Quel était le véritable rôle de l’impérialisme britannique dans la formation de l’État d’Israël ? Quelle était la position de l’Union soviétique et de l’empire américain à l’époque ? Comment les dirigeants de l’OLP (Organisation de libération de la Palestine) ont-ils posé la question de la lutte contre Israël par le passé ? Et quelle solution les marxistes peuvent-ils offrir aux travailleurs palestiniens et israéliens ? Dans ce bref article, écrit en 2002, nous tentons de répondre à ces questions.


L’impérialisme britannique a-t-il soutenu la création d’Israël ?

L’État d’Israël a été créé artificiellement à la fin de la Seconde Guerre mondiale. Étant donné qu’aujourd’hui Israël est le principal allié de l’impérialisme occidental au Moyen-Orient, certains semblent penser qu’il a été créé avec le soutien total de l’impérialisme. Mais en réalité la création de l’État d’Israël fut un peu plus complexe que cela. Les impérialistes britanniques étaient à l’époque opposés à la création d’Israël, comme nous allons le montrer.

À la suite de l’effondrement de l’Empire ottoman, la Grande-Bretagne et la France durent se bâtir de nouvelles colonies. En 1914, au début de la Première Guerre mondiale, la Grande-Bretagne promit l’indépendance aux pays arabes sous domination ottomane, y compris la Palestine, en échange d’un soutien contre la Turquie, entrée en guerre aux côtés de l’Allemagne.

Ce deal fut confirmé en 1916 par l’accord Sykes-Picot, signé par la Grande-Bretagne et la France, divisant la région arabe en zones d’influence. Le Liban et la Syrie furent assignés à la France, la Jordanie et l’Irak à la Grande-Bretagne tandis que la Palestine devait être internationalisée. Donc en 1916, la Grande-Bretagne promit ces terres aux Arabes.

Cependant, en 1917, Lord Balfour, le ministre britannique des Affaires étrangères, envoya une lettre au dirigeant sioniste Lord Rothschild, lettre mieux connue plus tard sous le nom de « Déclaration Balfour ». Lord Balfour y déclara que la Grande-Bretagne ferait de son mieux pour faciliter l’établissement en Palestine d’un foyer national pour le peuple juif. À cette époque, la population de la Palestine comptait environ 700 000 habitants, dont 575 000 musulmans, 75 000 chrétiens et 55 000 juifs.

Ainsi, les Britanniques promirent la Palestine aux Juifs et aux Palestiniens. En réalité la Grande-Bretagne n’était pas intéressée par la création d’Israël, mais poursuivait ses propres intérêts dans la région, essayant de renforcer sa position au Moyen-Orient. Dans ce but elle continuerait de monter les Arabes contre les Juifs.

Après la Première Guerre mondiale, en 1920, la Grande-Bretagne obtint un mandat sur la Palestine et, deux ans plus tard, la Palestine passa effectivement sous administration britannique. Puis en 1922, le Conseil de la Société des Nations émit aussi un mandat pour la Palestine. Le mandat était en faveur de l’établissement pour le peuple juif d’une patrie en Palestine. Or cela rentrait en contradiction avec les plans de l’impérialisme britannique, consistant à équilibrer les forces juives et arabes (la vielle méthode du diviser pour régner) afin de contrôler la situation.

En 1939, les impérialistes britanniques avaient catégoriquement rejeté toute idée d’un État juif indépendant. La même année, le gouvernement britannique publia un nouveau Livre blanc [1] limitant l’immigration juive et offrant l’indépendance à la Palestine dans les dix ans. Après l’introduction de 75 000 juifs en Palestine au cours des cinq prochaines années, les portes seraient fermées. La voie serait ainsi ouverte pour un État arabe semi-dépendant, marionnette de l’impérialisme britannique. Une population divisée, comme en Irlande du Nord, aurait permis aux Britanniques de continuer à jouer de la division afin de maintenir son contrôle. Or les Britanniques avaient besoin d’un état tampon leur garantissant le contrôle stratégique de la région entre la Méditerranée et le golfe Persique, tout en protégeant le canal de Suez.

