« Une relation abusive » : Entrevue avec une agente de bord d’Air Canada

« Le fait que les gens se rallient autour de cette grève en dit long sur leur ras-le-bol. Ça a apporté un sentiment de solidarité et d’optimisme à tout le monde. Même s’il est peu probable qu’Air Canada cède facilement, ou même en arrive à une entente équitable. »

  • La rédaction
  • mar. 19 août 2025
Partager
Des agents de bord lors d’une manifestation silencieuse le 12 août. Source : Air Canada component of CUPE/Facebook.

Cette entrevue est parue le vendredi 15 août sur le site Marxist.ca.

Cette semaine, un membre du comité éditorial de Révolution communiste s’est entretenue avec une agente de bord d’Air Canada pour discuter de la grève imminente. L’entrevue présente la réalité des agents de bord, l’exploitation et le traitement abusif qu’ils subissent de la part des patrons d’Air Canada. Elle montre également l’esprit combatif qui anime les travailleurs et le sentiment de solidarité qu’ils ressentent non seulement entre eux, mais aussi de la part de la population.

Air Canada fait tout en son pouvoir pour écraser les travailleurs. La compagnie aérienne tente de convaincre le gouvernement de contraindre le syndicat à accepter un arbitrage obligatoire. Mais grâce à l’esprit combatif des membres du syndicat et à l’appui du public, les agents de bord ont la possibilité de riposter et de gagner.

Il s’agit d’une lutte cruciale, non seulement pour les agents de bord, mais pour l’ensemble de la classe ouvrière. Alors qu’une récession pointe à l’horizon, et alors que Mark Carney s’apprête à effectuer des coupes budgétaires massives, les travailleurs de tous les secteurs seront attaqués. Une victoire pour les agents de bord donnerait l’exemple pour les luttes à venir.

Cette entrevue a été éditée à des fins de clarté et de concision.


Q : Pouvez-vous nous parler de votre expérience de travail chez Air Canada, et de ce pour quoi vous vous battez?

R : On est traités comme si on était jetables. Les patrons essaient de profiter de nous. Tous les services que vous recevez en tant que passagers sont offerts par les agents de bord. Air Canada ne se soucie que des profits.

Nous faisons du travail non rémunéré depuis longtemps, c’était pareil il y a 20 ans. Mais le SCFP a consacré beaucoup de temps à sensibiliser le public à cette question, et c’est bien de voir que les gens en parlent.

Nous devons respecter un horaire strict, être en poste au moins une heure avant l’heure de départ. La plupart des agents de bord arrivent encore plus tôt, par courtoisie envers le reste de l’équipage, car nous travaillons en équipe. On arrive environ une heure et demie à l’avance.

Puis il y a le processus d’embarquement. On doit fixer la porte, enregistrer les passagers, les faire monter à bord, les aider à ranger leurs bagages dans les compartiments supérieurs. Aider avec les bagages, ça ne fait pas partie du contrat, et comme c’est avant le décollage, on n’est pas payés pour les blessures causées par le fait de soulever des bagages.

Nous ne sommes pas payés en cas de retard. Lorsque les passagers descendent de l’avion, cela n’est pas rémunéré. J’ai été sur certains vols où le débarquement pouvait durer jusqu’à une heure et demie. Si vous perdez vos écouteurs et que vous restez à bord pour les chercher, nous sommes tenus par la loi de rester avec le passager, mais nous ne sommes pas payés.

Les agents de bord qui travaillent sur des vols courte distance peuvent effectuer trois, facilement quatre vols par jour. Imaginez que chaque vol ne dure qu’une heure, mais que l’enregistrement doit être effectué au moins une heure avant le départ. Ensuite vous descendez de l’avion et attendez votre prochain vol, ce qui peut prendre encore trois heures, sans rémunération.

Lorsqu’il y a de la turbulence, si nous sommes blessés, nous ne sommes pas couverts, car nous sommes censés être assis sur nos sièges d’appoint, attachés. Mais nos contrats stipulent qu’en cas de turbulences, nous devons vérifier que les passagers vont bien. Je connais des agents de bord qui se sont cassé le dos, littéralement cassé la colonne vertébrale, parce qu’ils ont été frappés par des turbulences pendant le vol. Ils ont dû prendre deux ans de congé, sans aucun soutien de la part de la compagnie, et ensuite revenir avec des blessures à vie. 

La plupart des agents de bord ont le cœur brisé par la façon dont ils sont traités par la compagnie. On aime notre métier, c’est pourquoi on l’a choisi. Mais on a littéralement l’impression d’être dans une relation abusive. On se sent manipulés et on se fait avoir chaque jour.

Q : Il y a eu un vote de grève de 99,7%. Dans quel état d’esprit se trouvent vos collègues?

R : Nous sommes ici parce que nous voulons servir, nous sommes des « people-pleasers ». Nous n’avons pas l’habitude de nous serrer les coudes.

Le contrat de dix ans qui vient de prendre fin – dix ans, c’est du jamais vu en droit du travail – était une mesure coercitive et un coup bas. Il y a eu un grand nombre de nouveaux agents de bord débutants à qui on a offert une prime à la signature de 5000 dollars. Ils étaient jeunes et naïfs. Ils ont pris les 5000 dollars et ont signé la perte de nos droits.

