La Suède détonne de la plupart des pays capitalistes alors qu’elle n’a presque pas imposé de mesures de confinement et de distanciation sociale. Mais contrairement à ce qu’on entend parfois, la situation n’y est pas meilleure. Dans cette version abrégée d’un article publié le 1er mai dernier par la section suédoise de la Tendance marxiste internationale, la situation véritable du pays est expliquée.

En date de la fin avril, le nombre de décès par 1000 habitants dus à la COVID-19 en Suède est trois fois celui du Danemark, trois fois celui de l’Allemagne et quatre fois celui de la Norvège. Le gouvernement véhicule l’idée nationaliste selon laquelle la Suède est en quelque sorte différente et meilleure du reste du monde. Mais la pandémie a révélé les vraies couleurs de la société de classe suédoise.

Le 4 février, le directeur de la santé publique, Johan Carlson, a déclaré que « le coronavirus ne se propagera pas dans la société suédoise dans les circonstances actuelles ». Les autorités ont souligné à maintes reprises que nous avons « l’un des meilleurs systèmes de santé au monde ».

La vérité est que les coupes et les privatisations ont entraîné une détérioration rapide des soins de santé. Le nombre de lits d’hôpitaux a diminué de plus de moitié depuis les années 90, et il est aujourd’hui le plus bas par 1000 habitants de tous les pays de l’OCDE. Lorsque la dernière enquête a été réalisée en 2012, la Suède avait le deuxième plus petit nombre de lits de soins intensifs de toute l’Union européenne.

Même s’il ne l’admet généralement pas publiquement, il est clair que le gouvernement suédois a adopté une approche d’ « immunité collective » pour lutter contre le virus. L’épidémiologiste Anders Tegnell décrivait ainsi la stratégie suédoise : « Tout épidémiologiste sérieux sait que seule l’immunité collective permettra de ralentir la propagation du virus. Rien d’autre ne le ralentira à long terme… et nous sommes loin d’un vaccin. »

Laisser la population s’exposer au virus sans tenir compte de la pénurie de lits de soins intensifs, des hôpitaux mal équipés, du personnel médical surchargé, des maisons de retraite non préparées et des établissements de soins affaiblis par les décennies de coupes et de privatisations dévoile les véritables priorités du gouvernement suédois.

Alors que le capitalisme entre en crise à l’échelle mondiale, le gouvernement suédois accorde une attention particulière à protéger les profits des capitalistes. Les 2,1 milliards d’euros supplémentaires accordés aux programmes sociaux sont dérisoires par rapport à la diminution des recettes fiscales due à la crise. Et les grandes entreprises se sont vues promettre plus de 20 fois plus : 58 milliards d’euros en subventions.

Négligence

Au début de la pandémie, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) préconisait un « dépistage agressif », la recherche des contacts, l’isolement et la quarantaine. La Suède n’a pas suivi ces recommandations. La recherche des contacts a été abandonnée le 12 mars, Tegnell décrivant cette pratique comme « désormais sans intérêt ». Bien que les autorités ne l’aient jamais ouvertement admis, il y a une pénurie importante de trousses de test, ce qui a sévèrement limité le dépistage. De manière scandaleuse, même les travailleurs de la santé exposés à des patients atteints de la COVID-19 sans équipement de protection n’étaient pas testés. Il n’y avait pas de quarantaine pour les personnes issues de foyers où des cas avaient été confirmés, à qui l’on demandait de se présenter au travail comme d’habitude (tant qu’elles ne présentaient pas de symptômes). Cette règle s’appliquait également aux personnes travaillant dans le secteur de la santé.

La bourgeoisie suédoise craint que des mesures plus rigoureuses ne nuisent à ses profits. C’est ce qu’a plus ou moins confirmé la responsable de l’unité d’analyse de l’Agence suédoise de santé publique, Lisa Brouwers :

« On ne peut pas fermer une société, les voyages, les transports et les relations sociales pendant plusieurs années. Ce n’est pas possible. Je ne pense même pas qu’il vaille la peine d’essayer. L’économie s’effondrera bien avant cela. »

Plus de 2000 scientifiques et chercheurs suédois ont signé le 25 mars une pétition demandant au gouvernement de « prendre immédiatement des mesures pour suivre les recommandations de l’OMS ». Le 14 avril, 22 chercheurs et scientifiques ont signé un texte où ils disent :

« En conséquence [de la décision des autorités de santé publique d’ignorer les premiers signes de propagation], il ne s’est pas passé grand-chose le mois suivant. Il n’y a pas eu d’expansion majeure des capacités de dépistage. Aucun effort important n’a été fait pour constituer des stocks d’équipements de protection… [Les autorités de santé publique] refusent toujours d’accepter que la propagation de l’infection par des porteurs asymptomatiques ait contribué de manière significative à la mortalité chez les personnes âgées. Et elles sont réticentes à changer leurs recommandations, même maintenant que les courbes de la Suède commencent à différer radicalement de celles des pays voisins. »

« Le meilleur système de santé au monde »

Un rapport de 2012 du think tank conservateur américain The Heritage, affirme : « Aucun pays n’a privatisé et déréglementé les services publics aussi rapidement que la Suède. Depuis 1996, la Suède a progressé plus vite que toute autre économie développée. » 

Ce processus a commencé dans les années 80 et s’est accéléré lors de la crise économique du début des années 90. Et les privatisations et les coupes se poursuivent encore aujourd’hui. Un hôpital de Stockholm a été vendu pour 52,6 millions d’euros en mars dernier à une société appartenant à Wallenberg, la famille la plus riche de Suède. Selon l’Office national de la santé et de la protection sociale, la Suède comptait 4300 lits de soins intensifs en 1993, mais en 2018, ce nombre était tombé à 574.