Ce Livre blanc de 1939 fut rejeté, car incompatible avec le mandat de la commission permanente des mandats, l’organe de supervision de la Société des Nations. Mais à cette époque la Société des Nations perdait de son importance, car les grandes puissances se préparaient à régler leurs différends par la guerre. La Grande-Bretagne traita donc la Société des Nations avec le mépris approprié. Quatre mois plus tard, la Seconde Guerre mondiale éclatait. Le gouvernement britannique exécuta donc la politique du Livre blanc comme si la Palestine avait été une possession britannique. L’impérialisme britannique limitant le nombre de Juifs entrant en Palestine, quitte à parfois être brutal. 

L’exemple le plus célèbre est le traitement des Juifs roumains essayant de naviguer en Israël sur le navire « Struma ». Le navire transportant 750 juifs fuyant la persécution nazie arriva à Istanbul le 20 décembre 1941. Les autorités turques refusant aux réfugiés d’amarrer, ils demandèrent aux Britanniques s’ils pouvaient aller en Palestine. Les Britanniques leur refusèrent l’entrée. L’ambassadeur britannique en Turquie déclarant que son gouvernement « ne voulait pas de ces gens en Palestine ». Et ajoutant « … s’ils arrivaient en Palestine, il est possible que, malgré leur illégalité, ils reçoivent un traitement humain ». La logique étant que s’ils étaient traités avec humanité, se posait le risque d’un flot de réfugiés juifs voulant entrer en Palestine. Le navire reprit donc la mer et coula le 24 février à la suite d’une explosion. Seulement deux personnes survécurent. Ainsi, un grand nombre de Juifs furent pris au piège dans une Europe occupée par les nazis, sans nulle part où aller.

En dépit de cette tentative brutale d’arrêter l’afflux des Juifs en Palestine, les plans soigneusement élaborés de l’impérialisme britannique furent combattu par les sionistes qui, organisés en groupes terroristes, lancèrent une campagne sanglante contre Britanniques et Palestiniens. Dans le but de les chasser tous deux de Palestine afin de préparer le terrain pour la création de l’État sioniste.

Des organisations comme l’Irgoun (Irgoun Zwai Leumi, littéralement l’Organisation militaire nationale) n’ont pas limité leurs actions à la lutte contre les Arabes. Bien qu’ils aient parfois coopéré avec les troupes britanniques pour abattre la guérilla arabe. Lorsqu’il devint évident que l’impérialisme britannique jouait un double jeu et qu’il n’avait pas l’intention d’accorder aux Juifs leur patrie, l’Irgoun se retourna contre les Britanniques. Sous le commandement de Menahem Begin, le 22 juillet 1946, ils furent responsables du fameux bombardement de l’hôtel King David, hôtel où le haut commandement britannique était regroupé.

Après la Seconde Guerre mondiale, les États membres de la Ligue arabe, formée en 1945, furent amenés par les Britanniques à croire que la perspective d’un État juif en Palestine avait été définitivement écartée par le Livre blanc de 1939. En conséquence, ces états annoncèrent leur adhésion au Livre blanc et attendirent impatiemment la fin de la tentative juive de créer Israël en Palestine.

Mais l’Holocauste nazi en Europe avait changé la donne et avait renforcé l’idée sioniste de créer une patrie pour les Juifs en Palestine. De plus en plus de Juifs arrivaient en Palestine, et ils n’avaient aucune intention de faire de compromis sur la question de la création d’Israël.

Les Juifs refusèrent de se soumettre aux dictats britanniques. Leur lutte clandestine aboutit à l’abandon du pouvoir britannique en Palestine et à exclure le transfert de la souveraineté aux Arabes. Les Britanniques perdaient le contrôle de la situation. La position des Juifs était renforcée, l’empire britannique ne pouvait plus contrôler le processus. Début 1947, ils renvoyèrent donc le problème à l’ONU.

