L’ancien premier ministre du Québec et chef du Parti québécois Jacques Parizeau est décédé le 1er juin dernier. Cela a été l’occasion pour des personnalités provenant de tout le spectre politique de discourir longuement et avec nostalgie sur la perte de ce dernier « grand homme d’État ». Des deux côtés du spectre, Parizeau fut salué pour sa détermination et son travail acharné pour la réalisation de ses idéaux nationalistes et souverainistes. Toutefois, le marxisme nous permet de jeter un regard différent sur l’homme et sa carrière politique.

La droite l’encense pour ses politiques financières et fiscales « raisonnables », et la gauche pour ses idéaux sociaux-démocrates et ses politiques économiques keynésiennes. Chaque côté ne regarde que la période dans la carrière de Parizeau qui correspond à sa propre vision politique et appuie ses propres arguments. Amis comme ennemis ont saisi cette opportunité pour s’approprier son héritage afin de marquer des points politiques. Nous croyons que le décès de Parizeau offre aux travailleurs, aux étudiants et aux militants l’occasion d’évaluer réellement ses politiques et ses idées, ainsi que le parti qu’il a promu pendant des décennies.

De la haute société à la haute bureaucratie

Parizeau est certainement un des personnages les plus colorés de la politique canadienne. Il est né à Montréal en 1930 dans une famille riche et privilégiée. Il aimait se vanter qu’il faisait partie de la bourgeoisie internationale, et n’a jamais tenté de cacher ses origines de classe. René Lévesque aurait même déjà dit à son sujet : « La plupart d’entre nous descendons de fermiers à une ou deux générations de distance. La famille de Parizeau habite Outremont depuis sept générations et il en est fier. » (René Lévesque and the Parti Québécois in Power, par Graham Fraser, p. 159 [notre traduction])

Parizeau fut le premier Québécois à obtenir un doctorat de la London School of Economics, où il a étudié dans les années 50. C’est là qu’il a réellement appris ce que signifiait être bourgeois. Ses manières combinaient tous les stéréotypes bourgeois et constituaient une source inépuisable de moqueries pour ses amis comme ses ennemis, sans parler des munitions qu’elles fournissaient aux caricaturistes. Il s’habillait comme un banquier de la City de Londres, complet rayé et chapeau melon inclus. Pendant ses années à Londres il apprit à parler l’anglais des classes aisées, avec un accent huppé et des expressions étranges et archaïques telles que « I haven’t the foggiest… » et « By Jove! ». Étant un intellectuel, économiste et bureaucrate de formation comme de nature, pour beaucoup il apparaissait impossible qu’une telle personne puisse un jour prendre la tête du PQ.

Même s’il est vrai que l’habillement et l’accent ne sont pas toujours de bons indicateurs des opinions politiques d’une personne, dans le cas de Parizeau, la nature de classe de sa politique sautait aux yeux. Malgré le fait qu’il se proclame « social-démocrate » et en faveur de l’« interventionnisme économique », sa vision et sa politique étaient incontestablement bourgeoises.

Beaucoup de gens au Québec déplorent le décès de Parizeau comme la perte d’un  « authentique social-démocrate ». On pourrait certainement soutenir que Parizeau était un social-démocrate, le problème étant toutefois que, comme le reste des sociaux-démocrates à travers le monde, Parizeau et le PQ semblent avoir abandonné tous les aspects socialistes de leur « sociale-démocratie ». Parizeau lui-même se décrivait comme de « centre-gauche » et affirmait clairement qu’il n’était pas un socialiste, mais plutôt un « progressiste ». (Fraser, p. 157-158)

En fait, sous le couvert du visage « social-démocrate » du PQ, Jacques Parizeau et les dirigeants du PQ réussirent à détourner le parti de ses politiques soi-disant progressistes et social-démocratiques des années 70 pour le diriger pendant les années 80 et 90 vers des politiques d’austérité au contenu de classe clair – un processus qui en est arrivé à sa conclusion logique avec l’élection de Pierre Karl Péladeau à la tête du parti.

Péladeau essaie même maintenant de jouer la carte « progressiste » et « anti-austérité » dans une tentative d’obtenir du soutien à gauche, et a reçu des appuis de dirigeants syndicaux au sein du PQ. Il s’agit d’une stratégie de longue date au PQ – qui s’est répétée de façon constante dans l’histoire de la social-démocratie et du PQ plus spécifiquement. Lorsqu’il se trouve dans l’opposition, le PQ se précipite vers la gauche afin de gagner un support électoral, et brise ses promesses et retourne à droite une fois au pouvoir.

Social-démocrate ou non, Parizeau était un keynésianiste. De retour au Québec après ses études à l’étranger, il fit bon usage de la théorie keynésienne qu’il avait apprise à Londres. Il joua un rôle clé dans la Révolution tranquille en tant que conseiller auprès des gouvernements Lesage et Johnson père. Parizeau était en fait un haut bureaucrate modèle. Ses idées et plans ont eu une importance cruciale dans le processus de modernisation économique et politique qu’a vécu le Québec dans les années 60 et 70. Il contribua grandement à la nationalisation d’Hydro-Québec, à la formation de la structure de la fonction publique québécoise, à la mise en place du Régime d’épargne-actions et du Régime des rentes du Québec, et a aussi joué un rôle dans la centralisation des tables de négociation collective du secteur public qui a permis le développement du Front commun. Il aimait blaguer que « la Révolution tranquille a été l’œuvre de quatre ministres, d’une vingtaine de fonctionnaires et d’une vingtaine de chansonniers, puis de poètes ». (Fraser, p. 161)

Même si cette plaisanterie trahit la conception bureaucratique qu’avait Parizeau de la politique et son approche fondamentalement antidémocratique, d’un point de vue bourgeois elle décrit fidèlement le processus de la Révolution tranquille, à condition bien sûr d’oublier que celle-ci n’aurait pas pu être possible sans le vaste support et l’action militante des travailleurs et étudiants.

