Stérilisation des femmes autochtones : la honte touche aussi le Québec

Un nouveau rapport de recherche sur la stérilisation forcée des femmes autochtones, le premier concernant le Québec, est sorti le 24 novembre dernier, et la conclusion est choquante. Vingt-deux femmes autochtones sur 35 (63%) interrogées affirment avoir subi une stérilisation forcée, ainsi que des violences obstétricales pour 13 d’entre elles, entre 1980 et 2019. 

  • Patrick Lepage
  • mar. 13 déc. 2022
Partager

Un nouveau rapport de recherche sur la stérilisation forcée des femmes autochtones, le premier concernant le Québec, est sorti le 24 novembre dernier, et la conclusion est choquante. Vingt-deux femmes autochtones sur 35 (63%) interrogées affirment avoir subi une stérilisation forcée, ainsi que des violences obstétricales pour 13 d’entre elles, entre 1980 et 2019. 

Au cours des dernières années, la stérilisation des femmes autochtones est un des enjeux ayant mis en lumière l’oppression horrible de celles-ci au Canada. Les témoignages provenant de la Saskatchewan en 2019 ont créé une vague d’indignation au pays et encouragé de nombreuses femmes autochtones à travers le Canada à partager leurs terribles témoignages.

Ce rapport vient par ailleurs démonter la prétention de certains nationalistes selon laquelle le Québec serait différent du Canada quant au traitement des peuples autochtones. En effet, ces pratiques étaient bien documentées au Canada. Mais jusqu’à maintenant, le gouvernement du Québec plaidait « non coupable ».

Violence médicale

Ce nouveau rapport a été mené par Suzy Basile, titulaire de la Chaire de recherche sur les enjeux relatifs aux femmes autochtones à l’Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue et Marjolaine Sioui, directrice générale de la Commission de la santé et des services sociaux des Premières Nations du Québec et du Labrador. Elles ont interrogé 35 femmes autochtones de cinq Premières Nations, dans les villes de Roberval, La Tuque, Val-d’Or, Joliette et Sept-Îles, entre mai 2021 et janvier 2022. Et les autrices de l’étude estiment que le problème est probablement plus vaste. Elles affirment avoir recensé une vingtaine d’autres femmes souhaitant témoigner, mais n’ayant pas pu le faire pour différentes raisons.

Les faits rapportés sont troublants. Ces femmes témoignent avoir subi des opérations sans leur consentement ou sans consentement éclairé. Les stérilisations, sous forme de ligature des trompes ou d’hystérectomie, se faisaient très rapidement, souvent après un accouchement. D’autres encore rapportent avoir subi de la pression de leur médecin, qui parfois les appelait chaque semaine, et qu’on leur en reparlait à l’accouchement, malgré leurs refus répétés. Trois ont même subi un avortement imposé.

Certaines femmes ont même appris des années plus tard qu’elles avaient subi une ligature des trompes, quand elles allaient consulter pour comprendre pourquoi elles ne tombaient pas enceintes. En fait, 16 des 22 femmes ayant subi une ligature des trompes affirment qu’elles n’ont jamais signé de formulaire de consentement.

Pour les femmes qui ont donné leur consentement, ce n’était pas un consentement éclairé. On leur donnait de l’information erronée, notamment sur la réversibilité de la procédure. Parfois même, les médecins conseillaient aux femmes de se faire avorter sous prétexte que leur bébé aurait de graves problèmes à la naissance. Ces arguments se révélaient faux lorsque le bébé naissait. Le moyen de contraception préconisé était la ligature des trompes de Fallope, sans tenir compte de l’âge ou le nombre d’enfants que la personne avait eu. Aucune discussion n’avait lieu pour leur proposer d’autres moyens de contraception, comme la pilule par exemple.