La recommandation de l’ONU opta pour une répartition de la Palestine avec Jérusalem en tant que ville administrée internationalement. Les Arabes palestiniens, qui représentaient 70 % de la population et possédaient 92 % des terres, reçurent 47 % du territoire ! (Résolution 181 de l’ONU). Un crime terrible fut donc commis contre le peuple palestinien.

Lorsque le Comité spécial des Nations Unies pour la Palestine vota cette répartition, il y a eu 33 voix pour, 13 contre, et 10 abstentions. Parmi les pays s’étant abstenus se trouvait la Grande-Bretagne ! Ainsi, Israël fut créé contre les plans de l’impérialisme britannique.

Cependant, les Arabes rejetèrent le compromis de l’ONU de 1947. Encouragé et armé par les Britanniques, ils se préparèrent à la guerre dans une tentative d’éliminer les sionistes et d’empêcher la naissance de l’Etat juif.

En mai 1948, les régimes arabes environnants lancèrent la guerre contre l’État juif embryonnaire. Les Britanniques, avant d’évacuer leurs forces, avaient ouvert les frontières terrestres afin que les hommes et les armes puissent affluer des pays arabes voisins. Dans le même temps, ils avaient refusé d’ouvrir un port pour les Juifs, comme cela fut recommandé par les Nations Unies. De plus, ils maintinrent leur blocus en Méditerranée pour empêcher tout renfort d’atteindre Israël.

Malgré cela, les États arabes subirent une humiliante défaite. Ainsi, non seulement la décision de l’ONU de 1947 fut mise en œuvre, mais Israël réussi à prendre encore plus de territoire à travers une guerre de conquête.

Quelle était la position de l’impérialisme américain ?

Les Etats-Unis annoncèrent également un embargo contre l’État israélien naissant et l’appliquèrent strictement. Ainsi, au début du conflit, même les États-Unis soutenaient la politique britannique. Mais la classe dirigeante américaine était divisée sur cette question. À la fin, l’aile pro-israélienne remporta la victoire et Truman soutint la formation d’un État pour les Juifs. Tout cela faisant partie du plan des Etats-Unis pour affaiblir l’impérialisme britannique et renforcer leur propre position au Moyen-Orient.

Comme nous l’avons vu, à l’origine, l’impérialisme britannique ne soutint pas la formation de l’État d’Israël. Mais plus tard, la situation changea. En effet l’Egypte commença à s’orienter vers le bonapartisme prolétarien (bien que le processus n’ait jamais été achevé et fut ensuite inversé) et à se rapprocher de l’Union soviétique. En Syrie, un régime bonapartiste prolétarien arriva au pouvoir, tandis que tous les autres régimes arabes étaient instables et despotiques. La révolution menaçait donc toute la région. Dans ces conditions, l’impérialisme britannique changea son point de vue sur Israël. L’impérialisme britannique n’étant désormais plus la force qu’il fut par le passé, ses intérêts dans la région étaient donc mieux défendus en se rangeant du côté de l’impérialisme américain. Ils soutinrent donc Israël, la seule base vraiment stable de l’impérialisme dans la région.

… et l’Union soviétique ?

Pendant des années, subsista le mythe que l’Union soviétique soutenait la cause des Palestiniens, mais en réalité ce n’était pas le cas à la fin de la Seconde Guerre mondiale. En effet la manœuvre des Etats-Unis en faveur de la création de l’Etat sioniste d’Israël reçut le soutien des staliniens du Kremlin qui votèrent « Oui » à l’ONU ! Comme nous l’avons expliqué plus haut, l’impérialisme américain avait changé de position et soutenait la formation d’Israël y voyant un moyen d’affaiblir la position de la Grande-Bretagne. Cela faisait partie d’un processus plus large par lequel les États-Unis deviendraient la principale puissance impérialiste remplaçant à ce rôle l’impérialisme britannique.