C’est pendant ses années de haut bureaucrate, par son expérience au gouvernement où il put voir de près le rôle joué par celui-ci dans la Révolution tranquille, que Parizeau en vint à comprendre quel outil puissant l’État pourrait être entre les mains de la petite-bourgeoisie montante de la province. Le PQ et d’autres forces nationalistes petites-bourgeoises croyaient que l’État pourrait être utilisé pour favoriser la mise en place et la défense d’une bourgeoisie francophone puissante qui pourrait faire progresser les intérêts de la « nation » contre la bourgeoisie canadienne-anglaise dominante et les intérêts impérialistes américains et éventuellement fournir les bases politiques et économiques nécessaires à un État souverain. L’État devint un véhicule pour les aspirations de la petite-bourgeoisie. Voilà la vraie nature du projet politique de Parizeau.

Keynésien serait le terme qui permettrait le mieux de décrire Parizeau. En réalité, sur la base du boom d’après-guerre, tous les grands partis étaient keynésiens. Pendant la période allant de la fin des années 40 jusqu’à la fin des années 70, la bourgeoisie pouvait se permettre de concéder des réformes et se servait de politiques keynésiennes pour acheter la paix de classe.

Plus encore, la classe dirigeante mit en œuvre à l’époque une série de mesures capitalistes d’État pour favoriser, développer et protéger certains marchés et industries et comme moyens de sauvetage lors des chutes et corrections mineures du marché. En fait, même si le PQ a bel et bien adopté pendant les années 70 quelques lois « progressistes » qui allaient plus loin que partout ailleurs en Amérique du Nord (telles que la disposition anti-briseurs de grève par exemple), la plupart des politiques des gouvernements Lesage et Lévesque étaient très similaires à celles des gouvernements conservateurs, libéraux et néo-démocrates dans le reste des provinces et au fédéral à l’époque. Le PQ a surtout opéré une modernisation de l’infrastructure politique et étatique de la province correspondant au niveau de développement industriel de ses fondations économiques. Il espérait utiliser l’État pour créer de puissantes forces économiques autour desquelles une bourgeoisie francophone forte pourrait se développer. Cela fut le rôle historique de la Révolution tranquille. Même si certaines de ces politiques furent uniques au Québec, beaucoup d’autres ont aussi vu le jour dans les autres provinces. Il y a bien eu quelques disputes sur l’étendue et la profondeur que devaient avoir les mesures keynésiennes dans les autres provinces, mais dans l’ensemble ces politiques étaient acceptées par la classe dirigeante, particulièrement comme moyen d’acheter la paix de classe.

Les politiques du PQ ne menacèrent certainement pas les rapports de propriété ni le capitalisme. Alors, pourquoi l’impérialisme s’opposa-t-il si vivement à ces mêmes mesures dans le cas du Québec? Il y eut une réponse hostile de la part de l’impérialisme américain et de la bourgeoisie canadienne-anglaise parce que ces mesures ne pouvaient qu’être développées directement contre leurs propres intérêts de classe au Québec. Le gouvernement du PQ signifiait une perte de pouvoir politique sur la province pour les impérialistes et un défi lancé au pouvoir traditionnel de la bourgeoisie canadienne-anglaise – quelque chose d’intolérable et impardonnable. Les impérialistes étaient habitués à piller les ressources du Québec et ont fait fortune en exploitant brutalement et sans grande résistance les travailleurs et fermiers québécois, et ils n’étaient pas préparés à abandonner ces pouvoirs et privilèges sans combat.

La question de l’unité de classes

Parizeau était un stratège et tacticien politique hors-pair. En tant que figure clé du mouvement nationaliste et leader du PQ, il a parfois été forcé d’essayer de plaire à tous – particulièrement pendant les périodes précédant les deux référendums. En tant que parti nationaliste, le PQ a tenté d’unifier la bourgeoisie, la petite-bourgeoisie et la classe ouvrière francophones sous une même bannière pour un projet national.

René Lévesque lui-même ne pensait pas que cette unité puisse durer. Dans son livre sur les premiers gouvernements péquistes des années 70 et 80, Graham Fraser explique « [Lévesque] comprenait qu’après l’indépendance, le Parti québécois se séparerait en deux partis, un à gauche et un à droite » (Fraser, p. 335).

En 1976, le PQ fit campagne sur une plateforme généralement « social-démocrate » ou keynésienne de gauche, y compris une promesse de plein-emploi. La direction du PQ comprit qu’elle pourrait gagner l’élection si elle réussissait à canaliser l’énergie et le désir de changement de la classe ouvrière et de ses organisations. Le premier gouvernement péquiste adopta une loi qui interdisait l’utilisation de briseurs de grève, protégeait les emplois des grévistes et imposait la formule Rand. Pourtant, cette même année, le premier budget de Parizeau en tant que ministre des Finances fut qualifié de « budget de banquier ». Les dépenses sur les projets les plus couteux furent reportées, les emprunts furent réduits et les tarifs furent augmentés, avec notamment une hausse des taxes sur les vêtements et souliers pour enfants. Parizeau expliqua même alors que « quand on a pas d’argent, on ne peut pas faire de miracles » (Fraser, p. 117).

