Immigration au Québec : la nécessité d’une approche de classe

Au Québec, la CAQ et le PQ exploitent la question de l’immigration pour détourner la colère populaire des véritables causes de la crise du logement et de l’effondrement des services publics : l’austérité et la recherche du profit. Seule une approche de classe, unissant travailleurs natifs et immigrants pour transformer la société sur des bases socialistes, peut offrir une véritable solution.
  • Julien Arseneau
  • mar. 11 nov. 2025
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Des immigrants manifestent contre les coupes en francisation à Québec, en novembre 2024.
Photo : Cassandra Kerwin

Révolution communiste vient tout juste de publier une analyse approfondie de l’immigration au Canada. Nous ajoutons ici un article qui touche à la question en mettant l’accent sur la dynamique du débat au Québec. Le lecteur gagnera à lire les deux articles ensemble.


Le débat sur l’immigration fait régulièrement les manchettes au Québec. 

Le Parti québécois, qui trône au sommet des sondages, en fait l’un de ses principaux chevaux de bataille. Il promet de réduire l’immigration pour soulager les services publics, attaquer la crise du logement et freiner le déclin du français. 

La CAQ a historiquement fait beaucoup de tapage sur cette question. Mais elle se retrouve maintenant entre l’arbre et l’écorce, elle qui a présidé une augmentation importante de l’immigration, malgré sa promesse d’« en prendre moins mais en prendre soin ». Et même le Parti libéral du Québec affirme que la « capacité d’accueil du Québec » est dépassée. 

Quelle devrait être la position communiste sur cet enjeu? 

« Capacité d’accueil »

L’immigration a effectivement beaucoup augmenté dernièrement, particulièrement l’immigration temporaire. Tandis qu’il y avait 160 000 immigrants temporaires au Québec en 2018, il y en a maintenant 560 000. Ceux-ci représentent autour de 6% de la population québécoise.

L’expression qui revient probablement le plus souvent dans les discours du PQ et de la CAQ à ce sujet est cette fameuse « capacité d’accueil » qui serait dépassée. 

La crise du logement en serait une preuve accablante. Après l’avoir niée pendant des années, Legault affirme maintenant que celle-ci est « 100% » due à l’immigration! Le PQ affirme également que la crise du logement actuelle découle surtout de « la demande, qui excède largement l’offre », suite à l’augmentation de l’immigration.

De manière générale, le Parti québécois s’appuie sur l’étude de la Banque nationale du Canada de 2024 qui affirme que le Canada est pris dans un « piège démographique » : l’économie ne croît pas assez vite pour absorber la croissance démographique. Le PQ reprend à son compte cette idée dans son document sur l’immigration, parlant d’un « déficit de l’offre » record en matière de logement. 

Mais comment en sommes-nous arrivés là?

Une étude de l’Institut Fraser montre qu’entre 1972 et 1981, il y avait en moyenne 58 000 mises en chantier par année au Québec, un chiffre qui dépassait la croissance annuelle de la population. Le nombre de mises en chantier était supérieur à la croissance démographique jusqu’en 1986.

Mais aujourd’hui, malgré une productivité du travail accrue au fil du temps et une population plus grande, le nombre annuel de mises en chantier a diminué, même en termes absolus. Depuis 2007 (soit bien avant l’augmentation de l’immigration), les mises en chantier sont systématiquement moins nombreuses que la croissance de la population.

Aussi, selon une porte-parole du FRAPRU, un organisme de défense des locataires, il y aurait 80 000 logements sociaux de plus au Québec si le fédéral le finançait à la hauteur de ce qu’il faisait dans les années 80 – ce financement a pris fin en 1994. Curieusement, PSPP et Legault, qui aiment tant blâmer Ottawa, ne disent rien de cet élément de l’équation.

Au recul drastique de la construction s’ajoute la spéculation. À Montréal seulement, où l’écrasante majorité des immigrants s’installe, 10 000 logements sont vacants et servent à des fins de spéculation.

La crise du logement existait bien avant la montée de l’immigration. La faute revient avant tout aux gouvernements à tous les paliers qui n’investissent pas dans le logement social, aux promoteurs qui ne construisent pas s’ils ne peuvent en tirer un juteux profit, et aux spéculateurs qui préfèrent laisser des logements vides si cela peut les aider à augmenter les prix. 

Le PQ affirme également que la montée de l’immigration ajoute une « pression intenable » sur les services publics. 