À la fin de la Seconde Guerre mondiale, la bureaucratie stalinienne se trouvait en conflit avec ses anciens « alliés » occidentaux et recherchait des points d’appui. Le Moyen-Orient à la fin de la Seconde Guerre mondiale était encore dominé par l’impérialisme britannique et français. Étant donné que la Grande-Bretagne était opposée à la création d’Israël, la bureaucratie soviétique considéra la formation du nouvel État comme un coup porté contre les Britanniques dans cette région du monde. Ils allèrent donc jusqu’à fournir des armes aux Juifs de Palestine via la Tchécoslovaquie. Ainsi, la bureaucratie stalinienne (sous Staline lui-même !) prouvait une fois de plus que sa politique internationale était déterminée par ses propres intérêts et non par ceux des travailleurs du monde. Ils étaient prêts à fouler aux pieds les droits des Palestiniens, si cela signifiait, comme ils le voyaient alors, affaiblir l’impérialisme britannique.

Quelle était la position de l’OLP (Organisation de libération de la Palestine) dans le passé ?

Dans les années 1970, c’est un fait que la position d’Arafat était de jeter les Juifs à la mer ! Formellement, la direction de l’OLP était pour un état laïc dans lequel Palestiniens et Israéliens pourraient vivre ensemble. L’OLP appela à une Palestine unifiée avec des droits pour tous. Certains citent ce passage dans l’objectif de réfuter que l’OLP appelât effectivement à l’expulsion des Juifs dans les années suivantes.

Mais si nous regardons de plus près ce qu’ils dirent, nous voyons que cette revendication d’un « État laïc » fut posée d’une telle manière qu’elle consistait en réalité à expulser la majorité des Juifs.

En 1969, leur Charte nationale palestinienne fut rédigée. L’article 5 de la Charte stipulait : « Les Palestiniens sont les ressortissants arabes qui, jusqu’en 1947, résidaient normalement en Palestine, qu’ils aient été expulsés ou qu’ils y aient séjourné. Quiconque est né, après cette date, d’un père palestinien – que ce soit en Palestine ou ailleurs est un Palestinien ». Tandis que l’article 6 disait : « Les Juifs ayant normalement résidé en Palestine jusqu’au début de l’invasion sioniste seront considérés comme des Palestiniens ».

Cela signifiait que tous les juifs venus après « l’invasion sioniste » ne seraient pas reconnus comme citoyens palestiniens. De plus l’article 20 énonçait : « Les Juifs ne constituent pas une seule nation ayant une identité propre. Ce sont des citoyens des États auxquels ils appartiennent. » Bien que cela soit vrai pour les Juifs dans le reste du monde, en Israël, les Juifs sont devenus une nation. Ces articles de la Charte nationale palestinienne montrent clairement que l’intention de l’OLP était d’expulser l’écrasante majorité des Juifs vivant alors en Israël.

Pendant des décennies, les dirigeants palestiniens indiquèrent donc clairement que leur objectif était d’expulser les Juifs. Cela ne résulta qu’à renforcer la réaction en Israël et à pousser les travailleurs juifs à soutenir les efforts de l’Etat israélien pour écraser les Palestiniens.

Depuis quand les dirigeants de l’OLP ont-ils accepté une solution à deux États ?

Pendant des décennies, les documents politiques de l’OLP ne défendirent jamais la création d’un État palestinien à côté d’Israël. Ils exigeaient une Palestine unifiée. Mais en 1988-1989, les dirigeants palestiniens acceptèrent l’idée de deux États, revenant ainsi sur la Charte nationale palestinienne de 1969. En 1988, le Conseil national palestinien (CNP), lors de sa réunion du 15 novembre, déclara l’État de Palestine (sans succès bien sûr). Le 3 août 1989, lors de sa 5èmeconférence, Al Fatah, organisation principale de l’OLP, approuva la stratégie de l’OLP adoptée à la CNP. Cela signifiait qu’ils acceptèrent le découpage. Cette retraite était un échange contre l’accord avec les Etats-Unis de reconnaître l’OLP et d’ouvrir un dialogue avec elle. Avec l’effondrement imminent de l’Union soviétique, les dirigeants de l’OLP développèrent de plus en plus d’illusions que l’impérialisme occidental pourrait leur venir en aide.