Les médecins utilisaient des arguments racistes pour justifier ces pratiques. Notamment, un médecin aurait dit à une femme : « Vous ne trouvez pas que vous en avez assez, là? C’est assez, faut que ça arrête, ça. Tous les enfants que vous avez mis au monde vont tous vivre dans la misère. » On leur disait même comme prétexte que les femmes autochtones ne sont pas assez responsables pour prendre la pilule. Toute l’oppression et la violence vécues par les Autochtones, et les femmes en particulier, sont résumées dans ces propos monstrueux. Et on ne parle pas ici d’un passé lointain, le dernier cas rapporté remontant à 2019.

La réaction du gouvernement québécois

Christian Dubé, ministre de la Santé, ainsi que Ian Lafrenière, ministre des Affaires autochtones, ont affirmé trouver la situation complètement inacceptable et qu’ils allaient faire leurs propres vérifications. Le Collège des médecins appelle ses membres à dénoncer les médecins ayant pratiqué ce genre d’opération. Évidemment tout ceci n’est pas fait de bonne foi; il a fallu qu’un rapport sur la question sorte pour les forcer à réagir. 

Il faut rappeler qu’en 2019, le gouvernement du Québec avait refusé de prendre part aux travaux d’un groupe de travail fédéral sur les stérilisations forcées des femmes autochtones au Canada, sous prétexte que le gouvernement serait déjà sensibilisé sur le sujet et qu’aucune pratique de ce genre n’était recensée au Québec. On a même utilisé l’argument de la compétence provinciale en matière de santé pour ne pas y participer.

Il est vrai que la stérilisation forcée des femmes autochtones n’a pas eu le même caractère systématique au Québec qu’au Canada anglais, où des politiques activement eugénistes étaient en place jusque dans les années 70. Le mouvement eugéniste n’a jamais trouvé écho au Québec, contrairement au reste du Canada. L’Église catholique, très influente au Québec jusqu’à la Révolution tranquille, y était opposée. Toutefois, cela n’a rien à voir avec un meilleur traitement des peuples autochtones, mais tout à voir avec l’opposition de l’Église catholique à la contraception et à l’avortement.

Capitalisme et racisme systémique

Si les femmes autochtones n’ont pas subi de politique consciente de stérilisation au Québec, le racisme systémique dont elles sont victimes a été suffisant pour donner lieu à de telles pratiques médicales scandaleuses. L’histoire tragique de Joyce Echaquan avait déjà levé le voile sur les mauvais traitements que subissent les Autochtones dans les milieux hospitaliers au Québec, et ce nouveau rapport vient confirmer leur prévalence. Plus personne ne peut nier le caractère systémique du racisme que vivent les Autochtones.  

Mais la source du problème n’est pas l’immoralité de certains individus ou de « mauvaises idées », mais bien le système capitaliste. L’oppression des Autochtones est un fondement de l’établissement du capitalisme canadien. Il a fallu les chasser de leurs terres et essayer de les convertir au mode de vie capitaliste, car leur mode de vie basé sur le partage des ressources et de la terre était absolument incompatible avec le capitalisme. Les pensionnats avaient justement pour but de déraciner les Autochtones de leur culture. 

Ces crimes devaient être justifiés idéologiquement par les pires préjugés imaginables. Ces préjugés et ce racisme persistent aujourd’hui et se combinent et renforcent la misère dans laquelle se retrouve aujourd’hui une grande partie des Autochtones : pauvreté, chômage, traumatismes intergénérationnels, violence policière, etc.

Et aujourd’hui, comme on le voit, cette oppression et cette violence demeurent. Elles font partie intégrante du système capitaliste. Mais devant la montée des luttes autochtones des dernières années, les gouvernements tentent de se doter d’un vernis progressiste et tendent prétendument la main aux peuples autochtones. Ils parlent de « réconciliation » et pleurent leurs larmes de crocodile de circonstance chaque fois que de nouveaux faits mettent en lumière les horreurs qui ont été imposées aux Autochtones. Nombreux sont les Autochtones qui ont répondu par les seules paroles qui s’imposent ici : « La réconciliation est morte. La révolution est vivante. » Les crimes de la classe dirigeante ne devraient pas être pardonnés. Seule une lutte contre le capitalisme et pour une nouvelle société socialiste pourra mettre ces horreurs à la poubelle une fois pour toutes.