme a été soulevée lors de la période de discussion. En réponse, Darcy Seekaskootch, une militante crie de La Riposte socialiste, a donné un discours passionné exprimant son dégoût devant le fait que certains universitaires autochtones prétendent représenter « la » communauté. Darcy a expliqué :

« Je ne sais vraiment pas d’où vient l’idée que le socialisme est une idéologie blanche. C’est presque risible pour moi de dire quelque chose comme ça. Comme si je me tenais ici et que vous me disiez que je n’existe pas parce que je suis autochtone et socialiste en même temps? Vraiment? C’est tellement f—–g ridicule!

Et c’est f—–g raciste! Traiter tous les Autochtones comme si nous étions un monolithe qui pense de la même façon et qui est toujours d’accord sur la politique! C’est insultant!

J’en ai assez que les libéraux autochtones et non-autochtones utilisent la culture et l’identité autochtones comme une arme politique contre le socialisme. Cela ne fait que censurer et diviser. Cela ne fait que nous séparer de la lutte de la classe ouvrière, en donnant l’impression que notre lutte est étrangère aux travailleurs et aux étudiants non-autochtones.

Il existe une couche de militants universitaires déconnectés de la réalité. Ils parlent des Autochtones comme si nous n’étions pas des travailleurs. Ils laissent entendre, voire affirment, que nos intérêts sont différents. Que les travailleurs non-autochtones n’ont rien en commun avec nous. Ils croient que notre exploitation provient des idées et des comportements. Ils croient que l’oppression est causée par les mentalités individuelles. Je ne crois vraiment pas que ce soit vrai. Le racisme est une arme idéologique d’exploitation et de génocide dont le but est de briser tout peuple gênant ou facilement exploitable.

Si vous vous opposez au vol de la terre par les capitalistes pour le profit, vous devenez un ennemi mortel du système capitaliste. Le génocide canadien de mon peuple visait à éliminer la menace que les Autochtones représentaient pour la légitimité et la nécessité du système capitaliste. Comme Connor l’a mentionné, ce que les capitalistes et le gouvernement craignent le plus, c’est la solidarité!

Le racisme et le génocide ne sont pas le résultat des idées! C’est une arme brutale de domination de classe!

Je terminerai par les mots fantastiques du révolutionnaire Fred Hampton, membre des Black Panthers : “Nous sommes d’avis qu’on ne peut pas combattre le feu par le feu; c’est l’eau qui doit combattre le feu. Nous allons nous battre contre le racisme non pas avec davantage de racisme, mais avec la solidarité. Nous disons : nous n’allons pas combattre le capitalisme avec du capitalisme noir, nous allons le combattre avec le socialisme.”

La lutte pour le socialisme est ce qui nous permettra de mobiliser enfin les immenses ressources de la société pour assurer une vie décente aux Autochtones. Pour enfin mettre fin à des siècles d’oppression et d’exploitation. Alors s’il vous plaît, si vous êtes d’accord, rejoignez la lutte!

Les crimes du colonialisme et du génocide ne peuvent rester enterrés! Je crois de toutes les fibres de mon être que la seule façon de sauver et de guérir mon peuple et les autres peuples autochtones est de mettre à terre l’ensemble du système capitaliste! Pour y arriver, nous devons nous battre comme des diables pour réaliser le socialisme de notre vivant! »

Notre camarade Gary Elaschuk Pruden a également donné un exemple intéressant des divisions de classe croissantes au sein des communautés autochtones au cours de la discussion :

« L’État canadien a toujours utilisé le système des conseils de bande pour contrôler les communautés et les terres autochtones… Cette couche bureaucratique a des intérêts distincts de ceux des travailleurs au sein des bandes et nous voyons les résultats de ces contradictions en ce moment même. Les tensions entre ces deux classes ont atteint un point d’ébullition le premier de ce mois-ci dans la Nation crie de Beaver Lake, la réserve voisine de mon village métis. Des dizaines de membres ont bloqué l’accès au bâtiment du conseil de bande. Je n’avais jamais entendu parler d’un tel événement auparavant. Cela montre vraiment une montée de la conscience de classe, ces membres de la bande savent que ces bureaucrates ne les représentent pas adéquatement. »

Le dernier mot a été donné à notre camarade Connor, qui a conclu un événement très réussi. Il a fait écho à l’appel de Darcy à nous rejoindre dans la lutte pour le socialisme.

Il est clair que partout au Canada, le vent tourne. Pour la première fois dans l’histoire du pays, l’opinion publique soutient majoritairement les peuples autochtones. Jamais auparavant l’héritage colonial du Canada n’a été autant exposé et détesté. Le potentiel d’une lutte unie contre l’État canadien et le système capitaliste qu’il défend n’a jamais été aussi grand. La combativité des militants et des défenseurs des terres autochtones devrait être reprise par l’ensemble du mouvement syndical. Ensemble, nous construirons une société socialiste où les besoins de tous seront satisfaits, en jetant dans la poubelle de l’histoire ce système d’exploitation pourri qui repose sur la pauvreté de la majorité et l’oppression extrême des Autochtones.