Fraser explique même que, quant à son premier budget, « sa vraie audience [à Parizeau] était à Wall Street, et il fut acclamé là où il en avait le plus besoin. Le qualifiant de “retenu” et “discipliné”, les investisseurs étaient satisfaits… Cinq mois plus tard, Parizeau pu apprécier le résultat : le Québec garda sa cote de crédit AA à Wall Street. » (Fraser, p. 117)

L’idée avancée, bien qu’implicitement, par le PQ, était que ses politiques ne pourraient être réalisées que si le Québec devenait une nation indépendante ou souveraine. Aux débuts de son premier gouvernement, lorsqu’il eut besoin de l’appui des syndicats pour réaliser son programme de modernisation et de réformes démocratiques, Parizeau joua la carte sociale-démocrate et leur offrit des ententes alléchantes.

Toutefois, l’unité de classes que le PQ a réussi à forger pendant les années 70 ne pouvait durer. Après que le PQ eut trouvé un compromis avec les impérialistes américains et canadiens, parce que le parti devait rassurer les banquiers à Toronto, Montréal et New-York, il devint un champion de l’austérité et du « déficit zéro », sans oublier qu’il écrasa et soumit les syndicats pendant les années 1980.

Le rôle de l’impérialisme et la nature de la démocratie bourgeoise

Parizeau apprit rapidement qui possède vraiment le pouvoir en Amérique du Nord. Au début des années 60, le gouvernement Lesage se trouva incapable d’obtenir du financement canadien pour la nationalisation de l’hydro-électricité, qu’il avait promise. Les banquiers montréalais et torontois lui opposaient un refus. Parizeau mena un contingent à New-York et obtint facilement de Wall Street le prêt dont il avait besoin, affirmant même que l’affaire fut réglée en trente minutes (« Jacques Parizeau was the kind of politician we dream about until we actually elect him », par Lise Ravary, National Post, 4 juin 2015)

Plus tard, lorsque Parizeau devint ministre des Finances du premier gouvernement péquiste, le parti fut complètement exclu des marchés financiers nord-américains. Les investisseurs et les banquiers des États-Unis étaient terrifiés à l’idée d’un gouvernement séparatiste, « social-démocrate », qui avait proclamé un « préjugé favorable envers les travailleurs ». Afin de mettre en oeuvre ses promesses de campagne, le PQ eut à se débattre pour trouver de nouvelles sources de financement – auprès d’autres banquiers et puissances impérialistes. Il finit par trouver du financement au Japon et en Suisse, à des taux d’intérêts usuraires. Parizeau et la direction du PQ payèrent cette leçon très chèrement, et apprirent à s’appuyer sur le pouvoir des banquiers de Wall Street plutôt que sur le peuple québécois.

Dans les discussions sur la souveraineté du Québec ou la politique canadienne en général, le rôle de la puissance impérialiste américaine ne peut être sous-estimé. Même si l’influence de celle-ci apparait particulièrement claire au Québec, cette dynamique du pouvoir est observable dans l’ensemble du pays. La relation est directe entre l’austérité et le pouvoir antidémocratique des banquiers non-élus.

Cette relation entre les capitalistes, l’impérialisme, les banquiers de Wall Street d’un côté et les gouvernements élus de l’autre se déploie de la même manière dans le reste du monde, et devrait être une preuve claire des limites du réformisme (ou keynésianisme) et de la démocratie bourgeoise. La social-démocratie et les réformes keynésiennes n’existent que dans le cadre du système capitaliste et sont conçues pour fonctionner dans ce système, plus souvent qu’autrement pour le sauver et le maintenir en tentant de dépasser les limites normales du marché. Les réformistes et keynésianistes se tournent d’abord vers les banquiers, non vers les travailleurs. Si les banquiers ne peuvent concéder d’argent pour les réformes, les réformistes reculent devant l’idée d’adopter des mesures socialistes, comme la nationalisation sous contrôle démocratique des travailleurs. Ils préfèrent alors suivre les diktats des banquiers et mettre en oeuvre des contre-réformes et l’austérité plutôt que de mobiliser les travailleurs pour défier le système capitaliste par la révolution.

Peut-on parler d’une démocratie authentique au Québec et au Canada, ou en Grèce par exemple, lorsque peu importe les décisions démocratiques du peuple, peu importe le gouvernement élu par ce peuple, les politiques finissent toujours par être décidées par des banquiers non-élus? La crise organique du capitalisme ne laisse presqu’aucun jeu à la classe dirigeante pour manoeuvrer, contrairement à la période précédente. Cela explique en partie pourquoi les programmes des différents partis politiques bourgeois sont difficilement différentiables. On entend souvent dire que « tous les partis sont les mêmes ». Cela s’explique par le fait que les gouvernements, peu importe quel parti se trouve au pouvoir, sont pieds et poings liés aux politiques des banquiers impérialistes, et de cette perspective – celle de Wall Street et Bay Street – seule une mince gamme de politiques est acceptable.

Social-démocratie ou austérité?

Avant chacun des référendums de 1980 et 1995, Parizeau tenta d’acheter l’appui des syndicats en leur offrant des concessions alléchantes – que le gouvernement retira une fois la campagne terminée.Vers la fin des années 70, afin de gagner l’appui de la classe ouvrière, le PQ augmenta le salaire minimum, adopta des dispositions anti-briseurs de grève en plus d’une nouvelle Loi sur les normes du travail, et donna aux syndicats la gestion en parité avec les employeurs sur la santé et la sécurité au travail. Le PQ espérait alors que le Front commun, la table de négociation collective centralisée dans la fonction publique, permettrait d’adoucir les demandes des syndicats et de les mettre au pas.

