Édition Nº 15

Révolution communiste
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Discussions avec Trotsky – Extrait du livre de Fred Zeller « Trois points, c’est tout »

Trotsky insistait souvent sur les problèmes d’organisation. Il y attachait à juste titre une énorme importance. « Si vous ne formez pas de bons administrateurs sérieux à tous les échelons du mouvement, même si vous avez mille fois raison, vous ne vaincrez pas. »

  • Fred Zeller
  • jeu. 15 mai 2025
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Trotsky avec des amis en 1936.

Ce texte est un extrait du livre Trois points, c’est tout de Fred Zeller (1912-2003). Zeller, qui était à l’époque secrétaire des Jeunesses socialistes de la Seine (Paris) et sympathisant du mouvement trotskyste pendant les années 30, s’était rendu voir Trotsky en Norvège à la fin du mois d’octobre 1935. Zeller rejoint brièvement le Groupe bolchévik-léniniste (l’organisation trotskyste en France), mais quitte le mouvement plus tard.

Le texte donne un aperçu de l’approche de Trotsky sur un certain nombre de questions, notamment les problèmes organisationnels auxquels les trotskystes étaient confrontés. Ces réflexions de Trotsky sont précieuses pour les révolutionnaires d’aujourd’hui.


Trotsky insistait souvent sur les problèmes d’organisation. Il y attachait à juste titre une énorme importance. « Si vous ne formez pas de bons administrateurs sérieux à tous les échelons du mouvement, même si vous avez mille fois raison, vous ne vaincrez pas. Ce qui a toujours manqué aux bolcheviks-léninistes – et aux Français en particulier – ce sont des organisateurs, de bons financiers, des comptes en ordre et des publications lisibles et bien corrigées… »

L’accrochage le plus sérieux, si j’ose dire, que j’eus avec lui porta sur le centralisme démocratique, dont la conception autoritaire implacable me paraissait aussi dangereuse que la méthode sociale-démocrate qui ne permet jamais aux simples militants des sections d’influencer de manière décisive la direction du parti.

L’application du centralisme par le bureau politique de Lénine permit la prise du pouvoir. Sous Staline, elle amena les défaites révolutionnaires et la dégénérescence des partis dits « communistes ». Trotsky, tout en insistant fortement sur le fait que le bureau politique de Lénine appliqua un centralisme « démocratique » alors que celui de Staline appliqua un centralisme « bureaucratique », reconnut avoir buté sur ce problème au Deuxième Congrès [du Parti Social-Démocrate Russe, en 1903], ce qui le sépara de Lénine pendant des années. « Cependant, ajouta-t-il, une fois encore Lénine eut raison. Sans un parti fortement centralisé, nous n’aurions jamais pris le pouvoir. Le centralisme, c’est la plus haute tension organisationnelle vers le « but ». C’est le seul moyen de mener des millions d’hommes au combat contre les classes possédantes. »

[…]

Il ajoutait que l’application du centralisme ne devait pas être systématique, mais qu’elle devait évoluer en fonction de la situation politique. Il citait en exemple le P.C. russe de 1921 passant du type ultra-centralisé et militaire imposé par la guerre civile à une organisation appuyée sur les cellules d’entreprises en fonction des nécessités de la reconstruction économique : « Entre deux congrès, c’est le comité central et son bureau politique qui dirigent le parti et veillent à l’application rigoureuse, à tous les échelons, de la politique décidée par la majorité. Il n’est pas admissible de revenir à chaque instant sur les questions de direction et de fausser ainsi l’application de la politique définie par le parti. »

Il revenait souvent aussi sur un des plus grands dangers qui guettent I’avant-garde ouvrière : le sectarisme qui épuise, dessèche, démoralise et isole […].

« Toute sa vie, Lénine a lutté contre les déviations sectaires qui couperaient, et qui ont coupé, les révolutionnaires des mouvements des masses et de l’intelligence d’une situation. À plusieurs reprises, il dut lutter contre les « vieux bolcheviks », tout juste capables en son absence de faire coïncider les « textes sacrés » avec l’actualité. »

Trotsky rappelait ce qui s’était passé en 1905, les bolcheviks ne jouant alors qu’un rôle effacé en raison de la position sectaire qu’ils adoptèrent, en l’absence de Lénine, vis-à-vis du soviet de Petrograd : « La routine théorique, cette absence de création politique et tactique, ne remplaça pas la perspicacité, le coup d’œil, le flair qui « sentent » une situation, en démêlent les fils principaux et dégagent une stratégie d’ensemble. C’est dans une période révolutionnaire, et surtout insurrectionnelle, que ces qualités deviennent décisives. »

Trotsky revenait régulièrement sur la nécessité de resserrer des liens fraternels entre les camarades de lutte : 

« Il faut les préserver, les encourager, veiller sur eux, répétait-il. Un militant ouvrier expérimenté représente pour l’organisation un capital inestimable. Il faut des années pour former un bon dirigeant. On doit donc tout faire pour préserver un militant. Ne pas le briser s’il flanche, mais I’aider à surmonter sa défaillance, à sortir de son moment de doute.

