Photo : Pierre Fitzgibbon/Facebook

Dans le cadre de ses engagements en matière climatique, la Coalition avenir Québec a annoncé en novembre dernier un plan visant la « sobriété énergétique ». À cet effet, le premier ministre François Legault et le ministre de l’Économie Pierre Fitzgibbon demandent aux  consommateurs de baisser le chauffage et proposent d’imposer des tarifs d’électricité augmentés aux heures de pointe. Alors que les travailleurs du Québec souffrent déjà de la diminution de leur salaire réel et de leurs conditions de vie en raison de l’inflation et de l’augmentation des taux d’intérêts, les recommandations de Fitzgibbon représentent une façon éhontée de placer le fardeau de la crise climatique sur les épaules de la classe ouvrière.

Faire payer les travailleurs

Le premier ministre François Legault a annoncé dans le discours d’ouverture de son second mandat en novembre dernier son intention de « décarboner » le Québec et ce, en misant sur l’électrification de l’économie. Selon Hydro-Québec, la demande en électricité devrait fortement augmenter dans les prochaines années, notamment en raison de l’émergence de nouveaux secteurs comme les centres de données et les véhicules électriques. Et pour atteindre la carboneutralité d’ici 2050, le Québec aurait besoin de 100 térawattheures de plus, une augmentation de près de la moitié de la production annuelle actuelle. 

Pour répondre à cette demande,  le gouvernement mise sur l’augmentation de la production d’électricité d’Hydro-Québec, sur l’énergie éolienne, mais aussi sur « l’efficacité et la sobriété énergétique ». Legault a été plutôt vague sur ce qu’il entendait exactement par là, mais Fitzgibbon a défini plus tard dans un point de presse ce que la CAQ avait l’intention d’inclure dans un futur projet de loi à cet effet, qui sera déposé quelque part en 2023.

Le projet de loi potentiel de la CAQ s’appuie en grande partie sur des mesures affectant les travailleurs comme la réduction du chauffage la nuit et lorsque les habitants d’un domicile ne sont pas à la maison et la tarification dynamique ou modulée.

La tarification dynamique est une pratique qui vise à augmenter sensiblement le prix de l’électricité aux heures de pointe, soit la semaine entre 6h et 9h et entre 16h et 20h. Vu que près de 70% des travailleurs au Québec fonctionnent sur un horaire régulier de style « 9 à 5 », ce serait donc une majorité de Québécois qui devraient payer plus cher pour chauffer leur maison, se nourrir, se laver ou accomplir leurs tâches ménagères de base. La tarification dynamique augmente aussi le prix en période de grand froid, ce qui signifie que les foyers pauvres pourraient se voir forcés d’accepter de souffrir du froid pour ne pas se ruiner.

Des experts comme Sylvie De Bellefeuille, conseillère budgétaire et juridique chez Option consommateurs, ont avec raison qualifié cette mesure de « régressive » en soulignant que « les tarifs modulés, c’est particulièrement pénalisant pour les ménages à faible revenu qui […] n’ont pas le contrôle sur leur facture » et que « ce n’est pas comme si on avait le choix de consommer de l’électricité ou pas ». 

De plus, comme le souligne une étude de l’Institut de recherche et d’informations socioéconomiques de 2019, les ménages plus pauvres vivent généralement dans des logements plus vieux et moins bien isolés, ce qui signifie qu’il leur en coûte plus cher pour se chauffer. Pourtant, malgré leurs logements bien isolés, les ménages riches consomment beaucoup plus d’électricité. Selon Statistiques Canada, les ménages gagnant 150 000 dollars et plus consomment en moyenne 122,3 gigajoules par année, deux fois plus que les 63,7 gigajoules que consomment les ménages les plus pauvres (20 000 dollars et moins). Ainsi, la tarification dynamique ne va certainement pas réduire la consommation des plus consommateurs, pour qui quelques centaines de dollars de plus ne sont pas dissuasifs, mais va rendre la vie encore plus difficile pour les travailleurs qui doivent déjà se serrer la ceinture.