Dans Social Democracy on Trial: The Parti québécois, the Ontario NDP, and the Search for a New Social Contract, Andrew Brian Tanguay raconte ceci :

« Pendant la ronde de négociation centralisée dans la fonction publique de 1979, le ministre des Finances et président du Conseil du Trésor Jacques Parizeau avait essentiellement acheté la paix sociale en accordant aux syndicats un certain nombre de concessions généreuses, particulièrement en matière de congés de maternité et de sécurité d’emploi.

« [Plus tard,] avec la désintégration du projet d’indépendance, le Parti québécois fut pris à la dérive, sans encrage philosophique ou idéologique. En effet, non seulement le résultat du référendum du 20 mai 1980 signifia-t-il la mort de l’option constitutionnelle du parti, celui-ci présagea l’effondrement de nombre des politiques socio-économiques de ses premières années au pouvoir. Il devint alors superflu de tenter les acrobaties que le parti avait dû exécuter avant 1980 pour réconcilier les intérêts contradictoires des différentes classes au Québec dans l’espoir de construire une fragile coalition pour l’indépendance. Ses objectifs principaux après la défaite du référendum furent de s’accrocher au pouvoir, de défendre les intérêts du Québec aussi jalousement que possible au sein du système fédéral canadien, et de favoriser le développement d’une classe capitaliste francophone, en partie en réduisant la taille de l’État et en démontrant de la responsabilité fiscale » [notre traduction].

Même avant le virage du PQ vers des politiques d’austérité, le nationalisme de Parizeau était vu comme pouvant « virer vers la droite autant que vers la gauche » (Fraser, p. 162). Il était déjà connu à l’époque que « le gouvernement se servit du fond de pension comme d’une carte de crédit lorsqu’il tenta d’acheter les syndicats de la fonction publique dans l’entente pré-référendaire » (Fraser, p. 163).

La victoire surprise du PQ en 1981 coincida avec une récession profonde. En fait, Parizeau la considérait avec raison comme la « crise la plus sérieuse et la plus profonde des 50 dernières années » (Fraser, p. 305), et opéra des coupes féroces dans l’éducation, en plus de coupes d’un milliard de dollars dans les programmes sociaux (Fraser, p. 262). Le taux de chômage dépassait les 15% et la performance économique du Québec se contracta de 6,3%. Le Québec fut frappé particulièrement durement par la récession, subissant 44% des pertes d’emplois du pays. Le déficit budgétaire du gouvernement péquiste gonflait à vue d’oeil. René Lévesque et Parizeau lancèrent alors un assaut contre la classe ouvrière, principalement les travailleurs de la fonction publique qui avaient été un élément clé dans la grande coalition des forces nationalistes du PQ. Le PQ se séparait sur une ligne de classes, ayant besoin de démontrer à la classe dirigeante et aux impérialistes qu’il était « responsable » et apte à gouverner.

« Le gouvernement annonça peu après sa réelection que le déficit budgétaire pour 1981-1982 ne pourrait aller au delà de 3 milliards de dollars, car les créanciers étrangers ne toléreraient pas un dépassement de cette limite. Sans recul des salaires dans la fonction publique, le déficit pour 1982 serait de 3,7 milliards; par conséquent, selon Parizeau et Yves Bérubé (le président du Conseil du Trésor à l’époque), le trou budgétaire s’élevait à 700 millions de dollars. L’indexation des salaires consentie aux employés du secteur public dans les généreuses ententes de 1979 s’élevait justement à 670 millions de dollars, presqu’assez pour boucher ce trou; le PQ demanda donc essentiellement aux syndicats d’abandonner ces augmentations. » (Tanguay)

Suite au refus des syndicats, le gouvernement Lévesque adopta des lois draconiennes pour les écraser et les mettre au pas. Parizeau gela une partie des salaires de la fonction publique et imposa un recul sur d’autres. L’Assemblée nationale adopta le Projet de loi 70, qui prolongeait les conventions collectives de la fonction publique unilatéralement et leur imposait une baisse salariale de 18,85% sans exception. La cote de crédit du Québec fut alors rétrogradée, ce qui mit encore plus de pression sur le gouvernement péquiste. Les syndicats de la fonction publique et le PQ au pouvoir se dirigeaient vers une confrontation musclée.

Le PQ, afin d’anéantir l’opposition des syndicats, adopta le Projet de loi 105 qui imposa plus de 100 conventions collectives similaires à différents syndicats du secteur public. Ce projet de loi fut décrit comme « la loi spéciale la plus grossière et odieuse que l’Assemblée nationale ait jamais adoptée » (Fraser, p. 330). Un ministre péquiste aurait même dit à ce sujet : « Je ressens la sérénité du castor qui se gruge la patte pour se libérer de la trappe » (Fraser, p.330). C’est ainsi que le PQ, comme le castor, se libéra de la trappe de sa relation avec le mouvement ouvrier, qu’il avait acheté grâce à de généreux contrats dans les années précédant le référendum.

Le syndicat des enseignants lança une grève générale de trois semaines pour protester contre ces mesures. Trente-mille employés du secteur public prirent la rue dans la capitale, la plus grosse manifestation qui ait alors jamais été vue à Québec.