L’année dernière, 500 opérations ont dû être annulées parce que la société privée Apotektjänst a raté ses livraisons de fournitures médicales. La fourniture de médicaments relevait auparavant d’un monopole d’État, mais celui-ci a été déréglementé en 2009 et les huit magasins centraux ont été démantelés. Les sociétés capitalistes comme Procurator gonflent les prix de l’équipement de protection individuelle jusqu’à 900%. 

Aujourd’hui, trois résidences pour personnes âgées sur quatre à Stockholm et une sur trois à Göteborg ont des cas de COVID-19, bien que le chiffre réel soit probablement plus élevé. Le nombre d’emplois précaires dans ces résidences est l’une des principales raisons de la propagation rapide du virus aux personnes âgées. Un travailleur sur quatre dans les résidences pour personnes âgées du secteur public est sous contrat temporaire et un sur cinq a un contrat à durée déterminée.

En raison du manque d’équipement de protection, les autorités ont affirmé le 27 mars qu’il n’était pas nécessaire d’utiliser de masque et que les blouses sans manches étaient acceptables – à condition que les travailleurs utilisent du gel désinfectant. Cela a suscité l’indignation des travailleurs de la santé, qui ont lancé un groupe Facebook appelé « #Vägrasänkahygienkraven covid-19 » (« #refusonsdesnormessanitairesplusbasses covid-19 ») qui a atteint plus de 60 000 membres en une semaine. Le groupe débordait de commentaires furieux du genre : « Ces politiciens marcheront sur des cadavres si c’est ce qu’il leur faut pour rester au pouvoir. »

Crise économique : lutte de classe à venir

La Suède est maintenant confrontée à une récession bien plus grave qu’en 2008-2009. Plus de 100 000 personnes ont perdu leur emploi depuis le début de mars, la majorité dans le secteur des services (hôtels, restaurants et bars), où de nombreux travailleurs ont des contrats précaires. Certains économistes estiment que le PIB suédois pourrait se contracter jusqu’à 10% et que le chômage pourrait atteindre 13,5% dès la première année de la crise.

Le gouvernement a introduit quelques concessions mineures pour les travailleurs, telles que le paiement de leur premier jour de maladie, mais ces concessions sont loin de compenser la perte de salaire. Il a abaissé les conditions d’obtention des indemnités de chômage, mais la plupart des jeunes travailleurs sous contrat temporaire « zéro heure » ne répondent pas aux exigences et n’y ont pas droit.

En plus des 58 milliards d’euros que le gouvernement donne aux entreprises, la banque centrale a promis aux banques une aide en liquidités pouvant atteindre 129 milliards d’euros. Les travailleurs perdent leur emploi, courent le risque de tomber malades et de ne pas recevoir de traitement – tout cela pendant que l’État fait de son mieux pour aider les patrons à se remplir les poches.

De nombreux travailleurs espèrent qu’il s’agit d’une période temporaire et que les choses reviendront à la normale après la pandémie. Mais une nouvelle vague de coupes budgétaires sera déclenchée pour équilibrer le budget de l’État pour payer les cadeaux faits aux capitalistes. Cela prépare le terrain pour une lutte de classe massive.

Jacob Wallenberg, chef de la famille capitaliste la plus riche de Suède, a prédit que, si la crise se prolongeait, elle pourrait se traduire par un taux de chômage de 20 à 30% et une contraction de l’économie du même ordre. Dans un tel scénario, « il n’y aura pas de reprise. Il y aura des troubles sociaux. Il y aura de la violence. Il y aura des conséquences socio-économiques : un chômage dramatique. » En d’autres termes, il a une peur bleue de la lutte des classes. Ajoutons que le scénario qu’il dépeint aurait des conséquences révolutionnaires évidentes.

En 1980, la Suède était l’un des pays les plus égalitaires au monde. Depuis lors, il y a eu un transfert massif de la richesse des travailleurs vers les capitalistes. La Suède est le pays de l’OCDE où les inégalités ont augmenté le plus rapidement au cours des dernières décennies. Nous ne pouvons laisser les capitalistes utiliser cette crise pour voler davantage la classe ouvrière afin de protéger ses profits. Nous avons besoin d’une offensive de la classe ouvrière pour répondre à l’assaut des patrons. La crise devrait être payée par les capitalistes qui se remplissent les poches et qui engrangent des profits records depuis des années. 

Ce sont les travailleurs qui savent le mieux ce qui doit être produit, quels emplois sont essentiels et comment les choses doivent être produites. La classe ouvrière a le pouvoir d’arrêter la production dans l’ensemble de la société et donc aussi le pouvoir de transformer la société, par la prise de pouvoir révolutionnaire de la classe capitaliste et de son État bourgeois. Une véritable société socialiste serait dirigée par les travailleurs eux-mêmes, et non par les politiciens et les patrons qui sont libres d’introduire des mesures qui mettent en danger la vie et la santé des travailleurs ordinaires parce qu’ils ne seront pas affectés par ces mesures. 

Un monde socialiste, sans frontières nationales, avec une économie planifiée nationalisée gérée par une démocratie ouvrière – voilà ce pour quoi nous nous battons.