Au profit des entreprises

Dans une déclaration complètement méprisante, le ministre Fitzgibbon a suggéré que, pour économiser, les travailleurs lavent leur vaisselle à minuit et acceptent d’avoir froid en rentrant chez eux le soir. En ce qui a trait aux entreprises, par contre, le ministre est resté très vague sur les mesures qu’elles devraient prendre pour faire leur part pour aider le Québec à atteindre sa cible climatique : « Les entreprises qui veulent du courant, peut-être qu’on va leur dire : à la pointe, vous n’en aurez pas. Ou on va le baisser. » 

Pourtant, les entreprises représentent 50% de la production d’Hydro-Québec, comparativement à 32% pour les ménages. Et cette électricité est offerte bien en bas du prix du marché. Par exemple, en 2021, les clients de catégorie « grande puissance » payaient 5,24 cents le kilowattheure, alors que le prix du kilowattheure se place à 9,57 cents à Ottawa, à 10,64 cents à Seattle et à 20,22 cents à Boston. Certaines entreprises, comme les alumineries et les producteurs serricoles, ont même droit à un tarif préférentiel encore plus bas. Et cela alors que les alumineries consomment à elles seules une part exorbitante – 20%! – de la production d’électricité du Québec. 

Il faut aussi prendre en compte que 17% de la production d’Hydro-Québec est exportée. À ce jour, Hydro-Québec a signé deux ententes, soit un contrat de 10 milliards de dollars US pour 20 ans avec le Massachusetts et un de 30 milliards pour 25 ans avec l’État de New York, pour les alimenter et cela, à des taux assez avantageux. L’électricité à bas prix fait la joie des grandes entreprises, comme Micron et IBM, qui vont investir des dizaines de milliards de dollars dans l’État de New-York pour profiter des bas tarifs d’électricité offerts par Hydro-Québec. 

Il est à se demander pourquoi la société d’État promet une partie de sa production à des États américains alors même qu’elle demande aux travailleurs de moins consommer d’électricité sous prétexte qu’elle prévoit en manquer. 

Le ministre a défendu ces contrats bec et ongles en jouant la carte environnementale : « Il y a une réflexion à faire comme peuple au Québec quand vient le temps de vendre notre électricité verte à des entreprises américaines […] Est-ce que l’on veut aider aussi la planète ou l’on est égocentrique juste pour le Québec? » Ce serait un objectif louable, mais lorsque le ministre enchaîne en vantant les retombées économiques de ces contrats pour Hydro-Québec, cet argument sonne creux. 

Dans le cadre de la montée effrénée des prix du gaz naturel et de la montée en popularité des projets d’électrification des transports et de décarbonation, il n’y a pas à douter que l’électricité « verte » produite au Québec sera très en demande dans le futur.  Le gouvernement du Québec entend bien en profiter. Que les travailleurs doivent se les geler pour qu’Hydro-Québec mette la main sur cette manne laisse Legault de glace. Et les hauts gestionnaires d’Hydro-Québec, qui ont reçu 6,57 millions de dollars en bonus en 2021 et qui gèrent la société d’État comme une entreprise privée, entendent bien avoir leur part du gâteau.

Le contrôle de l’énergie aux travailleurs!

Prêcher la « sobriété » aux travailleurs qui peinent à joindre les deux bouts comme le font Fitzgibbon et la CAQ pendant que des entreprises américaines se saoulent d’électricité à rabais n’a rien d’efficace pour combattre la crise climatique. Nous avons ici un exemple clair du fait que sous le système capitaliste, les seules « solutions » à la crise climatique sont celles qui laissent les patrons tranquille et qui finissent par faire payer la classe ouvrière.

Mais plus encore, Hydro-Québec, une société d’État, est essentiellement gérée comme une entreprise privée qui enrichit une poignée de gestionnaires et s’acoquine avec les véritables entreprises privées. Tel est le sort des sociétés d’État sous le capitalisme : elles n’atténuent pas les contradictions du système, mais elles sont au contraire forcées de se plier à lui. Au lieu du greenwashing et du deux poids, deux mesures, Hydro-Québec devrait être placée sous le contrôle démocratique des travailleurs et intégrée dans un plan de production socialiste comprenant tous les grands leviers de l’économie.

L’électricité, qui est un bien essentiel, pourrait ainsi être distribuée gratuitement ou à faible coût aux ménages. Une fois libérées des impératifs du marché et de la recherche du profit, les installations et la production d’Hydro-Québec pourraient alors être utilisées à leur plein potentiel pour satisfaire les besoins réels de la société. Alors on pourra vraiment parler d’efficacité et de sobriété énergétique.