Image : Laura Gray (1945)

Et voilà, c’est parti! Les missiles s’envolent vers l’Ukraine, et les actions des compagnies d’armement décollent elles aussi. Les occasions de faire la piastre ne manquent jamais au royaume de l’impérialisme. Les besoins militaires ukrainiens et l’étranglement économique de la Russie pourraient d’ailleurs profiter aux capitalistes canadiens. Comme disait Lénine : « La guerre est une chose terrible – oui, terriblement profitable ». C’est la réalité crue du capitalisme, où la mort et la souffrance des uns ont pour corollaire les profits des autres.

Investir dans la guerre

Chers investisseurs, voici votre chance de faire de bonnes affaires! Lockheed Martin, Northrop Grumman, ou pourquoi pas Raytheon Technologies – plusieurs options intéressantes pourraient vous faire gagner plus d’argent en 2022. C’est ce type de conseils qu’on peut lire à la une de sites d’analyse financière et d’investissement depuis quelques jours. Si le conflit laisse planer une grande incertitude sur les marchés boursiers et l’économie mondiale, il augmente rapidement la confiance envers le secteur de l’armement. 

Les actions des grandes compagnies d’équipement militaire et d’armement ont pris de la valeur, au moment où les puissances de l’OTAN font des promesses d’envoi d’équipement militaire en Ukraine. La frénésie entourant la menace de cyberattaques russes a aussi fait grimper les actions des compagnies de cybersécurité. Quand certains s’endorment dans la peur ou sous le son des bombardements, il y en a d’autres qui peuvent paisiblement rêver au prochain yacht qu’ils s’achèteront. 

Après avoir déjà annoncé qu’il enverrait 8 millions de dollars en armes létales à l’Ukraine, le gouvernement canadien a annoncé le 27 février un autre 25 millions de dollars de plus en équipement militaire à acheminer vers le pays. Le lendemain, c’est 100 systèmes d’arme antichar et 2000 roquettes qui ont aussi été promis à l’Ukraine. Quelques jours plus tard, on y ajoute la livraison de 4500 lance-roquettes et plus de 7000 grenades aux forces ukrainiennes. Le gouvernement affirme qu’une partie de cet équipement proviendrait de l’inventaire des Forces armées canadiennes, et une autre partie serait achetée auprès de diverses entreprises. Ces faramineuses sommes d’argent public aboutiront en bout de ligne dans les coffres d’entreprises militaires, aux frais des contribuables. 

Mais là ne s’arrête pas le potentiel lucratif de la guerre. En plus de ce qui est acheminé directement à l’Ukraine actuellement, ce sont les investissements des différentes puissances dans la défense qui devraient augmenter. Déjà au début février, les États-Unis ont profité de l’augmentation des tensions en Europe de l’Est pour signer un contrat de 6 milliards de dollars en vente d’équipement militaire américain avec la Pologne pour accroître son arsenal militaire. 

Maintenant que l’invasion est en cours, l’Allemagne a annoncé que son budget militaire allait passer de 1,5% de son PIB à plus de 2% en 2022, ce qui correspond à une augmentation de 113 milliards de dollars américains. C’est cette annonce en particulier qui a contribué à faire monter significativement les actions des compagnies d’armement, car elle est très significative pour la suite des choses. Comme la grande firme de conseil financier Investor Place l’a souligné: « Si l’Allemagne se sent poussée à renforcer ses systèmes militaires et de défense de cette manière, il est probable que d’autres pays lui emboîtent le pas. Cela signifie que les entreprises qui produisent de la technologie militaire et des armes sont susceptibles de voir une hausse significative de la demande au cours des prochains mois.» L’article conclut ainsi : « Les investisseurs devraient surveiller de très près les actions du secteur de la défense à mesure que le conflit progresse. Même si nous assistions bientôt à un cessez-le-feu, les récents événements en Ukraine ont alerté les pays sur l’importance d’une armée bien financée. C’est une bonne nouvelle pour le secteur de la défense.» Les marchands d’armes se frottent les mains.