Ce changement de politique impliquait également un ajustement des objectifs. A partir de maintenant, l’OLP limitera ses demandes à la création d’un Etat en Cisjordanie et à Gaza. Ce fut le début du processus devant aboutir à la formation de l’Autorité palestinienne.

L’idée d’expulser les Juifs avait toujours été une utopie. Cette idée fut plus tard de facto rejetée par la direction palestinienne lorsqu’elle entra en dialogue avec l’impérialisme américain et reconnut l’État d’Israël. En septembre 1993, l’OLP et Israël déclarèrent finalement qu’ils se reconnaissaient mutuellement officiellement par la déclaration de principe israélo-palestinienne (Accords d’Oslo).

Quatorze années se sont écoulées depuis que la direction palestinienne a entamé le processus de négociation, et il est maintenant clair que cette approche n’a pas engendré un État palestinien viable et indépendant. L’Autorité palestinienne dépendait des intérêts de l’impérialisme américain et d’Israël. Sous le capitalisme, un État palestinien indépendant viable en Cisjordanie et dans la bande de Gaza est impossible. Car Israël n’autorisera jamais un véritable État palestinien, c’est-à-dire un État indépendant et économiquement fort qui pourrait le défier dans la région. La solution à deux États sur une base capitaliste n’est pas viable, et cela bien que le peuple palestinien n’en rejette pas l’idée en tant que telle. Le mieux que les Palestiniens peuvent espérer sur une base capitaliste est un régime fantoche totalement dominé par Israël. Cependant, un pseudo-Etat palestinien faible ne pourrait pas se développer dans une coexistence pacifique à côté d’un puissant pouvoir impérialiste tel qu’Israël. Un Israël capitaliste ne laisse pas de place à une Palestine indépendante. Sur cette base, aucun des problèmes sociaux et économiques subis par le peuple palestinien ne sera résolu et la situation continuera ainsi à s’envenimer sans véritable solution.

Un seul état unifié ou un état fédéral ?

Oslo jeta les bases de la construction de l’Autorité palestinienne à Gaza et en Cisjordanie, avec l’idée que cela deviendrait un État pour les Palestiniens. Certains soutiennent que l’acceptation de l’idée de deux Etats était seulement due aux reflux du mouvement et à la faiblesse des Palestiniens à l’époque. Et donc qu’à l’avenir ils reviendraient pour exiger un état unifié, et qu’en outre nous devrions soutenir cette demande d’un seul état.

Ainsi se pose la question suivante : une reprise du mouvement des Palestiniens les amènerait-elle une fois de plus à exiger un seul État unifié dans toute l’ancienne Palestine, c’est-à-dire revenir à la Charte nationale palestinienne de 1969 ? Le fait est que les Palestiniens n’ont pas appelé à la création d’un État depuis un certain temps, comme nous l’avons montré plus haut. Mais si tel était le cas, devrions-nous soutenir la demande d’un État ? Sur une base capitaliste évidemment pas. La dernière Intifada n’a rien accompli. Les Palestiniens ont été brisés par l’armée israélienne. Militairement, les Palestiniens ne peuvent pas vaincre l’État d’Israël. C’est une puissante force impérialiste, avec l’une des machines militaires les plus modernes et les plus efficaces. Face à ce géant, le peuple palestinien ne demandera certainement pas un État unifié. De plus, s’ils présentaient cette demande, comment l’atteindraient-ils ? Comment l’imposeraient-ils aux Juifs d’Israël ?

Dans l’état actuel des choses, les Juifs en Israël ne consentiront jamais à l’établissement d’un État unifié sur une base capitaliste. Ils se sentiraient menacés par les Palestiniens. Il y a trop d’animosité et de ressentiments pour que cela se produise maintenant. Et sur une base capitaliste c’est une utopie complète. D’un autre côté, le peuple palestinien ordinaire est fatigué et las de la guerre. Ils veulent continuer leur vie, avoir une maison et un emploi. La situation actuelle les prive des conditions les plus élémentaires nécessaires à existence civilisée. 80 % de l’économie de la Cisjordanie et de Gaza dépend d’Israël. Dorénavant, les Palestiniens ne peuvent plus aller en Israël où beaucoup d’entre eux travaillaient. Nombreux sont ceux à qui leurs anciens employeurs israéliens doivent des mois et des années de salaires. Ils cherchent une solution à ces problèmes et personne ne leur en offre.