Là-dessus, le parti aurait intérêt à se regarder dans le miroir. Qui a fragilisé les services publics? Qui a fermé des hôpitaux et forcé la retraite de dizaines de milliers d’infirmières dans les années 90? Qui a coupé les dépenses en éducation d’un milliard au nom du « déficit zéro » dans ces mêmes années?

Tout le monde sait très bien que les services publics étaient en lambeaux bien avant l’augmentation de l’immigration. Un réinvestissement massif dans les services publics est nécessaire, de même qu’un large programme de construction de logements sociaux. Il n’y a rien de tel dans le programme de la CAQ, du PQ ou des libéraux. Jamais les riches ne voudraient y contribuer de toute façon – ils se battent contre toute taxe sur le capital ou sur les grosses fortunes.

En réalité, les arguments de type « capacité d’accueil » détournent l’attention du fait que c’est l’austérité des dernières décennies, la cupidité des promoteurs immobiliers, et l’incapacité actuelle du système capitaliste à fournir des services qui explique la crise actuelle. 

Nous avons tout ce qu’il faut pour donner à tous un logement, et pour bâtir des services publics robustes. L’obstacle, c’est un système où la logique du profit l’emporte sur le reste. 

Langue française

Le débat sur l’immigration est intimement lié à l’enjeu de la langue française. Ici aussi, le PQ et la CAQ affirment que l’afflux d’immigrants met celle-ci en péril. 

Pour la CAQ, c’est le comble de l’hypocrisie. Alors que Legault s’inquiète pour le français, son gouvernement a coupé dans les services de francisation! En effet, à l’automne 2024, le parti a imposé des restrictions budgétaires aux centres de services scolaires, les forçant à éliminer des postes d’enseignants et renvoyer des immigrants chez eux.

Le PQ, quant à lui, souligne que la francisation des immigrants est insoutenable pour l’État québécois. Il s’appuie sur un rapport du commissaire à la langue française, qui affirme que la francisation des immigrants nécessiterait des investissements de 10,6 à 12,9 milliards de dollars. 

Cependant, le PQ n’explique pas ce qui se cache derrière ce chiffre. Le rapport explique : 

« Environ 21% de ces coûts seraient associés à la formation elle-même, tandis que 79% correspondraient à des coûts de renoncement qui devraient être pris en charge par les entreprises, les universités et les gouvernements, ou par les personnes immigrantes elles-mêmes. »

En langage clair, l’écrasante majorité du montant appelé « investissement », c’est ce qu’un immigrant ne gagnerait pas en salaire pour se consacrer à l’apprentissage du français. 

Il existe une solution à ce problème. Le PQ lui-même parle des multinationales qui profitent du cheap labour que fournit l’immigration temporaire; les cours de français devraient être inclus dans la formation à l’emploi et payés par ces riches entreprises

On peut s’attendre à ce que les patrons refusent de creuser dans leurs poches pour que leurs employés apprennent la langue nécessaire au travail, et le PQ n’a aucune intention non plus de les forcer à payer. 

L’apprentissage du français se heurte ainsi aux limites imposées par la propriété privée. Avec la nationalisation de ces grandes entreprises, nous aurions les ressources pour financer massivement les services publics, engager davantage d’enseignants, et former des centaines de milliers de gens qui ne demandent qu’à apprendre et s’intégrer, si les moyens leur sont donnés. 

Ottawa vs. Québec?

Le PQ affirme également que le Canada impose au Québec des seuils d’immigrations « délirants ». Avec l’indépendance, le Québec pourrait mettre fin à ces « abus ». Il affirme que la CAQ s’est rendue complice de la montée de l’immigration et tient un double discours sur ce sujet.

Cet argument mérite l’attention, car, effectivement, la CAQ a participé à l’augmentation de l’immigration, malgré un discours contraire. On se rappellera les propos de Legault, qui affirmait qu’une immigration de 50 000 personnes par année serait « suicidaire » pour le Québec.

L’immigration est effectivement une compétence partagée du Québec et du fédéral, et la CAQ a un certain contrôle sur les seuils. Pourquoi l’immigration monte-t-elle malgré les déclarations contraires de la CAQ?

Parce que la pression capitaliste l’emporte. Les employeurs au pays sont devenus complètement accros au cheap labour que représentent les travailleurs étrangers temporaires (TET). Les universités, quant à elles, ont jusqu’à récemment vécu aux dépens des étudiants étrangers, qui, avec leurs frais de scolarité exorbitants, ont servi de vache à lait pour compenser le manque de financement public. La réduction drastique du nombre de visas étudiants cette année provoque actuellement une crise budgétaire pour les universités du pays. 