Après deux ans de pandémie qui ont exposé le sous-financement chronique des systèmes de santé, voilà ce dont les travailleurs avaient besoin : encore plus d’argent public dépensé pour remplir les poches d’une minorité capitaliste parasitaire! La pandémie n’a d’ailleurs pas freiné les investissements dans l’armement. Pendant que les morts se sont accumulés, que les travailleurs essentiels ont risqué leur vie au quotidien, et que des millions de travailleurs sont tombés dans la pauvreté, les dépenses militaires mondiales n’ont cessé d’augmenter. « Nous pouvons dire avec une certaine assurance que la pandémie n’a pas eu d’impact significatif sur les dépenses militaires mondiales en 2020 », a affirmé un des chercheurs de l’Institut international de recherche sur la paix de Stockholm, qui a publié l’an dernier un rapport sur les dépenses militaires mondiales en 2020.

Le rapport estime que les dépenses militaires mondiales pour la première année de la pandémie étaient de 1981 milliards de dollars, soit le niveau le plus élevé depuis 1988. On y apprend également que le Canada a augmenté ses dépenses militaires de 2,9% par rapport à 2019. De 2011 à 2020, le budget de la défense canadienne aurait augmenté de 26%, soit exactement dans la même proportion que celui de la Russie. Mais soyez sans crainte : le Canada est complètement différent de la méchante Russie! Les libéraux à la langue de bois orwellienne expliqueront que la différence avec la Russie, c’est que le Canada investit dans la guerre pour diffuser la paix! 

Le Canada à la défense du capitalisme canadien

Pour le capitalisme canadien, les tensions dans la région se sont déjà montrées profitables. À la fin janvier, alors que le conflit s’est intensifié, le gouvernement canadien en a profité pour augmenter son influence sur l’Ukraine en lui accordant un prêt de 500 millions de dollars, suivi d’un autre prêt de 120 millions à la mi-février. 

Depuis quelques années déjà, le Canada profite de la vente d’armes à l’Ukraine, en particulier depuis que le gouvernement libéral a fait augmenter l’étendue des exportations permises vers le pays pour les fabricants d’armes canadiens. En 2014, quand la Russie a annexé la Crimée, l’Association canadienne pour l’OTAN soulignait déjà les occasions d’affaires que le soutien à l’Ukraine pourrait apporter : « Les fabricants canadiens comme CAE, Irving shipbuilding, Bombardier et General Dynamics Land Systems pourraient tous participer à la réalisation de grands projets de défense. Non seulement ces entreprises en profiteraient financièrement, mais elles acquerraient également une expérience précieuse et renforceraient le prestige international du Canada. » Voilà ce que veut vraiment dire « aider l’Ukraine » pour l’impérialisme canadien. 

Si la guerre est profitable pour les marchands d’armes, elle ouvre aussi de bonnes occasions d’affaires pour toutes sortes de parasites. Avec les sanctions imposées sur la Russie, le pétrole et le gaz deviennent un enjeu central pour les impérialistes. La Russie fournit 40% du gaz de l’Union européenne, et vend 60% de son pétrole à l’Europe, ce qui constitue près du tiers du pétrole européen. C’est pourquoi les impérialistes européens se montrent réticents à imposer des sanctions à cet égard. Mais Poutine n’a qu’à bien se tenir, car le Canada n’a pas peur de montrer les dents à la Russie! Justin Trudeau vient d’annoncer que le Canada allait bloquer les importations de pétrole russe pour envoyer un « message fort » à la Russie. En réalité, imposer des sanctions est de peu d’importance pour le Canada, comme le pays n’a pas importé de pétrole brut de Russie depuis 2019. 