En réponse à la désobéissance des travailleurs, le gouvernement Lévesque adopta le Projet de loi 111, tout aussi draconien. Celui-ci forçait le retour au travail, les récalcitrants risquant des sanctions allant de l’amende salée à la perte de salaire et d’ancienneté jusqu’au congédiement sans droit d’appel, et et se dérobait à l’application de la Charte des droits et libertés de la personne du Québec et de la Charte canadienne des droits et libertés. La loi allait même jusqu’à renverser la présomption d’innocence en matière pénale. Voilà les manoeuvres qui caractérisent le mieux la politique de ce « grand homme d’État » qu’était Parizeau et du reste de la direction du PQ – acheter la paix des classes et l’appui des travailleurs pour le projet national, puis leur retirer leurs droits démocratiques et déchirer leurs conventions collectives lorsque cela fait l’affaire de la bourgeoisie, toujours au nom du projet national.

Grâce à cette loi, le gouvernement péquiste put imposer de dures sanctions aux syndicats, leurs représentants et leurs membres, anéantissant leur résistance à ses politiques draconiennes. Un dirigeant syndical expliqua que « lorsque le Dr. Laurin [alors ministre de premier plan], de son ton sinistre, énumère tous les effets de la loi, nos membres se rendent compte qu’ils ont affaire à une bande de malades armés de scies à chaine » (Fraser, p. 333) Comme Tanguay l’explique, « aux yeux de nombre de ses anciens partisans, le PQ avait déchiré son masque social-démocrate afin de dévoiler son visage “néo-duplessiste” ».

Ce processus antidémocratique et de droite poursuivit sa course au travers des années 80. Lorsque Reagan et Mulroney lancèrent les négociations sur l’Accord de libre-échange canado-américain (ALE), qui signalait que la bourgeoisie mettait fin à l’ère du keynésianisme et des réformes sociales et lançait une nouvelle ère d’austérité, à la surprise générale leurs premiers et plus fervents appuis vinrent de la direction du PQ.

Bernard Landry devint un proche allié de Mulroney et écrivit un livre intitulé Le commerce sans frontières, le sens du libre-échange, dans lequel il soutenait que le Québec avait besoin du libre-échange pour s’assurer un accès à l’immense marché américain et parce que s’il obtenait sa souveraineté, le Québec pourrait s’en servir pour éviter des représailles du Canada. Cela démontre encore une fois que la direction du PQ est très au courant de la provenance du vrai pouvoir au Québec. Pendant les années 80, Parizeau en vint à la conclusion que la souveraineté ne serait possible que grâce au libre-échange et au développement de bonnes relations avec les banquiers de Wall Street.

Parizeau lui-même rejoignit la campagne en faveur du libre-échange et contribua grandement à gagner l’appui du PQ pour l’AFE. Dans son livre Pour un Québec souverain, Parizeau déclare : «  Avec l’aide hautement efficace de Bernard Landry, je réussis à faire effectuer un virage à 180 degrés au Parti québécois dont je viens de prendre la présidence [en faveur du libre-échange] » (Parizeau, p. 44). Parizeau fut un si proche allié du libre-échange que Mulroney lui offrit même de le nommer comme sénateur indépendant pour qu’il l’aide à faire adopter l’ALE, une offre que Parizeau rejeta.

Si les attaques contre les syndicats du secteur public n’étaient pas suffisantes pour démolir le masque « social-démocrate » du PQ, son appui au libre-échange signifia en pratique un appui aux politiques de Reagan, Bush père et Mulroney. L’adaptation aux conditions de l’ALE, devenu l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA), signifiait la dérégulation, les privatisations et les coupes – en un mot, l’austérité.

Le parti continua sa progression vers la droite pendant les années 90 jusqu’à aujourd’hui. Bouchard, Landry, Boisclair et Marois, toujours pressés de démontrer à la classe dirigeante et aux impérialistes qu’ils peuvent bel et bien se compter parmi les défenseurs « fiscalement responsables » du capitalisme, continuèrent la transformation du PQ en un ardent partisan de l’austérité capitaliste. Le PQ devint le champion du « déficit zéro ».

Malgré les objections de Parizeau et ses admonestations contre le « champ de ruine » qui aurait « perdu son âme » que serait devenu le PQ, tout ce processus, dans lequel il joua un rôle important, fut mené à sa conclusion logique avec l’élection de Péladeau à la tête du parti. Les marxistes, essentiellement en accord avec les conclusions de Lévesque au moment de la fondation du parti, expliquent depuis longtemps que le PQ ne pourrait éternellement unir en son sein les différentes classes sur la base du projet nationaliste. Aucun mouvement national ne peut unir des classes aux intérêts diamétralement opposés de façon indéfinie. Nous avons toujours expliqué que sous le coup des évènements, sous la pression croisssante de la crise économique et de la lutte des classes, le PQ et le mouvement nationaliste en général se sépareraient sur une ligne de classe.

Après tant d’attaques du PQ sur les syndicats de la fonction publique, il est difficile de comprendre comment ceux-ci peuvent encore donner leur appui, même timide, au PQ. Le maintien de ce soutien est partiellement le résultat du fait qu’il n’y a toujours pas de parti des travailleurs au Québec. Il prend aussi ses racines dans le passage à droite de la direction des syndicats et dans le fait qu’une partie de celle-ci est prête à abandonner toute forme de lutte de classe pour donner préséance à la lutte nationale.

