Violence contre les politiciens, le résultat d’un système violent

À l’approche des élections québécoises, les commentateurs et politiciens ont dénoncé ce qu’ils qualifient de « détérioration du climat social » : les députés de tous les partis se retrouvent confrontés à des menaces, des messages agressifs ou haineux et à du vandalisme. Ce qu’ils passent sous silence, c’est la violence du capitalisme et le caractère toxique du système lui-même.

  • Corinne Lavallée
  • jeu. 8 sept. 2022
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On a pu remarquer au cours des dernières années une intensification des messages injurieux, des menaces et même des attaques envers les politiciens et politiciennes au Québec et au Canada. À l’approche des élections québécoises, les commentateurs et politiciens ont dénoncé ce qu’ils qualifient de « détérioration du climat social » : les députés de tous les partis se retrouvent confrontés à des menaces, des messages agressifs ou haineux et à du vandalisme. Le premier ministre Legault en a appellé au calme, alors que les médias bourgeois cherchent un bouc émissaire. Ce qu’ils passent sous silence, c’est la violence du capitalisme et le caractère toxique du système lui-même.

Il y a quelques semaines, la vice-première ministre du Canada, Chrystia Freeland, a été invectivée par un homme à Grande Prairie, en Alberta, suscitant une vague de condamnations par les politiciens canadiens. Il y a quelques jours, le bureau de circonscription du député libéral Enrico Ciccone a été vandalisé et dévalisé. La même semaine, un homme a appelé plusieurs fois la député libérale Marwah Rizqy et la police pour proférer des menaces de mort à son encontre. Le député caquiste Sylvain Lévesque a lui aussi porté plainte à la police après qu’une image de sa pancarte électorale dégoulinante de sang ait été publiée sur le Web. L’image était accompagnée d’un appel à une enquête indépendante sur les « atrocités survenues dans les CHSLD en 2020 », en référence au rôle joué par la CAQ dans les décès dans les CHSLD lors de la première vague de COVID-19. La sécurité a été renforcée autour des candidats, certains allant même jusqu’à suggérer que les députés portent des vestes pare-balles.

Les politiciens et les médias condamnent bien entendu ces actions violentes et tout le monde cherche une explication ou un responsable. Certains jettent le blâme sur ceux qui adhèrent aux théories du complot et ceux qui les répandent. Mme Rizqy a elle-même accusé Éric Duhaime, le chef du Parti conservateur du Québec, de « canaliser la haine et la colère » afin de gagner des votes. Ce n’est un secret pour personne que le PCQ courtise ouvertement les conspirationnistes et l’extrême-droite du Québec, et que Duhaime lui-même a souvent banalisé la violence et l’intimidation. Les plateformes numériques sont aussi souvent blâmées pour le manque de contrôle exercé sur les manières des utilisateurs ou la transmission des théories du complot. Il ne faut pas oublier non plus la crise sanitaire que l’on montre du doigt pour expliquer la crise de la santé mentale.

Ces explications ne touchent en fait que les effets secondaires d’un problème beaucoup plus profond de notre société, causé par un système violent qui exploite et opprime les éléments les plus vulnérables. Récemment une firme canadienne, Pollara, a lancé un « indice de la rage » qui vise à évaluer l’humeur des Canadiens à chaque mois. Selon son dernier rapport, sur les 2013 répondants interrogés entre le 25 juillet et le 2 août, 48% se sont dit mécontents des décisions politiques d’Ottawa, 83% étaient en colère contre les taux d’inflation, 79% étaient en colère contre la hausse du prix de l’essence et 55% étaient furieux de l’état actuel du marché du logement.

Pendant ce temps, les politiciens à la tête de l’État comme M. Legault condamnent tous publiquement toute forme de violence en faisant appel au calme et à la civilité, rappelant à la population qu’« on a tous une responsabilité de ne pas attiser la colère ». C’est de la pure hypocrisie.

Les gouvernements comme celui de la CAQ se font eux-mêmes chaque jour complices de violence envers la classe ouvrière lorsqu’ils permettent aux patrons de maintenir les travailleurs dans la pauvreté et dans des conditions de travail dangereuses; lorsqu’ils permettent aux propriétaires de jeter des locataires à la rue; lorsqu’ils permettent aux commerçants de s’en mettre plein les poches en gonflant les prix des produits de première nécessité; ou encore lorsqu’ils permettent aux entreprises comme Glencore d’empoisonner la population de Rouyn-Noranda et de Limoilou. Cette violence bien réelle n’est jamais dénoncée comme telle par notre establishment politique.

De plus, avec sa rhétorique sur « l’identité québécoise », les « wokes » et ses projets de lois racistes, la CAQ contribue elle-même à l’environnement toxique et au climat de violence dans notre société. François Legault a même sous-entendu mercredi dernier que les immigrants ne sont pas pacifiques et aiment « la chicane », « les extrémistes » et « la violence ». La Coalition avenir Québec ne vaut pas mieux qu’Éric Duhaime et sa meute de complotistes et d’animateurs radio, qui se nourrissent comme des vampires de la rage et l’angoisse des Québécois.

La CAQ n’a pris aucune initiative sérieuse pour attaquer les problèmes de l’inflation, de la crise du logement, du soin des aînés, de la pénurie d’enseignants, de l’effondrement du système de santé, de la crise sanitaire ou de l’urgence climatique. Les libéraux et les péquistes n’ont pas fait mieux lorsqu’ils étaient au pouvoir. Mais maintenant que la colère causée par le système que défendent ces politiciens se retourne violemment comme eux, ils jouent les vierges offensées, 

Cette violence que l’on voit bouillonner ne peut pas être réduite à une simple « crise de la santé mentale » ou à la rhétorique toxique d’un unique chef de parti. Les problèmes de santé mentale et la popularité de la rhétorique toxique ont la même base matérielle dans les souffrances que vivent les masses dans un système en crise. 
Trotsky écrivait dans Leur morale et la nôtre que «  la gangrène du capitalisme entraîne celle de la société moderne, droit et morale compris. » La vraie violence de notre société capitaliste, c’est celle d’une classe qui en exploite une autre sans relâche. En l’absence d’une véritable lutte des classes, d’un mouvement ouvrier combatif mené par un leadership de gauche révolutionnaire, la colère légitime des classes exploitées trouvera nécessairement une échappatoire ailleurs.