Mais voilà qu’une occasion se présente : et si l’industrie pétrolière canadienne pouvait bénéficier des sanctions envers la Russie? Déjà certains en ont profité pour promouvoir le pétrole canadien. Jason Kenney, le premier ministre albertain, a fait un plaidoyer sur Twitter : « Maintenant, si le Canada veut vraiment aider à désamorcer Poutine, alors construisons des pipelines! L’Alberta est prête, volontaire et capable de fournir l’énergie nécessaire pour évincer la Russie des marchés mondiaux. Message à Ottawa et Washington : cessez d’aider Poutine et l’OPEP en détruisant les pipelines. » Même son de cloche du côté du candidat à la chefferie du Parti conservateur Pierre Poilievre qui plaide notamment pour que soit approuvé le projet GNL Terre-Neuve-et-Labrador. S’il était au pouvoir, Poilievre affirme qu’il « supprimerait les barrières bureaucratiques afin que nos travailleurs puissent gagner leur vie et que notre énergie puisse alimenter nos alliés contre la tyrannie. Le Canada reprendra le contrôle de son avenir énergétique et nos travailleurs reprendront le contrôle de leur vie. Et le monde sera un endroit plus sûr et plus vert.» Mais quel altruisme! Pour sauver les Ukrainiens, engraissons les profits des barons du pétrole! Difficile de trouver plus cynique et hypocrite comme position.

La réalité est que les grands discours de paix et d’aide humanitaire que nous servent les politiciens et médias du pays servent à masquer les vrais enjeux qui motivent l’impérialisme canadien dans ce conflit. Le Canada et les autres pays de l’Otan ont tout fait pour encercler la Russie depuis l’effondrement du bloc soviétique, et pour éloigner les pays de l’ancien Pacte de Varsovie du giron russe. Dans le cas de l’Ukraine en particulier, l’impérialisme canadien cherche à profiter depuis des années de la privatisation des entreprises d’État ukrainiennes. Le pays a signé un accord de libre-échange avec l’Ukraine en 2017, élargi en 2020, et donnant accès à un marché important pour les capitalistes canadiens. Par exemple, l’accord a participé à ce que l’Ukraine devienne en 2020 le quatrième pays qui importait le plus de poissons et fruits de mer canadiens. Mais il y a encore un grand potentiel à exploiter pour les capitalistes. L’an dernier, il restait toujours 3644 entreprises d’État en attente de privatisation, et convoitées par de nombreux investisseurs étrangers. 

C’est ce qui explique que le Canada se montre particulièrement belliqueux envers la Russie depuis le début du conflit. Quand le gouvernement dit vouloir « défendre l’Ukraine », ce qu’il veut réellement dire c’est qu’il veut défendre la part canadienne du butin du pillage de l’Ukraine. 

Qui paye pour la guerre?

Pendant qu’une minorité capitaliste s’enrichit de la guerre, l’immense majorité en subit les conséquences brutales. Déjà la destruction des infrastructures ukrainiennes et l’étranglement économique de la Russie menacent la sécurité alimentaire mondiale. Les deux pays combinés constituent 29% des exportations mondiales de blé, 19% des exportations de maïs et 80% des exportations mondiales d’huile de tournesol. Dans ce contexte, le prix du blé a déjà augmenté depuis une semaine, atteignant le niveau le plus élevé depuis 12 ans. Cela accentue l’inflation mondiale déjà en croissance, en particulier dans le secteur alimentaire. Alors que le Programme alimentaire mondial de l’ONU a déjà déclaré en novembre que c’était la « catastrophe de la faim » pour des millions de gens dans le monde, le pire reste définitivement à venir. Il ne s’agit que d’un exemple parmi d’autres des conséquences que cette guerre aura sur les travailleurs à travers le monde.

Même lorsqu’ils ne sont pas les victimes directes de la violence de la guerre, les travailleurs subissent l’impact politique et économique des déplacements sur l’échiquier des grandes puissances. La classe ouvrière mondiale est toujours terriblement perdante. S’il n’y a pas d’argent sous le capitalisme pour les hôpitaux, pour l’eau potable dans les réserves autochtones, ni pour augmenter les salaires, il y a toujours de l’argent pour la guerre, et la guerre rapporte toujours de l’argent. C’est la logique d’un système terriblement pourri. 

Comme disait Lénine, le capitalisme est une horreur sans fin. Il faut s’en débarrasser.