Reste le problème des réfugiés, qui ont le droit de retourner dans leur patrie. Cependant, cela ne peut être simplement un retour aux mêmes terres et maisons qu’ils possédaient avant 1948. Une nation entière habite maintenant Israël et y est restée depuis plusieurs générations. Dans les limites d’un Israël et d’une Palestine capitaliste, il n’y aurait pas assez de maisons, d’emplois, de services sociaux pour tous. Inévitablement, certains seraient perdants. Dans ce contexte, si 4 millions de réfugiés palestiniens retournaient sur leurs anciennes terres, la population juive se sentirait submergée. La classe dirigeante israélienne s’en servirait pour fomenter l’hostilité entre les deux peuples. Cela explique pourquoi les Juifs en Israël n’accepteront jamais cela, sur une base capitaliste.

Devant la perspective de devenir une minorité discriminée au sein d’un État capitaliste unifié, les Juifs se battraient. Même sur une base socialiste, nous devrions prendre en considération les expériences passées, c’est-à-dire le fait que l’animosité et la méfiance dominent. Nous devons également tenir compte du fait qu’il y a deux nations ici, les Juifs en Israël et les Palestiniens, avec des histoires, des langues, des cultures et des points de vue différents. Nous devons de plus comprendre que même sur une base socialiste, il devrait y avoir une autonomie à la fois pour les Juifs d’Israël et pour les Palestiniens. Ils devraient tous sentir qu’ils ont un territoire sûr où vivre paisiblement. Une fédération socialiste devrait donc donner des garanties à tous les peuples du Moyen-Orient et en particulier aux minorités.

Nous pouvons apprendre de l’expérience de la Russie de 1917. Avant la révolution, il y avait de terribles conflits entre les Arméniens et les Azéris, avec des pogroms à Bakou, etc. Avec l’arrivée au pouvoir des travailleurs, deux Républiques socialistes ont été créées au sein de la fédération de l’URSS. Chaque nation avait son propre territoire, et une fois la menace de l’oppression nationale levée, cela ne posait plus de problème. La même chose s’est produite en Yougoslavie (même sans véritable régime socialiste). Après l’arrivée au pouvoir de Tito, une République fédérale fut créée avec des territoires reconnus pour les Serbes, les Croates, etc. Bien sûr, une séparation parfaite des peuples n’est jamais possible – ni souhaitable d’un point de vue socialiste. Il y aura toujours des minorités. Ces minorités doivent avoir les mêmes droits que toutes les autres personnes vivant sur le même territoire. Cependant, dans l’ex-Yougoslavie, les Serbes, les Croates, les Slovènes, les Macédoniens, etc. avaient un territoire qu’ils pouvaient considérer comme le leur. Sur la base d’un développement économique d’environ 10 % par an pendant une période, les antagonismes nationaux furent brisés et, pendant des décennies, les différents peuples purent vivre ensemble et circuler librement dans l’ensemble de l’ex-Yougoslavie. Les frontières entre les différentes républiques étaient ouvertes. Malheureusement, sur la base de la crise économique conséquence de l’emprise de la bureaucratie, tous les vieux problèmes refirent surface. Avec l’augmentation du chômage, une inflation élevée et une détérioration générale des conditions économiques, tous les anciens conflits ethniques ont été relancés et utilisés par l’élite locale au sein de chaque nationalité. Cependant, la période précédente (malgré les déformations bureaucratiques de l’ancien régime) nous donne un aperçu de la façon dont une solution aux conflits ethniques peut être trouvée par le développement économique et la garantie de droits pour tous les peuples.