C’était un véritable panier de crabes. Ça a toujours été un lieu de travail agréable, mais nous sommes tellement nombreux, la culture d’entreprise est tellement oppressante, et il n’y a pas beaucoup d’argent à faire. Alors les gens se disputent. Quand les gens ont de la misère à joindre les deux bouts, il est facile de les diviser pour mieux régner. C’est comme ça que les choses ont toujours été.

Mais là, on a comme… l’unité absolue. Je n’ai jamais vécu ça auparavant. Même le public. Mes amis font des vols, et le public, les passagers leur parlent, les félicitent et leur disent : « On espère que vous aurez un bon contrat. » C’est fou, les gens voient à quel point cette entreprise est manipulatrice. Je pense qu’ils le voient.

Le fait que les gens se rallient autour de cette grève en dit long sur leur ras-le-bol. Ça a apporté un sentiment de solidarité et d’optimisme à tout le monde. Même s’il est peu probable qu’Air Canada cède facilement, ou même en arrive à une entente équitable.

Je pense que notre seul espoir en ce moment, c’est de croire qu’il y a vraiment de l’unité. Et en fait, j’ai entendu dire qu’il y avait une ambiance électrique au Canada. Je suis toujours sur les réseaux sociaux. Et tout le monde est solidaire. Ce n’est jamais arrivé auparavant. C’est énorme.

Q : Que pensez-vous de la manière dont le syndicat gère la situation?

R : Je pense que le SCFP gère bien la situation, Dieu merci.

L’équipe qui nous a présenté le contrat de 10 ans était incroyablement médiocre. La compagnie a été tellement odieuse qu’on avait l’impression de ne pas être représentés. Nous payons des cotisations syndicales qui auraient été mieux dépensées pour des avocats en droit du travail. 

Mais maintenant, c’est bien. Je pense qu’il font du très bon travail. L’enjeu est trop important. Nous avons macéré dans ce contrat de 10 ans pendant des années. Maintenant, c’est notre chance.

Le problème, c’est qu’Air Canada ment à la presse et a le gouvernement dans sa poche. Bien sûr que des personnes ont certains avantages. Les patrons prétendent vouloir négocier équitablement, mais ce n’est pas vrai. Ils essaient de nous forcer à accepter un arbitrage obligatoire. S’ils savent qu’ils peuvent quitter la table des négociations, à quoi bon?

La conférence de presse d’hier n’était qu’un tissu de mensonges.

Par exemple, l’un des mensonges qu’elle a proférés est que les agents de bord gagnent 70 000 dollars par an. Ce n’est pas vrai. Le salaire maximum, je connais des gens qui touchent le salaire maximum, et c’est de 55 000 dollars. Mais l’important, c’est les salaires de départ, ces personnes touchent un salaire net de 19 000 dollars par an. Ce qui est demandé est donc tout à fait raisonnable.

Q : Est-ce qu’il y a autre chose que vous aimeriez que les gens sachent?

R : C’est comme ça que ça marche dans le monde, vous savez? Le service a été coupé. Il y a ces avions à forte densité qui circulent. Air Canada place les profits avant les gens.

Avant, il y avait plus d’agents de bord par passager. Aujourd’hui, il y a plus de passagers et moins d’agents de bord, donc pendant tout le vol, nous courons dans tous les sens comme des poules pas d’tête. C’est moins sécuritaire. Et c’est à cause de l’argent.

Les agents de bord font ce métier parce qu’ils l’aiment. Ce n’est pas pour l’argent. Tout le monde que je connais ont deux ou trois emplois. Ils le font pour le plaisir de le faire, le voyage, travailler avec les gens. 

Mais c’est difficile, c’est épuisant. Il y a les horaires de sommeil, le fait d’être tout le temps dans les airs, de s’occuper d’un passager après l’autre, et puis l’employeur abusif.

Nous voulons simplement un contrat équitable. Tant d’agents de bord vivent en dessous du seuil de pauvreté. Ce serait bien d’avoir un contrat équitable.

Air Canada nous présente comme l’ennemi. Mais nous sommes littéralement avec le public. Nous nous sommes engagés à être au service des gens. Ceux qui prennent toutes les décisions ne sont pas là pour servir le public. Ils sont là pour faire du profit, c’est tout.

Et vous savez ce qui est excitant? À en juger par le ton des commentaires en ligne – sur YouTube, même sous les vidéos de CTV, partout, sur la page Facebook d’Air Canada, c’est fascinant – tous les commentaires proviennent du public et semblent nous soutenir pleinement. Air Canada est critiquée en ligne et ça me réconforte beaucoup de voir ça. Parce que ça commence à ressembler à un mouvement à ce point-ci.

Je suis tellement encouragée par ce qui se passe. Sans le soutien du public, et notre solidarité, et le très bon travail accompli par le syndicat et le comité de négociation, Dieu merci, nous n’aurions aucun pouvoir et cette compagnie nous écraserait comme elle le fait toujours. 

Ça semble aller bien au-delà d’une simple affaire d’Air Canada, ou d’agents de bord qui se font bien payer. Ça semble être une affaire nationale où beaucoup de monde est tanné de la façon dont le gouvernement est dirigé, de la façon dont ces corporations sont gérées, de la façon dont clairement ils ne comprennent pas ce qui est en train de se passer.