Un exemple de cela a pu être constaté dans une déclaration d’un groupe de syndicalistes à la retraite pendant la récente course au leadership du PQ. Ceux-ci y disent voir en Péladeau le meilleur candidat pour « affronter les fédéralistes les plus acharnés ». Pourtant, ils admettent par la même occasion que « les relations de Pierre Karl Péladeau avec les syndicats n’ont pas toujours été harmonieuses », mais expliquent que « ce dont il est question maintenant, ce n’est pas de la négociation d’une convention collective, c’est de l’accession du Québec à son indépendance » (Le Devoir, 2015/04/15).

Alors que les derniers éléments travaillistes du PQ rampent devant Péladeau, l’unité de classes au sein du PQ s’affaiblit. Ce dernier n’a certainement pas encore été amputé, mais l’hémorragie a progressé significativement au cours des dernières années, de sa droite comme de sa gauche. L’aile de droite au souverainisme plus mou est passée dans les rangs de l’ADQ et maintenant de la CAQ. L’aile gauche a quant à elle progressé vers Québec solidaire et d’autres groupuscules, comme Option nationale, le parti appuyé par Parizeau pendant ses dernières années.

Les dernières forces restantes à l’intérieures du PQ sont les éléments ouvertement pro-bourgeois, sans parler des carriéristes opportunistes qui se sont creusée une niche au sein de l’État pendant les années de pouvoir du parti et par sa relation avec l’élite dirigeante de la province. Cela a permis de paver la voie vers la victoire de Péladeau. Comme Parizeau, Péladeau est un bourgeois dans l’âme, et constitue son authentique successeur. Il dirigera fermement le parti en fonction de la perspective et des intérêts de sa classe, et le PQ continuera sa course vers la droite.

Pendant la période précédant son décès, Parizeau critiquait le PQ de sa gauche. Parizeau pouvait facilement jouer la carte sociale-démocrate à partir de sa retraite, mais c’était une autre paire de manches lorsqu’il était encore au pouvoir. Cela correspond à la stratégie électorale classique du PQ : jouer à gauche et se faire le champion des politiques « progressistes » pendant la campagne électorale afin de gagner des votes, et retourner au « déficit zéro » et à l’austérité une fois au pouvoir.

En amenant un grand bourgeois dans le jeu, certains éléments du PQ espèrent que Péladeau pourra rassurer Wall Street en montrant que de puissantes forces capitalistes se trouvent derrière le projet souverainiste. La direction de Péladeau accélerera le processus de division en classes au sein du PQ, mais aussi dans le mouvement nationaliste en général.

La souveraineté pour qui?

Les politiques bourgeoises racistes et réactionnaires de Parizeau trouvèrent leur expression la plus évidente dans son célèbre discours suite au référendum de 1995 dans lequel il avait blâmé la défaite sur « l’argent puis des votes ethniques ». Avec son décès, de nombreuses personnalités de toutes allégeances se sont portées à la défense de l’homme et de sa déclaration. Toutefois, peu importe que ce commentaire n’ait été qu’un lapsus (pour lequel il ne s’est d’ailleurs jamais excusé), une réaction émotive d’un homme sensible, ou le résultat de la forte quantité d’alcool qu’il avait ingérée, celui-ci n’en révèle pas moins le caractère réactionnaire de sa vision bourgeoise. C’est donc dans la grossièreté du chauvinisme que devait se terminer la carrière de ce « grand homme d’État ».

Le discours et l’idéologie du PQ sont toujours profondément animés par cette vision de « l’argent puis des votes ethniques ». Les commentaires de Péladeau en mars à l’effet que « la démographie [et] l’immigration » nuisaient à la cause de la souveraineté, sans parler du projet de Charte des valeurs québécoises, étaient certainement motivés par le même chauvinisme.

Contrairement à ce que disent les plaques, nous semblons avoir la mémoire courte au Québec. Malgré son rôle dans la répression des syndicats pendant les années 80, on se souviendra surtout de Parizeau pour son nationalisme, plutôt que pour le contenu de classe de son action politique – et malgré le fait que les deux soient inexctricablement liés. Parizeau resta en effet jusqu’à la fin de sa vie un ardent partisan de la souveraineté.  Il faut toutefois se demander : quel genre de souveraineté? La souveraineté, mais pour qui?

Pour Parizeau et la petite et grande bourgeoisie souverainiste, la souveraineté est une fin en soi. Pour la bourgeoisie québécoise, la souveraineté est principalement une question de « libération » politique. La bourgeoisie et la petite bourgeoisie, une fois développées en ce que les marxistes appellent classes en soi, prennent conscience de leur pouvoir et de leur position dans la société. Par conséquent, une frange de celles-ci au Québec cherche à voir cette position se refléter au niveau politique en obtenant son « indépendance ».

La Révolution tranquille ayant permis à la bourgeoisie francophone et leurs laquais au sein de la petite-bourgeoisie de s’approprier le pouvoir économique et étatique de la province, ils rêvent maintenant du prestige de leur propre État. Ils veulent leur propre siège à la table de l’impérialisme nord-américain, comme partenaires égaux et à part entière aux côtés de l’impérialisme américain et canadien, leur propre siège à l’ALENA, aux Nations Unies et dans l’OTAN. Pour une partie de la bourgeoisie du Québec, la souveraineté signifie sa propre libération politique, son propre État, et la création d’un pays qu’elle gouvernerait seule. Bien sûr, du point de vue de la direction du PQ cela signifie, et est en fait dépendant de l’obéissance aux diktats des banquiers de Wall Street.

