
Selon les organisations syndicales, plus de 50 000 personnes sont sorties dans les rues de Montréal samedi dernier pour faire un pied de nez au gouvernement Legault. Bien que la trame de fond est l’entrée en vigueur de la loi 14 – qui va permettre de briser des grèves par décret – et le projet de loi 3 – les cotisations syndicales facultatives –, il est clair que ce qui s’y exprimait était un rejet de la CAQ dans son ensemble.
Il s’agit de la plus grande manifestation syndicale depuis le Front commun de 2023, et montre le grand potentiel d’une lutte générale contre la CAQ et l’austérité.
Le PCR y a mobilisé un contingent de plus de 50 personnes, incluant des travailleurs syndiqués et non syndiqués, et des étudiants. Nous marchions sous trois slogans principaux : « CAQ, PLQ, PQ : ils sont tous du côté des patrons! » – « Défions les lois antisyndicales! Paralysons le Québec! » – « Austérité, produit du capitalisme! ».
Lisez notre article « Comment gagner contre les lois antisyndicales », écrit pour l’occasion.

Humeur combative
En route vers la manifestation, l’une de nos militantes lisait dans notre journal un article sur la grève des professeurs en Alberta. Un homme qui lisait par-dessus son épaule a adoré l’analyse et lui a acheté une copie sur-le-champ!
Un travailleur de la construction à qui nous avons parlé arborait un drapeau de One Piece, le fameux drapeau pirate brandi par les révolutions Gen Z partout autour du monde. Des dizaines de travailleurs venaient constamment le voir et commentaient avec approbation! Une autre syndiquée a dit à notre camarade Élise que « ce qu’il nous faut, c’est une meilleure conscience de classe ».
Cette humeur s’est poursuivie sur le chemin du retour : après la manif, tout le monde dans le métro parlait de politique. Voilà qui augure bien pour la suite.
Mobilisation politique
Ce qui rendait cette mobilisation encore plus significative, c’est qu’il s’agissait d’une manifestation syndicale en dehors d’une négociation de convention collective.
D’ordinaire, les syndicats se mobilisent dans des luttes « économiques » ponctuelles afin de négocier de meilleures conditions de travail avec un employeur particulier. Les négociations du secteur public se démarquent par leur ampleur, surtout lorsqu’il y a un Front commun, mais elles ne rompent pas avec cette logique.
Or, le 29 novembre était un aperçu du rôle que les syndicats peuvent jouer en tant qu’outil de lutte politique. Puisqu’ils organisent des masses de travailleurs, ils peuvent jouer un rôle de direction pour l’ensemble des travailleurs contre l’ensemble des patrons; contre leur austérité, leurs lois, leur système. C’est justement le genre de manifestation que la CAQ essaie d’empêcher avec son projet de loi 3.
Et maintenant?
Dans les semaines précédant la manifestation, les organisations syndicales ont fait des efforts de mobilisation comme nous n’en voyons pas souvent : tractages dans le métro et dans les cafétérias des hôpitaux; envoi massif de courriel; mention de la manifestation lors de chaque apparition à la télévision. Cela montre que, lorsqu’ils le veulent, les syndicats ont un grand pouvoir de mobilisation.
On voit aussi cette humeur combative à travers les déclarations de Magali Picard, qui a parlé d’organiser une « grève sociale » le 1er mai et de mener la guerre à ce gouvernement.
Cependant, il n’y a aucun plan concret pour y arriver. La manif du 29 aurait pourtant été une occasion idéale pour lancer une campagne de manifestations locales et d’assemblées en vue d’une grève. Rien de tel n’a été annoncé.
À la place, le gros des efforts de la FTQ semble s’orienter vers une campagne de lobbying politique des députés et candidats de l’opposition en vue de la prochaine élection en octobre 2026 – comme l’a affirmé Magali Picard au congrès des Métallos à la mi-novembre. Nous ne pouvons avoir aucune confiance envers les partis patronaux pour abroger les lois réactionnaires de la CAQ, incluant le PQ, qui fait toujours des tas de promesses aux travailleurs pour ensuite gouverner à droite. Le chef du PQ a même été jusqu’à boycotter le congrès de la FTQ car il n’aime pas le « ton » de Magali Picard! Ni les libéraux ni le PQ ne sont les amis des travailleurs.
De même, en ce qui concerne la loi 14 (anciennement PL89), les dirigeants syndicaux semblent se contenter d’une contestation devant les tribunaux. Bien sûr, il n’y a pas grand-chose à perdre à contester une loi. Mais ce qui compte et fonctionne vraiment, c’est de mobiliser la puissance des travailleurs en tant que classe, par les méthodes propres aux travailleurs : les manifestations, les grèves et rendre la loi 14 inapplicable en la défiant si elle est appliquée. Les agentes de bord d’Air Canada ont montré cet été que c’est possible.
Luttons contre le système des patrons
La manifestation du 29 a créé un engouement parmi les travailleurs les plus mobilisés. Il ne peut pas être mis sur pause le temps d’une série de négociations privées avec des avocats ou des candidats aux élections.
L’idée d’une « grève sociale » pointe dans la bonne direction. Une grève de 24h est un pas en avant logique pour le mouvement. Les dirigeants des grandes centrales (à commencer par la FTQ, CSN, CSQ) doivent établir un plan en vue d’une telle mobilisation contre la CAQ et ses lois antisyndicales.
Tout le monde déteste la CAQ. Ces 81 députés perdraient tous leur siège ou presque s’il y avait une élection demain matin. C’est un gouvernement illégitime qui n’a aucun mandat pour appliquer l’austérité et attaquer les syndicats comme il le fait.
Il faut également un argumentaire capable de connecter avec la colère générale dans la population. Dans les dernières semaines, les prises de parole des dirigeants syndicaux ont presque exclusivement abordé la loi 3, s’appuyant sur des appels abstraits à la démocratie et à l’autonomie des syndicats. Cela peut nourrir l’impression que la bureaucratie syndicale se mobilise surtout pour ses intérêts financiers immédiats. Pour élargir la mobilisation, il faut au contraire lier la lutte contre les lois antisyndicales à une lutte plus large contre l’austérité, la baisse des conditions de vie, l’inflation, et le gouvernement détesté de la CAQ. Une telle approche, combinée avec un vrai plan de mobilisation en vue d’une grève, pourrait créer un nouveau printemps de lutte contre l’austérité.
Ce message permettrait aussi d’obtenir l’appui des couches les plus exploitées de la classe ouvrière, et en particulier la jeunesse. Ces gens ne sont généralement pas syndiqués : c’est avec le système en général qu’ils ont un problème. Un sondage Léger de 2024 a d’ailleurs conclu que les 18-34 ans « recherchent un système économique qui ne leur semble pas aussi truqué qu’il l’est actuellement ».
En d’autres mots, il faut élargir cette lutte et la transformer en une bataille contre l’entièreté du système détesté. Le capitalisme est un système où tout investissement sert à faire le maximum de profits. Toute activité humaine devient subordonnée aux bénéfices d’une poignée d’actionnaires. L’austérité et les attaques contre les syndicats en sont simplement les conséquences logiques. La seule façon d’y mettre fin une fois pour toutes, est de renverser ce système.