Ne perdez pas de vue ceux qui « calent » en route. Facilitez leur retour dans l’organisation si vous n’avez rien à leur reprocher d’irrémédiable sur le plan de la morale révolutionnaire. »

Quand nous nous promenions le soir dans la montagne, il lui arrivait d’évoquer la santé physique du militant, la « forme », dirions-nous aujourd’hui. Il y était attentif. Il songeait à surveiller ceux qui s’épuisaient, à ménager les forces des plus faibles : « Lénine s’est toujours préoccupé de la santé de ses collaborateurs. « Il faut aller le plus loin possible dans le combat et le chemin est long », disait-il. »

Le climat intérieur de l’organisation le rendait soucieux. Dans les petits mouvements d’avant-garde qui luttent à contre-courant, les querelles internes sont souvent les plus sévères et les plus violentes. Après les exclusions de la SFIO, le GBL (Groupe bolchevik-léniniste) se divisait ainsi en plusieurs fractions hostiles : « Si les camarades regardent au delà et portent leurs efforts vers l’extérieur et le travail pratique, la « crise » se résorbera », disait Trotsky, « mais il faut toujours veiller à ce que l’atmosphère demeure saine et le climat intérieur acceptable pour tous. Il faut que chacun travaille de tout son cœur et avec le maximum de confiance. »

« La construction du parti révolutionnaire exige la patience et de durs efforts. À aucun prix, on ne doit décourager les meilleurs, et vous devez vous montrer capables de travailler avec tout le monde. Chacun est un rouage à utiliser au maximum pour renforcer le parti. Lénine en connaissait I’art. Après les plus vives discussions, les plus âpres polémiques, il savait trouver les mots et les gestes qui atténuaient des paroles malheureuses ou blessantes. »

Pour Trotsky, l’essentiel dans la période que nous nous apprêtions alors à vivre consistait à former et à consolider un appareil d’organisation. Sans appareil, pas de possibilité d’appliquer une politique : tout se borne alors à des bavardages sans portée réelle. La difficulté des grandes constructions humaines, c’est le choix judicieux de la personnalité apte à remplir telle on telle fonction. L’art des organisateurs consiste à plier les individualités au travail collectif pour que chacun devienne le complément des autres. Un « appareil », c’est un orchestre où chaque instrument s’exprime seul pour se fondre et s’effacer dans l’harmonie créée.

« Évitez, disait Trotsky, de désigner dans une commission de travail des militants d’égale valeur et de même tempérament. Ils s’annuleraient mutuellement sans obtenir les résultats escomptés. Savoir choisir les camarades adaptés à une tâche déterminée; leur expliquer patiemment ce que l’on attend d’eux; agir avec souplesse et tact, c’est ainsi que s’impose une vraie direction. Laissez le maximum d’initiative aux responsables de secteurs. En cas d’erreurs, corrigez-les en expliquant amicalement en quoi elles sont préjudiciables à la collectivité du parti. Ne prenez de sanctions que dans les cas les plus graves. La règle générale doit être de permettre à chacun de progresser, de se dépasser, de devenir meilleur. »

« Ne vous perdez donc pas dans les détails secondaires qui vous masquent l’ensemble de la situation. Ne faites que ce que vous pouvez, avec les forces dont vous disposez. Jamais davantage. Sauf, bien entendu, dans les situations décisives. » 

Le Vieux ajoutait qu’il ne faut pas tendre indéfiniment les nerfs des camarades. Après chaque effort, on doit souffler, faire le point, se renouveler, en demeurant méthodique et précis sans rien laisser au hasard : « Quoi que vous fassiez, fixez-vous un objectif, même très modeste, mais efforcez-vous de I’atteindre. Procédez ainsi pour chaque rouage de l’organisation. Puis élaborez un plan à court ou à long terme, et appliquez-le sans faiblir, d’une main de fer. C’est le seul moyen d’avancer et de faire progresser toute l’organisation. »

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