Toutefois, pour la classe ouvrière, la question de la souveraineté a toujours été principalement une affaire de pain sur la table. C’est elle qui a mené héroïquement une lutte pour des changements politiques et sociaux à travers les années 50 à 70. Cette lutte a culminé lors du Front commun de 1972 en une grève générale aux implications révolutionnaires. Trahis et vendus par leur leadership hésitant, les travailleurs en sortirent avec l’impression qu’une lutte de classe combative n’avait plus sa place comme outil de changement social. Pendant un moment, particulièrement dans les années précédant le référendum de 1980, il leur sembla que le gouvernement du PQ défendrait la cause des travailleurs et des syndicats.

Séduits par les promesses de changements sociaux du PQ pendant les années 70, les travailleurs virent la souveraineté comme un moyen pour y arriver, non comme une fin en soi. Ils étaient d’abord attirés par la souveraineté parce que le PQ soutenait que ces politiques sociales ne pourraient être accomplies que dans un Québec indépendant et qu’un pays souverain ne serait possible que grâce à ces changements sociaux.

En réalité, cela n’était que de la poudre aux yeux de la part de la direction du PQ, parce qu’en fait, l’indépendance n’aurait pas permis au Québec de mettre en œuvre ces politiques, le pouvoir économique restant dans les mains des banquiers de Montréal, Toronto et New-York. Si les impérialistes n’étaient pas prêts à payer pour les réformes lorsque le Québec faisait partie du Canada, pourquoi paieraient-ils pour un Québec indépendant?

Pendant un certain temps, la question nationale réussit à supplanter la lutte des classes, sous le coup de la défaite du mouvement des travailleurs et de l’ouverture d’une période de réaction. La direction du PQ mettait de l’avant la question de la souveraineté pendant que ses membres poussaient pour des politiques sociales. Les attaques contre les syndicats dans les années 80 démoralisèrent les travailleurs et les membres de la base, qui quittèrent le parti en grand nombre. Cela ouvrit la porte pour un virage à droite du parti.

La direction des syndicats joua un rôle non-négligeable dans ce tournant. Celle-ci s’est déplacée considérablement vers la droite pendant les 30 dernières années, et a ainsi amené une grande partie de la classe ouvrière à s’attacher aux politiques bourgeoises de la direction du PQ, comme on a pu le voir encore une fois avec la campagne de Péladeau pour le leadership du parti.

C’est l’échec des accords du Lac Meech et de Charlottetown et la crise constitutionnelle des années 80 et 90 qui a mené à une montée du nationalisme et de l’appui à la souveraineté, encore vue comme une question sociale, une affaire de pain sur la table, par le et la Québécois-e moyen-ne. La direction du PQ  sous Parizeau et Lucien Bouchard réussit à tirer parti de la colère et du mécontentement de la classe ouvrière et à canaliser ses désirs sur la voie nationaliste-constitutionnelle, qui a culminé au moment du référendum de 1995.

Comme il l’avait expliqué à Chantal Hébert dans son récent livre The Morning After: The 1995 Quebec Referendum and the Day that Almost Was, dans le cas d’une victoire du Oui en 1995, pendant la première heure après la victoire – avant même un discours, avant toute mesure législative ou diplomatique – la première chose que Parizeau aurait fait aurait été d’envoyer des représentants du ministère des Finances dans les capitales financières à travers le monde afin d’assurer aux banquiers impérialistes que la province était « financièrement saine ». Rassurer les banquiers et s’assurer de leur soutien constituait la clé du succès de la souveraineté pour la direction du PQ.

De plus, dans une ère d’austérité et de coupes budgétaires, le PQ avait emmagasiné une réserve de 17 milliards de dollars pour permettre au Québec « d’intervenir dans les marchés pour amortir le contrecoup initial d’une victoire du oui sur les obligations de la province ». Voilà à quoi ressemble le keynésianisme de Parizeau, son « interventionisme économique » et ses politiques « sociales-démocrates ». Le keynésianisme a toujours eu comme fonction d’assurer le sauvetage des capitalistes et de leur système, pas de protéger les intérêts de classe des travailleurs. Ce 17 milliards avait été économisé pour gagner l’appui des banquiers impérialistes, dans une époque d’austérité où cet argent aurait pu être investi dans des programmes sociaux. Les priorités de la direction du PQ étaient claires – ce sont les politiques de l’impérialisme qui auraient assuré la souveraineté, pas les politiques « progressistes ».

Le PQ continua son déplacement vers la droite avec la défaite du référendum et avec Lucien Bouchard à la barre. Vers la fin des années 90, les Québécois se détournèrent massivement du PQ. Un sondage dans ces années indiquait que la moitié des jeunes du Québec ne faisaient pas confiance ou étaient hostiles envers le monopole du PQ et du PLQ sur la politique de la province, ce qui montre que le parti était vu comme faisant partie à part entière de l’establishment capitaliste. Un autre sondage de l’époque indiquait que 73% des Québécois, dans une proportion encore plus grande chez les jeunes, pensaient qu’il faudrait un « parti de gauche dédié aux besoins des travailleurs et des plus démunis ».

Il s’agissait déjà d’un indice que sous le coup de la crise économique, contrairement aux années 70 où la question nationale supplantait la lutte des classes, les traditions militantes de la classe ouvrière reviendraient à l’avant-scène et que la lutte des classes reprendrait le dessus.

La montée du NPD pendant les dernières années au Québec et ses progrès encore aujourd’hui ne constituent pas une coincidence. Beaucoup de commentateurs de droite pensaient que l’appui au NPD s’essoufflerait après les dernières élections fédérales. Ils croyaient que le soutien électoral pour le NPD n’était qu’un vote de défiance pour punir le PQ et le Bloc québécois pour avoir échoué à livrer la marchandise. Pourtant, cet appui n’a pas décru et reste au contraire solide, alors que les Québécois abandonnent le Bloc et ses politiques de droite. Cela reflète le fait que les Québécois cherchent maintenant des solutions de classe plutôt que la voie constitutionnelle.