C’est pourquoi, en nous basant sur ces exemples historiques, nous demandons une structure fédérale dans l’actuel Israël/Palestine avec une autonomie pour les Juifs et les Palestiniens, et Jérusalem comme capitale des deux régions, au sein d’une Fédération socialiste plus large de l’ensemble des Moyen-Orient. Cela impliquerait inévitablement de fermer la plupart des colonies et de redessiner les territoires qui seraient attribués aux deux nations (des parties de l’actuel Israël sont majoritairement palestiniennes). Deux territoires distincts devraient être mise en place. Encore une fois, il ne serait pas possible d’avoir deux territoires totalement homogènes. Il y aurait des minorités des deux côtés, et celles-ci devront bénéficier des mêmes droits que tous les autres habitants de ces territoires sans aucune discrimination. Un État viable pour les Palestiniens pourrait être construit à partir de la Cisjordanie, de Gaza et de la Jordanie (où 60 % de la population est palestinienne !). Et toutes les parties de l’Israël actuel pourraient être intégrées de manière viable à un tel État.

Mais tout cela n’est réalisable que sur la base d’une révolution socialiste menant les travailleurs au pouvoir dans toute la région. Sur la base d’une telle révolution, les travailleurs pourront résoudre leurs problèmes de manière amicale et fraternelle. Un État fédéral impliquerait l’autonomie pour chaque peuple dans la gestion de ses propres affaires, le droit d’utiliser sa propre langue, le respect de toutes les croyances religieuses, etc. De plus il y aurait une coopération économique entre les différents groupes autonomes qui prendront part à l’élaboration d’un plan d’ensemble pour l’ensemble de la région. Et bien sûr, il y aurait la libre circulation des peuples à travers les frontières entre les différentes régions autonomes.

L’idée d’établir deux états sur une base capitaliste est une utopie réactionnaire, tout comme l’est celle d’établir un seul État capitaliste. Deux états totalement indépendants basés sur le capitalisme ne verront jamais le jour. La classe dirigeante israélienne ne le permettra pas. La solution du problème ne peut se faire que par le renversement du capitalisme israélien et le renversement des régimes arabes despotiques environnants, c’est-à-dire par une politique révolutionnaire capable d’unir la classe ouvrière juive et arabe contre leur ennemi commun.

Pour que cela se produise, les travailleurs des deux côtés ont besoin d’une perspective internationaliste. Ils doivent comprendre que leurs problèmes ne peuvent pas être résolus dans les limites étroites de leur propre Etat-nation. Ils doivent donc diriger leur lutte contre leur ennemi commun, les capitalistes et les propriétaires fonciers qui dominent tous ces pays. Les travailleurs juifs ne sont pas les ennemis des travailleurs palestiniens, et vice versa. Sharon attaque les Palestiniens et dans le même temps prépare des mesures sociales et économiques draconiennes qui frapperont les travailleurs juifs. Alors que l’Autorité palestinienne était autorisée à exister pendant une période, nous avons très clairement vu comment une élite palestinienne commençait à s’enrichir aux dépens des travailleurs palestiniens.

Sur la base d’une telle perspective, il serait possible de construire une Fédération socialiste du Moyen-Orient, au sein de laquelle chaque nation aurait à la fois l’autonomie la plus complète et le droit à l’autodétermination. Ainsi, une patrie pourrait être garantie à la fois aux Juifs et aux Palestiniens. Une fédération socialiste sur une période de plusieurs années permettrait un développement économique rapide. Avec des emplois, des logements décents, de l’eau potable, des soins de santé, des retraites pour tous, il serait possible de travailler à trouver une solution à la question nationale et à la collaboration et à la coopération harmonieuses entre tous les peuples du Moyen-Orient. Comme Lénine l’expliquait il y a longtemps, au fond, la question nationale est une question de pain. Une fois les problèmes économiques éliminés, le conflit national disparaîtra progressivement au cours des années.

13 Septembre 2002


[1] Les Livres blancs sont une série de lois et de mesures fixant la politique mandataire relative à la situation en Palestine.