Du pain et des roses : les origines socialistes de la Journée internationale de la femme

Plus de 100 ans se sont écoulés depuis l’organisation de la première Journée internationale de la femme. Alors qu’au courant des dernières années cette journée a été consacrée aux droits des femmes et aux accomplissements de celles-ci, ses origines socialistes sont de moins en moins connues. Nommée à l’origine la Journée internationale des travailleuses, elle […]

  • Jennie Ernewein
  • ven. 6 mars 2015
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Plus de 100 ans se sont écoulés depuis l’organisation de la première Journée internationale de la femme. Alors qu’au courant des dernières années cette journée a été consacrée aux droits des femmes et aux accomplissements de celles-ci, ses origines socialistes sont de moins en moins connues.

Nommée à l’origine la Journée internationale des travailleuses, elle fut proposée en 1910 par Clara Zetkin lors de la Conférence internationale de la femme qui était liée à la IIe Internationale socialiste. Regroupant 100 déléguées provenant de 17 pays, la Journée internationale des travailleuses était un évènement socialiste qui avait pour but de promouvoir l’égalité des droits, incluant le vote des femmes, de s’élever contre la discrimination genrée et d’unir la lutte d’émancipation de la femme au besoin d’abolir le capitalisme. Le 19 mars 1911, ce fut la première fois où plus de 100 millions de personnes en Autriche, au Danemark, en Allemagne et en Suisse se sont rassemblées pour la Journée internationale des travailleuses. À Vienne, des femmes transportaient une bannière pour rendre hommage aux femmes de la Commune de Paris de 1871, premier épisode historique qui a vu les travailleurs et les travailleuses prendre le pouvoir. Les femmes de la Commune ont joué un rôle particulièrement exceptionnel et héroïque dans cette lutte en demandant le droit de voter, de divorcer et de s’éduquer, la séparation de l’Église et de l’État en plus d’exiger le droit de s’armer pour défendre leur cause.

En 1917, la Journée internationale des femmes a marqué le début de la Révolution russe. Les travailleuses, par des manifestations à Petrograd, demandaient la fin de la Première Guerre mondiale, la fin des pénuries alimentaires et la fin du régime tsariste. Initialement, ce sont les travailleuses du textile qui ont quitté leurs usines et qui ont envoyé des déléguées chercher du support pour leur grève. Cela a mené à une grève massive et la Révolution de Février (ces évènements se sont produits le 8 mars sur le calendrier grégorien actuel). Après la prise du pouvoir par les Bolcheviks en 1917, il y eut des avancées énormes en ce qui concerne les droits des femmes. Les Bolcheviks avaient toujours eu une approche sérieuse en ce qui concerne les femmes et leur émancipation. Il y avait même des comités spéciaux qui avaient pour mandat la mobilisation des travailleuses, dont certaines ont joué un rôle clé parmi la direction des Bolcheviks. Voici une brève liste des avancées que les Bolcheviks ont apportées avec la Révolution russe : droit de vote pour les femmes, le droit au divorce, la décriminalisation de la prostitution, la décriminalisation de l’homosexualité, la légalisation de l’avortement et le développement de programmes sociaux pour les mères et les enfants. Ce n’est qu’avec la dégénérescence stalinienne que plusieurs de ces gains pour les femmes ont été perdus dans le cadre d’une large répression de la révolution par la caste bureaucratique qui avait pris le contrôle de l’État ouvrier.

La lutte des femmes pour leur émancipation est intimement liée à la lutte contre le capitalisme. Il a fallu un effort concerté pour dépolitiser et pour retirer ses origines socialistes à la Journée internationale de la femme. Durant les années 1960, les anciennes nations staliniennes, telles l’URSS et la Chine, avaient déclaré cette journée fête nationale. Les femmes avaient une journée de congé au travail. Dans le monde occidental, le mouvement pour les droits politiques des femmes a connu des divisions et a éventuellement rompu sur des lignes de classes. Plusieurs femmes libérales ou bourgeoises ont reconnu cette journée comme une opportunité de célébrer les accomplissements des femmes en mettant l’accent sur la montée de certaines femmes vers des postes de PDG ou de membres de conseils d’administration. L’histoire socialiste de cette journée représente les travailleuses qui comprenaient que l’oppression de toutes les femmes trouvait ses racines dans la société de classes. En ce sens, pour réellement accomplir l’émancipation complète des femmes, il était nécessaire à leurs yeux de créer une société socialiste démocratique qui abolirait le système de classes. L’équité pour les femmes n’est certainement pas atteinte quand quelques femmes réussissent à monter dans la hiérarchie des entreprises alors que les autres sont laissées de côté. Cela est mis en évidence par l’ONU qui rapporte que les femmes travaillent les 2/3 de toutes les heures travaillées au monde et qu’elles produisent 50% de toute la nourriture, alors qu’elles possèdent seulement 10% de la richesse mondiale et 1% de toute la propriété. Question de compléter le portrait, 70% des personnes pauvres sont des femmes ou des filles. En 2014, le thème donné par l’ONU à la Journée internationale des femmes était « L’égalité pour les femmes est un progrès pour tous », ce qui nous amène toutefois à nous demander comment cela est réellement possible sous le capitalisme.

Au Canada, la lutte pour l’émancipation des femmes se poursuit aujourd’hui. Malgré les gains comme le droit de vote, l’augmentation du nombre de femmes éduquées et présentes sur le marché du travail, la légalisation de l’avortement et la création de programmes pour aider celle qui sont victimes d’agressions sexuelles et de violence conjugale, la crise du capitalisme a entraîné des attaques féroces contre les programmes sociaux et les bons emplois durement acquis qui assurent aux femmes et aux travailleuses des conditions de vie décentes. Les mesures d’austérité implantées à tous les paliers de gouvernement n’ont fait qu’aggraver les inégalités, la pauvreté et l’oppression des femmes et des jeunes déjà présentes sous le capitalisme. Au Canda, l’austérité a entrainé un gel des salaires et des coupures qui ne permettent pas de garder un haut niveau de vie. Plus de 60% des emplois créés sont des emplois au salaire minimum et, en Ontario, il y a plus de 156 000 ménages sur la liste d’attente pour des habitations à loyers modiques. L’augmentation des frais de scolarité a causé une dette moyenne de 27 000$ pour les étudiant-e-s canadien-ne-s. Les frais de garderie s’élèvent maintenant, en moyenne à travers le pays, à 860$ par mois. En 2006, les Conservateurs ont attaqué le ministère de la Condition féminine en réduisant leur budget de 5 millions et forçant ainsi la fermeture de 12 de leurs 16 bureaux régionaux. Cette coupure l’a empêché de financer des groupes de femmes engagés dans la promotion et la recherche concernant « l’équité des genres et la justice sociale. »

De l’Égypte à l’Inde en passant par les mouvements des Premières Nations au Canada, les femmes et la jeunesse jouent actuellement un rôle de premier plan dans la lutte révolutionnaire contre l’austérité. Dans plusieurs pays, la Journée internationale de la femme maintient ses liens avec le mouvement des travailleurs et travailleuses avec sa présence dans les syndicats, les partis ouvriers et les groupes communautaires. Les origines socialistes de cette journée sont un important rappel que l’action militante, combinée avec un programme socialiste, sont essentiels à l’avancement des conditions de vie des femmes, de tous les travailleurs et de toutes les travailleuses.