Parizeau et le PQ ont toujours d’abord regardé vers Wall Street et les banquiers impérialistes. En vérité, si Parizeau avait été au pouvoir actuellement, il aurait été obligé de refaire la même chose qu’il avait faite dans les années 80 et 90 lorsqu’il était au pouvoir. Les nationalistes bourgeois et petit-bourgeois en sont venus à la conclusion que le meilleur moyen d’assurer la souveraineté serait par de bonnes relations avec l’impérialisme américain et en suivant les diktats de Wall Street. Le PQ et le reste  de la droite veulent la souveraineté pour la classe dirigeante, alors que les travailleurs québécois cherchent de plus en plus à résoudre leurs problèmes par des solutions militantes ancrées dans leurs intérêts de classe.  Cela place la classe ouvrière et les syndicats dans une situation de conflit pendant avec Péladeau et le PQ ainsi qu’avec le nationalisme bourgeois en général.

Au 19e siècle, le grand révolutionnaire marxiste James Connolly, dans « Socialism and Nationalism » écrivait à propos de la question nationale en Irlande :

« Si, dès demain, vous chassez l’armée anglaise et hissez le drapeau vert sur le château de Dublin, vos efforts s’avéreront vains si vous n’édifiez pas la république socialiste. L’Angleterre continuera de vous dominer. Elle vous dominera par l’intermédiaire de ses capitalistes, de ses propriétaires, de ses financiers, de toutes les institutions commerciales et individuelles qu’elle a implantées dans ce pays et arrosées des larmes de nos mères et du sang de nos martyrs. L’Angleterre continuera à vous gouverner jusqu’à vous entraîner dans la ruine, alors même que vos lèvres continueront à rendre un hommage hypocrite à cette liberté dont vous aurez trahi la cause. »

Ces paroles apparaissent toujours d’actualité. Il suffit de remplacer les références à l’Angleterre et à l’Irlande par le Canada (et les États-Unis) et le Québec, et cette citation explique magnifiquement le nœud de la question de la souveraineté au Québec. Il ne peut y avoir de vrai indépendance du Québec sous le capitalisme.

Les Québécois ne trouveront aucune solution à leurs problèmes chez les nationalistes bourgeois, car ceux-ci sont inextricablement liés aux banquiers impérialistes et aux capitalistes réactionnaires à la Péladeau. Les Québécois ordinaires n’obtiendraient aucune réelle souveraineté dans un Québec capitaliste indépendant, étant donné qu’au bout du compte, les impérialistes posséderaient le pouvoir et détermineraient la politique. Cela bloquerait toute possibilité même de réforme keynésienne.

Nombreux sont ceux et celles sur la gauche qui aspirent aux réformes keynésiennes à la Parizeau, des politiques qu’il n’a pourtant supporté qu’à certaines époques sous certaines conditions. Celles-ci sont vues comme la solution, malgré leur mise en échec et leur abandon par le passé. Dans les conditions actuelles de crise organique du capitalisme, la classe dirigeante n’est plus capable d’offrir ni même de tolérer quelque réforme que ce soit. Toute réforme au Québec, qu’il soit indépendant ou non, nécessiterait l’approbation des banquiers de Wall Street et de Bay Street. Par conséquent, les aspirations keynésiennes de la gauche nationaliste sont simplement impossibles. La souveraineté, dans son sens le plus complet, ne pourra jamais être vraiment accomplie dans le cadre du capitalisme.

Il apparaît donc que l’indépendance dans les limites du capitalisme ne pourrait signifier la liberté pour les travailleurs québécois. La classe ouvrière et le mouvement syndical doivent rejeter complètement le nationalisme bourgeois, qui ne peut que maintenir les travailleurs sous le joug de Wall Street. L’appui accordé au NPD fédéral signifie qu’il existe un immense enthousiasme pour l’idée d’un parti travailliste provincial, un Parti des travailleurs québécois. Ce n’est qu’en comptant sur elle-même, sur ses propres organisations politiques et syndicales, sur ses traditions militantes, et en luttant pour des politiques socialistes que la classe ouvrière du Québec peut réussir à riposter contre l’austérité, à trouver des solutions à ses problèmes, et à devenir vraiment libre – libre des chaînes du capitalisme et de l’impérialisme, libre de la misère et de l’exploitation.

Jacques Parizeau fut sans aucun doute une figure clé de l’histoire du Québec, et c’est toute une époque qui s’éteint avec lui. Alors que la crise économique s’approndit et que la lutte des classes s’intensifie partout à travers le monde, une nouvelle ère débute dans la politique québécoise et canadienne. Au cours des luttes qui s’annoncent, les travailleurs et la jeunesse du Québec seront confrontés à beaucoup des mêmes enjeux que les générations précédentes de militants qui avaient combattu les politiques bourgeoises de Parizeau et du PQ. Pierre Karl Péladeau a récemment affirmé que « c’est positif pour le pays et les citoyens de se souvenir de ce qu’il a accompli ». Nous sommes tout à fait d’accord avec Péladeau à ce sujet, et croyons qu’il serait dans l’intérêt des travailleurs, des travailleuses et de la jeunesse du Québec d’étudier les accomplissements de Parizeau pour s’assurer la victoire dans les luttes qui s’annoncent.