Les patrons exercent une pression énorme pour maintenir leur accès au cheap labour. Mark Carney affirmait même que les TET étaient le principal enjeu dont lui parlaient les entrepreneurs, après les tarifs. C’est cette pression qui force la CAQ à plier, et non le fédéralisme et Ottawa. En 2023, le président du Conseil du Patronat se félicitait d’ailleurs du fait que la CAQ avait « entendu l’appel du milieu des affaires » et accepté de renier sa promesse de diminuer les seuils d’immigration. 

Telle est l’une des contradictions principales de l’immigration : d’un côté, les politiciens utilisent cet enjeu pour mousser leurs appuis, promettant des baisses des seuils d’immigration pour supposément régler nos problèmes de logement et de services. 

Mais de l’autre, les capitalistes eux-mêmes en redemandent constamment davantage pour attiser leur soif insatiable de profits. 

Lorsque le PQ ou la CAQ s’attaquent à Ottawa, ils détournent l’attention du véritable problème. Le cheap labour, le financement manquant des universités, le manque de construction de logements – tous ces problèmes se résument à un système économique déréglé, le capitalisme.

Approche de classe

L’augmentation de l’immigration survient au moment d’une crise sociale qui s’approfondit. Les travailleurs peuvent bien voir les enseignantes surmenées, les infirmières épuisées et le coût du logement incontrôlé.

Dans ce contexte, lorsque la CAQ et le PQ tracent de manière unilatérale un lien direct entre l’immigration et ces maux, ils arrivent à connecter avec les anxiétés réelles d’une classe ouvrière qui est prise à la gorge. 

Bien qu’ils aient tout faux, ils réussissent parce que la gauche n’a pas de réponse satisfaisante.

Québec solidaire, notamment, se contente souvent de dénonciations du PQ d’un point de vue moral abstrait. Par exemple, leur député et porte-parole en matière d’immigration, Guillaume Cliche-Rivard, affirmait récemment que, face aux « discours intolérants », il faut « véhiculer des messages d’ouverture, d’inclusion et de bienveillance ».

Ce discours moralisateur ne fait absolument rien pour convaincre des travailleurs inquiets pour le logement et les services publics. Il ne fait qu’ajouter de l’eau au moulin du PQ et de la CAQ, qui se posent ensuite en pauvres victimes injustement taxées d’intolérance.

Il serait d’ailleurs erroné de voir dans les inquiétudes des gens ordinaires un racisme généralisé envers les immigrants. En effet, 85% des Québécois croient que les personnes issues de l’immigration ont autant de chance d’être de « bons citoyens » que ceux nés ici. Et lorsque questionnés sur les raisons pourquoi ils pensent qu’il y a trop d’immigration, la « menace » à la culture vient loin en cinquième place, derrière les inquiétudes au sujet du logement, du chômage, des finances publiques, etc.

Pour contrer les politiques du PQ et de la CAQ, les appels à être « inclusif » n’accomplissent rien. 

Il faut plutôt expliquer que le système capitaliste est à la racine des problèmes de toute la classe ouvrière, tant immigrante que née ici – et proposer une solution socialiste. 

Le fait que l’on construisait davantage de maisons dans les années 70 avec moins de travailleurs et de technologie est franchement ahurissant. C’est une condamnation sans appel du système économique actuel, incapable de planifier quoi que ce soit et de mettre à profit ces ressources.

Le PQ et les autres partis capitalistes acceptent la taille de la tarte des services et du logement, se demandent comment la répartir, et concluent qu’il y a trop de bouches à nourrir. Mais nous ne devons pas accepter ce qu’un système décrépit nous offre. 

La main-d’œuvre, le savoir et la richesse existent pour construire des milliers de bons logements, pour rebâtir les services publics sans avoir à retourner de bord un seul immigrant. Ce potentiel existe, mais il est gâché. Il faut retirer aux capitalistes leur droit de prendre toutes les décisions pour nous.

Par la nationalisation et le contrôle démocratique des grandes entreprises, des promoteurs immobiliers et des banques, nous aurons les moyens d’instaurer un large plan de production de logements, d’écoles, d’hôpitaux, et de toutes les autres nécessités de la vie. C’est ce à quoi les communistes aspirent.